Archives de catégorie : Musiques, Poésies et Chansons médiévales

Vous trouverez ici une large sélection de textes du Moyen âge : poésies, fabliaux, contes, chansons d’auteurs, de trouvères ou de troubadours. Toutes les œuvres médiévales sont fournis avec leurs traductions du vieux français ou d’autres langues anciennes (ou plus modernes) vers le français moderne : Galaïco-portugais, Occitan, Anglais, Espagnol, …

Du point du vue des thématiques, vous trouverez regroupés des Chansons d’Amour courtois, des Chants de Croisade, des Chants plus liturgiques comme les Cantigas de Santa Maria d’Alphonse X de Castille, mais aussi d’autres formes versifiées du moyen-âge qui n’étaient pas forcément destinées à être chantées : Ballades médiévales, Poésies satiriques et morales,… Nous présentons aussi des éléments de biographie sur leurs auteurs quand ils nous sont connus ainsi que des informations sur les sources historiques et manuscrites d’époque.

En prenant un peu le temps d’explorer, vous pourrez croiser quelques beaux textes issus de rares manuscrits anciens que nos recherches nous permettent de débusquer. Il y a actuellement dans cette catégorie prés de 450 articles exclusifs sur des chansons, poésies et musiques médiévales.

Chanson de toile du XIIIe siècle : la belle Doette du Chansonnier de Saint-Germain des Prés

chanson-de-toile-belle-doette_trouveres-moyen-age_XIIIe-siecleSujet : musique  médiévale, chansons de toile, chanson d’Histoire, chanson médiévale, vieux français, trouvères, langue d’oïl.
Période : moyen-âge central, XIIIe siècle
Auteur : anonyme
Titre : La Bele Doette
Interprète :  Ensemble Sequentia
Album Trouvères (1987)

Bonjour à tous,

E_lettrine_moyen_age_passionn dehors des chants d’amour courtois, des chants de croisades ou encore des sirvantois que nous avons souvent abordés ici, le moyen-âge central, a donné le jour à bien d’autres créations musicales chantées. Aujourd’hui, nous nous arrêtons sur un genre un peu plus marginal en terme de quantité de productions. Il est connu sous le nom de chansons de toile ou chansons d’Histoire.

Les chansons de toile

Un peu dans l’esprit des Cantigas de Amigo de la péninsule ibérique médiévale, ces chansons mettent en scène une belle amoureuse, généralement de noble lignée, qui pense à son promis et l’attend. le-moyen-age_romantisme_anglais_Edmund-Blair-LeightonDurant les pièces qui se présentent comme de petits récits, on la trouve souvent affairée à l’ouvrage ( broderie, filage, …) et si on a longtemps admis, avec  Gaston Paris, que ces chansons avaient pu avoir vocation à être entonnées par les femmes ou leurs servantes durant leur travail, les médiévistes qui se sont penchés sur le sujet, depuis, n’ont pas tous partagé cet avis.

Stitching the Standard (piquant l’étendard) Toile de Edmund Blair Leighton (1911)  Moyen-âge & romantisme anglais. 

Datation

En suivant les pas du médiéviste  Edmond Faral, (les chansons de Toile ou chansons d’Histoire, Romania 276, 1946), il faut entendre l’appellation « chanson d’Histoire », dans le sens de récit, mais peut-être encore plus sûrement, dans le sens de chansons anciennes, ou évocatrices de temps lointains et passés.

Factuellement, les chansons de toile nous sont connues à travers des manuscrits datés du XIIIe siècle. Quelques médiévistes du XIXe siècle ont pourtant été enclins à spéculer sur une antériorité de certaines de ces pièces, par rapport aux sources dans lesquelles on les trouve. Les arguments des experts, à l’appui de cette datation, ont porté sur les rimes, les métriques, certains archaïsmes stylistiques, mais encore une forme de similarité thématique avec les chansons de geste : ambiance, décorum seigneurial, noblesse, arrière plan épique, … Nous laisserons ces conjectures aux médiévistes et romanistes qui en sont friands pour retenir le constat très pragmatique du même Edmond Faral (op cité) : les chansons de toile ont émergé, dans les sources, au début et dans le courant du XIIIe siècle, pour s’étendre sur une cinquantaine d’années. Avant, on n’en trouve pas la trace factuelle ; peuvent-elles être datées de la toute fin du XIIe siècle ? A la rigueur, on pourrait admettre ce léger glissement (qui reste spéculatif) de leur émergence.

