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« On ne doit pas croire a tout homme », Eustache Deschamps

Sujet  : poésie, auteur médiéval,  moyen français, ballade, défiance, beaux-parleurs, poésie morale.
Période  : Moyen Âge tardif,  XIVe siècle.
Auteur :  Eustache Deschamps  (1346-1406)
Titre  :  «Car homme n’est qui ait point de demain»
Ouvrage  :  Œuvres  complètes d’Eustache Deschamps, T VII,   Marquis de Queux de Saint-Hilaire (1878)

Bonjour à tous,

ous revenons, aujourd’hui, à l’œuvre d’Eustache Deschamps avec une jolie ballade. Dans le pur style de ses poésies morales ou ses ballades de moralités, le poète champenois nous donnera ici une leçon de défiance.

L’Œuvre d’Eustache en quelques mots

Nous sommes au Moyen Âge tardif et Eustache Deschamps a largement servi la cour de princes et des rois. Il a connu la guerre, les voyages, la peste, la vie de cour, durant ses soixante ans de vie. En plus de ses fonctions successives d’écuyer, d’huissier d’armes pour le compte de Charles V et Charles VI, ou encore ses titres de bailli de Senlis et de châtelain de  Fismes, l’officier de cour a aussi composé des poésies.

Elève de Machaut dont il se réclame, sa plume est même intarissable et il écrit littéralement sur tous les thèmes qui passent à sa portée. Rondeaux, chants royaux, lais et ballades, traités de poésies, l’œuvre d’Eustache est monumentale et n’a guère d’équivalent en son temps (peut-être des auteurs un peu plus tardifs comme Alain Chartier ou Georges Chastelain). Il faudra toutefois attendre le XIXe siècle pour commencer vraiment à la redécouvrir.

Mise à plat de l’œuvre et manuscrit Français 840

Les ballades de moralité d’Eustache sélectionnées par Georges-Adrien Crapelet ouvriront le bal et attireront l’attention en 1832. Des ajouts et publications de poésie inédites suivront en 1850, à l’initiative de Prosper Tarbé. Dans la foulée, le Marquis de Queux de Saint-Hilaire s’attellera à la retranscription de l’ensemble de l’oeuvre d’Eustache Deschamps, bientôt relayé en cela par Gaston Paris.

La ballade médiévale du jour dans le manuscrit Français 840 de la BnF
La Ballade du jour dans le manuscrit médiéval Français 840 de la BnF (à consulter sur Gallica)

Au cœur de ce travail, le manuscrit médiéval Français 840 de la BnF, un ouvrage contemporain d’Eustache où est venu s’empiler son legs impressionnant sur pas moins de 593 feuillets. Du milieu du XIXe au début du XXe siècle, l’œuvre complète d’Eustache Deschamps sera ainsi consignée dans onze volumes signés de la main de Queux de Saint Hilaire et de Gaston Paris.

Actualité de l’œuvre d’Eustache Deschamps

Depuis sa remise à plat, de nombreux médiévistes férus de cette partie du Moyen Âge se sont penchés sur le legs d’Eustache. Les approches sont nombreuses, les angles souvent thématiques. L’œuvre du champenois s’y prête particulièrement : épidémies, tournois, duels, gastronomie, mœurs de cour, politique, guerre de cent ans, …. Les écrits du prolifique champenois font encore des historiens en quête d’une meilleure compréhension des mœurs du XIVe siècle.

D’un point de vue stylistique et poétique, si tout n’est pas égal, il reste encore de belles perles à dénicher dans le large travail d’Eustache. Sa franchise peut quelquefois surprendre ou amuser. Sa morale vise souvent juste et nous permet, en tout cas, de nous replonger au cœur du Moyen Âge chrétien et ses valeurs. Des traits d’humour émergent ça et là et la courtoisie est aussi présente dans son œuvre même si, de notre point de vue, ce n’est pas là que son talent s’exprime le mieux.

Dans tous les cas et indépendamment de l’approche privilégiée ou même des réserves que l’on peut émettre sur l’ensemble du legs d’Eustache d’un point de vue stylistique, on ne peut enlever à l’auteur champenois son opiniâtreté et sa persévérance à tout vouloir mettre en vers et consigner.

Une ballade contre les beaux-parleurs

« On ne doit pas croire à tout homme », le refrain ne peut être plus clair. Avis aux apparences et aux beaux-parleurs ! Le thème de la défiance est au cœur de la ballade médiévale du jour. Et pour mieux appuyer la trahison, le serpent venimeux et perfide (forcément toujours un peu biblique et, déjà présent dans une fable d’Eustache), est appelé à la rescousse.

