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Bernal de Bonaval, troubadour galicien du Moyen Âge central

Enluminure joueur de vièle médiéval

Sujet : troubadour, galaïco-portugais, cantigas de amor, cantigas de amigo, portrait, biographie, chanson médiévale.
Période : Moyen Âge central, XIIIe siècle
Auteur : Bernal de Bonaval (12..)
Titre : Filha fremosa, vedes que vos digo
Interprètes : Coro Thomas Tallis de Arduino Pertile

Bonjour à tous,

ujourd’hui, nous vous proposons de reprendre le fil de la lyrique galaïco-portugaise du Moyen Âge central. Nous serons, pour cela, accompagnés du troubadour Bernal de Bonaval et de l’une de ses cantigas de Amigo. Mais avant de vous présenter cette pièce, disons déjà un mot de ce poète du XIIIe siècle.

Bernal de Bonaval, éléments de biographie

Actif dans les premières décennies du XIIIe siècle, Bernal de Bonaval (Bernardo, Bernaldo de Bonaval) est cité dans certains manuscrits dédiés à la lyrique galaïco-portugaise, comme « premier des troubadours ». Il faut, toutefois, prendre cela plus comme une marque d’importance de son œuvre, que comme une datation absolue. Bernal fait, en effet, partie de la seconde génération de troubadours qui mirent en place et développèrent cette école poétique et ses différentes formes lyriques.

D’un point de vue biographique, l’homme est galicien, originaire de Bonaval, village qui fait désormais partie de l’agglomération de Saint-Jacques de Compostelle. Il écrit principalement, des Cantigas de Amor et des Cantigas de Amigo, genres particulièrement importants dans l’école galaïco-portugaise. Ses compositions ont vraisemblablement été jouées devant des cours prestigieuses comme celle de Fernando III de Castille et, sans doute plus tard, celle d’Alphonse X (1). Ce dernier souverain fera, en tout cas, une étrange référence au troubadour dans une chanson satirique adressée au poète Pero da Ponte.

« Vós non trobades come proençal,
mais come Bernardo de Bonaval;
por onde non é trobar natural,
pois que o del e do Dem’aprendestes. »

« Vous ne pratiquez pas l’art du trobar comme un provençal
Mais plus comme Bernal de Bonaval ;
De ce fait, ce n’est pas un art troubadouresque naturel
Puisque vous l’avez appris ou de lui ou du démon. »

Alfonso XPero da Ponte, par’o vosso mal – Cantiga de escarnio

Encore une fois, l’adresse du roi est faite à Pero de Ponte et la nature diabolique à laquelle il se réfère est sans doute plus une référence directe à un texte de ce dernier. Sans nous aventurer trop loin, on peut au moins voir dans cet extrait, la reconnaissance par le souverain espagnol d’un style poétique à part entière qui distingue Bonaval de l’école provençale, mais aussi de la préférence marquée d’Alphonse X pour cette dernière.

Prieur et frère dominicain ?

Certains auteurs ont émis l’hypothèse que Bernal de Bonaval a pu, également, avoir été ordonné frère dominicain à Saint Jacques de Compostelle. L’hypothèse se base, pour l’instant, sur un seul document juridique datant de 1279. On y trouve mentionné un « frère Bernardo, prieur de Bonaval ». Il pourrait peut-être s’agir du troubadour. Difficile de l’affirmer. Le cas échéant, notre troubadour viendrait s’ajouter à la liste des religieux ayant contribué à alimenter la lyrique galaïco-portugaise profane (2).

Manuscrit médiéval Colocci Brancuti avec chanson de Bernal de Bonaval

Œuvre et sources manuscrites

Pour ce qui est du legs de Bernal de Bonaval, son œuvre conservée est riche d’un peu moins d’un vingtaine de poésies. Ces 19 pièces gravitent principalement autour de Cantigas de Amigo (10) et de Cantigas de Amor (8) avec encore une tenson (3).