Dans le dernier tiers du XIIIe siècle, l’engouement pour le genre semble, en tout cas, se perdre, même si on trouvera ultérieurement des chansons qui pourront les évoquer sur le fond. Du reste, le mythe de la belle cousant ou filant, dans l’attente de son promis ou de son prince, fera long feu. L’image restera associée au Moyen-âge et séduira même quelques auteurs romantiques des XIXe, XXe siècles (voir la toile de Edmund Blair Leighton plus haut dans l’article).

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La belle Doette dans le Ms Français 20050, dit Chansonnier de Saint-Germain des Prés (XIIIe s)

Sources et manuscrits anciens

Concernant le nombre de chansons de toile médiévales ayant traversé le temps jusqu’à nous, on en recense une vingtaine. Dans leur majorité, elles sont publiées séparément, entières ou fragmentées, avec ou sans mélodie, dans deux célèbres manuscrits anciens :  le Ms français 844 ou Manuscrit du Roy ou encore le Ms français 20050 ou Chansonnier de Saint-Germain des Prés. D’autres sont incluses et citées dans des romans médiévaux (le roman de la violette, le lai d’Aristote, le roman de Guillaume de Dole).  La Belle Doette qui nous occupe aujourd’hui, est issue du français 20050 (consulter ici sur Gallica ). A l’image de nombre de ces pièces (13 sur les 20 recensées), elle est demeurée anonyme.

Pour clore sur ce très bref panorama et pour ceux qui désireraient creuser le sujet, on citera l’ouvrage de Michel Zink sur cette question : Belle: essai sur les chansons de toile (1978).

La belle Doette par l’Ensemble Sequentia

Trouvères  – Chansons d’amour courtoises du nord de la France, par l’Ensemble Sequentia

album_sequential_trouveres_musique_chanson_medievale_amour_courtois_moyen-age_centralEdité en 1987, cet excellent double album de l’Ensemble Sequentia, sous la direction de Benjamin Bagby demeure une référence du genre, avec plus de quarante pièces issues du répertoire des trouvères du moyen-âge central (voir article détaillé ici).  Ce titre est toujours disponible à la vente, au format CD ou dématérialisé MP3. Pour plus d’informations, voir le lien suivant : Trouveres (Höfische Liebeslieder Aus Nordfrankreich), Sequentia.


Bele Doette as fenestres se siet : paroles & traduction
de la langue d’oïl au français moderne

La version que nous vous proposons de cette Bele Doette est tirée de Morceaux choisis des auteurs français, poètes et prosateurs, de Louis Petit de Julleville (1901). Si sa traduction nous a servi de base, nous l’avons, tout de même, revisitée par endroits.

Bele Doette as fenestres se siet,
Lit en un livre, mais au cuer ne l’en tient;
De son ami Doon li ressovient,
Qu’en autres terres est alez tornoier.
E or en ai dol.

Belle Doette à la fenêtre assise,
Lit en un livre, mais son cœur est ailleurs,
De son ami Doon, lui ressouvient,
Qui, en d’autres terres, est allé au tournoi
Et, désormais, j’en porte le deuil.

Un escuiers az degrés de la sale
Est dessenduz, s’est destrossé sa male.
Bele Doette les degrez en avale,
Ne cuide pas oïr novele maie.
E or en ai dol.

Un écuyer, les marches de la salle
A descendu et a défait sa malle.
Belle Doette les marches en dévale,
Ne pense pas ouïr mauvaise nouvelle
Et, désormais, j’en porte le deuil.

Bele Doette tantost li demanda :
« Ou est mes sires que ne vi tel pieça ? »
Cil ot tel duel que de pitié plora.
Bêle Doette maintenant se pasma.
E or en ai dol.

Belle Doette aussitôt lui demanda :
« Où est mon seigneur, que je n’ai vu, depuis longtemps ? »
Lui (l’écuyer) en eut telle douleur que de pitié, il pleura,
Belle Doette, alors, se pâma.
Et, désormais, j’en porte le deuil.

Bele Doette s’est en estant drecie,
Voit l’escuier, vers lui s’est adrecie,
En son cuer est dolante et correcie,
Por son seignor dont ele ne voit mie.
E or en ai dol.

Belle Doette s’est alors relevée,
Regarde l’écuyer, vers lui s’est dirigée ;
En son cœur il n’y a que douleur et courroux,
Pour son seigneur qu’elle ne voit pas venir.
Et, désormais, j’en porte le deuil.

