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Jehan Meschinot, ballade politique & morale contre les tyrans

Sujet : poésie morale, poésie médiévale, poète breton, ballade médiévale, ballade satirique, auteur médiéval, Bretagne médiévale, tyran, grands rhétoriqueurs.
Période : Moyen Âge tardif, XVe siècle
Auteur : Jean (Jehan) Meschinot (1420 – 1491)
Titre : Affin qu’il sente aultruy playe premiere
Manuscrit médiéval : MS français 24314 BnF
Ouvrage :  poésies et œuvres de Jean MESCHINOT, éditions 1493 et 1522.

Bonjour à tous,

ujourd’hui, nous repartons pour la Bretagne médiévale, celle du Moyen Âge tardif et de Jehan Meschinot. Au XVe siècle, ce poète soldat se distingue par une poésie politique et morale de belle tenue.

En son temps, il se fit particulièrement connaître par ses Lunettes des Princes. Le ton était déjà politique et moral, un peu à la manière de ces miroir des princes (ou miroir aux princes) et guide pour l’éducation politique des puissants dont le Moyen Âge était friand. Sans concession, mais avec un vrai talent de plume, le poète y laissait aussi poindre quelques pointes de désespérance sur sa propre condition.

la ballade "Affin qu'il sente aultruy playe première" en graphie moderne avec enluminure du portrait de l'auteur

Les 25 ballades satiriques de Meschinot

Si les Lunettes des Princes sont devenues un des ouvrages les plus imprimés des débuts du XVIe siècle, la postérité a un peu moins retenu de Meschinot les 25 ballades satiriques que lui inspira la poésie Le Prince (ou les princes) de Georges Chastelain. Ce grand auteur flamand, attaché à la cour de Bourgogne, s’était distingué avant tout par ses grandes chroniques historiques mais il n’hésita pas à égratigner Louis XI dans un exercice plus poétique, politique et caustique qui inspira son homologue breton.

Meschinot reprit donc les 25 strophes du Prince de Chastelain et en fit les envois de 25 nouvelles ballades. On peut retrouver ces dernières dans le manuscrit enluminé français 24314 de la BnF daté du XVe siècle. Quant aux éditions imprimées des siècles suivants, elles adjoindront quelquefois ses poésies au texte principal des Lunettes des princes mais elles s’arrêteront souvent aux lunettes.

Sources historiques et manuscrites

Pour les sources manuscrites, nous vous renvoyons au ms français 24314 qui reste le plus accessible à la consultation en ligne (voir capture ci contre).

Pour la transcription en graphie moderne de la poésie qui nous occupe ici, nous nous sommes appuyés sur diverses éditions historiques datées du XVIe siècle.

La ballade du jour dans le manuscrit enluminé français 24314 de la BnF
La ballade du jour dans le Français 24314 de la BnF (à consulter sur Gallica.fr)

La punition du tyran et du prince oppresseur

La ballade du jour est la quatrième des 25 dans l’ordre des manuscrits. En terme de versification et de rythmique, elle suit la forme de toutes les autres. Meschinot a opté pour des douzains de 10 pieds tout au long de cet exercice, trois par ballades suivis d’envois dument rétribués à leur auteur (« Georges »).

Dans cette poésie politique, trempée de morale chrétienne, le tyran ou le seigneur abusif est encore dans la ligne de mire. Meschinot prolonge en quelque sorte le ton de Chastelain et développe à sa manière. Pas d’impunité pour le prince oppresseur qui brime et pille ses propres sujets. Il sera meurtri et Dieu lui fera sentir jusque dans sa chair les blessures qu’il inflige à autrui.

Dieu est à l’œuvre, ici, mais pas seulement. Le prince tyrannique paye le prix juste et logique de sa propre stupidité/avidité. En attentant à ceux qui fondent sa richesse et même sa survie, il se heurte lui-même et, croyant trompé ses sujets, c’est lui-même qu’il trompe.


