Goblin Feet : en 1915, une belle poésie de JRR Tolkien dans la revue Oxford Poetry

jrr-tolkien-poesie-oxford-gobelin-monde-medieval-fantastiqueSujet  : poésie,  oxford, gobelins,  magie, féerie,   littérature anglaise,   fantaisie, fantasy.
Période  : XXe siècle, Angleterre victorienne,
Auteur : JRR Tolkien (1892 -1973)
Titre : Goblin Feet – Les pieds de Gobelins
Sources :   Oxford Poetry   (1915)

Bonjour à tous,

E_lettrine_moyen_age_passionn 1915, paraissait, dans la revue Oxford Poetry, une poésie de JRR Tolkien qui en disait déjà long  sur son intérêt pour le monde des légendes et de la féerie et son talent à les décrire. Il avait alors 23 ans. Un peu plus tard, en 1920, on retrouverait ce texte  dans The Book of Fairy Poetry  (le  livre de la poésie des fées),  édité par  Dora Owen et illustré par Warwick Goble. Ceci marquerait même l’entrée de Tolkien dans le monde de la littérature pour enfants. A la suite de cette parution et tout au long du XXe siècle, le Goblin feet réapparaîtrait dans des ouvrages du même type ou même des anthologies poétiques. Il serait également mentionné dans une biographie de Tolkien datée de 1977 et, plus récemment encore, dans The Annotaded Hobbit de  Douglas A. Anderson (1988).

Une pièce désavouée par Tolkien lui-même

En France, cette poésie compte parmi les textes publiés les moins connus du  grand écrivain,   aussi nous avons  pensé qu’il pourrait être intéressant de vous la faire découvrir.  En 1971, cinquante ans après sa première parution, JRR  désavouerait cette pièce, en signifiant même à  un éditeur qui souhaitait la réimprimer qu’il regrettait  de l’avoir écrite ou publiée. Voici ses propres mots à ce sujet : « Je souhaiterais que cette petite chose malencontreuse, qui représente tout ce que je serais  amené, si peu de temps après, à  détester avec ferveur, puisse être enterrée à jamais. » (I wish the unhappy little thing, representing all that I came (so soon after) to fervently dislike, could be buried for ever).

Quelques pistes

Difficile d’interpréter cela. Certaines sources indiquent qu’il aurait écrit ce poème pour  sa  fiancée  d’alors (Tolkien : A Biography,    Humphrey Carpenter, 1977) « qui aimait le printemps, les fleurs et les arbres et le petit peuple des elfes« . A en juger par la qualité du texte et la richesse des éléments que  Tolkien y a mis, il n’avait pourtant pas boudé son plaisir à l’écrire.

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Illustration de la poésie Goblin  Feet de Tolkien dans the  Book of Fairy Poetry (1920)

Réaction d’un auteur devenu mature face à une oeuvre de jeunesse ? Certains auteurs soutiennent que  la phrase  de Tolkien ne devait pas être trop prise au sérieux. Il avait pu s’agir en partie d’une pointe d’auto-dérision, voire peut-être de  coquetterie de sa part. Il semble  bien, pourtant, que le texte ne lui plaisait plus.

D’autres y ont vu l’expression possible d’une certaine frustration ou grogne de Tolkien devant les maisons d’édition. N’ayant pu faire paraître son Silmarillion en même temps que le Seigneur des anneaux, malgré de longues tractations avec ses éditeurs,  il aurait pu   se lasser de voir ses « pieds de gobelins » de la première heure,  s’inscrire dans la postérité et ne plus en finir d’être republiés (cf  Jason Fisher – Early Responses to Goblin Feet).   Il est vrai qu’il était   passé, depuis, à un tout autre stade dans son processus de création.

Univers  de contes de fées victoriens

Pour abonder dans ce sens, on notera encore, avec  la spécialiste de littérature fantastique et de Tolkien Dimitri Fimi, que le vocabulaire  et l’ambiance de Goblin feet rattachent la poésie à l’imaginaire victorien en matière de contes de fées et d’êtres fantastiques : gnomes, Leprechauns, petites fées volantes telles la fée clochette de Peter Pan (voir  Dimitri  Fimi « Come sing ye light fairy things tripping so gay”: Victorian Fairies and the Early Work of J.R.R. Tolkien  » – lien alternatif pdf).  Plus tard,  Tolkien allait créer son propre bestiaire et son propre univers, en s’affranchissant largement de ces codes et de ces références. Face à ces petits pieds de gobelins qui semblaient alors l’enchanter,  il allait faire des pieds de ses hobbits une de leur plus curieuse caractéristique.  De son côté, Gollum garderait ce pas furtif des êtres décrits ici, mais les histoires de JRR allaient s’ancrer bien plus résolument dans le monde médiéval.