La Ballade du jou illustrée avec une enluminure de Serpent tirée du Manuscrit Français 1537 de la BnF

Jeux de cours, trahisons, fausses promesses, on pourrait être tenté de remettre cette poésie en contexte, à la lumière des longues années de services d’Eustache auprès de la cour et des puissants. Durant sa longue carrière, la franchise et certaines de ses poésies critiques lui ont inévitablement valu des ennemis. Les vers du jour pourraient en être un autre signe. Dans le même temps, cette ballade a la qualité de tout texte, fable et toutes bonnes poésies morales : une certaine intemporalité. Aujourd’hui encore, la verve d’Eustache nous reste accessible et sa ballade a plutôt bien traversé le temps.


« On ne doit pas croire a tout homme, »
dans le français ancien d’Eustache Deschamps

Le moyen français d’Eustache peut présenter quelques difficultés sur certains textes. Cela nous semble moins le cas de celui-ci. Pour vous aider dans sa compréhension, nous vous proposons tout de même quelques clés de vocabulaire.

Gar toy de l’oiseleur qui prant
Les oiseaulx pour chant contrefait,
A sa roix soutive
(dans l’ingénieux filet) qu’il tent,
Par soutil langaige deffait.
Gar toy de femme qui te fait
Doulz semblant, et ami te nomme
C’est pour toy jouer d’un faulx trait
(d’un mauvais trait, coup) :
On ne doit pas croire a tout homme.

Avise au venimeux serpent
Qui en la douce herbe se trait
Et s’i caiche soutivement
(habilement),
Si que quant aucuns s’i retrait
L’erbe cueillant, lors mort de fait
(il les mort ensuite);
De son venin point et assomme
Le cueillant, qui lors crie et brait ;
On ne doit pas croire a tout homme.

Ne le parler d’aucune gent
Qui semble doulz com miel ou lait,
Ou l’en treuve venin souvent
Quant aucun ont a eulx attrait.
Ainsi doulz parler se deffait
En fiel mortel soubz douce pomme;
Donc pour eschiver ce meffait,
On ne doit pas croire a tout homme.

L’ENVOY

Princes, saiges est qui aprant,
Qui parle pou et qui entent,
Qui se taist et qui en soy somme
(mesure, pèse)
Le parler d’autruy saigement ;
Pour eschiver paine et tourment,
On ne doit pas croire a tout homme.


NB : sur l’image d’en-tête, vous retrouverez la ballade d’Eustache dans le français 840 de la BnF. Pour l’illustration, nous avons opté pour une magnifique enluminure du serpent biblique. Elle est tirée du manuscrit Français 1537 intitulé « Chants royaux sur la Conception, couronnés au puy de Rouen de 1519 à 1528. » Ce manuscrit daté du XVI e siècle est lui aussi conservé au département des manuscrits de la BnF.

En vous souhaitant une belle journée
Fred
Pour moyenagepassion.com
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Ars nova : les déboires amoureux du compositeur Francesco Landini

Sujet :  musique médiévale, musiques anciennes, ballade polyphonique, Ars nova, chanson médiévale, amour courtois, sentiment amoureux.
Période :  Moyen Âge tardif, XIVe siècle
Auteur : Francesco Landini (1325-1397)
Titre :  Gran piant agli ochi
Interprètes :  Ensemble 400
Concert : Eglise de Saint-Georges Martyre, Milan, Italie (2022).

Bonjour à tous,

ous partons, aujourd’hui, à la découverte de nouvelles musiques médiévales, du côté de l’Italie du Moyen Âge tardif. A cette occasion, nous croiserons, à nouveau, l’organiste et maître de musique Francesco Landini, grand représentant de l’Ars Nova florentin du XIVe siècle.

Tristesse & douleur de la séparation

La chanson du jour est une ballade polyphonique. C’est aussi une nouvelle pièce courtoise du compositeur florentin du trecento. Meurtri par une séparation brutale d’avec sa belle, Landini nous contera ses déboires amoureux. Dans le pur style de l’amant courtois, il y fera étalage de sa douleur et de sa peine et, s’adressant à l’objet de son désir, il lui affirmera sa volonté de ne plus s’enticher d’aucune autre, si cet amour devait s’arrêter à jamais.