« Affin qu’il sente aultruy playe premiere »
dans le moyen français de Meschinot

Ou tost fauldroit terre, soleil & lune
Bien de grace, de nature, & fortune,
Et tout ce qu’est en essence produyt:
Ou les tyrans qui sans raison aulcune
Pillent les biens de la chose commune
Dont par après n’en est riens mieulx conduit
Seront puniz de très-griefve poincture
(blessure).
L’abus est grant en la loy de nature
Quand le seigneur par maulvaise maniere
Sur les subgectz
(sujets) prent excessive proye
Dieu le payera en pareille monnoye
Affin qu’il sente aultruy playe
(plaie) premiere.

C’est cruaulté des plus piteuses l’une
Qui jamais fust si par voye importune
Le commun est par le prince destruyt
Duquel il a bled
(blé), vin, rentes, pecune (argent monnayé)
Service honneur & sans lui fault qu’il jusne
(jeûne)
Car il n’est pas au labourage duyt
En le perdant, il perd sa nourriture
Et si se mect en damnable adventure
Car bien souvent a la fin derreniere
Trompé se voit quand a tromper essaye
Et justement raison ainsi le paye
Affin qu’il sente aultruy playe premiere.

Terne conseil & celée rancune
(rancune secrète)
Propre proufit en province plus de une
ont aultrefoys porté dommageux fruict
Et de cecy ne sçay raison nesune
(aucune)
Fors que dieu veult non pas saison chascune
Descouvrir ce qui es cueurs ard & bruyt
Ainsi advient que mieulx qu’en portraicture
(image, plan)
Des cas secretz conduys par voye obscure
A t’on souvent congnoissance planiere
(plénière)
Dont le maulvais en l’espineuse haye
Qu’il a basty tresbuche & la se playe
Affin qu’il sente aultruy playe premiere.

L’envoi
Prince lettré, entendant l’escripture,
Qui fait contraire à honneur et droiture
Dont il doit estre exemplaire et lumière,
Bien loist
(vb loisir, il est permis) que Dieu du mesme le repaye,
Et que autre, après, lui fasse grief et playe,
Affin qu’il sente autruy playe première.


Découvrir d’autres ballades de Jehan Meschinot

En vous souhaitant une belle journée.

Frédéric EFFE
Pour Moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.

NB : en image d’en-tête vous retrouverez un détail de l’enluminure de garde du ms Français 24314 de la BnF. On y voit l’auteur affairé à l’écriture tandis que ses muses ou plutôt ses démons le visitent (langueur, fureur, courroux, peine, …)

Animations Médiévales : Le château de Tiffauges au cœur de la guerre de cent ans

Sujet : animations médiévales, reconstituteurs, marché médiéval, compagnies médiévales, histoire vivante, guerre de cent ans, Bertrand du Guesclin.
Période : Moyen Âge central, XIVe siècle.
Evénement : Médiévales de Tiffauges 2024
Lieu : château de Tiffauges, Vendée, Pays de la Loire.
Date : 28 & 29 septembre 2024.

Bonjour à tous,

ans la série des animations médiévales à ne pas manquer, l’histoire vivante vous donnera rendez-vous, les 28 et 29 septembre prochain, au château de Tiffauges. En partenariat avec le département de Vendée, l’Association du Roi Uther y fera revivre, en grand, l’effervescence des lieux, en 1373, et peu de temps après la fin des guerres de succession de Bretagne.

Médiévales de Tiffauges 2024 : le programme

Animations médiévales et reconstitution historique aux Médiévales de Tiffauges

Avec près de 15000 visiteurs attendus, on peut, une nouvelle fois, compter sur Gérard Paugam, sa passion de l’histoire et son sens du détail pour proposer là un événement ambitieux qui n’a que peu d’équivalent sur le sol français.

Le président du Roi Uther a démontré, depuis longtemps, qu’il sait s’entourer et son équipe de conseillers historiques, de techniciens et de spécialistes de l’organisation d’événements historiques a, une fois de plus, œuvrer pour concocter un événement unique à Tiffauges.