On peut retrouver la majeure partie de cette œuvre dans le Cancioneiro da Biblioteca Nacional (Chansonnier de la bibliothèque nationale de Lisbonne), connu encore sous le nom de Codice ou Chansonnier Colocci Brancuti . Avec plus de 1560 pièces, ce manuscrit, daté du XVIe siècle, présente un nombre impressionnant de cantigas qui font de lui un ouvrage d’exception de la lyrique médiévale galaïco-portugaises. Plus de 150 troubadours et poète du Moyen Âge y sont répertoriés, aux côtés de notre auteur du jour. D’un point de vue esthétique, ce manuscrit ancien demeure assez sobre. Retranscrit par 6 copistes différents, il présente les œuvres sur deux colonnes d’une écriture tantôt très dense et sans fioriture, et tantôt plus soignée et un peu plus aérée. S’il n’est pas enluminé et si les chansons n’y sont pas non plus notées musicalement, il reste le fruit d’un travail énorme de compilation et d’indexation.

Ai, filha fremosa, la cantiga de amigo d’une mère à sa fille

Pour compléter notre découverte de ce troubadour galicien, vous proposons de découvrir, dors et déjà, une de ses pièces. Il s’agit d’une Cantiga de Amigo. Nous avons déjà exploré quelques-unes de ces chansons médiévales destinées à l’être aimé avec des auteurs célèbres de la péninsule ibérique, comme Martin Codax, Denis 1er du Portugal, Estevao Coelho ou encore Lourenço Jograr .

Celles que nous avons vu jusque là, mettaient plutôt en scène une jeune fille dans l’attente de son ami/amant. Dans ce type de cantigas, il n’est pas rare que le poète place les paroles dans la bouche même de cette dernière. Dans la cantiga du jour, Bernal de Bonaval a choisi de mettre en avant le personnage de la mère ; elle prendra la parole pour mettra en garde sa fille contre un trop grand empressement amoureux. Désireuse de la protéger, elle l’enjoindra même de ne pas voir son ami sans sa présence, en faisant, au passage, un brin de chantage affectif.

On retrouvera ces échanges entre mère et fille chez un certain nombre d’auteurs galaïco-portugais de la même période et des suivantes. Au delà du fond, on retrouve bien, dans cette poésie de Bonaval, le style épuré qui caractérise le genre : pièces, en général, courtes, mots simples et choisis, avec une emphase sur le refrain qui créé la tension et fait bien ressortir l’émotion du personnage mis en scène.

La version polyphonique du Coro Thomas Tallis

Pour la version musicale, nous vous proposons celle d’un sextet vocal italien issu de l’Ensemble DEUM et de la chorale Coro Thomas Tallis de Arduino Pertile. Nous vous avions déjà dit un mot de ces passionnés de musique ancienne, à l’occasion d’un article sur Thoinot Arbeau et sa chanson « Belle qui Tiens ma vie ». Ces chanteurs démontrent encore ici leurs grands talents vocaux. Notez au passage que leur chaîne youtube vous proposera une foule de contenus vocaux de très haut vol et toujours amenés avec une grande simplicité.

« Ai, filha fremosa » les paroles
de Bernal de Bonaval et leur traduction

Filha fremosa, vedes que vos digo:
que nom faledes ao voss’amigo
sem mi, ai filha fremosa.

E se vós, filha, meu amor queredes,
rogo-vos eu que nunca lhi faledes
sem mi, ai filha fremosa.

E al há i de que vos nom guardades:
perdedes i de quanto lhi falades
sem mi, ai filha fremosa.

Ma charmante fille, fais cas de ce que je te dis :
Ne parle pas à ton ami
Sans moi, ah ! ma chère fille.


Et si toi, ma fille, tu veux mon amour,
Je te prie que tu ne lui parles jamais
Sans que je sois là, ah ! ma charmante fille.


Et il y a autre chose (de grande importance) dont tu ne te soucies guère
Tu perds chaque mot que tu prononces face à lui
Si je ne suis pas là, ah ! ma chère fille.

En vous souhaitant une belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com.
A la découverte du Monde médiéval sous toutes ses formes.


(1) Songs of a Friend: Love Lyrics of Medieval Portugal, Barbara Hughes Fowler, The University of North Carolina Press 1996 )
(2) Voir aussi Bernal de Bonaval Trovador medieval, Cantigas Medievais Galego-portuguesas.
(3) A Galiza e a cultura trovadoresca peninsular, António Resende Oliveira, Instituto de Historia e teoria das ideias – Faculdade de Lettras, Universidade de Coimbra.

NB : l’image d’en-tête est basée sur le Chansonnier Colocci Brancuti. On peut notamment y voir, la première page des chansons de Bernard Bonaval, avec la mention, à gauche, qui le désigne comme premier troubadour. Ce manuscrit a été digitalisé et il peut donc être consulté en ligne. 

