Archives par mot-clé : poésie de cour

TREIZAIN : Amours déçues pour Melin De Saint Gelais

Sujet :  poésies courtes,  poésie de cour, treizain, moyen français, courtoisie, manuscrit ancien.
Période :   XVIe, renaissance, hiver du Moyen Âge
Auteur  :  Mellin Sainct-Gelays ou Melin (de) Saint- Gelais (1491-1558)
Ouvrage  :    Œuvres complètes de Mellin Sainct-Gelays  par Proper Blanchemain, T2 (1873)

Bonjour à tous,

ujourd’hui, nous piochons dans le legs du poète de cour Melin de Saint-Gelais pour en tirer un joli treizain sentimental, mâtiné de déception. Dans ses œuvres complètes au sujet de l’auteur renaissant (op cité), Prosper Blanchemain constatait son incapacité à vraiment déchiffrer cette poésie. Il est vrai que Melin y laissait quelques flottements.


Définition : en poésie, un « treizain » désigne une strophe ou même un poème complet de 13 vers. Dans cette acception, ce mot demeure désormais assez peu usité et hors du contexte de la versification, ses autres sens l’ont emporté : 1/monnaie du Moyen Âge ou dans certaines régions, 2/série de pièces offertes par le futur marié à sa promise au moment des épousailles.


Treizain de Mellin de Sainct Gelays illustré
T

Cour, jeux courtois et courtoisie ?

On ne connait pas la destinataire de cet treizain et, si Melin de Saint Gelais n’y livre pas quantité de détails, on peut tout de même avancer quelques commentaires. Sur le fond, on retrouve notre poète en amant ou prétendant piqué au vif par une dame qu’il a, semble-t-il, longtemps courtisée (ou peut-être même fréquentée) sans parvenir à susciter chez elle l’intérêt souhaité. Il se sent même assez clairement instrumentalisé, puisque voulant la toucher par ses vers, il fait le constat de n’être parvenu qu’à la flatter, se faisant, malgré lui, la voix du miroir de la fable (« miroir miroir dis moi qui est la plus belle« ).

S’il plane, dans cette poésie, comme un parfum de rupture, on ne peut s’empêcher de lire entre les lignes, la survivance d’une certaine forme de courtoisie (sous réserve de s’entendre sur les définitions). i.e. Le poète, en position basse, a envoyé, sans relâche, ses vers en direction de la dame pour la conquérir, attendant en retour un assentiment ou une réciprocité qui n’est pas venue. Si on peut supposer que non, on ne peut vraiment savoir si l’amour a déjà été ou non consommé. Rien n’est clair, non plus, sur le statut de la dame ou ses éventuels engagements. Nous ne sommes donc plus, ici, dans la définition stricte de l’Amour courtois médiéval cher à Gaston Paris, mais la posture, la façon de courtiser qu’on peut y déchiffrer, ont des résonnances courtoises.

Quant à la chute (magistrale) avec cette « ignorance » que le poète s’inflige contre la « cruauté » qu’il prête à la dame, on pourrait y lire plusieurs choses. Fait elle allusion à la naïveté du poète d’avoir cru pouvoir conquérir sa muse, à son méjugement pour avoir pensé qu’elle franchirait la distance et se laisserait toucher par ses avances ? Ou, peut-être encore, se réfère-t-il à l’ignorance dans laquelle lui-même était tenu de certains engagements existants de la dame ou de certaines dispositions d’esprit de cette dernière (déjà perdantes) à son encontre ? Dans tous les cas, loin des jeux courtois, l’auteur ne semble pas disposé à se comporter en loyal amant docile, prompt à endurer toujours plus. La muse pourra garder les textes et s’y mirer à loisir. Il reprend ses engagements. Et dans un ultime sursaut, il se libère de sa « prison d’amour » sur les plans poétique, épistolaire et factuel. Un peu de discrétion sur toute l’affaire, voilà tout ce qu’il attend d’elle.

Sources manuscrites historiques

Melin de Saint-Gelais - manuscrit médiéval ancien

On pourra retrouver cette poésie dans le manuscrit Français 885, conservé à la Bibliothèque Nationale de France. Daté de la deuxième moitié du XVIe siècle, cet ouvrage, plutôt sobre, contient des poésies de Melin de Saint-Gelais, sur un total de 240 feuillets (à consulter en ligne ici). Il s’agit vraisemblablement d’une copie d’un autre manuscrit : le Vaticane Ms. Reg. Lat. 1493.

