Archives par mot-clé : auteur médiéval

« Moult m’anue d’iver ke tant ait dureit », Colin Muset fine amant au renouveau saisonnier

trouvere_poesie_medievale_chansons_lyrique-courtoise_moyen-ageSujet : chanson médiévale, poésie médiévale, trouvère, auteur médiéval, vieux-français,  fine amant, lyrique courtoise, amour courtois.
Période : moyen-âge central, XIIIe siècle.
Auteur ; Colin Muset (1210-?)
Titre : « Moult m’anue d’iver ke tant ait dureit.»
Ouvrage : Les chansons de Colin Muset, par Joseph Bédier, avec la transcription des mélodies par Jean Beck. Paris, Champion, 1938.

Bonjour à tous,

P_lettrine_moyen_age_passion-copiaour avancer dans notre exploration du répertoire des trouvères du moyen-âge central, nous vous présentons, aujourd’hui, une nouvelle pièce de Colin Muset.

Si ce poète médiéval a mis dans nombre de ses chansons, une touche personnelle d’humour et même de truculence rafraîchissantes, il épouse, ici, de manière plus sage, les formes « classiques » de la lyrique courtoise : les saisons y reflètent les états émotionnels du poète et, contre l’hiver, l’arrivée du beau temps et du rossignol l’inspireront et le mettront en joie. Ce sera le moment idéal pour louer la dame chère à son cœur et qui n’a que des qualités, dont la moindre n’est pas de lui avoir cédé. Enfin, dans un « siècle » qui compte bien peu de courtoisie, nous dit-il, il est bien décidé à demeurer, de son côté, contre les fous, les vilains et autres rustres, un fine amant parfait.

Sources manuscrites

On ne retrouve cette pièce que dans un seul manuscrit d’époque : le Chansonnier français C, encore référencé Cod 389. Daté de la fin du XIIIe siècle, ce codex est conservé à la Burgerbibliothek de Berne et vous pouvez le consulter au lien suivant.

La notation musicale de cette chanson ne nous est, hélas, pas parvenue et il faut encore noter, à son sujet, que sa versification assez inusuelle la démarque clairement du reste de l’oeuvre de Colin Muset. De fait, contre le copiste du manuscrit de Berne, Gaston Paris avait émis quelques doutes sur son attribution. Dans son édition de 1938 (op cité), Joseph Bédier a, quant à lui, fait le choix de se fier au manuscrit et de la maintenir dans les compositions du trouvère. C’est un débat qui reste ouvert entre médiévistes et on en trouvera quelques subsides, notamment chez le spécialiste de littérature médiévale Alain Corbellari, dans son ouvrage Joseph Bédier: écrivain et philologue, paru chez Droz, en 1997.

poesie_medievale_amour_courtois_colin-muset_moyen-age_manuscrit_benr_389_chansonnier-C-s
Colin Muset, dans le Chansonnier Trouvère C de la Burgerbibliothek de Berne

Moult m’anue d’iver ke tant ait dureit
en vieux français avec clefs de vocabulaire

I
Moult m’anue d’iver ke tant ait dureit
Ke je ne voi rossignor en bruel ramei* (sur un buisson feuillu),
Et, dès ke je voi lou tens renoveleit,
Si me covient ke je soie en cest esteit
Plux mignos* (gracieux) et envoixiez *(enjoué) ke n’aie esteit.

Il
Bone dame belle et blonde l’a loweit* (loué, approuvé),
S’est bien drois* (juste) ke j’en faice sa volenteit,
Ke j’avoie tout le cuer desespereit.
Par son doulz comandement l’ay recovreit ;
Or ait mis en moult grant joie mon penseir.

III
Jai* (jamais) de joie faire ne serai eschis* (rétif, exempté),
Pues ke ma dame le veult, a simple vis,
Et g’i ai si por s’amor mon penseir mis
Ke ne poroie troveir, ce m’est avis,
Dame de si grant valor ne de tel prix.