Bele Doette li prist a demander :
« Ou est mes sires cui je doi tant amer?
— En non Deu, dame, nel vos quier mais celer :
Morz est mes sires, ocis fu al joster.
E or en ai dol.

Belle Doette lui demanda alors :
« Où est mon Sire que je dois tant aimer ? »
— Au nom de Dieu, Dame, je ne veux le cacher,
Mort est mon seigneur, occis durant les joutes,
Et, désormais, j’en porte le deuil.

Bele Doette a pris son duel a faire.
« Tant mar i fustes, cuens Do, frans debonaire*.
Por vostre amor vestirai-je la haire,
Ne sor mon cors n’avra pelice vaire.
E or en ai dol :

Por vos devenrai nonne en l’eglyse Saint Pol. »

Belle Doette a alors pris son deuil
 » Tant de malheur, Comte Doon, noble et franc
Pour votre amour, je vêtirai la haire, (1)
Ni, sur mon corps, n’aurais fourrure de vair (2)
Et, désormais, j’en porte le deuil.

Pour vous me ferai nonne en l’Eglise Saint-Paul. »

(1) Haire (littré) : « Petite chemise de crin ou de poil de chèvre portée sur la peau par esprit de mortification et de pénitence. » 
Sens figuré : douleur, peine, tourment (Petit dictionnaire de l’ancien français. Hilaire van Daele.)

(2) Vair (littré) :  anciennement, fourrure de la peau d’une espèce d’écureuil,  du même nom, qui était colombine par-dessus et blanche par-dessous ; c’est ce qu’on nomme aujourd’hui petit gris. »


Sur le même sujet, voir : Une cantiga de amigo du troubadour Estêvão Coelho par l’Ensemble Manseliña

En vous souhaitant une très belle journée.

Frédéric EFFE.
Pour moyenagepassion.com
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Le Miracle de la Cantiga de Santa Maria 159, avec l’ensemble médiéval Freiburger Spielleyt

musique_espagne_medievale_cantigas_santa_maria_alphonse_de_castille_moyen-age_centralSujet : musique médiévale, Cantigas de Santa Maria, galaïco-portugais, culte marial, miracles, Sainte-Marie, vierge, pèlerinage médiéval, Rocamadour.
Période : Moyen Âge central, XIIIe siècle.
Auteur : Alphonse X  (1221-1284)
Titre :  Cantiga 159 Non sofre Santa María
Ensemble : Freiburger Spielleyt
Album : Cantigas de Santa Maria, Tales of Miracles  (1994)

Bonjour à tous,

I_lettrine_moyen_age_passion-copial y a quelque temps, nous vous avions présenté dans le détail, la Cantiga de Santa Maria 159 d’Alphonse X de Castille. Ce chant médiéval en galaïco-portugais dédié au culte marial, contait l’histoire d’infortunés pèlerins de Rocamadour auxquels une tranche de viande avait été dérobée. Avec l’aide miraculeuse de la première sainte chrétienne, l’auteur nous rapportait comment nos pèlerins avaient finalement retrouvé l’objet du larcin, tambourinant et sautillant dans un coffre.

Après l’interprétation du Clemencic Consort de cette cantiga de Santa Maria 159, nous vous présentons, ici, dans un registre plus lyrique, celle de l’ensemble médiéval suisse  Freiburger Spielleyt . Elle nous fournira l’occasion de vous toucher un mot de ce bel ensemble suisse qui a fait des musiques médiévales et anciennes un de ses terrains d’élection.

La Cantiga de Santa Maria 159  par le Freiburger Spielleyt

Le Freiburger Spielleyt : à bonne école

ensemble-medieval_musique_ancienne-moyen-Age_Freiburger-SpielleytFondé dans le courant de l’année 1990, le Freiburger Spielleyt est composé d’artistes qui se sont rencontrés durant leurs études à l’Université de Musicologie de Fribourg mais aussi, dans le cadre de la célèbre Schola Cantorum Basiliensis de Bâle.