Chanson médiévale : « Amigo, queredes vos ir ? » une cantiga du Roi Denis du Portugal

roi_troubadour_poete_denis_1er_portugal_poesie_chansons_medievales_moyen-age_centralSujet    :  troubadour, lyrique courtoise, galaïco-portugais, poésie, chansons médiévales, cantigas de amor, galicien-portugais, musique médiévale
Période  : Moyen Âge central, XIIIe, début XIVe
Titre :  Amigo, queredes vos ir ?
Auteur    : Denis 1er du portugal  (1261-1325)
Interprète    : Paulina Ceremuzynska
Album : Cantigas de amor y de amigo, 2004

Bonjour à tous,

A_lettrine_moyen_age_passionu Moyen Âge central,  de nombreux  seigneurs et même rois se sont adonnés à l’art  des  troubadours et à l’exercice de la poésie courtoise.  On en trouve de célèbres dans le sud, comme dans le nord de la France, mais de nombreux autres pays d’Europe ne sont pas en reste.  C’est notamment le cas de la péninsule ibérique.

En Espagne, on connaîtra des lignées de grands rois et seigneurs, grand amoureux de littérature et  férus de  rimes,  dont Alphonse X de Castille n’est pas le moindre, bien sûr. Quant au  Portugal des XIIIe et XIVe siècles,  il léguera aussi de beaux auteurs et troubadours à la postérité, dont l’un des plus célèbres  n’est autre qu’un monarque du Portugal lui-même : Dom Dinis,  connu encore  sous le nom de Denis 1er du portugal, grand roi laboureur, fin politique,  homme de lettres et poète  à ses heures qui laissera de très belles pièces courtoises. C’est donc une d’entre elles que  nous vous présentons aujourd’hui, et sa belle interprétation par la talentueuse  Paulina Ceremuzynska.   Cette chanson d’amour médiévale a pour titre   « Amigo, queredes vos ir ? » : Ami, (ainsi) vous voulez partir ? »

Une cantiga de amor

Cantiga de amor plus que cantiga de amigo,   en fait de belle esseulée chantant l’absence de son  amant,  le Roi Denis nous propose plutôt ici un dialogue  entre un amant courtois et sa dame. Sur le thème de la séparation et du déchirement, on  peut lire entre ses rimes   ce qui pourrait être  une situation digne de   celle de Tristan et Yseult :   amour interdit ou illégitime  qui semble même  peut être déjà consommé ?  La cantiga-amor-roi-denis-musique-chanson-medievale-chansonnier-vaticanliaison qui sous-tend cette pièce poétique est, en tout cas, réciproque et bien engagée mais elle doit se terminer à l’initiative de l’amant.

On peut trouver notamment cette pièce dans le Cancioneiro da Vaticana. Cet impressionnant manuscrit du XVIe siècle  est  la copie d’un original daté du XIIIe-XIVe siècle. Il contient plus de 1200 cantigas, pour près d’une centaine d’auteurs. Voir également cet article.

Bien qu’à la torture, ce dernier prend en effet sur lui de   se « départir » de la dame.  Dut-il en mourir, il lui faut  s’en aller pour la sauver, elle ou sa réputation.  L’amour impossible, illicite,   trouve ici   ses limites et découvre toute l’étendue de son drame.

Du point de vue du style, le choix des mots reste celui de la simplicité comme c’est presque toujours le cas dans le genre des cantigas de amigo ou de amor espagnoles et portugaises. En fait de refrain formel, c’est le thème de la mort qui vient ici  scander cette poésie,  en faisant planer sa menace sur les deux amants meurtris d’avance à l’idée de la séparation.

 Amigo, queredes vos ir  par   Paulina Ceremuzynska

Cantigas de amor y de amigo
l’album de   Paulina Ceremuzynska

En 2004,       Paulina Ceremuzynska   sortait un superbe album   sur le thème  des    Cantigas de amor y de amigo du Moyen Âge central qu’elle affectionne particulièrement.  On se souvient, en effet,  que  cette  talentueuse chanteuse soprano et musicologue portugaise s’est installée à Santiago de Compostelle  où elle a eu l’occasion d’étudier de près la musique ancienne et les manuscrits du Portugal et de l’Espagne médiévale.
chanson-medievale-cantiga-amigo-roi-denis-album-Paulina-Ceremuzynska-moyen-ageCet album présente treize pièces superbement interprétées : neuf cantigas sont issues du répertoire de Don Denis du Portugal.  Quatre autres proviennent de celui du célèbre troubadour Martin  Codax.