IV
Medixant* (les médisants) ont tout le mont en mal poent mis,
Ke li siècles n’est maix cortois ne jolis,
Et nonporcant* (cependant) ki seroit loiauls amis,
K’il ne fust fols ne vilains ne mal apris,
Cil poroit avoir grant joie a son devis. (à sa disposition, à discrétion)

V
Sa biaulteis et sui vair ueil (yeux bleus) et ces doulz ris* (rires)
Me tiennent mignot et gai ; plux seus jolis
Ke je n’avoie ains esteit, ce vos plevis* (je vous le certifie).

*
*     *

C’est por la millor ki soit jusc’a Paris.

En vous souhaitant une belle journée.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com.
A la découverte du Moyen-Age sous toutes ses formes.

les Ribauds de Rutebeuf : du Paris du XIIIe siècle au Québec du XXe, avec Benoit Leblanc

pauvre_rutebeuf_poesie_medievale_occitan_joan_pau_verdierSujet : chanson, poésie médiévale, auteur médiéval francophonie, Quebec,
Auteur : Rutebeuf (1230-1285?)
Période: Moyen-âge central, XIIIe
Interprète, compositeur : Benoît LeBlanc
Album :  Le pain le pays la paix (2017)

Bonjour à tous,

Q_lettrine_moyen_age_passionuand, à un peu moins de 800 ans de ses écrits, ce bon vieux Rutebeuf traverse l’océan pour gagner les rivages du Quebec, il en revient tout rafraîchi de nouvelles notes, sous la plume du chanteur-auteur-compositeur Benoît LeBlanc.

Rutebeuf_benoit-leblanc_chanson_poesie_medievale_moyen-age_XIIIe-siecleHomme de poésie et de chansons, doté aussi d’une belle carrière en tant dans le monde de la radio et de la presse, cet artiste Montréalais s’est passionné, de tout temps, de musique ancienne, autant que de musiques traditionnelles américaines de langue française ; de l’Acadie, à la Louisiane, en passant par les mondes créoles. A la source de ses inspirations, on trouve encore les plus grands chanteurs québécois ou français, contemporains du XXe siècle : les Leclerc, les Vigneault, les Charlebois, les Brassens, Brel et Ferré, …

Ribauds de Benoît leBlanc, vidéo réalisée par Douglas Capron)

Le pain le pays la paix

Dans un album sorti en 2017, ayant pour titre Le pain le pays la paix, Benoît LeBlanc nous gratifiait  d’une mise en musique et en chanson du verbe de Rutebeuf.

benoit-leblanc_album_poesie_chanson_rutebeuf_dits-de-pouille_ribauds-de-greveEn dehors de cette pièce, on retrouve dans cette production, pas moins de dix-huit chansons et trois poésies, pour une belle balade musicale qui passe par des styles très variés : du folk, au rock et au blues, jusqu’à  même quelques accents Slam. Du point de la tessiture vocale, on notera aussi, par instant, une parenté certaine avec le chanteur Yves Duteil. Sans doute l’artiste québécois ne renierait-il pas cette référence à l’auteur de la langue de chez nous et de nombreux autres titres.

Visiter le site de Benoit LeBlanc – Ecouter l’album et l’acquérir ici 

Ribauds de Benoît LeBlanc

Pour revenir à cette chanson, elle est inspirée de deux poésies de Rutebeuf adaptées en français moderne, tout d’abord et principalement, le dit des Ribauds de grève : de son verbe aiguisé, l’auteur médiéval nous y contait les déboires de ces ribauds qui traînaient leur misère, au gré des saisons, dans le Paris du XIIIe siècle et en place de Grève (voir  anthologie poétique, le diz des ribaux de Grève) . On retrouvera encore dans cette pièce musicale quelques vers issus du dit de Pouille que nous ne résistons pas à citer ici dans le texte:

Or preneiz a ce garde, li groz et li menu,
Que, puis que nos sons nei et au siecle venu,
S’avons nos pou a vivre, s’ai je bien retenu.
Bien avons mains a vivre quant nos sommes chenu.
Rutebeuf – Le dit de Pouille (extrait)

« Prenez-y garde, grands et petits:
une fois que nous sommes nés et venus au monde,
nous avons peu à vivre, je l’ai bien retenu;
et encore bien moins quand nous avons blanchi. »
Traduction Michel Zink – Œuvres complètes de Rutebeuf 1980

En vous souhaitant une très belle journée.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du moyen-âge sous toutes ses formes.