La poésie du jour se trouve, vers la fin du BN Fr 885 (fol 218). Dans son ouvrage de 1873, Prosper Blanchemain l’a classée au côté d’un vingtaine d’autres pièces inédites de Saint Gelais tirées de ce même manuscrit. Du point de vue stylistique, ce treizain est rondement mené par Melin et son sens de la chute, ici en miroir, entre cruauté et ignorance, le fait littéralement décoller. Au contraire de certains textes plus anciens et plus ardus, le moyen-français du XVIe siècle gomme les distances avec notre français moderne et cette accessibilité permet à cette poésie de toucher efficacement au but, même si elle conserve ses mystères.


Melin en poète amoureux brûlé à son propre feu

Voyant mon feu tant d’estés et d’hyvers
Continuer et de plus en plus croistre,
J’avois conclu de brusler tous mes vers
Pour ne les veoir plus heureus que le maistre
(lui-même),
Et leur doner par espreuve à cognoistre
Ce qu’ils n’ont sceu de moy vous exprimer.

Mais, vous taschant à moy seul enflammer
Et estimant en eux vos beaultez vivres,
Les avés mis pres de vous à délivre.

Gardés-les donc puis qu’il vous plait, madame,
Sans leur donner d’autruy la privauté,
Car, s’ils sont v(e)us, nous deus en aurons blasme,
Moy d’ignorance et vous de cruauté.

Treizain – Melin de Saint Gelais


En vous souhaitant une belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
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Esprit & humour de cour : une Sélection de Quatrains de MeLin Saint-Gelais

Sujet :  poésies courtes,  poésie de cour, humour, quatrains, poésie satirique, moyen français
Période :  XVIe, renaissance, hiver du Moyen Âge
Auteur  :  Mellin Sainct-Gelays ou Melin (de) Saint- Gelais (1491-1558)
Ouvrage  :  Recueil des plus belles pieces des poëtes françois depuis Villon jusqu’à Bensérade T1, Cie des librairies (1752) et Œuvres complètes de Mellin Sainct-Gelays par Proper Blanchemain (1873)

Bonjour à tous

ous revenons, aujourd’hui, à la poésie de Melin de Saint Gelays, plus renaissante que médiévale, sans doute, du point de vue des chronologies classiques. En l’occurrence, ce sont quelques quatrains non dénués d’humour que nous vous invitons à découvrir, quatre poésies à la fois courtes et enlevées qui permettront encore de mesurer l’esprit de ce talentueux poète de cour du XVIe siècle.

Qu’est ce qu’un quatrain ?

Un quatrain désigne une poésie complète ou même une strophe composée de quatre vers. Le nombre de pieds de chaque vers importe peu, ce qui compte c’est de ne pas dépasser ce nombre de 4 vers par strophe.

Du point de vue des règles applicables aux rimes, le quatrain est également assez souple. En général, quand il désigne un poème composé d’une seule strophe, comme dans les exemples ci dessous, on s’attend à des sonorités homogènes, aux moins par pair, quelque soit leur dispositions dans la strophe. Comme dans les exemples ci-dessous et la plupart du temps, ces rimes sont croisées (ABAB) ou embrasséesg (ABBA).

Quand un poème plus long est composé de quatrains, les possibilités de rimes peuvent s’étendre pour se croiser de manière plus complexe. Par sa nature sa taille réduite, le quatrain constitue une des plus petites strophes en poésie française, au dessus du distique (deux pieds de vers) et du tercet (trois pieds). Notons que le sonnet (également très apprécié de Melin de Saint-Gelais qui s’en est fait une spécialité) ouvre sur deux quatrains suivi de deux tercets.

L’art du quatrain pour vanter ou moquer : un peu de style dans un monde de brutes

Le quatrain, compris comme un poème à part entière, est un art en soi et Melin de Saint-Gelais est un de ceux qui le maîtrise. S’ils peuvent toujours être tournés en éloge à une dame ou un prince, quand elles se font plus satiriques, certaines des pièces de notre auteur, la première notamment, pourraient presque évoquer, par leur mordant, ce qu’on nomme désormais, dans un anglicisme à la mode, des « punchlines ».