A ce jour,  cette production  ne semble pas avoir été rééditée. Les seuls exemplaires qui se trouvaient disponibles à l’import  sur Amazon, sont, à date de cet article, écoulés : voir cantigas de Amor e Amigo.    On pourra peut-être la retrouver sur quelques plateformes dématérialisées légales mais il faut espérer qu’il sera également disponible à nouveau au format CD : la voix et les performances de Paulina Ceremuzynska ont toujours quelque chose de très spéciale et de très pur et,  à l’image de son travail, cet album est un véritable réussite.


« Amigo, queredes vos ir ? »    du roi Denis
traduit en français moderne

Amigo, queredes vos ir?
Si, mia senhor, ca nom poss’al
fazer, ca seria meu mal
e vosso; por end’a partir
mi convem d’aqueste logar;
mais que gram coita d’endurar
me será, pois m’é sem vós vir!

– Mon ami,   vous voulez partir ?
– Oui, ma dame, puisque je ne peux
faire autrement, car rester serait mon malheur
et le vôtre : c’est pourquoi il convient,
pour finir,   
que je quitte cet endroit.

Mais quel grand malheur vais-je devoir endurer
Puisque je ne vous verrai plus !

Amigu’, e de mim que será?
Bem, senhor bõa e de prez;
e pois m’eu fôr daquesta vez,
o vosso mui bem se passará;
mais morte m’é de m’alongar
de vós e ir-m’alhur morar.
Mais pois é vós ũa vez ja!

– Mon ami, et de moi qu’adviendra-t-il ?
– Et bien, belle dame de grande valeur
Quand je serais parti, cette fois
Votre bonheur disparaîtra,
Mais m’éloigner de vous me tuera,
Et pourtant il me faut m’éloigner
Même si c’est pour vous que je le fais!

Amigu’, eu sem vós morrerei.
– Nom querrá Deus esso, senhor;
mais pois u vós fôrdes, nom fôr
o que morrerá, eu serei;
mais quer’eu ant’o meu passar
ca assi do voss’aventurar,
ca eu sem vós de morrer hei!

Queredes-m’, amigo, matar?
Nom, mia senhor, mais por guardar
vós, mato-mi que m’o busquei.

– Mon ami, moi sans vous, je mourrai
– Je ne veux pas cela, madame,
Mais puisque là où vous irez, je ne pourrais aller,
Celui qui mourra, ce sera moi
Mais je veux mourir avant
De vous causer des mésaventures 
Car sans vous je mourrais.

– Ami, vous voulez-me tuer ?
–    Non ma dame, mais pour vous protéger
C’est moi que je cherche à tuer (c’est moi que je veux tuer puisque je l’ai mérité).

Note :   cette traduction mériterait quelques vérifications aussi  disons que c’est une premier jet.


En vous souhaitant une belle journée.

Fréderic EFFE
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.

Chanson médiévale : une cantiga de amigo du troubadour Estêvão Coelho par l’Ensemble Manseliña

chanson-medievale_chanson-de-toile_troubadour_moyen-ageSujet :  musique, poésie médiévale,   Cantiga de amigo, galaïco-portugais, troubadour, Portugal médiéval
Période :  XIIIe siècle, moyen-âge
Auteur : Estêvão Coelho (1290/1336 ?)
Interprète  :  Manseliña
Titre:   Sedía la Fremosa  
Album :   Sedía la Fremosa  (2018)

Bonjour à tous,

A_lettrine_moyen_age_passionujourd’hui, nous vous proposons de partir à la découverte d’une nouvelle Cantiga de amigo, ces chansons médiévales originaires de l’Espagne ou du Portugal qui mettaient en scène l’attente d’une jeune amoureuse, ses espoirs ou encore sa tristesse.

Estêvão Coelho, noble troubadour portugais
du moyen-âge central

La pièce du jour nous vient d’un troubadour portugais de la fin du XIIIe siècle et des débuts du XIVe du nom de Estêvão Coelho de Riba Homem. De sang noble, l’homme était le fils d’un vassal du Roi Denis 1er du Portugal : Pero Anes Coelho, lui même descendant direct d’un chevalier et conseiller du roi Alphonse III, João Soares Coelho, connu pour être également troubadour.