Villon en ligne : le bulletin 2019 de la Société François Villon

françois_villon_poesie_francais_moyen_ageSujet : bibliographie, site d’intérêt, poésie médiévale, médiévalisme,  auteur médiéval  manuscrits anciens, poésie médiévale,  littérature médiévale.
Auteur : François Villon   (1431-?1463)
Période  : du moyen-âge tardif à nos jours.
Auteur/Editeur : Robert Dabney Peckham,
Société François Villon
, UTM.

Bonjour à tous,

V_lettrine_moyen_age_passion-copiaoilà déjà plus de trois décades que Robert D. Peckham, professeur émérite des universités américaines, docteur en philosophie, mais aussi poète et musicien, a fondé la Société François Villon en Ligne.

Il y a près d’un an, jour pour jour, nous avions eu l’occasion de faire ici tribut à la véritable bible que ce passionné de littérature médiévale et de langue française, a crée et maintenu autour du célèbre auteur médiéval (voir Villon en ligne :  les travaux exhaustifs de Robert D. Peckham).  Riche de plusieurs centaines de liens, on peut y suivre la piste de François Villon depuis les plus anciens villon_poete_medieval_Bande-dessinée_jean-teule_louis-critone_moyen-age-tardif_XVe-sieclemanuscrits, jusqu’aux références les plus modernes et, quelquefois même, les plus inattendues. L’objectif est clair : dresser un panorama exhaustif de tout ce qui concerne ce poète à nul autre pareil et son legs ; en un mot, il s’agit là d’une généreuse invitation à la découverte de Villon sous toutes ses coutures, des plus académiques aux plus populaires ou triviales (s’il en est).

Villon croqué par Luigi Critone, inspiré du roman de Jean Teulé
aux Editions Delcourt

Le bulletin 2019

Fidèle au rendez-vous, comme chaque année depuis 34 ans, ce grand spécialiste américain de l’oeuvre villonesque vient de mettre en ligne son Bulletin 2019. Ce dernier consiste en une liste actualisée de l’ensemble des travaux réalisés dernièrement autour du poète du XVe siècle; il excède de loin la « simple » bibliographie, au sens classique du terme, puisqu’on y trouvera, aux côtés des livres, romans, bandes dessinés, thèses ou travaux universitaires sur le sujet, des liens vers des enregistrements sonores, des vidéos et articles web, etc…

Voir le bulletin 34 de la société François Villon

Nous y trouvons bonne place et nous en profitons ici pour en remercier à nouveau Robert Peckham. Au delà de cela, son minutieux travail d’archivage et de compilation a l’immense mérite de mettre en valeur, comme aucun autre,  la persistance et la permanence de l’intérêt pour la poésie de Villon dans le monde.  Pour tous ceux que cet auteur médiéval  intéressent, nous ne pouvons que vous enjoindre de consulter, en plus du bulletin, le site web très complet de la société François Villon.

En vous souhaitant une belle journée.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com

A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes.

Une ballade médiévale d’Eustache Deschamps sur l’ingratitude des princes et des cours envers leurs serviteurs

poesie_ballade_morale_moralite_medievale_Eustache_deschamps_moyen-age_avidite_gloutonnerieSujet  : poésie médiévale, littérature médiévale,  auteur médiéval, ballade médiévale, poésie morale, réaliste, ballade, moyen-français, cour royale, ingratitude, poésie satirique, satire
Période : moyen-âge tardif, XIVe siècle
Auteur :  Eustache Deschamps  (1346-1406)
Titre  :   « Il n’est  chose qui ne viengne a sa fin»
Ouvrage   :  Œuvres complètes d’Eustache Deschamps, Tome IX. Marquis de Queux Saint-Hilaire, Gaston Raynaud (1893)

Bonjour à tous,

E_lettrine_moyen_age_passionn partance pour le Moyen-âge tardif, nous ajoutons aujourd’hui, une nouvelle poésie médiévale, au crédit d’Eustache Deschamps. Cette ballade (sans envoi) a pour thème l’ingratitude des princes et de leurs cours envers ceux qui les servent.