Ce n’est pas la première fois que Landini s’épanche sur sa douleur et ses déconvenues amoureuses. On se souvient même que la formation médiévale La Reverdie avait dédié un album complet à cette partie du répertoire du maître de musique italien (voir l’occhio del cor et les yeux tristes de Francesco Landini).

La chanson médiévale de Landini dans le Codex Squarcialupi (Ms Med Pal 87), manuscrit ancien du XVe siècle.

Aux sources manuscrites de cette ballade

A l’habitude, du point de vue des sources anciennes et manuscrites, c’est le très beau Codice Squarcialupi (Ms Med Pal 87) qui nous servira ici de guide. Ce manuscrit daté des débuts XVe siècle est actuellement conservé à la Bibliothèque Laurentienne de Florence. Sur l’image ci-dessus, vous retrouverez la chanson polyphonique du jour, accompagnée de sa partition d’époque.

Pour la version en musique de cette pièce de Francesco Landini, nous vous proposons de découvrir l’interprétation de l’Ensemble 400, à l’occasion d’un concert donné, en décembre 2022 à l’Eglise de Saint-Georges Martyre, de Milan. On doit cet enregistrement à Edoardo Lambertenghi, youtubeur et technicien du son milanais passionné de musiques anciennes dont la chaîne est très riche en contenu.


L’ensemble 400 et la passion
des musiques médiévales et anciennes

Actif depuis plus de 15 ans sur la scène des musiques anciennes, l’Ensemble 400 est une formation italienne spécialisée dans un répertoire médiéval et renaissant qui s’étend du XIIIe au XVe siècle. Fondée par des experts dans le domaine des musiques anciennes, elle explore un territoire qui s’étend aux musiques profanes et liturgiques de la France, l’Angleterre et l’Italie médiévales.

L’Ensemble 400 est issu de Musicaround, association italienne établie à Gênes et qui se dédie à la promotion des musiques anciennes, depuis l’organisation de concerts et d’événements à l’enseignement de ces dernières. Vous pourrez retrouver l’actualité de cette formation sur le site officiel de l’association . A date, ils se sont déjà produits dans de nombreux festivals, principalement en Suisse et en Italie.

Membre de l’Ensemble 400

Marcello Serafini (viele), Giuliano Lucini (luth), Maria Notarianni (harpe, vièle), Vera Marenco (voix), Alberto Longhi (voix).


Gran piant agli ochi ou la douleur amoureuse
par Francesco Landini

Gran piant agli ochi, greve dogli al core
Abbonan sempre l’anima, si more.

Per quest’amar’ et aspra diapartita
Chiamo la mort’ e non mi vuol udire.
Contra mia volglia dura questa vita,
che mille morti mi convien sentire.

Ma bench’i’ viva, ma’non vo’seguire
Se non vo’, chiara stella et dolce amore.

Gran piant agli ochi …

Traduction française de cette pièce

Grande peine aux yeux, grande douleur au cœur
Abondent toujours, tandis que l’âme se meurt.

A cause de cette séparation amère et âpre
J’appelle la mort mais elle ne veut m’entendre.
Contre ma volonté, cette vie perdure,
Et il me faut endurer plus de mille morts.

Mais même si je suis en vie, je ne veux plus poursuivre
Aucune autre que vous, brillante étoile et doux amour.

Grande peine aux yeux, grande douleur au cœur


En vous souhaitant très belle journée.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
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NB : sur image d’en-tête, on retrouve l’enluminure de Francesco Landini dans le Codex Squarcialupi, ainsi que le feuillet correspondant à la ballade polyphonique du jour.

Quand Eustache Deschamps dénonçait l’ascendant des financiers sur la société médiévale

Ballade Médiévale Eustache Deschamps

Sujet  : poésie médiévale, auteur médiéval,  moyen-français, manuscrit ancien, poésie, ballade, finance, monnayeurs, banquiers, poésie morale, poésie politique, poésie satirique, satire, convoitise.
Période  : Moyen Âge tardif,  XIVe siècle.
Auteur :  Eustache Deschamps  (1346-1406)
Titre  :  «Nul n’a estat que sur fait de finance.»
Ouvrage  :  Œuvres  inédites d’Eustache Deschamps, T1   Prosper Tarbé (1849).

Bonjour à tous,

os aventures du jour nous entraînent à la découverte d’une nouvelle poésie satirique, signée de la plume d’Eustache Deschamps. Nous sommes donc au Moyen Âge tardif et au XIVe siècle et il y sera question de convoitise, d’appétit d’argent et d’invasion des financiers dans toutes les sphères du pouvoir et de la société.

