Sujet : musique médiévale, musiques anciennes, ballade polyphonique, Ars nova, chanson médiévale, amour courtois, sentiment amoureux. Période : Moyen Âge tardif, XIVe siècle Auteur : Francesco Landini (1325-1397) Titre :Gran piant agli ochi Interprètes : Ensemble 400 Concert : Eglise de Saint-Georges Martyre, Milan, Italie (2022).
Bonjour à tous,
ous partons, aujourd’hui, à la découverte de nouvelles musiques médiévales, du côté de l’Italie du Moyen Âge tardif. A cette occasion, nous croiserons, à nouveau, l’organiste et maître de musique Francesco Landini, grand représentant de l’Ars Nova florentin du XIVe siècle.
Tristesse & douleur de la séparation
La chanson du jour est une ballade polyphonique. C’est aussi une nouvelle pièce courtoise du compositeur florentin du trecento. Meurtri par une séparation brutale d’avec sa belle, Landini nous contera ses déboires amoureux. Dans le pur style de l’amant courtois, il y fera étalage de sa douleur et de sa peine et, s’adressant à l’objet de son désir, il lui affirmera sa volonté de ne plus s’enticher d’aucune autre, si cet amour devait s’arrêter à jamais.
Ce n’est pas la première fois que Landini s’épanche sur sa douleur et ses déconvenues amoureuses. On se souvient même que la formation médiévale La Reverdie avait dédié un album complet à cette partie du répertoire du maître de musique italien (voir l’occhio del cor et les yeux tristes de Francesco Landini).
Aux sources manuscrites de cette ballade
A l’habitude, du point de vue des sources anciennes et manuscrites, c’est le très beau Codice Squarcialupi (Ms Med Pal 87) qui nous servira ici de guide. Ce manuscrit daté des débuts XVe siècle est actuellement conservé à la Bibliothèque Laurentienne de Florence. Sur l’image ci-dessus, vous retrouverez la chanson polyphonique du jour, accompagnée de sa partition d’époque.
Pour la version en musique de cette pièce de Francesco Landini, nous vous proposons de découvrir l’interprétation de l’Ensemble 400, à l’occasion d’un concert donné, en décembre 2022 à l’Eglise de Saint-Georges Martyre, de Milan. On doit cet enregistrement à Edoardo Lambertenghi, youtubeur et technicien du son milanais passionné de musiques anciennes dont la chaîne est très riche en contenu.
L’ensemble 400 et la passion des musiques médiévales et anciennes
Actif depuis plus de 15 ans sur la scène des musiques anciennes, l’Ensemble 400 est une formation italienne spécialisée dans un répertoire médiéval et renaissant qui s’étend du XIIIe au XVe siècle. Fondée par des experts dans le domaine des musiques anciennes, elle explore un territoire qui s’étend aux musiques profanes et liturgiques de la France, l’Angleterre et l’Italie médiévales.
L’Ensemble 400 est issu de Musicaround, association italienne établie à Gênes et qui se dédie à la promotion des musiques anciennes, depuis l’organisation de concerts et d’événements à l’enseignement de ces dernières. Vous pourrez retrouver l’actualité de cette formation sur le site officiel de l’association . A date, ils se sont déjà produits dans de nombreux festivals, principalement en Suisse et en Italie.
Membre de l’Ensemble 400
Marcello Serafini (viele), Giuliano Lucini (luth), Maria Notarianni (harpe, vièle), Vera Marenco (voix), Alberto Longhi (voix).
Gran piant agli ochi ou la douleur amoureuse par Francesco Landini
Gran piant agli ochi, greve dogli al core Abbonan sempre l’anima, si more.
Per quest’amar’ et aspra diapartita Chiamo la mort’ e non mi vuol udire. Contra mia volglia dura questa vita, che mille morti mi convien sentire.
Ma bench’i’ viva, ma’non vo’seguire Se non vo’, chiara stella et dolce amore.
Gran piant agli ochi …
Traduction française de cette pièce
Grande peine aux yeux, grande douleur au cœur Abondent toujours, tandis que l’âme se meurt.
A cause de cette séparation amère et âpre J’appelle la mort mais elle ne veut m’entendre. Contre ma volonté, cette vie perdure, Et il me faut endurer plus de mille morts.
Mais même si je suis en vie, je ne veux plus poursuivre Aucune autre que vous, brillante étoile et doux amour.