On se souvient que, sous sa plume très critique et moraliste, Eustache fut assez prolifique sur le sujet de la vie curiale (voir notamment « Deux ballades sur la cruauté et la vanité des jeux de Cour« ). Il fut d’ailleurs loin d’être le seul. Pour n’en citer que quelques-uns, de Colin Muset, à  Rutebeuf, en passant par Guiot de Provins, Alain Chartier et tant d’autres, quantités de poètes médiévaux, chacun à eustache_deschamps_poesie_medievale_satririque_moyen-age-tardifleur façon, entre leurs lignes ou plus directement, nous ont parlé du Moyen-âge des cours, de leurs dures lois et des aléas auxquels ces dernières les soumettent.

Qu’elles soient princières, royales, ou seigneuriales, au vue de leur importance, il est bien naturel que ces hauts lieux de pouvoir se situent au cœur de tant de préoccupations, quand on sait  que nombre d’auteurs ou poètes médiévaux comptent sur les protecteurs potentiels qui y trônent pour subsister confortablement. Du côté de quelques grands thèmes satiriques abordés (sans toutefois les épuiser), on pourra les trouver tour à tour, protégés ou lâchés par les puissants, exilés volontaires ou conspués sous le coup de quelques traîtrises de couloir, quand ce n’est pas sous l’effet de quelques débordements de langage de leur part, ou quand ils ne sont pas simplement devenus trop vieux ou trop usés, pour y être reçus. Dans ce dernier cas, sans doute plus proche de celui de la ballade du jour, on repensera notamment aux lignes poignantes du Passe-temps de Michault Taillevent : s’il ne fait pas bon dépendre totalement du bon vouloir des cours pour subsister, il fait encore moins bon vieillir après les avoir servies et d’autant moins qu’on n’a pas prévu quelques plans de secours pour passer ses vieux jours.

eustache_deschamps_poesie_ballade_medievale_litterature_moyen-age_ingratitude_princes_s

Concernant Eustache Deschamps, on se souvient qu’il ne dépendait pas de sa plume pour vivre puisqu’il a été employé de longues années, au service des rois et  sous des fonctions diverses (messager, huissier, baillis, etc…). On le retrouve ainsi, dans cette ballade, faisant le compte de toutes ses années de service pour si peu de retours. « Il meurt de froid » nous dit-il, ne peut plus se vêtir dignement et n’a plus un cheval « sain ». Dans deux autres ballades, on le trouvera d’ailleurs à quémander du bois de chauffage et encore un cheval.

De ceux qui servent aux cours royaulx
ou Je muir de froit, l’en ma payé du vent.

O serviteur qui aux cours vous tenez,
Advisez bien des seigneurs la maniere :
Moult promettent quand servir les venez,
Mais du paier va ce devant derriere ;
Vo temps perdez, et brisez vostre chiere* (face, mine,…) ;
Sanz acquerir, tout despendez souvent ;
Ainsis m’en va, si m’en vueil traire arriere* (se retirer, reculer) :
Je muir de froit, l’en m’a payé du vent.

Quant servir vins, j’estoie bien montez
Et bien vestuz, l’en me fist bonne chier,
Et n’estoie nulle part endebtez ;
Or doy partout et si n’ay robe entiere
Ne cheval sain, s’ay bien cause et matiere
De moy doloir ou est foy ne couvent ;
Mentir les a estains soubz sa banniere :
Je muir de froit, l’en m’a payé du vent.

Mieux me vaulsist ailleurs estre occuppez :
Povres m’en vois a ma vie premiere
Sanz guerredon* (récompense), tuit cy garde prenez : 
De plus servir ja nulz ne me requiere.
Mais Dieux qui est vraiz juges et lumiere,
Rendra a tous ce qu’il leur a couvent* (promis) ;
Servir le vueil tant que sa grace acquiere.
Je muir de froit, l’en m’a payé du vent.

En vous souhaitant une excellente journée !

Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du moyen-âge sous toutes ses formes.