Retenir la magie

Quoiqu’il en soit, que Tolkien ne nous en veuille pas de republier ici  cette poésie. En accord avec de nombreux éditeurs, nous continuons de la trouver excellente. Comme nous le disions plus haut, elle présente également l’intérêt de nous montrer la fascination précoce  de l’auteur anglais pour les mondes féeriques et  magiques, autant que son aptitude à  en retraduire les ambiances. Sous les émotions   soulevées chez le poète par  cette vision nocturne,  il nous semble aussi lire une   parabole  de ce qu’il aura tenté de faire tout au long de sa vie d’écrivain    :  le merveilleux est là, quelque part dans sa vaste imagination. Il en  est le témoin fasciné et il n’a de cesse de le suivre, pour le graver de sa plume, de crainte qu’il ne disparaisse à jamais. Au fond, tout Tolkien semble déjà contenu dans cette intention :  retenir la magie  et faire en sorte que notre monde  ne réussisse jamais tout à fait à l’anéantir

Vers une traduction française  de Goblin  feet

Nous n’avons pas trouvé de traduction française de cette belle poésie et s’il en existe une, elle nous a, pour l’instant, échappé.  Aussi, nous  avons décidé  de nous y atteler. Une fois de plus, ce n’est pas une adaptation ; nous suivons presque à la lettre le fil littéral de la langue d’origine. La musicalité, le rythme   et le nombre de pieds   sont  perdus  au passage : traduire c’est trahir. Il faut s’y résoudre en poésie plus qu’en toute autre matière. L’exercice n’a d’autres prétentions que de mettre à portée des lecteurs non anglophones   le sens général de ce texte du grand Tolkien.


The Goblin feet de Tolkien
ou les pieds de gobelins

I am off down the road
Where the fairy lanterns glowed
And the little pretty flittermice are flying :
A slender band of grey
It runs creepily away
And the hedges and the grasses are a-sighing.
The air is full of wings,
And of blundering beetle-things
That warn you with their whirring and their humming.
O ! I hear the tiny horns
Of enchanted leprechauns
And the padding feet (1) of many gnomes a-coming !

Je suis au bas de la route,
Où brillaient les lanternes des fées
Et les jolies petites chauve-souris volent :
Une fine bande de gris
Qui s’enfuit de manière terrifiante
Et les haies et les herbes soupirent.
L’air est rempli d’ailes
Et de coléoptères empotés 
Qui vous mettent en garde avec leurs sifflements et bourdonnements
ô ! j’entends les petites cornes
De lutins enchantés
Et les pieds  furtifs de nombreux gnomes qui s’approchent.

O ! the lights : O ! the gleams : O ! the little tinkly sounds
O ! the rustle of their noiseless little robes :
O ! the echo of their feet—of their little happy feet :
O ! their swinging lamps in little starlit globes.

ô ! les lumières : ô ! les lueurs : ô ! les petits tintements
ô ! le bruissement de leurs petites robes silencieuses :
ô ! l’écho de leurs pieds —  de leurs petits pieds joyeux :
ô ! leurs lampes qui se balancent dans leurs petits globes étoilés.

I must follow in their train
Down the crooked fairy lane
Where the coney-rabbits long ago have gone,
And where silverly they sing
In a moving moonlit ring
All a-twinkle with the jewels they have on.
They are fading round the turn
Where the glow-worms palely burn
And the echo of their padding feet is dying !
O ! it’s knocking at my heart—
Let me go ! O ! let me start !
For the little magic hours are all a-flying.

Je dois suivre leur sillage
Jusqu’au bas de la rue de la fée tordue
où les lapins sont allés depuis longtemps déjà.
Et où ils chantent et dansent
En un cercle argenté sous la lune
Tout scintillants des joyaux  qu’ils portent.
Ils disparaissent au détour du chemin
Là où les vers luisants pâlement se consument,
Et l’écho de leurs pieds    furtifs  s’évanouit  (meurt)    maintenant !
ô ! Cela fait battre mon cœur    — 
Laissez moi partir ! ô ! laissez moi m’en aller !
Car les petites heures magiques sont sur le point de s’envoler.