Grande peine aux yeux, grande douleur au cœur…
En vous souhaitant très belle journée.
Frédéric EFFE Pour moyenagepassion.com A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.
NB : sur image d’en-tête, on retrouve l’enluminure de Francesco Landini dans le Codex Squarcialupi, ainsi que le feuillet correspondant à la ballade polyphonique du jour.
Sujet : musique médiévale, cantigas de Santa Maria, galaïco-portugais, culte marial, miracles, Sainte Marie, Vierge, jeux de dés Epoque : moyen-âge central, XIIIe siècle Auteur : Alphonse X (1221-1284) Titre : Póde por Santa María o mao perdê-la fala… Interprète : Eduardo Paniagua Album : Cantigas de Huesca Santa Maria de Salas, Reino de Aragon (2022)
Bonjour à tous,
ujourd’hui, nos pérégrinations médiévales nous entraînent vers l’Espagne du XIIIe siècle. Posé à la cour d’Alphonse X de Castille, nous y étudierons une nouvelle pièce musicale et poétique, tirée des Cantigas de Santa Maria avec à l’habitude des éléments sur les sources, une traduction en français actuel, mais encore une version en musique.
Les cantigas de Santa Maria d’Alphonse X
Entre récits de miracles attribuées à la vierge et chants de louanges, ce vaste corpus de 427 pièces, compilé par le souverain de Castille est devenu incontournable pour qui s’intéresse à la musique médiévale tant qu’aux mentalités du Moyen Âge. Si les cantigas galaïco-portugaises d’Alphonse X continuent d’inspirer de nombreux ensembles et formations de musiques anciennes, elles demeurent également un précieux témoin du culte marial qui prit corps dans l’Europe du Moyen Âge central et perdura bien au-delà.
Du point de vue purement factuel, que le lecteur soit sensible ou non à la dimension religieuse de ces récits de miracles, les cantigas de Santa Maria lèvent, indéniablement, le voile sur un Moyen Âge rempli de magie et de fantastique.
Résurrection, apparitions, maladies qui s’effacent en un clin d’œil, objets qui prennent soudainement vie, tentations diaboliques… On y devine, en filigrane, la réalité d’un homme médiéval immergé dans un monde peuplé de champs de possibles extraordinaires, monde dans lequel le matériel et le temporel ne cessent d’interagir et de s’interpénétrer et où la grâce, le merveilleux, le salut ne sont jamais très éloignés, pas plus que leurs pendants du reste : l’obscurité, la chute, la damnation…
Sanction & rédemption pour un joueur invétéré
La cantiga de Santa Maria 163 que nous vous proposons d’étudier, aujourd’hui, est, donc, un nouveau récit de miracles. Son personnage principal est un joueur de dés pris dans les filets du jeu et les tourments que cela suppose.
Pour ceux qui nous lisent régulièrement ou qui sont un peu versés en littérature médiévale, ce protagoniste ne manquera pas d’évoquer indirectement les déboires d’un Rutebeuf et sa grièche d’Hiver. Dans ce texte, le trouvère parisien contait, en effet, ses misères au jeu de dés et comment il se trouvait dépouillé par sa malchance, autant que par son addiction. Quelques siècles après lui, en référence encore à ce jeu de dés et au monde interlope autour duquel il gravitait, on se souvient aussi de Villon faisant allusion aux tricheurs aux dés dans sa ballade de bonne doctrine à l’attention de ceulx de mauvaise vie.
Contre la dépendance au jeu de Rutebeuf et sa désespérance, l’addiction du protagoniste de la Cantiga de Santa Maria 163 trouvera d’abord sa punition dans le blasphème et la mécréance, pour finir par une rémission et une rédemption par le biais d’un pèlerinage. Et c’est auprès de Santa Maria de la Salas (que nous avons déjà croisée dans nos études sur les Cantigas) que l’homme sera sauvé.
Comme on le verra dans cette cantiga, aux temps médiévaux, la Sainte Mère peut se montrer tranchante et impitoyable pour qui la renie, mais elle n’est jamais rancunière et demeure toujours pleine de mansuétude envers le repenti. Du reste, ayant été rejeté par notre joueur de dés invétéré, Dieu en personne aura intercédé pour châtier durement l’outrecuidant, mais trouvant ce dernier sincère dans sa volonté de s’absoudre, la réponse favorable de la mère de « Dieu mort en croix » ne se fera guère attendre. La langue se déliera et le paralysé marchera.