Les financiers dans les rouages du pouvoir

En suivant le fil des ballades satiriques et politiques d’Eustache Deschamps, le poète médiéval revient, ici, sur le thème du pouvoir, de l’argent et de la convoitise. Il y fait le constat amer d’une certaine éducation et légitimité en recul, celle des clercs lettrés. Les voilà, en effet, rendus sans pouvoir et sans plus d’influence, au profit d’un art qu’il considère comme le « moindre de tous », mais aussi le moins vertueux et le moins sage : celui de la finance.

Nous ne sommes qu’au XIVe siècle et, pourtant, à l’entendre, toutes les portes s’ouvrent déjà devant ceux qui ont fait de la gestion de l’argent, leur profession. Si Eustache critique le pouvoir donné à ceux qui comptent, produisent et manient les écus, en dernier ressort, ce sont bien les princes qu’il vise, ici, car ce sont bien eux qui se prêtent au jeu de la convoitise et privilégient, non sans intérêt, cet entourage plutôt que celui de clercs plus instruits et lettrés.

La Ballade sur les financiers d'Eustache Deschamps illustrée.

L’obsession de la finance soulignée par Eustache

En bon moraliste chrétien, ce n’est pas la première fois qu’Eustache Deschamps pointera du doigt l’emprise de la finance et de la convoitise sur la société de son temps. Le thème reviendra, en effet, à plusieurs reprises dans son œuvre abondante. En voici un exemple assez proche de la ballade du jour :

Conseillez moi – De quoi ? – D’avoir chevance,
Et des .VII. ars lequel puet plus valoir
Pour le present, et tost avoir finance.
Tresvoluntiers je te faiz assavoir
Qu’Arismetique est de moult grant pouoir,
Tous les .VII. ars en puissance surmonte
Elle enrrichist, elle giette, elle compte,
Finance fait venir de mainte gent;
Nulz n’a estat se bien ne scet que monte
Compter, getter et mannier.


Gramaire est rien; Logique ne s’avance;
Rethorique ne puet richesce avoir
Astronomi n’ont estat ne puissance;
Geometrie se fait pou apparoir,
Et Musique n’a au jour d’ui vray hoir.
De ces .VI. ars aprandre a chascun honte;
Mais qui assiet sur finance et remonte,
Qui scet doubler et tierçoier souvent
C’est le meilleur apran ton cuer et dompte
Compter, getter et mannier argent.


Ballade CCC, Œuvres complètes d’Eustache Deschamps, T2,
Marquis de Queux de Saint-Hilaire (1858)

On retrouvera, encore, chez l’auteur médiéval de nombreuses poésies dénonçant les effets directs de cette convoitise des princes et des puissants sur les misères du peuple. A ce sujet, on pourra se reporter, par exemple, à la ballade Nul ne tend qu’à remplir son sac ou encore à son chant royal Méfiez-vous des barbiers et sa critique acerbe des abus financiers de la couronne.

Au XVe siècle, quelque temps après Eustache, on pourra retrouver un peu de l’esprit de sa ballade du jour dans le dit des pourquoi d’Henri Baude. Ce dernier y opposera, en effet, à son tour, les sages lettrés aux compteurs d’écus, en dénonçant l’ascendant de ces derniers sur la société et sur le pouvoir.

Aux sources manuscrites de cette ballade

La ballade d'Eustache Deschamps dans le manuscrit médiéval MS Français 840 de la BnF.
La ballade d’Eustache dans le MS Français 840 de la BnF

Une nouvelle fois, c’est dans le manuscrit médiéval Français 840 que vous pourrez retrouver cette poésie d’Eustache Deschamps. Cet ouvrage, daté du XVe siècle, est tout entier dédié à son œuvre très fournie. Conservé au département des manuscrits de la BnF, il est disponible à la libre consultation sur le site Gallica.fr.

Pour la transcription en graphie moderne, nous nous sommes appuyés sur le Tome 1 des Œuvres  inédites d’Eustache Deschamps, par Prosper Tarbé (1849), mais vous pourrez également retrouver cette Ballade dans les œuvres complètes d’Eustache par le marquis de Queux de Saint-Hilaire.


Ballade sur les financiers
dans le moyen français d’Eustache Deschamps

Le moyen français d’Eustache Deschamps n’est pas toujours très simple à saisir. Aussi, pour vous y aider, nous vous fournissons, à l’habitude, quelques clés de vocabulaire.