Quand on s’intéresse de près à la scène musicale médiévale européenne, on peut difficilement passer à côté de cette prestigieuse école suisse, devenue une référence dans le domaine de l’enseignement des musiques anciennes. Elle a vu naître un nombre considérable de formations prestigieuses que nous avons déjà mentionnées dans nos articles (Hespérion, Sequentia, Hirundi Maris, Project Ars Project, … ). Elle a  également vu passer les professeurs les plus talentueux (voir notamment l’autobiographie intellectuelle de Jordi Savall)

Répertoire et productions

Si le Freiburger Spielleyt a affirmé très tôt sa prédilection pour les musiques anciennes et le répertoire médiéval, l’ensemble n’a pas hésité, depuis, à explorer des époques plus tardives (renaissance, période baroque ou encore XVIIIe et IXe siècle). Du point de vue musical et expérimental, il s’est aussi aventuré sur des terrains plus contemporains, à la fusion des sonorités modernes et anciennes. A cette occasion, il a même collaboré avec d’autres formations dont notamment l’ensemble de Jazz oriental FisFüz.

Depuis ses débuts de carrière, le Freiburger Spielleyt a produit un total de douze albums au nombre desquels on pourra trouver, pour ne citer que quelques références, des cantigas de Santa Maria, des cantigas de Amigo, des chants de pèlerins, des chants de Noel, ou même encore chant de fortune et d’infortunes du Moyen Âge. Le tout a donné lieu à des programmes et concerts qui sont proposés sur l’ensemble de la scène européenne et même au delà. Voir le site web du Freiburger Spielleyt (en allemand)

Cantigas de Santa Maria. Tales of Miracles

musiques_medievales_culte-marial-cantigas-de-santa-maria-album--ensemble-Spielleyt-moyen-age-centralEn 1994, la formation partait à la découverte de l’Espagne médiévale et les « récits de Miracles » des Cantigas de Santa Maria. L’album présentait ainsi une sélection de onze pièces auxquelles la soprano Regina Kabis prêtait sa talentueuse voix. Là encore, dans une approche fusion, l’ensemble suisse faisait le choix d’ajouter à leurs instruments anciens, une touche de  sonorités plus électroniques et modernes.

Les membres du  Freiburger Spielleyt

Regina Kabis, (soprano), Murat Coskun (percussions), Maria Ferré (luth, guitares anciennes), Bernd Maier (cornemuse, vielle à roue), Jutta Haaf (harpe), Albrecht Haaf (flûtes, organetto, vièle à archet).

Retrouvez les paroles, l’analyse et la traduction de la Cantiga 159

Voir l’index des Cantigas de Santa Maria présentées et traduites en français avec leurs versions en musique.

En vous souhaitant une belle journée.

Frédéric EFFE
Pour Moyenagepassion.com
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Une envolée lyrique et satirique d’Alain Chartier au dixième an de son dolent exil

Alain-chartier_poete_auteur-medieval_moyen-age_XVe-siecleSujet : poésie médiévale, poésie morale,  moyen-français, vertus, chevalerie, France médiévale, auteur médiéval
Période : moyen-âge tardif, XVe siècle
Auteur :  Alain Chartier (1385(?)-1430)
Ouvrage : L’Espérance ou Consolation des Trois Vertus tirée de  Les Oeuvres de Maistre Alain Chartier (1617)

Bonjour à tous,

A_lettrine_moyen_age_passionujourd’hui, nous partons pour le XVe siècle avec un extrait de « L‘Espérance ou Consolation des Trois Vertus » du poète et écrivain du XVe siècle Alain Chartier.  L’ouvrage est un traité moral et  politique, inspiré de la Consolation de Philosophie du philosophe latin Boèce (480-524), à ceci près que les vertus mises en avant par l’auteur médiéval sont chrétiennes et trempées de Moyen-Age occidental.

L’Espérance ou Consolation des Trois Vertus

Mélange de prose et de vers, L’Espérance ou Consolation des Trois Vertus met en scène un bachelier.  Pris dans les filets de la vieille Mélancolie qui l’a enivré à l’aide d’un breuvage soporifique, le personnage songe et verra ainsi défiler, à son chevet, divers travers personnifiés sous les formes les plus monstrueuses : défiance,  désespérance, indignation. Les calamités et disgrâce du temps seront passées en revue,  pour finalement mettre le personnage face à trois vertus : Foi, Espérance et Charité. Concernant cette dernière, Alain Chartier  n’a pas eu le temps de la traiter puisqu’il a laissé son traité inachevé.

alain-chartier_moyen-Age-tardif_XVe-siecle_poesie-morale-satirique-medievaleEn guise d’extrait, nous partageons ici le prologue de l’ouvrage. La déliquescence du « siècle » reste un thème privilégié dans nombre de poésies morales médiévales et cette poésie n’y déroge pas. Dans une grand envolée lyrique, Chartier encense son amour de la France, tout en faisant le triste constat de la déchéance de cette dernière. Comme d’autres auteurs l’ont fait et le feront avant et après lui, il y déplore aussi la disparition d’une chevalerie des temps passés qui protégeait la France et lui faisait honneur.  L’affaire n’est pas nouvelle et deux siècles après Rutebeuf, un certain moyen-âge littéraire et satirique n’en finira pas de soulever ce thème :