Aux sources manuscrites de la cantiga 163
Pour les sources manuscrites de cette cantiga de Santa Maria 163, nous vous proposons de la découvrir telle qu’elle se présente dans le códice rico ou MS T.I.1 de la Bibliothèque Royale de l’Escurial à Madrid. Par la grâce de l’ère digitale, ce manuscrit médiéval de la fin du XIIIe siècle peut être désormais consulté en ligne sur le site de la Bibliothèque sans avoir à faire tout le voyage jusqu’en Espagne.
Noter que vous pourrez également retrouver la CSM 163 dans le códice de los músicos référencé MS B.I.2 et conservé, lui aussi, à la Bibliothèque de L’Escurial (Madrid). Pour la version musicale de cette cantiga, nous vous proposons une interprétation sous la houlette d’Eduardo Paniagua :
Les cantigas de Sainte-Marie de Salas et du royaume d’Aragon, par Eduardo Paniagua
Dans sa vaste entreprise d’enregistrement de l’ensemble des Cantigas de Santa Maria, le musicien et directeur espagnol Eduardo Paniagua avait déjà produit pas moins de 55 albums, en privilégiant des angles et des regroupements thématiques. S’il n’avait pas encore approché les Cantigas de Huesca et de la province Aragonaise, en particulier les miracles attachés à la vierge de Salas et son ermitage, ce passionné de musique médiévale s’en est, toutefois, acquitté tout récemment.
En octobre 2022, il a ainsi fait paraître un double album riche de 23 cantigas sur ce thème qui montre bien, au passage, l’abondance des références aragonaises dans les Cantigas d’Alphonse X. On peut supposer que le mariage du souverain espagnol avec Yolande de la maison d’Aragon n’y est pas totalement étranger, cette dernière ayant pu alimenter ce dernier en récits du cru, issus des nombreux pèlerinages qu’on y faisait alors.
A présent, ce double album d’Eduardo Paniagua est donc disponible en format CD chez tous les bons disquaires. Vous pourrez également le trouver à la vente en CD ou au format Mp3 sur les plateformes légales en ligne : voir ce lien pour plus d’informations.
Les paroles de la cantiga de Santa Maria 163 et leur traduction en français
Como un hóme d’ Ósca, que jogava os dados, descreeu en Santa María e perdeu lógo a fala; e foi a Santa María de Salas en romaría e cobró-a. Póde por Santa María o mao perdê-la fala, e ar, se se ben repente, per ela póde cobrá-la.
Comment un homme de Huesca qui jouait aux dés, renia Sainte-Marie et, à cette suite, perdit l’usage de la parole ; et comment il alla en pèlerinage à Sainte-Marie de Salas et la retrouva.
Par Sainte Marie, le mécréant* (le méchant) peut perdre l’usage de la parole mais, s’il se repent correctement, il peut aussi la retrouver grâce à elle.
E desto fez un miragre a Virgen Santa María mui grand’ en Ósca, dun hóme que ena tafuraría jogara muito os dados e perdera quant’ havía; poren descreeu na Virgen, que sól non quis receá-la. Póde por Santa María o mao perdê-la fala…
A ce propos, la vierge Sainte Marie accomplit à Huesca Un puissant miracle, sur un homme qui, dans une maison de jeu, Joua beaucoup aux dés et finit par perdre tout ce qu’il possédait ; Pour cela, il renia la Vierge et refusa de lui accorder son respect* (la craindre). Refrain …
Tanto que est’ houve dito, foi de séu córpo tolleito polo gran mal que disséra, e, par Déus, foi gran dereito; e lógo perdeu a fala, ca Déus houve del despeito, que lla tolleu a desora, como se dissésse: “cala!” Póde por Santa María o mao perdê-la fala…
A peine eut-il dit cela, que son corps fut paralysé Pour les mauvaises paroles prononcées, et par la grand justice de Dieu. Et ensuite, il perdit l’usage de la parole, car Dieu qui était dépité, Lui ôta, soudainement, comme pour lui dire: “Tais-toi ! ”. Refrain …
Assí esteve gran tempo que dalí non se mudava, e a cousa que quería per sinaes amostrava; e desta guisa a Salas dalí levar-se mandava, e déu-ll’ a lingua tal sõo como fógo que estala. Póde por Santa María o mao perdê-la fala…
L’homme resta longtemps ainsi, sans bouger de l’endroit ; Et s’il voulait quelque chose, il faisait des signes pour le demander ; Et de cette même façon, à Salas il demanda qu’on l’emmène Où il fit avec sa langue des sons plus forts que le feu qui crépite. Refrain …