A l’image des médiévales de Tiffauges de l’an passé mais dans un tout autre contexte, Bertrand du Guesclin sera, à nouveau, l’un des grands personnage central de l’événement.

La reconquête de Du Guesclin

Pour qui s’en souvient, la précédente édition des Médiévales de Tiffauges avait fait revivre aux visiteurs l’année 1372. On y avait alors assisté à la préparation du siège de Thouars, à la toute fin des guerres de succession de Bretagne. Cette édition 2024 nous transportera un an plus tard.

En mars 1373, les armées anglaises ont débarqué en force à Saint-Malo et Charles V n’a eut d’autre choix que de faire appel à son meilleur chef de guerre, le connétable de France et de Castille Bertrand du Guesclin, pour repousser l’assaut ennemi. Ce dernier devra donc, redoubler d’efforts pour mettre de l’ordre dans la région, avec face à lui de belliqueux angloys.

Préparation en vue du siège de Brest

Du Guesclin à Tiffauges

Pour faire échouer la tentative anglaise, Du Guesclin fera feu de tout bois. En ce milieu d’année 1373, il a déjà repris le contrôle de la majeure partie du duché. Les armées ennemies ne tiennent plus que quelques places fortes, dont la ville de Brest. Du Guesclin en a déjà tenté le siège sans y parvenir, faute de matériel approprié.

Pour mieux se préparer à entreprendre un nouvel assaut, il a décidé de se replier vers Tiffauges. Depuis l’endroit, il devra engager la construction d’engins de guerre capables de faire tomber Brest et ses remparts. Le connétable de France connaît bien le sujet et il s’entourera des meilleurs spécialistes pour lancer ces opérations. C’est à ce moment précis de l’histoire que les Médiévales de Tiffauges 2024 transporteront les visiteurs.

Grands campements, manœuvres & reconstitution

Reconstitution historique et médiévales au château de Tiffauges en Vendée
Du Guesclin à Tiffauges

A Tiffauges, le connétable a fait appel a un grand ingénieur, maître dans la construction et le maniement de machines de guerre. De nombreux artisans spécialisés sont aussi venus en soutien, ainsi qu’un bouvier et ses bœufs.

Ces nouvelles ressources ont rejoint l’armée présente sur place. On peut aussi compter sur la noblesse bretonne qui s’est déjà enrôlée massivement sous la bannière de Bertrand du Guesclin. Dans une grande effervescence, piquiers, archers, coutiliers, chevaliers, sont là, tous déterminés à en découdre et à bouter l’angloys hors de Bretagne. On retrouvera toutes ces troupes à la manœuvre mais encore des engins de siège et des pièces d’artillerie à l’exercice.

Bien sûr, tout ce monde devra être nourri, logé, entretenu, soigné et tout un village fourmillant d’activités s’est constitué autour des hommes d’armes. Il ne tiendra qu’à vous de vous y émerger. En accord avec ce passionnant scénario, ces médiévales vous réserveront de nombreuses animations riches en émotions, au plus près de la réalité historique. Elles seront l’occasion de découvrir de nombreux aspects de la vie civile et militaire médiévale.

Compagnies médiévales & troupes invitées

Du Guesclin à Tiffauges

Comme à l’occasion des années précédentes, de nombreuses compagnies et mesnies de reconstituteurs sont attendues pour l’événement. On en comptera pas moins de 32 venues des quatre coins de France, mais aussi d’autres pays européen pour faire vibrer l’histoire vivante à Tiffauges.

La Mesnie Enguerran – L’Alliance des Lions d’Anjou – Emptivus Miles – Maisnie de l’Hermine – L’ost du Castel – Les Tards Venus Societas Anglicis – Le Feu Liégeois – Mignoned ar Bro – Ar Soudarded – La guerre des couronnes – Via Historiae – L’Ost du Phénix – Alsaciae Protectores – Elsass Tempora – Oblitis Milites – Les Armoises – La Compagnie Gwesclen – Les Heures de Bedford – les Genz d’Armes 1415 – La Guilde des 3 couronnes – La Grant Compaigne – Les Penthièvres – Cercle d’arme du Dauphiné – Compagnies italiennes – Les écorcheurs Simwé – Totuis Britannae – Milites Nothi – La Volte Gaillarde – Sonj

Marché médiéval et animations permanentes

Sur place les visiteurs pourront encore compter sur un marché médiéval d’artisans sélectionnés et une belle aire de restauration. Des animations musicales seront aussi présentes pour égayer cette ambitieuse médiévale.