« Valurent miex cil qui ja furent
De seux qu’or sont, et il si durent,
Car ciz siecles est si changiez
Que un leux blans a toz mangiez
Les chevaliers loiaux et preux.
Por ce n’est mais ciz siecles preuz. »

Rutebeuf – Les plaies du monde

Concernant l’exil d’Alain Chartier dont il est question dans cet extrait, il a sans doute débuté autour de 1428 et fait suite à des manoeuvres politiques de Georges Ier de La Trémoille (la Trémouille), grand chambellan et conseiller de Charles VII désireux d’éloigner du roi tous ceux qui pouvaient lui faire de l’ombre (voir Etude sur Alain Chartier de Didier Delaunay, 1876).

poesie-satirique-medievale-Alain-Chartier-exil_Livre-de-l-esperance-Moyen-age-tarfif_XVePour le reste, nous sommes dans la première moitié du XVe siècle  et d’un point de vue linguistique, il s’agit donc de Moyen-Français. Ceux qui ont déjà croisé nos articles sur Michaut Taillevent et son passe-temps ne manqueront pas de trouver d’indéniables similarités stylistiques entre les deux auteurs. Ces dernières expliquent d’ailleurs que leur corpus se soient quelquefois retrouvés mêlés à la défaveur de Michaut Taillevent. Alain Chartier demeure un des auteurs majeurs du XVe siècle et il ne faut donc pas s’étonner que son « aura » ait pu vampiriser le legs de quelques-uns de ses contemporains. Fort heureusement, avec le temps et quelques études sérieuses, les médiévistes ont pu y mettre bon ordre, après coup.

Au dixiesme an de mon dolent exil

« Comment M. Alain Chartier regrette les nobles Chevaliers du temps passé, qui par bonne discipline militaire maintenoient France en liberté, depuis par lascheté mise en souffrance et servitude.

Au dixiesme an de mon dolent exil,
Apres maint dueil et maint mortel peril
Et des dangiers qu’ay jusques cy passez,
Dont j’ai souffert graces à Dieu assez
N’a pas grantment ès chroniques lisoye,
Et és hauts faiz des anciens visoye,
Qui au premier noble France fonderent.
Ceulx en vertus tellement habonderent
Que du pays furent vrais possesseurs,
Et l’ont laissé à leurs bons successeurs,
Qui tant leur moeurs et leurs doctrines creurent
Que leur royaume et leur pouvoir accreurent.
Et se firent honorer et aimer,
Craindre et (re)douter deça et delà mer,
Justes en fais, secourans leurs amis,
Durs aux mauvais, et fiers aux ennemis,
Ardans d’onneur, et hauts entrepreneurs,
Amans vertus, des vices réprimandeurs,
Regnans par droit, heureux et glorieux,
Et contre tous forts et victorieux.

Or ont regné en grant prospérité
Par bien amer justice et équité,
Et ont lessé après mainte victoire
Le pays en paix, en hautesse et en gloire.
Et nos peres, qui devant nous nasquirent,
En ce bon temps durèrent et vesquirent.
Et passerent le cours de leur âge
Seurs* (sûrs) de leur corps, en repos de courage,

Las ! nous chétifs et de male heure nez
Avons esté à naistre destinez I
Quant le hault pris du Royaume dechiet
Et nostre honneur en grief reprouche chiet ;
Qui fut jadis franc, noble et bien heuré,
Or est faict serf, confus et espeuré ;
Et nous fuitifs, exiliez et dispers,
Avons tous maulx esuyez et expers ;
Et tous les jours en douleurs gémissons,
Povres, chassez, à honte vieillissons
Desers, despiz, nuz et desheritez
Pour droit suyvir et amer veritez.
Portans en cueur dur regret et remors
Du temps perdu, pays conquis, amis mors,
En l’avenir que penser ne savons
Fors que petit d’Espérance y avons
Quant nous voyons ainsi France déchoir
Et à nous tous du dechiet* (chute perte) mescheoir* (nous faire du mal).