Hormis cela, des documents juridiques ou administratifs d’époque ont permis d’avérer quelques détails supplémentaires de la vie de Estêvão Coelho : des possessions autour de la cité portugaise de Santarém, un héritage du côté des Tierras de Santa Maria et encore même de préciser la date supposée de sa mort, autour de 1330-1336. Entre-temps, il a peut-être aussi officié à la cour.

Sources et manuscrits anciens

chanson-medievale_troubadour_Estevao-Coelho_manuscrit_ancien_cancioneiro_da_vaticana_moyen-age_sDu point de vue de son legs, l’oeuvre du troubadour se résume à deux Cantigas de amigo. Ces deux chansons sont mentionnées dans le Cancioneiro da Vaticana. Ce manuscrit médiéval de grand intérêt contient 228 feuillets pour un total de 1205 chansons galaïco-portugaises, datées des XIIIe et XIVe siècles. Il ne fait état d’aucune notation musicale (cliquez ici pour le consulter en ligne). On retrouve encore ces deux pièces de Estêvão Coelho dans le Cancioneiro da Biblioteca Nacional, conservé à Lisbonne. Rien d’étonnant puisque les deux ouvrages sont des copies, réalisées au début du XVIe siècle, à partir d’un même manuscrit original.

Sedia la Fremosa d’Estêvão Coelho par l’ensemble Manseliña

Manseliña : à la redécouverte du répertoire médiéval galaïco-portugais

Originaire de Galice, la jeune formation Manseliña se propose de revisiter la poésie galaïco-portugaise du moyen-âge central. Dans son répertoire de prédilection, on trouve des Cantigas de amigo d’origine variées mais encore des Cantigas de Santa Maria d’Alphonse X de Castille.

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A travers son exploration de la péninsule ibérique aux temps médiévaux, Manseliña  fait aussi le pari de remettre en musique certains textes de cette période pour lesquels les notations se sont perdues. L’ensemble privilégie ainsi la technique du Contrefactum que n’auraient pas désavouée les artistes médiévaux, qui savaient aussi en faire usage, à l’occasion.  Les emprunts musicaux proviennent de mélodies et rythmes du répertoire médiéval ou traditionnel galicien et permettent de faire découvrir au public ces textes ou poésies anciennes, privés originellement de partitions.

Composition de l’ensemble Manseliña

María Giménez, voix, vièle et percussion. Belén Bermejo, orgue portatif,  Pablo Carpintero, instruments à vent et percussion, Tin Novio, luth et citole

Sedía la Fremosa : l’album

Manseliña a déjà un premier album à son actif. Sorti au tout début de 2019, il a pour titre celui de la chanson du jour. Ce sont d’ailleurs les paroles de cette dernière qui ont donné son nom à la formation avec cette « voz manselinha », « belle voix » que l’ensemble médiéval entend mettre en avant, en prenant soin de ne pas la musiques_medievales_troubadours-galaico-portugais_album_manseliña_ensemble-medieval-espagnolnoyer sous des orchestrations trop prégnantes ou complexes.

On  retrouvera, dans cet album, diverses Cantigas de Amigo, dont certaines du célèbre troubadour Martin Codax, d’autres encore, en provenance des Cantigas de Santa Maria d’Alphonse X de Castille.

Vous pouvez le découvrir, dans son entier, sur la chaîne youtube officielle de la formation. Si vous souhaitez l’acquérir, il est également disponible à la vente en ligne au lien suivant (format CD ou mp3) : Sedia la fremosa.  Enfin, vous pouvez aussi retrouver Manseliña sur leur page facebook officielle.

« Sedía la fremosa » de   Estêvão Coelho
Paroles et traduction

La chanson du jour se distingue des Cantiga de amigo habituelles qui mettent souvent les rimes dans la bouche de la demoiselle qui attend le retour de son promis. Ici, la belle se trouve plutôt questionnée par un interlocuteur et elle est aussi affairée à l’ouvrage, ce qui confère à cette pièce, une proximité certaine avec les chansons de toile qu’on trouve, à la même période, en France médiévale. Il n’est pas impossible que Estêvão Coelho se soit inspiré de ses dernières. On se souvient que certains troubadours voyagent alors, avec leurs œuvres, de cour en cour (cf par exemple Peire Vidal) et que leur influence, depuis leur foyer d’Oc d’origine vers l’Europe, est assez sûrement admise.

