Archives par mot-clé : Cancioneiro da Biblioteca nacional

Au XIIIe siècle, la douleur du partir du troubadour Bernal de Bonaval

Enluminure troubadour médiéval

Sujet : troubadour, galaïco-portugais, cantigas de amor, cantigas de amigo, chanson médiévale, lyrique courtoise, amour courtois.
Période : Moyen Âge central, XIIIe siècle
Auteur : Bernal de Bonaval (12..)
Titre : os meus olhos nom dormirám
Interprète : Emilio Arias Martinez

Bonjour à tous,

ous vous invitons, aujourd’hui, dans la province de Saint-Jacques de Compostelle à la découverte d’une chanson courtoise de Bernal de Bonaval. Troubadour du Moyen Âge central et contemporain des débuts du XIIIe siècle, cet auteur nous a laissé quelques 19 pièces en galaïco-portugais entre cantigas de amigo, cantigas de amor, mais également une tenson (tençón).

Une chanson courtoise toute en grâce
au moment de l’éloignement

Chanson de Bernal de Bonaval dans un Manuscrit médiéval

Natif de Bonaval, dans la banlieue de Saint-Jacques de Compostelle, ce poète et compositeur médiéval se fit connaître pour ses compositions, jusque dans les cours des rois. Dans une de ses propres chansons, Alphonse X de Castille scella étrangement la renommée de Bernal de Bonaval et son entrée dans la postérité en le citant comme un troubadour guère conventionnel (voir notre biographie de Bernal). Le souverain comparait alors son art à l’école provençale qu’il jugeait plus « naturelle ».

On notera à nouveau, dans cette pièce, la finesse de la lyrique courtoise galaïco-portugaise dans le domaine des cantigas de amor et des cantigas de amigo. Les mots choisis restent très simples. Le refrain crée la montée en tension. La répétition est aussi fréquente que subtile. Elle est modulée pour que les émotions montent en puissance au fil de la poésie.

Sources historiques et manuscrites

On peut retrouver cette cantiga de Bernal de Bernaval dans deux chansonniers galaïco-portugais d’époque : le Cancioneiro da Biblioteca Nacional. Connu encore sous le nom de codice ou Chansonnier Colocci Brancuti, ce chansonnier est actuellement conservé à la bibliothèque nationale de Lisbonne (photo ci-contre). Il est daté du premier tiers du XVIe siècle. Cette pièce du troubadour est également présente dans le Cancionero de la Biblioteca Vaticana qui date de la même période que le premier manuscrit cité.

La partition musicale de cette cantiga de amor du troubadour ne nous est pas parvenu mais un compositeur moderne espagnol s’est fendu d’une interprétation que nous vous proposons de découvrir ci-dessous. C’est très sobre et d’une grande simplicité, mais, personnellement, nous trouvons que cela touche au but. Puissent ces jolis vers de Bernal et cette version vous toucher au delà de la barrière de la langue même si, rassurez-vous, nous vous en fournissons une traduction plus bas dans cet article.

Emilio Arias, luthier et troubadour

Emilio Arias Martinez, chanteur de musique médiévale

La version de la chanson médiévale du jour nous vient d’un luthier, chanteur et musicien espagnol du nom de Emilio Arias Martinez. Il en a composé la musique et il la chante de sa voix bien ancrée qui donne à l’ensemble des tons réalistes et une sincérité touchante.

Le « luthier et troubadour », comme il s’est baptisé lui même, est très actif culturellement et musicalement dans la région de Navarre et autour de Pampelune où il est installé. Il y expose ses instruments et donne aussi des concerts-conférences sur la musique médiévale, ses instruments et sur les troubadours anciens. Sur sa chaîne youtube, le musicien propose également de nombreux morceaux et concerts du répertoire médiéval. On y retrouvera des cantigas de amigo comme celle du jour, mais aussi des cantigas de Santa Maria d’Alphonse X et d’autres chansons en référence au chemin de pèlerinage de Compostelle.

Emilio Arias Martinez enrichit encore son répertoire de pièces de troubadours occitans et de nombreuses autres pièces médiévales mais aussi renaissantes. L’avantage avec lui, outre qu’il soit multi-instrumentiste et chanteur, c’est que, non seulement il crée ses propres instruments, mais quand les textes n’ont pas de partitions, il n’hésite pas à les mettre lui-même en musique.


A Bonaval de Bernal de Bonaval
en galaïco-portugais et en français actuel

A Bonaval quer’eu, mia senhor, ir
e des quand’eu ora de vós partir
os meus olhos nom dormirám.