De tous les VII ars qui sont libéraulx
Lequel est plus aujourd’ui en usaige ?
Cellui de tout qui mendres
(le moindre) est entre aulx (eux),
Et qui moins tient de vertu et de saige
(sage):
C’est de compter et détenir or en caige,
De convoitier, et de faire démonstrance
D’argent trouver. Est ce beau vassellaige
(prouesse)?
Nulz n’a estat
(condition, stature) que seur fait (activité, action) de finance.

Un receveur, un changeur, s’il est caux
(rusé),
Un monnoier, ceulz sont en haulte caige
(demeure) :
Et les claime on seigneurs et généraulx
(des finances).
Et c’est bien drois
(juste) ; grans est leur héritaige.
L’or et l’argent passent par leur passaige :
Villes, chateaulx ferment
(assujettir) par leur puissance.
Aux clercs lettrez, vault petit leur langaige;
Nul n’a estat que sur fait de finance.

Petit puelent
aux autres (ils peuvent peu comparés aux autres) : c’est deffaulx
D’entendement, de congnoissance, n’age
Qui ne congnoist des vaillans
(des braves, des valeureux) les travaulx
Ni des expers le sens et le couraige.
Convoitise gouverne, qui enraige
D’argent tirer, qui les bons desavance
(repousse, font reculer),
Et fait à tous sçavoir par son messaige :
Nulz n’a estat que sur fait de finance.

L’Envoy.


Prince, pou (peu) vault estre homme de parage (noble, bien né),
Saiges, prodoms, n’avoir grant diligence :
Pour le jour d’ui vault trop pou vaisselaige
(fait d’armes, bravoure) :
Nulz n’a estat que sur fait de finance.


Si le Moyen Âge d’Eustache Deschamps est sans commune mesure avec la financiarisation du monde actuelle, à la lecture de cette ballade, il est tout de même intéressant de noter que le problème d’une société qui valorise, à tout crin, la convoitise, la spéculation et les activités financières est moins récent qu’il n’y paraît.

En vous souhaitant une belle journée.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes

NB : concernant les illustrations de cet article, elles sont tirées d’une fresque murale du Moyen Âge tardif. Elle est l’œuvre du peintre toscan Niccolo di Pietro Gerini (1368-1415) et on peut la trouver en la chapelle Migliorati de l’église San Francesco de Prato, en Italie.

L’amour courtois du troubadour Bindo Donati mis en musique par Francesco Landini

Sujet : musique médiévale, musiques anciennes, chants polyphoniques, Ars nova, chanson. amour courtois, troubadour.
Période : Moyen Âge tardif, XIVe siècle
Auteur : Francesco Landini (1325-1397), Bindo Donati
Titre : Non avrà ma’ pietà questa mie donna
Interprètes : Anonymous 4
Album : the second circle – Love songs of Francesco Landini (2020)

Bonjour à tous,

ujourd’hui, nous vous proposons une excursion en direction de l’Italie médiévale du trecento, dans la Florence du XIVe siècle. Nous y retrouverons le compositeur et poète Francesco Landini pour une nouvelle pièce d’art polyphonique et de lyrique courtoise.

L’amant courtois à la merci de sa dame

la partition de la chanson du jour dans le Codex Squarcialupi

Le texte de la ballade du jour n’est pas de Francesco Landini. Dans de nombreux ouvrages de littérature italienne (1), on retrouve, en effet, cette poésie attribuée à Bindo d’Alessio Donati ou Bindo Donati, troubadour italien de la fin du XIIIe siècle. Cet auteur, lui-même fils du poète Alessio Donati (un des plus anciens versificateurs en langue toscane), compte pour certains experts italiens parmi les plus grands écrivains italiens de son temps (2).

Dans la pièce du jour, Landini reprend donc à son compte la complainte amoureuse de Bindo Donati. On y retrouvera l’amant courtois prisonnier de son désir et de sa douleur. Tout entier à la merci de sa dame et de l’accord de cette dernière qui tarde à venir, il implore « Amour » de venir à son secours. Si l’élue de son cœur ne concède pas, elle-même, à délivrer le poète du feu qui le brûle, peut-être Amour viendra-t-il la rendre plus docile et lui ouvrir les yeux ? Avec cette ballade, nous sommes parfaitement dans le registre de l’amour courtois, comme on peut le trouver à la même période et même un peu avant, chez les troubadours du sud de France.