Pour plus d’informations sur le programme et pour réserver, voir le site du département de Vendée.

Retrouver ici nos articles sur les éditions précédentes de cette manifestation : Edition 2019 – Edition 2022Edition 2023

Une belle journée en vous remerciant de votre lecture.

Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes.

NB : les photos utilisées dans cet article sont issues de l’édition 2023 des Médiévales de Tiffauges. Crédit photo @Barry ‘s photography. Pour l’affiche 2024, elle est, à nouveau, réalisée par le célèbre illustrateur Ugo Pinson.

Une Épigramme de Bonne Conduite de Jean Meschinot

Sujet : poésie satirique, huitain, épigramme, poésie médiévale, poésie morale, poète breton, code de conduite, citation médiévale, Bretagne médiévale.
Période : Moyen Âge tardif, XVe siècle
Auteur : Jean (Jehan) Meschinot (1420 – 1491)
Manuscrit  : Jehan Meschinot, sieur des Mortières. Poésies diverses, MS 905, Bibliothèque de Tours.

Bonjour à tous,

n ces mois d’été, nous relâchons un peu nos efforts sur les publications mais voici tout de même une jolie épigramme médiévale de Jean Meschinot pour vous inspirer.
Dans le courant du XVe siècle, cet homme d’armes et poète breton s’est distingué par un vrai talent de plume et une œuvre morale et satirique dans laquelle il n’a pas hésité à dénoncer les mauvais princes et leurs abus de pouvoirs.

Rien dire sans faire, un rondeau de Jean Meschinot avec le portrait du poète médiéval tiré d'une enluminure

Un huitain sur dire et faire

A l’exception de ses Lunettes des Princes (son legs le plus célèbre), Jean Meschinot a particulièrement excellé dans l’art de la ballade en matière poétique. On se souvient notamment de ses 25 ballades vitriolées contre Louis XI (1). La pièce du jour est plus courte et plus douce aussi dans l’approche. Du point de vue de la forme, il s’agit d’une épigramme et d’un huitain.

En quelques rimes enlevés, Meschinot plaide l’importance de la parole donnée et les vertus de l’action sur le verbiage. Opposition du faire et du dire, nécessité de cohérence entre les deux, le poète médiéval nous montre, une fois de plus, la grâce de son style. En fin d’épigramme, il soulignera aussi l’importance de la prévenance et de la douceur envers autrui, en toute circonstance. Qui dira encore après cela que le Moyen Âge ne connaissait que la violence et n’était pas civilisé ?

« Rien dire ne devez sans Faire« 
Une épigramme de Meschinot

NB : le moyen français de Meschinot ne pose guère de difficulté de compréhension. Aussi, nous laissons cette poésie dans sa forme originelle et sans l’annoter.

Rien dire ne devez sans faire,
Des choses qui touchent promesse.
Sans rien dire vous devez faire
Vaillance de corps et prouesse.
Vous devez faire et aussi dire,
En tout temps, doulceur à aultruy.
Et ne devez faire ne dire
Jamais desplaisir à nully.


En vous souhaitant une belle journée.

Frédéric EFFE.
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.

NOTES :

(1) Voir par exemple Larmes et plaintes contre les abus d’un prince ou encore Un prince maudit de tous pour sa vie mauvaise.

PS : sur l’image d’en-tête, vous trouverez un détail du manuscrit MS 905 de la Bibliothèque de Tours. Cet ouvrage du XVe siècle qui contient des poésies variées de Jean Meschinot n’a pas été digitalisé dans son entier, à date. Seul le feuillet 73v est disponible en ligne. Voici une lien utile pour le consulter.