Ir-m’-ei, pero m’é grave de fazer;
e des quand’eu ora de vós tolher
os meus olhos nom dormirám.

Todavia bem será de provar
de m’ir; mais des quand’eu de vós quitar
os meus olhos nom dormirám.

A Bonaval, ma dame, je veux aller,
Et dès que viendra l’heure de vous laisser
Mes yeux ne pourront plus trouver le sommeil.

M’en aller, je dois, mais il m’est douloureux de le faire
Car dès qu’il sera temps de me séparer de vous
Mes yeux ne pourront plus trouver le sommeil
.

Cependant, il serait bon que j’essaye
De m’en aller, mais dès que je devrais me défaire de vous
Mes yeux ne pourront plus trouver le sommeil


En vous souhaitant une belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com.
A la découverte du Monde médiéval sous toutes ses formes.

NB : sur l’image d’en-tête, vous pourrez retrouver la couverture du codice Colocci Brancuti ainsi que le feuillet sur lequel se trouve la chanson de Bernal de Bonaval du jour. Nous avons retouché légèrement ce dernier pour ôter la surimpression des textes du verso qu’on note sur l’original et qui compliquent un peu la lisibilité, ainsi que quelques tâches de vieillissement. N’oublions pas que ce noble manuscrit médiéval à tout de même prés de 500 ans. A toutes fins utiles, vous pouvez retrouver cet ouvrage en ligne à l’adresse suivante.

Chanson médiévale : une cantiga de amigo du troubadour Estêvão Coelho par l’Ensemble Manseliña

chanson-medievale_chanson-de-toile_troubadour_moyen-ageSujet :  musique, poésie médiévale,   Cantiga de amigo, galaïco-portugais, troubadour, Portugal médiéval
Période :  XIIIe siècle, moyen-âge
Auteur : Estêvão Coelho (1290/1336 ?)
Interprète  :  Manseliña
Titre:   Sedía la Fremosa  
Album :   Sedía la Fremosa  (2018)

Bonjour à tous,

A_lettrine_moyen_age_passionujourd’hui, nous vous proposons de partir à la découverte d’une nouvelle Cantiga de amigo, ces chansons médiévales originaires de l’Espagne ou du Portugal qui mettaient en scène l’attente d’une jeune amoureuse, ses espoirs ou encore sa tristesse.

Estêvão Coelho, noble troubadour portugais
du moyen-âge central

La pièce du jour nous vient d’un troubadour portugais de la fin du XIIIe siècle et des débuts du XIVe du nom de Estêvão Coelho de Riba Homem. De sang noble, l’homme était le fils d’un vassal du Roi Denis 1er du Portugal : Pero Anes Coelho, lui même descendant direct d’un chevalier et conseiller du roi Alphonse III, João Soares Coelho, connu pour être également troubadour.

Hormis cela, des documents juridiques ou administratifs d’époque ont permis d’avérer quelques détails supplémentaires de la vie de Estêvão Coelho : des possessions autour de la cité portugaise de Santarém, un héritage du côté des Tierras de Santa Maria et encore même de préciser la date supposée de sa mort, autour de 1330-1336. Entre-temps, il a peut-être aussi officié à la cour.

Sources et manuscrits anciens

chanson-medievale_troubadour_Estevao-Coelho_manuscrit_ancien_cancioneiro_da_vaticana_moyen-age_sDu point de vue de son legs, l’oeuvre du troubadour se résume à deux Cantigas de amigo. Ces deux chansons sont mentionnées dans le Cancioneiro da Vaticana. Ce manuscrit médiéval de grand intérêt contient 228 feuillets pour un total de 1205 chansons galaïco-portugaises, datées des XIIIe et XIVe siècles. Il ne fait état d’aucune notation musicale (cliquez ici pour le consulter en ligne). On retrouve encore ces deux pièces de Estêvão Coelho dans le Cancioneiro da Biblioteca Nacional, conservé à Lisbonne. Rien d’étonnant puisque les deux ouvrages sont des copies, réalisées au début du XVIe siècle, à partir d’un même manuscrit original.

Sedia la Fremosa d’Estêvão Coelho par l’ensemble Manseliña

Manseliña : à la redécouverte du répertoire médiéval galaïco-portugais

Originaire de Galice, la jeune formation Manseliña se propose de revisiter la poésie galaïco-portugaise du moyen-âge central. Dans son répertoire de prédilection, on trouve des Cantigas de amigo d’origine variées mais encore des Cantigas de Santa Maria d’Alphonse X de Castille.

ensemble_medieval_manseliña_chanson-poesie-medievale_troubadours-galaïco-portugais_moyen-age-central

A travers son exploration de la péninsule ibérique aux temps médiévaux, Manseliña  fait aussi le pari de remettre en musique certains textes de cette période pour lesquels les notations se sont perdues. L’ensemble privilégie ainsi la technique du Contrefactum que n’auraient pas désavouée les artistes médiévaux, qui savaient aussi en faire usage, à l’occasion.  Les emprunts musicaux proviennent de mélodies et rythmes du répertoire médiéval ou traditionnel galicien et permettent de faire découvrir au public ces textes ou poésies anciennes, privés originellement de partitions.