O ! the warmth ! O ! the hum ! O ! the colours in the dark !
O ! the gauzy wings of golden honey-flies !
O ! the music of their feet—of their dancing goblin feet !
O ! the magic ! O ! the sorrow when it dies.

ô ! la chaleur ! ô ! le bourdonnement ! ô ! les couleurs dans l’obscurité
ô ! les ailes translucides  des mouches-à-miel    (abeilles) dorées!
ô ! la musique de leurs pieds  —  de leurs pieds dansants de gobelins
ô ! la magie ! ô ! la tristesse quand tout cela s’arrête. (cela meurt)


(1) Concernant ces padding feet.  Au sens propre  et dans le domaine textile, le mot padding  renvoie   à la notion de matelassage, de rembourrage. To pad peut encore signifier marcher à pied  mais la piste ne semble pas la bonne. En creusant un peu, on  trouve « padding feet »  utilisé dans  le sens de pieds  dont le son   est doux et étouffé. Nous avons donc opté pour « pieds furtifs »  qui ne nous satisfait qu’à moitié. De fait, nous serions  heureux d’avoir l’avis de spécialiste de langue anglaise sur la question.

En vous souhaitant une très belle journée.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
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La réalité sociale de l’amour courtois par Jacques le Goff

citation-medievale-litterature-poesie-moyen-ageSujet    : citation, Moyen Âge chrétien,  fine amor, amour courtois, historien médiéviste, sociologie, histoire médiévale
Auteur  : Jacques le Goff
Livre    :   L’Europe est-elle née au Moyen Âge ?  (1964)


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Bonjour à tous,

S_lettrine_moyen_age_passionur la question de la réalité de l’amour courtois dans les pratiques amoureuses,  l’historien et médiéviste Jacques le Goff nous donnait, en 1964, sa vision des choses. Selon lui, si l’amour courtois est sans doute sorti des livres  et de la littérature pour la plus haute noblesse,  il   ne s’est pas étendu à des classes sociales plus modestes.


jacques-le-goff_historien-medieviste_citations-moyen-age_extraits_monde-medieval« Il est remarquable que la fin’amor et, dans une moindre  mesure, l’amour courtois ne peuvent naître et se développer qu’en dehors du mariage. Un exemple typique est l’amour qui unit Tristan et Iseut. Cet amour est donc en fait en contradiction avec l’action de l’Église sur le mariage. Il a même, parfois, revêtu un caractère quasi hérétique. Mais la grande question est, s’agissait-il d’amour platonique ou incluant des relations sexuelles, et, dans la continuité de cette interrogation, l’amour courtois a-t-il été un amour réel ou un amour imaginaire, s’est-il développé dans la réalité sociale vécue, ou seulement dans la littérature ? Il est indéniable que l’amour courtois a eu des incidences sur la pratique réelle de l’amour et l’expression réelle des sentiments amoureux. Mais je pense qu’il a été essentiellement un idéal qui n’a guère pénétré dans la pratique. Et surtout, c’est un amour aristocratique dont il est peu probable qu’il se soit diffusé dans les masses. »

Jacques le Goff – L’Europe est-elle née au Moyen Âge ?


Un amour de papier ?

Dans un article précédent, nous posions quelques réflexions sur la transgression et les possibles conséquences   de certains passages à l’acte dans les classes concernées.   L’amour courtois ne nous semble pas, à cet égard non plus, avoir révolutionné, en quelque manière que ce soit, la bonne marche de la société médiévale.  L’organisation  des  lignages est demeuré inchangée. Les cloisons   de la moyenne  noblesse vers  la haute noblesse sont demeurées  étanches.

En ce sens, s’il a pu introduire certaines valeurs idéales dans les mœurs (élévation du rôle de la femme, respect du désir féminin, position haute et active contre amant au service, etc…), il n’est pas un vecteur de changement social majeur. Vous pouvez consulter cet article ici :  monde littéraire, monde médiéval, réflexions sur l’amour courtois au Moyen Âge.

En vous souhaitant une bonne journée.