E catando a omagen, chorou muit’ e falou lógo e diss’: “Ai, Santa María, que me perdões te rógo, e des aquí adeante, se nunca os dados jógo, a mia lingua seja presa que nunca quéras soltá-la.” Póde por Santa María o mao perdê-la fala…
Et regardant l‘image* (la statue) de la vierge, il pleura beaucoup avant de dire : “Aïe, Sainte Marie, je te supplie de me pardonner, Et si, à partir de maintenant, je jouais à nouveau aux dés, Que la langue me soit prise et que jamais tu ne veuilles me la rendre !” Refrain …
Lógo que est’ houve dito, foi de todo mui ben são, e quantos aquesto viron loaron porên de chão a Virgen Santa María; e aquel foi bon crischão e des alí adeante punnou sempre en loá-la. Póde por Santa María o mao perdê-la fala…
Après qu’il eut dit cela, il fut parfaitement guéri, Et quand ceux qui étaient là, le constatèrent, ils louèrent ouvertement La Vierge Marie; et dès lors cet homme fut bon chrétien Et à partir de ce moment, il s’efforça toujours de la louer. Par Sainte Marie, le méchant peut perdre l’usage de la parole mais, s’il se repent correctement, il peut aussi la retrouver grâce à elle.
En vous souhaitant une belle journée.
Fred Pour moyenagepassion.com A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes
Sujet : musique médiévale, musiques anciennes, chants polyphoniques, Ars nova, chanson. amour courtois, loyal amant, trecento, compositeur florentin, virelai. Période : Moyen Âge tardif, XIVe siècle Auteur : Francesco Landini (1325-1397) Titre : Adiu, adiu, dous dame jolie Interprètes : Alla Francesca. Album : Landini and Italian Ars Nova (1992)
Bonjour à tous,
ujourd’hui, nous vous invitons à bord du vaisseau Moyenagepassion, pour un voyage en direction du trecento italien. Nous sommes, donc au début de la Renaissance italienne, dans un XIVe siècle qui correspond encore au Moyen-Âge tardif français et nous y découvrirons une nouvelle pièce de Francesco Landini.
La douleur du partir de l’amant courtois
La chanson du jour est un virelai. Elle appartient au registre de l’amour courtois, à l’image des autres compositions qui nous sont parvenues du maître de musique florentin. Cette pièce se distingue, toutefois, de celles que nous avons étudiées précédemment par sa langue ; elle est, en effet, en français ancien et non en italien, comme le reste de l’œuvre de Landini.
Sur le fond, le compositeur et poète nous contera la douleur de l’amant courtois, au moment de se séparer d’avec sa dame. Cette dernière est, ici, désignée par l’auteur comme sa « douce dame jolie » et on ne pourra s’empêcher de voir là, une claire évocation à la célèbre chanson de Guillaume de Machaut portant le même titre. Contemporain de Landini, le maitre de l’Ars Nova Français le précède d’une petite vingtaine d’années. On sait aussi que l’Ars nova français a notablement influencé la musique italienne de cette période, même si l’Ars nova qui s’est développé sur la péninsule italienne s’en démarque par son style et ses particularités.
Aux sources anciennes de cette chanson
Une « Douce dame Jolie » » à la façon de Francesco Landini
Du point de vue des sources anciennes, on pourra retrouver cette chanson de Francesco Landini, avec sa partition dans le célèbre codex Squarcialupi (le Med Palat 87). Daté du XV siècle, ce manuscrit richement enluminé est aujourd’hui conservé à la Bibliothèque Laurentienne de Florence. En cherchant un peu, on peut également le trouver en ligne, sous une forme digitalisée.
L’hommage à Landini et à l’Ars Nova, de l’ensemble ‘Alla Francesca
Pour la version en musique de ce chant polyphonique, nous vous proposons l’interprétation qu’en avait fait la célèbre formation médiévale française Alla Francesca, il y a déjà quelque temps déjà.
En 1991, soit l’année suivant sa création, l’ensemble de musiques anciennes et médiévales Alla Francesca partait, donc, à la découverte de Francesco Landini et de l’Ars Nova italien. Ce thème leur a même fourni l’occasion de leur toute première production. En terme de discographie, Alla Francesca en est, désormais à son vingtième album pour plus de trente ans de carrière. C’est dire le chemin parcouru par cette excellente formation depuis ses premiers pas.