Composition de l’ensemble Manseliña

María Giménez, voix, vièle et percussion. Belén Bermejo, orgue portatif,  Pablo Carpintero, instruments à vent et percussion, Tin Novio, luth et citole

Sedía la Fremosa : l’album

Manseliña a déjà un premier album à son actif. Sorti au tout début de 2019, il a pour titre celui de la chanson du jour. Ce sont d’ailleurs les paroles de cette dernière qui ont donné son nom à la formation avec cette « voz manselinha », « belle voix » que l’ensemble médiéval entend mettre en avant, en prenant soin de ne pas la musiques_medievales_troubadours-galaico-portugais_album_manseliña_ensemble-medieval-espagnolnoyer sous des orchestrations trop prégnantes ou complexes.

On  retrouvera, dans cet album, diverses Cantigas de Amigo, dont certaines du célèbre troubadour Martin Codax, d’autres encore, en provenance des Cantigas de Santa Maria d’Alphonse X de Castille.

Vous pouvez le découvrir, dans son entier, sur la chaîne youtube officielle de la formation. Si vous souhaitez l’acquérir, il est également disponible à la vente en ligne au lien suivant (format CD ou mp3) : Sedia la fremosa.  Enfin, vous pouvez aussi retrouver Manseliña sur leur page facebook officielle.

« Sedía la fremosa » de   Estêvão Coelho
Paroles et traduction

La chanson du jour se distingue des Cantiga de amigo habituelles qui mettent souvent les rimes dans la bouche de la demoiselle qui attend le retour de son promis. Ici, la belle se trouve plutôt questionnée par un interlocuteur et elle est aussi affairée à l’ouvrage, ce qui confère à cette pièce, une proximité certaine avec les chansons de toile qu’on trouve, à la même période, en France médiévale. Il n’est pas impossible que Estêvão Coelho se soit inspiré de ses dernières. On se souvient que certains troubadours voyagent alors, avec leurs œuvres, de cour en cour (cf par exemple Peire Vidal) et que leur influence, depuis leur foyer d’Oc d’origine vers l’Europe, est assez sûrement admise.

Si le contenu de cette « Belle assise tournant son fil de soie » s’apparente à nos chansons de toile, son style reste toutefois conforme à celui des Cantigas de amigo de la poésie galaîco-portugaise : faites de peu de vers, très épurés et au sein desquels la répétition vient en soutien, pour renforcer le rythme autant que l’ambiance.

Sedía la fremosa seu sirgo torcendo,
Sa voz manselinha fremoso dizendo
Cantigas d’amigo.

La belle, assise, tordant son fil de soie 
De sa belle voix disait joliment
Des  Chansons à l’être aimé.
 

Sedía la fremosa seu sirgo lavrando,
Sa voz manselinha fremoso cantando
Cantigas d’amigo.

La belle, assise,  travaillant son fil de soie 
De sa belle voix chantait joliment
Des Chansons à l’être aimé.

– Par Deus de Cruz, dona, sei eu que havedes
Amor mui coitado, que tan ben dizedes
Cantigas d’amigo.

—  Par Dieu sur la Croix, Dame, avez-vous 
De si tristes amours, pour dire si bien
Des chansons à l’être aimé ?

Par Deus de Cruz, dona, sei eu que andades
D’amor mui coitada que tan ben cantades
Cantigas d’amigo.

—  Par Dieu sur la Croix, Dame, êtes-vous
si  triste en amour, pour chanter si bien
Des chansons à l’être aimé ?

– Avuitor comestes, que adevinhades.

— Avez-vous manger du vautour (1), pour le deviner ?

(1) Il peut peut-être s’agir du butor qui est nommé vautour dans certain bestiaire médiéval. S’il s’agit du vautour, ce dernier est utilisé alors en fauconnerie et il faut sans doute plus voir ici, une allusion à l’acuité visuelle de l’interlocuteur qu’à des symboles plus péjoratifs et plus actuels attachés à ce rapace.

En vous souhaitant une belle écoute et une excellente journée!

Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du moyen-âge sous toutes ses formes.