Frédéric EFFE
Moyenagepassion.com
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A la mi-novembre, la 4ème édition du festival Fous d’Histoire de Compiègne

Sujet : marché, animations historiques, compagnies médiévales, histoire vivante
Evénement  : Fous d’Histoire 2019
Lieu  : Espace Le Tigre, Margny-lès-Compiègne, Oise, Hauts-de-France.
Date    :  les 16   et 17 novembre    2019

Bonjour à tous,

D_lettrine_moyen_age_passionans quelques semaines, le festival Fous d’Histoire sera de retour, dans l’Oise, à Margny-Lès-Compiegne. L’événement réunit, chaque année, depuis 4 ans, un vaste marché d’exposants sur  le thème de l’histoire multi-périodes.   Il  permet aussi à des  artistes et compagnies historiques de  venir présenter leurs derniers spectacles  et animations.

Un Festival tout public et professionnels

Comme à l’habitude, le public mais aussi les professionnels y seront accueillis à bras ouvert.   Le festival a, en effet, toujours affiché son ambition de permettre aux organisateurs d’événement   de trouver là  des idées et des contacts pour leurs futurs  fêtes ou projets.   Le public y trouve, bien sûr, largement son compte puisque les compagnies sont nombreuses à répondre à l’appel.

salon-marche-histoire-monde-medieval-margny-les-compiegne-2019Pour cette édition 2019, pas moins d’une centaine d’entre elles seront ainsi attendues. Le programme d’animations bien garni et rythmé devrait leur permettre de jouer leur représentations à plusieurs reprises, pour le plus grand bonheur des visiteurs.

Du côté des exposants et des artisans, le parterre du festival affichera, quant à lui, près de 250 stands pour 24 nationalités représentées, faisant de ce marché de l’histoire l’un des plus grands  de France.

Périodes représentées

Du point de vue historique,  le festival 2019 couvrira encore une large période  allant de la préhistoire au XXème siècle, en passant par  l’Antiquité,  l’Empire, la Belle Epoque, … Bien entendu, le Moyen-âge y sera aussi à l’honneur et largement représenté.

Comme c’est le cas depuis 4 ans, c’est le vaste espace d’exposition Le Tigre  qui accueillera  le festival.

Informations & réservations   –  Voir le programme complet

Découvrir nos articles sur les éditions précédentes :
Edition 2016 –   Edition Avril 2017 –   Edition Nov 2017   –   Edition 2018  –  Edition  avril 2019

En vous souhaitant une belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
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Amour courtois : trois rondeaux de Blosseville à la cour de Charles d’Orléans

poesie-medievale-rondeaux-cour-charles-Orleans-moyen-age-tardif-XVe-siecleSujet    : poésie médiévale, rondeaux, auteurs médiévaux, poètes, amour courtois, humour, loyal amant, poésie satirique
Période   : Moyen Âge tardif, XVe siècle
Auteur  : Blosseville
Manuscrit ancien  : MS français 9223
Ouvrage  : Rondeaux et autres poésies du XVe siècle    de Gaston Raynaud (1889)

Bonjour à tous,

A_lettrine_moyen_age_passionu milieu du XVe siècle,  à la cour de Charles d’Orleans, on   versifiait sans bouder son plaisir.   Au    petit cercle qui entourait le prince, auquel la bataille d’Azincourt et ses conséquences avaient ravi la couronne, venait se joindre des nobles de passage. A la faveur d’un concours,  le temps  d’un dîner ou d’une soirée, tout ce petit monde s’adonnait à l’exercice du style et de la  rime.

Poésie de cours et jeux poétiques

Fallait-il qu’on aime la langue ? Le talent de plume du noble, amoureux des arts et des lettres, semblait étendre, sur tous, comme une aura d’inspiration. Les sujets pouvaient être sérieux. Pourtant la poésie savait y prendre, aussi, un tour de légèreté qui trouverait, peut être même, quelques échos, jusque sous François 1er, avec des Clément Marot ou des Melin Saint Gelais, avant que les poètes un peu guindés de la pléiade ne s’en mêlent pour tenter d’en faire une affaire sérieuse.

Bien sûr, longtemps avant tout cela et dès le XIIe siècle, il y a avait eu les jeux partis des troubadours et des trouvères, les sirvantois, les farces et les choses ne sont pas si tranchées. Sous la plume de certains auteurs, la poésie du Moyen Âge central avait aussi ses aspects ludiques et elle permettait déjà de rire et de se divertir dans les cours. Pourtant, la première moitié  du XVIe siècle fera souffler sur elle, comme un vent de dilettante et d’amusement qui lui est  propre. Les mœurs changeront alors et peut-être, avec elles, une certaine relation au langage. En nous avançant un peu, il nous semble déjà trouver dans certaines des poésies de cette cour d’Orléans au XVe, un peu de cet esprit nouveau, même si les textes n’ont pas non plus la grivoiserie ou l’impertinence de ceux qu’on trouvera au XVIe.