Si le contenu de cette « Belle assise tournant son fil de soie » s’apparente à nos chansons de toile, son style reste toutefois conforme à celui des Cantigas de amigo de la poésie galaîco-portugaise : faites de peu de vers, très épurés et au sein desquels la répétition vient en soutien, pour renforcer le rythme autant que l’ambiance.

Sedía la fremosa seu sirgo torcendo,
Sa voz manselinha fremoso dizendo
Cantigas d’amigo.

La belle, assise, tordant son fil de soie 
De sa belle voix disait joliment
Des  Chansons à l’être aimé.
 

Sedía la fremosa seu sirgo lavrando,
Sa voz manselinha fremoso cantando
Cantigas d’amigo.

La belle, assise,  travaillant son fil de soie 
De sa belle voix chantait joliment
Des Chansons à l’être aimé.

– Par Deus de Cruz, dona, sei eu que havedes
Amor mui coitado, que tan ben dizedes
Cantigas d’amigo.

—  Par Dieu sur la Croix, Dame, avez-vous 
De si tristes amours, pour dire si bien
Des chansons à l’être aimé ?

Par Deus de Cruz, dona, sei eu que andades
D’amor mui coitada que tan ben cantades
Cantigas d’amigo.

—  Par Dieu sur la Croix, Dame, êtes-vous
si  triste en amour, pour chanter si bien
Des chansons à l’être aimé ?

– Avuitor comestes, que adevinhades.

— Avez-vous manger du vautour (1), pour le deviner ?

(1) Il peut peut-être s’agir du butor qui est nommé vautour dans certain bestiaire médiéval. S’il s’agit du vautour, ce dernier est utilisé alors en fauconnerie et il faut sans doute plus voir ici, une allusion à l’acuité visuelle de l’interlocuteur qu’à des symboles plus péjoratifs et plus actuels attachés à ce rapace.

En vous souhaitant une belle écoute et une excellente journée!

Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du moyen-âge sous toutes ses formes.

Denis 1er du Portugal, roi troubadour, poète & laboureur du moyen-âge central

roi_troubadour_poete_denis_1er_portugal_poesie_chansons_medievales_moyen-age_centralSujet :  roi poète, roi troubadour, troubadour, lyrique courtoise, galaïco-portugais, poésie médiévale, chansons médiévales, Cantigas de Amigo, portrait, biographie, galicien-portugais
Période : Moyen-âge central, XIIIe et début XIVe
Auteur : Roi Denis 1er du portugal  (1261-1325)

Bonjour à tous,

N_lettrine_moyen_age_passionous revenons aujourd’hui à l’Europe médiévale et le vent de l’Histoire nous mène, cette fois-ci, vers la péninsule ibérique pour y découvrir un grand roi laboureur et poète de la deuxième moitié du XIIIe et des débuts du XIVe siècle : le roi Denis 1er du Portugal (Diniz ou Dionisio 1er ).

Dans la lignée des grands de Castille
et du Portugal

Grand féru de culture et de littérature, ce sixième souverain du Portugal fut surnommé le roi troubadour et il compte, de fait, parmi les plus grands troubadours de langue galaïco-portugaise au moyen-âge central. Ce goût pour les lettres et la musique, n’était pas tout à fait un hasard, puisque ce souverain appartenait à ce lignage nobiliaire de la péninsule espagnole particulièrement fécond sur le plan culturel et dans lequel l’histoire a compté quelques grands noms. Alphonse X de Castille, ou Alphonse le Sage était, en effet, rien moins que le grand-père de Denis.

blason_armoirie_medievale_portugal_roi_denis_1erSans doute ce dernier a-t-il encore hérité de son père Alphonse III d’excellents talents d’administrateur mais aussi d’une certain qualité d’écoute auprès du peuple.  Son géniteur œuvra, en effet, à renforcer la main mise de la couronne sur ses territoires par un habile maillage de petits seigneurs et de représentants du pouvoir central, mais il s’employa aussi à refréner les privilèges de la noblesse et de l’Eglise. On lui prête ainsi d’avoir favoriser le développement des classes moyennes, mais aussi le développement urbain. A noter que  Alphonse III fut aussi à  l’initiative de la création de Lisbonne comme capitale du pays.