Jeunesse, écarts de conduite et retours de bâton avec Meschinot

Sujet : poésie morale, poésie médiévale, poète breton, ballade médiévale, ballade satirique, auteur médiéval, Bretagne médiévale, grands rhétoriqueurs.
Période : Moyen Âge tardif, XVe siècle
Auteur : Jean (Jehan) Meschinot (1420 – 1491)
Titre : Le baston dont il est bastu
Manuscrit médiéval : MS français 24314 BnF
Ouvrage :  poésies et œuvres de Jean MESCHINOT, éditions 1493 et 1522.

Bonjour à tous,

ous repartons, aujourd’hui, pour les rives du Moyen Âge tardif pour y découvrir une nouvelle ballade morale de Jean Meschinot. Ce poète du XVe siècle occupa diverses fonctions à la cour de Bretagne. Il y fut notamment écuyer et hommes d’armes sous quatre ducs et fut aussi maître d’hôtel de Anne de Bretagne.

L’œuvre et le legs de Jean Meschinot

Son œuvre principale « Les Lunettes des Princes » valut longtemps à Meschinot une popularité posthume qu’atteste le grand nombre d’éditions produites après sa mort. Ce legs fut bientôt éclipsé par la renaissance. On le connaît aussi pour ses 25 ballades contre Louis XI dans lesquelles il emprunta les envois au Prince de Georges Chastellain. Il composa encore d’autres poésies, ballades et rondeaux dont même quelques pièces religieuses.

La poésie grave & vertueuse du banni de liesse

Jean Meschinot se distingue par une poésie morale et satirique qui ne s’épanche guère dans la farce et l’amusement. Quand ses préoccupations ne portent pas sur ses propres misères et déboires, elles vont aux devoirs de la noblesse et à la dénonciation des déviances et du manque de valeurs morales chrétiennes de son temps (abus politiques, cupidité, perfidie, etc…).

Cette œuvre dense et engagée a même valu à Meschinot un surnom qu’il reprend volontiers à son compte : « le banni de liesse ». Il se désigne notamment ainsi, à maintes reprises dans une pièce intitulée « la supplication que fist ledit Meschinot au duc de Bretaigne, son souverain seigneur« . Plus qu’un exercice littéraire, il s’agit d’une requête officielle qu’il déposa auprès de François II de Bretagne suite à un différent l’opposant à un autre noble du nom de Jean de BoisBrassu (1).

La postérité littéraire de Jean Meschinot

Cette gravité et cette mélancolie n’empêcheront pas Clément Marot de rendre un hommage posthume au poète breton dans ses vers, même si la postérité de ce dernier restera finalement de courte durée, à l’échelle de la littérature médiévale française. Après que ses Lunettes des Princes furent éditées dans le courant du XVIe siècle et sa première moitié, l’œuvre de Jean Meschinot fut peu reprise aux temps suivants. Le Moyen Âge entrait dans son hiver littéraire.

Pour ne rien ôter à Meschinot de sa  renommée, ni du prestige de son œuvre, précisons que de 1492 à 1539, on compte 25 éditions de ses Lunettes des Princes, ce qui en fait un vrai best seller, médiéval ou renaissant suivant les préférences de chacun en matière de chronologies.

Bien plus tard, à la fin du XIXe siècle, l’historien et chartiste Arthur de La Borderie fit paraître une belle biographie qui contribua à rediffuser l’œuvre du banni de liesse, en lui donnant un souffle nouveau (op cité). Reste que Meschinot n’a pas, pour autant, la reconnaissance d’un Rutebeuf, d’un Chartier ou d’un Villon pour une œuvre qui garde pourtant de l’intérêt.

Une poésie morale de Jean Meschino sur les écarts de conduite et les retours de bâton

Ballade morale du bâton pour se faire battre

Nous voilà donc rendu à la ballade du jour. En fait de refrain, Meschinot se sert d’un proverbe alors déjà connu depuis plusieurs siècles : « Tel garde et tient en sa maison Le baston dont il est bastu » nous dit il.