Blosseville et l’amour courtois :
entre contre-pieds et désillusions

rondeaux-poesie-moyen-age-blosseville-manuscrit-ancien-monde-medieval_sVers la fin du XIXe, l’archiviste paléographe Gaston Raynaud eut la bonne idée de retranscrire le manuscrit   MS Français 9223, dans une graphie accessible pour  ses contemporains. Daté du XVe siècle, cet ouvrage contient un grand nombre de  poésies de la cour de Charles d’Orléans et on peut y débusquer, en plus de certains textes de ce dernier, quelques auteurs de qualité que la postérité n’a pas retenus.   C’est le cas de   Blosseville,  homme de lettres non dénué de style et d’humour, dont nous vous avions déjà présenté une ballade  ironique sur  les loyaux amants véritables.

Trois rondeaux choisis de Blosseville

Le Français 9223 nous gratifie d’un nombre important de poésies signés de la main de cet auteur.  Les thèmes du loyal amant et du sentiment amoureux y reviennent fréquemment et ce poète médiéval nous gratifie, souvent, d’une posture désabusée, voire grinçante, à leur encontre. Les contre-pieds qu’il fait à la Fine amor  sont même pour tout dire rafraîchissants et nous changent, en tout cas, des habituelles ritournelles sur le sujet. Pourtant,  quelques-uns de ses rondeaux montrent aussi l’homme sous un jour tout à fait classique : dans le rôle de l’amant contrit, rejeté  par sa dame, avec l’habituelle panoplie courtoise de circonstance, etc…

Blosseville connaissait-il quelques déboires amoureux ?  Certaines de ses poésies semblent le suggérer mais,  peut-être au fond, tout cela n’est-il qu’un exercice littéraire et, peut-être  qu’après tout, notre auteur ne fait-il que feindre tout du long. Le troisième rondeau que nous avons choisi plaiderait plutôt en ce sens. Fine amant rendu amer par l’échec ? Observateur ironique et aguerri ? Ou simplement poète appliqué à se couler au mieux dans l’exercice de la courtoisie ?  On en jugera. Il  semble  en tout cas que les règles de la courtoisie  inventées et promulguées par le Moyen Âge aient la dent dure. Entre adhésion ou rejet, leur norme reste, quoiqu’il arrive, le point de référence autour duquel l’on gravite.


A tord le nommez paradis

A tord le nommez paradis,
L’enfer(s) d’amours, s’aucune joye
Vous n’y trouvés qui vous rejoye,
Ou par beaulx faiz ou par beaulx dis.

Quant est a moy, nommer le veux
Le purgatoire des loyaux,
Qui ont leans* (là dedans, en cette matière) voué mains veux,
Par quoy ilz souffrent plusieurs maux.

Je le congnoys tant de jadis,
Que se nullement je savoye,
Voulentiers plus j’en mesdiroye :
Pardonnez moy, si je le dis :
A tort le nommez   paradis.

Bien grand dommaige

Se me semble bien grant dommaige
Que  n’avez en vous leaulté
Autant comment a de beauté
Vostre corps et vostre visaige.

Se  coeur avez tant fort volage,
Qu’en lui n’a que desleauté,
Se me semble    [bien grant dommaige.]

Vous ne maintenez tel oultraige
Enverz  moy pas de nouveauté,
Et, qui pis est, sans cruaulté
N’est jamais vostre fier couraige
Se me semble    [bien grant dommaige.]

Pour contrefaire l’Amoureux

Pour contrefaire l’amoureux,
Je foix ainsi le douloureux
Que ceulx qui sont en grant chaleur!
Sy n’ay je ne mal ne douleur,
De quoy je me tiens bien heureux.

Lays ! j’entretiens les maleureux,
Que seuffrent les maulx rigoreux,
Et changent souvent de coulleur,
Pour contrefaire [l’amoureux.]

Ce de quoy sont tant desireux,
Plusieurs foys, je le sçay par eux,
Car il me comptent leur malheur,
Cuidant* (en croyant, en pensant) que je soye des leur.
Dont je me sens plus rigoureux
Pour contrefaire [l’amoureux.]


En vous souhaitant très belle journée.

Frédéric EFFE
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