Par leur nature courte, ce type d’exercice satirique pourrait même rappeler le format imposé par twitter mais avec, sans doute, plus de style. D’ailleurs, pour un peu, on se prendrait à rêver d’une journée « quatrain » imposée sur twitter (et même d’autres réseaux) pour ajouter un peu de finesse à ce qu’on voit usuellement passer dans les commentaires. Une façon de dire : si votre intention est d’être piquant, mettez-y au moins un peu d’élégance et faites quelques efforts de style. La méchanceté crasse et gratuite n’est jamais que l’apanage dérisoire des imbéciles. Même si, empressons nous de le dire, le moins dont elle est besoin est que les censeurs politiques ou même privés s’en mêlent avec d’affreuses lois Avia pour tout régimenter.

Sources anciennes et modernes

Du point des vue des sources, pour avoir un vision complète de l’oeuvre de Saint-Gelais, on se penchera favorablement sur les 3 tomes que Prosper Blanchemain dédia à son oeuvre complète dans le courant du XIXe (opus cité en tête d’article). Quant aux sources anciennes, on pourra se rapporter au manuscrit Français 842 (B.N. fr. 842) conservé à la BnF. Ce recueil de poésies, daté du XVIe siècle, comprend, en effet, un nombre important de pièces de Melin de Saint-Gelais (dont celles qui suivent) aux côtés d’autres auteurs de ce même siècle.

Quatre quatrains de Melin de Saint-Gelais

Nb : dans les manuscrits originaux, ces quatrains de Saint-Gelais ne sont pas titrés. Les titres ci-dessous ne sont donc pas d’époque, ni de l’auteur mais de votre serviteur.

Narcisse

On dit que tu es amoureux,
Mais que c’est de ta fantaisie :
S’il est vrai, tu es bien heureux ;
Nul ne te porte jalousie.

Volage

Mon naturel me contrainct de l’aimer
Et ses vertus m’invitent à le faire ;
Mais si elle veut à tant d’autres complaire
Que ne scay qui sienne la peut nommer.

Séducteur

Ne tardez plus à consentir,
Ni à tel ami satisfaire :
Vaut mieux faire et se repentir,
Que se repentir et rien faire.

Courtois (présomptueux)

Pour gaigner en paradis lieu
Sans aller jeusner aux déserts,
Seulement vous fault servir Dieu
D’aussi bon cœur que je vous sers.


En vous souhaitant une belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
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« Lassés d’amour » : un rondeau désabusé de Blosseville à la cour d’Orléans

Sujet  : poésie médiévale, rondeaux, auteurs médiévaux, poètes, amour courtois,  loyal amant,  poésie de cour.
Période  : Moyen Âge tardif, XVe siècle
Auteur : Blosseville
Manuscrit ancien  : MS français 9223
Ouvrage  : Rondeaux et autres poésies du XVe  siècle  de Gaston Raynaud (1889)

Bonjour à tous,

A_lettrine_moyen_age_passionu XVe siècle, les nobles défilent  à la cour de Charles d’Orléans et on s’y adonne à la poésie,  encouragé par les goûts et le talent du prince lettré. Revenu  de longues années de capture en Angleterre, ce dernier y avait eu le temps de se consacrer longuement à la poésie et aux lettres. On se souvient, en effet, que la bataille désastreuse d’Azincourt  lui avait coûté 25 ans de sa liberté.

Aux sources : le français  Ms 9223, recueil de ballades, rondeaux et bergerettes

Du point de vue des sources, un grand nombre des ballades, rondeaux et pièces, échangés, alors, à cette cour, peut être retrouvé  dans le manuscrit Français 9223. Conservé de nos jours, au département des manuscrits de la BnF, cet ouvrage médiéval contemporain du XVe siècle, contient, en effet, 195 pièces d’auteurs variés.

blosseville-francais-ms-9223-amour-courtois-poesie-medievale-moyen-age-sVers la fin du XIXe siècle, le célèbre  historien et philologue Gaston Raynaud se proposa de présenter ces poésies  en graphie moderne, sous le titre Rondeaux et autres poésies du XVe  siècle.  Pour ceux que cela intéresse, on peut encore trouver cet ouvrage réédité sous forme papier aux éditions   Hachette Livre Bnf.