Eléments de biographie :
roi poète et roi laboureur

De son côté, couronné à l’âge de 18 ans et déjà bien formé aux compétences et devoirs exigés par sa fonction, le roi Denis ne se contenta pas de laisser en héritage des chansons et des poésies qui comptent parmi le fleuron de la littérature galaïco-portugaise. Après avoir visité ses différentes provinces et dans la continuité de son père, il fut soucieux d’administrer, au plus près, son royaume et de protéger son peuple et notamment ses classes les plus défavorisées. Son épouse, Isabelle, fille du roi d’Aragon, surnommée roi_troubadour_poesie_chanson_medievale_statue_roi_denis_1er_universite_coimbra_portugalelle-même la reine sainte, alla d’ailleurs dans le même sens et fut également connue pour sa grande  charité chrétienne.

(ci-contre statue du Roi Denis,
Université de Coimbra, Portugal)

Au cours de son règne, le Roi Denis entreprit de grandes avancées dans le domaine commercial et économique. Sur le plan agricole, ses actions d’envergure le firent même surnommer par ses sujets, comme le roi laboureur.

Bien sûr, nous sommes au XIIIe siècle et  peu de royaumes échappaient alors aux travers de leur temps. Il eut donc à gérer d’inévitables tensions d’héritage (avec sa propre descendance), quelques querelles de territoire avec ses voisins castillans et encore des luttes de pouvoir contre l’Eglise et ses ambitions politiques. Pourtant, d’une manière générale, une large partie de son règne s’inscrivit sous le signe de la paix.  Sa nature et son caractère n’y sont sans aucun doute pas étrangers ; l’homme n’était ni un conquérant assoiffé, ni un belliciste et il laissa pour longtemps l’image d’un grand souverain dans l’esprit du peuple portugais. Sur le plan culturel, il fonda également l’Université de Coimbra qui contribua au rayonnement du Portugal  au sein de l’Europe médiévale.

L’œuvre du roi Denis 1er du Portugal

En plus d’avoir œuvré pour la littérature portugaise, il favorisa également le développement de la lyrique et de l’art des troubadours et il fut lui-même, comme nous le disions plus haut, l’un des plus prestigieux par le titre, mais aussi l’un des plus prolifiques d’entre eux.

Au titre de son legs, on compte autour autour de 138 pièces dans lesquelles on trouvera des Cantigas de Amigo  (52), des Chansons de Amor (76), mais aussi des Chansons de maldizer (10, « chansons de médisance »,  forme de poésies critiques sur le ton de l’humour et qu’on peut comparer aux sirvantois ou sirvantès occitans).

Sources, manuscrits et chansonnier

Du point de vue des sources contenant les œuvres de Don Denis, on citera notamment  le volumineux   Cancioneiro Colocci-Brancuti. Datée du XVIe siècle, cette véritable bible de la littérature galaïco-portugaise présente près de 1570 pièces dont un nombre considérable de cantigas. Entre autres manuscrits, le Cancioneiro da ajuda, mais également le Cancioneiro da Vaticana, contiennent encore des pièces du roi troubadour portugais. 

Cette liste n’a rien d’exhaustive et on doit au romaniste suisse  Henry R. Lang (1853-1934)  d’avoir regroupé l’oeuvre du Roi Denis sous la forme d’un ouvrage de synthèse que vous pourrez trouver, si vous en avez la curiosité, à l’adresse suivante : Cancioneiro d’el Rei Dom Denis   by Diniz, King of Portugal, 1261-1325; Lang, Henry Rosemann (1853).

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Le parchemin Sharrer & ses notations musicales

Seulement sept des pièces composées par le roi poète portugais nous sont parvenues avec leur notation musicale. Il a fallu attendre pour cela la mise à jour fortuite, tardive et presque « miraculeuse », en 1990, du Parchemin Sharrer. Découvert à Lisbonne par Harvey L Sharrer, le document avait servi à fabriquer la reliure d’un registre notarial du XVIe siècle. On suppose que ce précieux fragment de document a pu provenir d’un chansonnier mentionné par ailleurs et dont on n’a jamais retrouvé la trace.

Voilà pour ces éléments de biographie sur le Roi Denis 1er et son oeuvre. Comme vous vous en doutez, nous aurons bientôt l’occasion de publier et détailler ici quelques-unes de ses plus belles pièces.

En vous souhaitant une très belle journée.

Frédéric EFFE
A la découverte du moyen-âge sous toutes ses formes

Découvrez une autre cantiga de amigo du moyen-âge.