Je souloye* (j’avais coutume) ma jeunesse aquitter
A Joyeuses escritures dicter :
Or me convient autre ouvrage tisser,
De cueur dolent ne pourroit joye yssir* (sortir),
Paine, paour, pouvreté, perte et doute
Ont assiegé si ma pensée toute
Qu’il n’en saut rien fors que par leur dangier
Ainsi me faut mon sentement changier.
Car en moy n’est Entendement ne sens
D’escrire, fors ainsi comme je sens,
Douleur me fait par ennuy, qui trop dure,
En jeune aage vieillir malgré nature,
Et ne me veult laissier mon droit cours vivre,
Dont par douleur ay commencé ce livre. »

En vous souhaitant une excellente journée.

Frédéric EFFE.
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« Fines Amouretes ai » la fine amor d’Adam de la Halle à la Nouvelle-Orléans

trouveres_troubadours_musique_poesie_medievale_musique_ancienneSujet : musique, chanson, poésie médiévale, vieux français,  trouvères d’Arras,  fin’amor rondeau. amour courtois, langue d’oïl.
Période :  Moyen Âge central, XIIIe siècle
Auteur :  Adam de la Halle (1235-1285)
Titre : Fines Amouretes ai
Interprète :   New Orleans Musica da Camera
Album  : Les Motés d’Arras (2003)

Bonjour à tous,

A_lettrine_moyen_age_passionujourd’hui, nous vous proposons une nouvelle chanson médiévale du trouvère Adam de la Halle. Ce rondeau polyphonique à trois voix qui se classe dans le registre de la lyrique courtoise et de la fin’amor nous fournira l’occasion de vous toucher un mot d’une célèbre formation de musiques médiévales outre-atlantique :  le New Orleans Musica da Camera.

Le New Orleans Musica da Camera
Un demi-siècle de musiques et de scène

musiques-medievales_trouveres-Arras_New_Orleans_Musica_da_Camera_Milton-ScheuermannFondé dans le courant de l’année 1966, l’ensemble New Orleans Musica da Camera compte parmi les formations de musiques anciennes américaines à la plus longue carrière. Ils ont, en effet, joué pendant près de 52 ans et donné près de 700 concerts. On doit sa création à l’architecte et passionné de early music Milton G. Scheuermann Jr.

Leur répertoire couvre une période qui s’étend du Moyen Âge central jusqu’au début de la période baroque. Au plus près de l’ethnomusicologie, l’ensemble privilégie les instruments anciens, en tentant de restituer au plus près les techniques d’époque.   Visiter le site web de la formation

Les Motés d’Arras, Song of Arras

Enregistré au début des années 2000, l’album Song of Arras ou Les Motés d’Arras du New Orleans Musica da Camera partait à la rencontre du XIIIe siècle et de la prolifique cité médiévale.

musique_medievale_trouveres_moyen-age-central_Adam-de-la-halle_New_Orleans_Musica_Da_CameraDe Jean Bodel, à Adam de la Halle en passant par Moniot d’Arras, Gauthier de Dargies, et quelques autres auteurs et compositions anonymes de la période médiévale, l’ensemble proposait ainsi quatorze  pièces en provenance du Moyen Âge central. Adam de la Halle y occupait la  place principale avec pas moins de cinq titres de son répertoire. On trouve encore cet excellent album à la vente et son éditeur a même eu la bonne idée de le proposer au format MP3, en plus du format CD : The Song of Arras – New Orleans Musica da Camera


Fines Amouretes ai,
un rondeau d’Adam de la Halle

Fines amouretes ai ,
Dieus ! si ne sai
Quant les verrai.

Or manderai mamiete
Qui est cointe* (coquette, élégante) et joliete
Et s’est si savérousete* (savoureuse, délicieuse)
C’astenir ne m’en porrai.

Fines amouretes ai , etc.

Et s’ele est de moi enchainte (1)
Tost devenra pale et teinte ;
S’il en est esclandèle* (blâmée) et plainte
Déshonnerée l’arai.

Fines amouretes ai, etc.
Miex vaut que je m’en astiengne,
Pour li joli* (plaisant, enjoué) me tiengne,
Et que de li me souviengne;
Car s’onnour le garderai.

Fines amouretes ai , etc.

(1) Littré :   XIIIe s.  « Enchainte suis d’Ugon, si qu’en leve mes gris (ma robe de gris) »Audefroi le Bastard, Romancero; – XIIe s. « Quant la dame se sent enceinte, Si est forment muée e teinte »Grégoire le Grand, p. 10  – 


Partition – Notation moderne

En vous souhaitant une très belle journée.

Frédéric EFFE.
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