Si cette idée est encore en usage en français, sous une forme un peu différente (tendre le bâton pour se faire battre), on la retrouvait déjà dans un vieux poème occitan du milieu du XIIe siècle : « molt i fai grant foldat Cil qui nurrist lo basto ab que·s bat » autrement dit : « Il fait grande folie celui qui porte le bâton avec lequel on le bat”, Aigar et Maurin, chanson de geste provençale (vers 1152). Cet adage continuera, semble-t-il, de circuler en langue française aux siècles suivants et jusqu’au Moyen Âge tardif de l’auteur breton.

Pour Meschinot, cette ballade sera une nouvelle façon d’adresser les valeurs morales chrétiennes. Dans la fougue de la jeunesse, on peut se distraire mais attention à ne pas perdre de vue, son honneur, ni à s’égarer sur les sentiers de l’orgueil ou de la mécréance, au risque d’en payer le prix en retour. Entre plaisir, orgueil et folie, la vertu l’emporte toujours chez l’auteur breton. L’histoire ne dit pas si cette ballade s’adressait à un fils ou une fille de puissant dont il aurait pu avoir l’éducation en charge ? Mais peut-être ne fait-il que nourrir ici le même propos que ses lunettes de princes, en offrant un miroir pour éduquer les puissants.

Exercice de style et réthorique

Au delà du fond, Meschinot étale, dans cette poésie, son goût des pirouettes et des jeux de mots virtuoses : « le fol lye« , « se aise on« , « esbat eu« ,…). Avec le recul du temps, d’aucuns trouveront que le parti-pris alourdit un peu le propos et peut même nuire à la compréhension. D’autres en goûteront la saveur un peu désuète. Dans tous les cas, ces exercices de style sont assez caractéristiques des grands rhétoriqueurs dont Meschinot fut un des représentants reconnus au XVe siècle, avec Henri Baude, Olivier de la Marche, Georges Chastellain et quelques autres.

Aux sources anciennes de la ballade du jour

La ballade médiévale de Jean Meschinot dans le français 24314 de la BnF

Cette pièce fait partie d’une série de poésies qui fait immédiatement suite aux ballades adressées à Louis XI dans les éditions complètes des œuvres de Meschinot.

Du point de vue des sources, vous pourrez la retrouver dans le très coloré manuscrit médiéval Français 24314 de la BnF (à consulter sur Gallica). Pour la transcription en français moderne, nous nous sommes appuyés sur les éditions imprimées de 1493 et 1522.


Ballade morale du retour de bâton
dans le moyen français de Jean Meschinot

Jeunesse mère de folie
Partie adverse de raison
Par plusieurs façons le fol lye
(lie)
Pour le mener a desraison
Commettre luy fait maulx foison
Mais en fin tout bien debatu
Tel garde et tient en sa maison
Le baston dont il est bastu.

La maniere n’est pas jolie
De foloyer
(s’égarer, faire le fou) toute saison
Bien pour chacer mélencolie
En folie honneste se aise on
Mais pour dieu jamais ne faison
Que notre honneur soit rabatu
Car le maulvais a de moeson
(moisson)
Le baston dont il est bastu.

Un orgueilleux a chere lye
(à la mine joyeuse)
Prent peine sans comparaison
Plus que celluy qui s’humilie
En aymant dieu et oraison
Se bien nostre corps or aison
(aisier,satisfaire, mettre à l’aise)
Quand le foul est bien esbatu
(diverti, agité,… )
Son vice est sans aultre achoison
(prétexte, motif)
Le baston dont il est bastu.¨

Prince du jeune nous taison
Ayt mal plaisir ou esbat eu
Il doit hayr plus que poyson
Le baston dont il est bastu.


 En vous souhaitant une belle journée.

Frédéric EFFE.
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.

Notes

(1) voir « Jean Meschinot, sa vie et ses œuvres, ses satires contre Louis XI », Arthur de la Borderie 1895, Bibliothèque de l’École des chartes.