Pour revenir à cette poésie de cour, on y trouve nombre de petites pièces variées, mais aussi la retranscription de  concours ou exercices de styles  partagés demeurés célèbres : « En la forêt de longue attente« ,…  Une belle place y est faite aussi à la courtoisie dont ce rondeau de Blosseville que nous partageons ici.   

Cet auteur, dont on sait finalement peu de chose (voir éléments de biographie ici), semble avoir été  relativement présent dans ce cercle d’apprentis poètes et on lui attribue même la copie du MS français 9223. Sur le thème du sentiment amoureux, les compositions qui  lui sont attribuées par ce manuscrit vont du classique jeu de séduction, à des textes plus distanciés, voir même humoristiques et grinçants à l’encontre du jeu courtois. Le rondeau  du jour le trouvera plutôt désabusé. Comme cette pièce est dans un moyen-français relativement intelligible, nous vous laissons la découvrir  dans sa langue originale.


Lassé d’amours de Blosseville

Lassé d’amours et des faiz de fortune,
Tanné d’espoir et d’aimer trop fort une,
Encloz d’ennuy, maintenant je demeure,
Car Desplaisir prent en moy sa demeure,
De par Maleur qui tresfort me fortune.

Dont je me treuve sans que joye nés une
Soit en mon cueur secrete ne commune :
Pour quoy je dis que je suis a ceste heure
Lassé d’amours.

Merencolie, Douleur et Infortune,
Dueil et Soussy, Desespoir et Rancune,
En languissant me font plus noir que meure,
Et n’ay desir fors que de bref je meure,
Puisque je suis le plus dessoubz la lune
Lassé d’amours.


En vous souhaitant une très belle journée.

Frédéric EFFE
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Le Dizain d’un amant tourmenté par Melin de Saint-Gelais

Sujet :  poésies courtes,  dizain, poésie de cour, renaissance. amour courtois,
Période :  XVIe, renaissance, fin du moyen-âge
Auteur  : Mellin Sainct-Gelays, Mellin de Saint-Gelais
ou Melin (de) Saint- Gelais (1491-1558)
Ouvrage  : Les poètes françois depuis le XIIe siècle jusqu’à Malherbe Tome II Pierre René Auguis (1824)

Bonjour à tous,

A_lettrine_moyen_age_passionujourd’hui, nous vous proposons une nouvelle poésie courte datée de la toute fin du moyen-âge et même de la renaissance.

Si l’on voulait prendre un raccourci commode, bien que certainement un peu abrupt, c’est une période qui va voir coexister et même, parfois, s’opposer une poésie de cour légère, voir primesautière qui se signe par une recherche du bon mot, de la bonne chute (voir La fleur de poésie françoyse) à une autre poésie aux ambitions plus élevées, qui entend bien faire le deuil du moyen-âge et qui prend, il faut bien le dire, son rôle très au sérieux. Cette dernière sera représentée par les auteurs de la Pléiade. Inspirés par les sonnets et le legs de Pétrarque, ils se réclameront résolument des auteurs antiques. De l’autre côté, celle qui ne rougit pas de se faire, par endroits, plus divertissante et qui renie, sans doute moins aussi, certaines de ses racines médiévales, on trouvera comme chefs de file   Clément Marot et Mellin  de Saint-Gelais.

C’est à ce dernier que l’on doit le dizain du jour. Nous l’avons tiré d’une excellente anthologie de la poésie française des débuts du XIXe, signée de la main de  Pierre-René Auguis. Saint-Gelais y chante avec élégance les déboires d’un amant tourmenté qui ne sont pas sans évoquer sur le fond les affres sentimentaux auxquels l’amour courtois des siècles précédents nous a largement accoutumé.

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Dixain

SI j’ai du bien, hélas ! c’est par mensonge,
Et mon tourment est pure vérité :
Je n’ai douceur qu’en dormant et en songe,
Et en veillant, je n’ai qu’austérité :
Le jour m’est mal, et bien, l’obscurité :
Le court sommeil ma dame me présente,
Et le réveil la fait trouver absente. –
Ah ! pauvres yeux, où estes-vous réduits ?
Clos, vous voyez tout ce qui vous contente,
 » Tandis qu’ouverts, ne voyez rien qu’ennuis.

En vous souhaitant une belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen-âge sous toutes ses formes.