Sources médiévales

Pour les sources manuscrites de cette chanson polyphonique, nous vous renvoyons une fois de plus au Codex Squarcialupi (voir image ci-dessus). Daté du début du XVe siècle, ce beau manuscrit, joliment enluminé et fort bien conservé, contient de nombreuses pièces notées musicalement de compositeurs italiens et florentins du trecento. Il est actuellement précieusement gardé à la Bibliothèque Laurentienne du monastère de la basilique San Lorenzo de Florence (Biblioteca Medicea Laurenziana).

Pour l’interprétation de cette ballade de Landini, nous avons opté pour la belle version de la formation américain Anonymous 4.

La ballade polyphonique du jour par Anonymous 4

Le quatuor Anonymous 4

Formé en 86 et actif jusqu’en 2015, le quatuor américain Anonymous 4 nous a laissé une discographie riche de plus de 20 albums. Au terme de 30 ans de carrière, ses quatre chanteuses pleines de talent ont eu l’opportunité d’explorer un répertoire qui va de Hildegarde de Bingen à des chants polyphoniques de l’Angleterre médiévale, en passant par les motets du chansonnier de Montpellier et encore bien d’autres univers musicaux du Moyen Âge. Au fil de sa longue épopée, Anonymous 4 ne s’est pas cantonné au monde médiéval ; la formation a aussi couvert des chant de Noël ou des chansons traditionnelles plus récentes (Voir un portrait plus détaillé de Anonymous 4)

Album : the second circle,
Love songs of Francesco Landini

Enregistré en 2000, cet album dédié aux chansons d’amour de Francesco Landini propose 18 pièces du maître de musique pour un voyage de 62 minutes, au cœur de l’Ars nova et des chants polyphonique du trecento italien. Pour l’interprétation de la chanson du jour, comme pour les autres pièces de cette production, on retrouve la finesse et la délicatesse habituelle de ce quatuor de haute tenue.

Concernant cet album, si vous ne le trouvez pas chez votre disquaire préféré, il est encore disponible à la vente en ligne, mais attention aux arnaques et aux occasions à prix d’or sur certains sites. Pour ne pas casser la tirelire, vous leur préférerez, sans doute, les versions digitales. L’album se trouve assez facilement sous forme MP3 et on peut ainsi en profiter de manière totalement légale pour un tarif raisonnable. Voici un lien utile pour se le procurer : The second Circle, Love songs of Francesco Landini par Anonymous 4

Les Chanteuses du Quatuor Anonymous 4

Marsha Genensky, Susan Hellauer, Jacqueline Horner, Johanna Maria Rose


Non avrà ma’ pietà questa mie donna,
De l’Italien du XIVe s au français actuel

Non avrà ma’ pietà questa mie donna,
se tu non faj, amore,
Ch’ella sia certa del mio grand’ ardore.

S’ella sapesse quanta pena porto
Per onestà celata nella mente,
Sol per la sua belleza, chè conforto
D’altro non prende l’anima dolente.

Forse da lei sarebbono in me spente
Le fiamme che nel core
Di giorno in giorno acrescono ‘l dolore.

Non avrà ma’ pietà questa mie donna,
Se tu non faj, amore,
Ch’ella sia certa del mio grand’ ardore.

Traduction française de cette ballade

Cette dame qui est mienne ne me montrera pas de pitié,
Si tu ne le fais pas, Amour,
Afin qu’elle soit certaine de ma grande ardeur.

Si elle savait combien de douleur je porte
Par honnêteté, cachée en mon esprit,
Rien que pour sa beauté, car l’âme affligée
Ne se console de rien d’autre.

Peut-être, finirait-elle par éteindre
Les flammes qui, dans mon cœur,
Jour après jour, font accroître la douleur.

Cette dame qui est mienne ne me montrera pas de pitié,
Si tu ne le fais pas, Amour,
Afin qu’elle soit certaine de ma grande ardeur.


En vous souhaitant une excellente journée.
Fred
pour moyenagepassion.com
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Notes

(1) voir Manuale della letteratura del primo secolo delle lingua Italiana. Vincenzio Nannucci (1838), Florence (Vol secondo) ou Scelta di poesie liriche, dal primo secolo della lingua fino al 1700, Felice le Monnier e compagni (1839) ou encore Parnaso Italiano Vol XI, Venise (1846)
(2) Nouvelle biographie générale: depuis les temps les plus reculés jusqu’à nos jours, Tome 14, Jean Chrétien Ferdinand Hoefer (1855)