Cet album, sorti en 1992 sous le titre « Landini and Italian Ars Nova » propose un total généreux de 17 pièces, pour 55 minutes d’écoute. La formation attachée au Centre de musique médiévale de Paris signait là un vibrant hommage à l’Ars Nova florentin. Et si l’œuvre de Francesco Landini y trouve une place de choix, elle y côtoie aussi des pièces de Jacopo da Bologna, Ghirardello et Lorenzo da Firenze, et encore quelques autres compositeurs italien de cette période, dont des anonymes.
Plus de trois décennies après sa sortie, ce bel album peut encore se trouver à la vente au format CD, chez votre disquaire habituel ou encore en ligne. Voici un lien utile à cet effet : Landini and Italian Ars Nova, Alla Francesca (1992).
Musiciens ayant participé à cet Album
Catherine Joussellin (voix, vièle, percussion), Brigitte Lesne (voix, harpe, percussion), Emmanuel Bonnardot (voix, vièle, rebec), Pierre Hamon (instruments à vents, cornemuses, flûtes, percussion)
Adiu, adiu, dous dame jolie, dans la langue d’oïl de Landini
Adiu, adiu, douce dame jolie, kar da vous si depart lo corps plorans Mes a vous las l’esprit et larme mie.
Lontan da vous, aylas, vivra dolent. Byen che loyal sera’n tout ma vie.
Poyrtant. ay! clere stelle. vos prie Com lermes e sospirs tres dous mante Che loyaute haies pour vestre amye.
Les paroles en français actuel
Adieu, adieu, douce dame jolie, Car de vous je me sépare le corps en pleurs, Mais je laisse près de vous mon esprit et mon âme.
Loin de vous, hélas, je vivrai dans la peine, Bien que je vous demeurerai loyal toute ma vie.
Voilà pourquoi, hélas, claire étoile, je vous prie Avec larmes et très doux soupirs et vous enjoins De garder votre loyauté pour votre amant.
En vous souhaitant une excellente journée. Fred pour moyenagepassion.com A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes
Sujet : musique, chanson, médiévale, vieux français, trouvère d’Arras, chant polyphonique, rondeau, amour courtois, langue d’oïl, courtoisie. Période : Moyen Âge central, XIIIe siècle. Auteur : Adam de la Halle (1235-1285) Titre :Amours et ma dame aussi Interprète : Ensemble Micrologus Album: Adam de la Halle : Le Jeu de Robin et Marion (2004)
Bonjour à tous,
ujourd’hui, nous vous proposons la découverte d’une nouvelle pièce du trouvère Adam de la Halle. Cet auteur compositeur prolifique du XIIIe siècle, nous a légué une œuvre abondante et variée qui a fait de lui, plus que « le dernier des trouvères » comme on l’a souvent appelé, un des premiers compositeurs en langue d’oïl de la France médiévale.
Un rondeau courtois à mains jointes
La chanson médiévale du jour a pour titre « Amours et ma dame aussi« . Il s’agit d’un rondeau polyphonique à 3 voix et donc d’une pièce courte. Dans le registre profane, elle nous offre un nouvel échantillon de la lyrique courtoisie du trouvère d’Arras.
Sur le fond, le contenu de ce rondeau reste simple et épuré. Le poète a aperçu la grande beauté d’une dame et son cœur en a été transpercé. Désormais, il est condamné à implorer cette dernière, mais aussi « Amour », autrement dit, le sentiment amoureux personnifié auquel les troubadours et les trouvères ne cessent de s’adresser directement. Que l’un ou l’autre veuillent bien lui accorder miséricorde et le délivrer de cet aiguillon ardent qui l’a enchaîné d’un seul regard, car si la belle n’accepte de lui céder, il lui faudra souffrir le martyre d’amant courtois : incapable de se soustraire à l’emprise de la dame, ce sera alors un bien funeste jour que celui où il aura découvert sa beauté.
Sources manuscrites médiévales
On pourra retrouver ce rondeau avec sa partition ancienne dans le manuscrit médiéval ms Français 25566. Cet ouvrage ancien mêle partitions, chansons et autres pièces littéraires des XIIe et XIIIe siècles. Il est également connu sous le nom de chansonnier W. Daté de la fin du XIIIe ou des débuts du XIVe siècle, il est originaire de la cité d’Arras qui a donné naissance, durant cette période du Moyen Âge central, à de nombreuses vocations artistiques.
L’œuvre d’Adam de la halle tient une place de choix dans ce manuscrit d’époque entre chansons, rondeaux, motets, mais encore pièces de théâtre. Avec plus de 280 feuillets, cet ouvrage enluminé et annoté musicalement permet aussi au trouvère d’Arras de côtoyer un grand nombre d’autres auteurs de cette période dont Jean Bodel, Richard de Fournival, Huon de Méri, Baudouin de Condé.
Le rondeau du jour dans le manuscrit médiéval ms Français 25566 de la BnF (gallica.fr)
Une version de l’ensemble Micrologus
Pour l’interprétation en musique de la pièce du jour, nous avons penché pour la version de l’Ensemble Micrologus et sa belle orchestration.
Depuis sa fondation, dans le courant de l’année 1984, cette formation italienne dont la musicienne et chanteuse Patrizia Bovi est devenue l’une des figures emblématiques, s’est fait une spécialité des musiques du Moyen Âge. En privilégiant une approche ethnomusicologique, l’ensemble a produit pas moins de 36 albums, dont 26 collent au répertoire médiéval, pour une dizaine d’autres plus libres et expérimentaux. A l’occasion d’une carrière exceptionnelle qui fêtera bientôt ses 40 ans, le travail de Micrologus a été récompensé, à de nombreuses reprises, par des prix et mentions.
Adam de la Halle : Le Jeu de Robin et Marion, l’album
En 2004, l’ensemble médiéval faisait paraître un album sur les pas d’Adam de la Halle. Sous le titre Adam de la Halle : Le Jeu de Robin et Marion et sur près de soixante minutes d’écoute, on y trouvait un mélange de nombreuses pièces du trouvère.
En terme de sources manuscrites, le ms Français 25566 y tenait une bonne place, aux côtés du codex de Montpellier H196, du codex Bamberg (Staatsbibliothek Bamberg Msc Lit 115) ou même encore du manuscrit du Roy (le ms français 844). A sa sortie, ce bel album fut largement salué par la scène médiévale et les revues spécialisées dans les musiques anciennes. Près de 20 ans après sa sortie, on peut encore le trouver édité chez Harmonia Mundi, à la commande chez votre disquaire préféré ou en ligne au lien suivant.
Membres de Micrologus présents sur cet album
Patrizia Bovi (voix, harpe gothique, instruments à vent), Adolfo Broegg (luth, guiterne), Gabriele Russo (viole, cornemuse, instrument à vent), Leah Stuttard (harpe médiévale et gothique), Goffredo Degli Esposti (chalemie, percussions, flute traversière, instruments à vent), Sofia Laznik-Galves (voix), Olivier Marcaud (voix), Mauro Borgioni (voix), Simone Sorini (voix), François Lazarevic (cornemuse), Luigi Germini (trompette), Gabriele Miracle (percussions).
« Amours et ma dame aussi » partition ancienne et moderne de ce rondeau du XIIIe siècle
Amours et ma Dame aussi*, en langue d’oïl & en français actuel
Amours et ma Dame aussi, Jointes mains vous proi merchi. Votre grant biauté mar vi Amours et ma Dame aussi. Jointes mains vous proi merchi Se n’avés pité de mi Votres grant biautés mar vi Amours et ma Dame aussi, etc.
Amours et ma Dame aussi, J’implore votre grâce (miséricorde) à mains jointes Hélas, pour mon malheur (1), je vis votre grand beauté Amours et ma Dame aussi.
Je vous implore à mains jointes Si vous ne me prenez en pitié Hélas, pour mon malheur, je vis votre grand beauté Amours et ma Dame aussi, etc.
Notes
(1) mar : par malheur, mal à propos. On comprend bien la nature déguisée et la flatterie sous-jacente de la tournure.
* NB : ce rondeau est à rapprocher d’un autre rondeau très semblable d’Adam de la Halle. La parenté des deux pièces montrent bien la nature littéraire de l’exercice courtois :
A jointes mains vous proi, Douche dame, merchi. Liés sui quant (je) vous voi. A jointes mains vous proi,
Ayez merchi de moi Dame, je vous en pri. A jointes mains vous proi, Douche dame, merchi.
En vous souhaitant une très belle journée.
Frédéric EFFE Pour Moyenagepassion.com A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes