Sujet : poésie et chanson médiévales, poésie morale, poésie goliardique, golliards, poésie latine, traduction français moderne. Période : XIIe, XIIIe siècle, moyen-âge central Titre : O fortuna, Carmina Burana Manuscrit ancien : chants de Benediktbeuern Compositeur : Carl Orff (Karl) Chef d’Orchestre :Eugen Jochum Orchestre: Berlin Orchestra German Opera
Bonjour à tous,
ous revenons, aujourd’hui, vers une pièce d’anthologie de la musique classique « moderne » composée dans les années 35 par Carl Orff et basée sur le manuscrit ancien des chants de Benediktbeuern du nom du monastère dans lequel on le trouva dans le courant du XIXe siècle. Véritable anthologie de la poésie lyrique, profane et goliardique des XIIe, XIIIe siècles, l’ouvrage contient plus de trois cent chants aux thèmes aussi divers que le jeu, l’amour, l’alcool, des pièces satiriques et moralisantes mais aussi deux pièces de théâtre d’inspiration plus liturgique. La grande majorité des textes est en latin et quelques uns des textes sont en germain et en langue romane. Certains des chants sont annotés musicalement mais ce n’est pas le cas de tous.
Le compositeur allemand Carl Orff (1895-1982) a grandement contribué à la popularisation d’une partie de ces poésies qui lui ont inspirées la cantate « Carmina Burana« . L’œuvre a fait, depuis, le tour du monde, et son succès ne se tarit toujours pas puisqu’elle continue d’être jouée jusqu’à ce jour par de nombreux orchestres et dans de nombreux pays. Ici, c’est la mythique introduction et fermeture de cette œuvre gigantesque que nous vous proposons et qui a pour titre « o Fortuna ».
Du point de vue du manuscrit, la pièce du jour se trouve sur le même feuillet que celui de l’illustration de la roue de la Fortune (voir reproduction ci-dessous). La symbologie en est claire, la roue tourne dans le sens des aiguilles d’une montre et conte l’impermanence de la « Fortune » pris au sens « chance » « succès » « destinée(heureuse) » « sort » et pas nécessairement monétaire comme on l’entend souvent au sens moderne du terme.
Regno, regnavi, sum sine regno, regnabo, « Je règne, j’ai régné, je ne règne plus, je régnerai ». Le roi perd sa couronne, choit, n’est plus rien et puis, la regagne. Jouet de la fortune, l’homme ne contrôle pas sa destinée. Il ne peut que subir ce que le sort (personnifié ici au centre de l’illustration), lui réserve.
On trouve encore sûrement derrière cela, l’idée qu’il faut se résoudre à n’avoir que peu de prise et de satisfaction en ce bas-monde. Dans le moyen-âge chrétien et même pour la pensée la plus profane de cette époque, le paradis reste à jamais un ailleurs que se situe toujours dans l’après-vie.
Le manuscrit des chants de Benediktbeuern ou Carmina Burana (1225-1250)
« O Fortuna » de Carmina Burana
les paroles traduites en français actuel
O fortuna Velut Luna statu variabilis, semper crescis aut decrescis; vita detestabilis nunc obdurat et tunc curat ludo mentis aciem, egestatem, potestatem, dissolvit ut glaciem.
O Fortune Comme la lune A l’état changeant Toujours tu croîs Ou tu décrois. La vie détestable D’abord opprime Et puis apaise Par un jeu à l’esprit aiguisé. La pauvreté Le pouvoir Elle les fait fondre comme la glace.
Sors immanis et inanis, rota tu volubilis, statu malus, vana salus, semper dissolubilis obumbrata et velata michi quoque niteris; nunc per ludum dorsum nudum fero tui sceleris.
Sort monstrueux Et informe, Toi la roue changeante, Une mauvaise situation, Une prospérité illusoire, Fane toujours, Dissimulée Et voilée Tu t’en prends aussi à moi Maintenant par jeu, Et j’offre mon dos nu A tes intentions scélérates.
Sors salutis et virtutuis michi nunc contraria est affectus et defectus semper in angaria Hac in hora sine mora corde pulsum tangite, quod per sortem stemit fortem, mecum omnes plangite!
Sort qui apporte le salut Et le courage Tu m’es maintenant opposé Affaibli Et épuisé Comme de la mauvaise herbe. A cette heure, Sans tarder Cœur de cordes vibrantes Puisque le sort Renverse même le fort Venez tous pleurer avec moi !
En vous souhaitant une fort belle journée!
Fred
Pour moyenagepassion.com. « L’ardente passion, que nul frein ne retient, poursuit ce qu’elle veut et non ce qui convient. » Publiliue Syrus Ier s. av. J.-C
Sujet : musique, poésie médiévale, troubadour, trouvère, sirventès, poésie satirique Thême : croisade, amour courtois Période : Moyen Âge central Auteur : Thibaut IV de Champagne, Comte de Champagne, Roi de Navarre, Thibaut le chansonnier (1201-1253). Titre : Au tans plein de félonie. Interprète :Alla Francesca (ci-contre Blason de Navarre)
« Thibault fut roi galant et valeureux, Ses hauts faits et son rang n’ont rien fait pour sa gloire, Mais il fut Chansonnier, et ses couplets heureux, Nous ont conservé sa mémoire. » Citation de Pierre René Auguis (1783-1844)
Bonjour à tous,
oici une nouvelle chanson et poésie de Thibaut de Champagne, comte de Champagne, roi de Navarre et troubadour du XIIIe siècle, que l’on surnomme aussi Thibaut le chansonnier, et dont nous avions déjà présenté, ici, le chant de croisade. Cette fois, le roi poète nous entraîne dans une critique sur la corruption de son temps, à la manière dont le faisaient les troubadours avec les Sirventès.
LesSirventès (Sirvente) désignent un genre poétique dans lequel les troubadours provençaux des XIIe et XIIIe siècles critiquaient et prenaient à partie les « vices » ou les problèmes de leur temps; c’étaient donc des poésies de nature satirique, politique ou morale. A partir de la fin du XIIIe siècle, il semble que le mot ait effectué un glissement sémantique pour désigner des poésies à consonance plus religieuse de type louanges (photo ci-dessus, troubadour médiéval jouant de la vièle, British Library).
Cinquième croisade : les expéditions en Terre Sainte se suivent et ne se ressemblent pas.
Le roi de Navarre nous parle encore de croisades dans cette poésie, mais d’une manière bien largement plus désabusée qu’il ne le fera plus tard dans son « chant de croisade ». Le texte « Au temps plein de félonie » est, de fait, antérieur au très fort et très guerrier: « Seigneur Sachiez qui or ne s’en ira » que Thibaut de Champagne écrira, une dizaine d’années plus tard, en 1237, alors qu’il sera lui même désigné pour conduire, avec le duc de Bourgogne et Richard de Cornouailles, la sixième croisade, dite « croisade des Barons« .
Pour l’heure et au moment de cette chanson, l’amour tient le Comte de Champagne « en sa prison » et il ne veut se résoudre à partir, mais il fait aussi le constat de tant de fausseté et de corruption en observant les seigneurs et barons autour de lui qu’il ne veut les encourager à se croiser pour de mauvaises raisons et surtout dans de mauvaises dispositions. Tous ces seigneurs qui vivent dans l’abondance et loin des chemins de droiture ne pourraient-ils créer plus de nuisances en Terre Sainte et en Syrie que de bien en y allant guerroyer sans s’être amender?
La cour de l’empereur Frédérick II à Palerme, XIXe siècle, Arthur von Ramberg
Il fait également allusion à l’excommunication par le pape Grégoire IX du Saint Empereur Germanique Frédéric II, Frédéric de Hohenstaufen, Roi de Germanie, de Sicile et Roi de Jérusalem. La papauté perdant patience et refusant d’entendre les raisons politiques pour lesquelles Frédéric II n’en finissait pas de différer son départ, prit cette décision à son encontre en 1227. Il faut dire qu’en plus de montrer des velléités de conquête sur le territoire italien, au moment où le pape Grégoire IX pris cette décision, l’Empereur avait pris la croix plus de dix ans auparavant, sans qu’aucune expédition n’ait été montée. On appelle d’ailleurs cette période « la fausse croisade » et le pape Grégoire IX dut d’ailleurs lancer un nouvel appel pour que la sixième croisade soit effectivement engagée. Quoiqu’il en soit, au moment de rédiger ce texte, la décision d’excommunier Frédéric II est, à l’évidence, loin de rallier l’approbation de Thibaut de Champagne.
Outre le contexte sur le territoire et cet amour qui le retient, il y a, peut-être, à travers cette tiédeur qu’il semble montrer à se croiser un sens critique que l’on commençait alors à tirer à l’égard de certaines croisades? L’enthousiasme des premières expéditions en Orient étant désormais loin derrière, peut-être les échecs de la cinquième croisade (concile du Latran, 1215) pèsent-ils encore sur l’état d’esprit du roi troubadour? Au fond, ce n’est pas que Thibaut de Champagne s’y oppose en tous points, mais il ne semble que trouver des raisons de ne pas s’y résoudre. Il reste difficile pourtant de l’affirmer totalement pour une raison simple: quand on écume les différentes traductions du XIXe au XXe siècle de ce texte, on s’y perd quelquefois un peu. Les traductions vont du poète qui enjoint les autres à s’amender pour pouvoir partir, à celles qui penchent plus nettement du côté d’une claire démotivation de sa part même si ce sont tout de même ces dernières interprétations qui l’emportent. Quoiqu’il en soit et comme nous l’avons dit plus haut, au moment où il sera directement appelé pour la croisade des barons, près de dix ans plus tard, Thibaut de Champagne sera nettement plus motivé et le ton aura indubitablement changé. (portrait ci-dessus, dix ans après au temps plein de félonie, Thibaut de Champagne s’apprête à partir en croisade, portrait espagnol).
Au tans plein de félonie, les paroles en vieux français
Au tans plein de felonie D’envie et de traïson, De tort et de mesprison, Sanz bien et sans cortoisie, Et que entre nos barons Faisons tot le siecle empirier, Que je voi escomenïer Ceus qui plus offrent reson, Lor vueil dire une chançon.
Li Roiaumes de Surie, Nous dit, & crie à haut ton, Se nos ne nos amendon Por Deu, que n’i alons mie, N’i ferions se mal non : Dex aime fin cuer droiturier De tel gent se veut aidier Cil essauceront son nom, Et conquerront sa maison
Encor aim mielz toute voie Demorer ou saint païs Que aler povres, chaitis La ou ja solas n’auroie. Phelipe, on doit paradis Conquerre par mesaise avoir, Que vos n’i troverez ja, voir, Bon estre, ne jeux, ne ris, Que vos aviëz apris.
Amors a coru en proie Et si m’en meine tot pris En l’ostel, ce m’est avis, Dont ja issir ne querroie, S’il estoit a mon devis. Dame, de cui biautez fet oir, Je vos faz or bien a savoir, Ja de prison n’istrai vis, Ainz morrai loialz amis.
Dame, moi couvient remaindre, De vos ne me quier partir. De vos amer et servir Ne me soi onques jor faindre, Si me vaut bien un morir L’amor qui tant m’assaut souvent. Ades vostre merci atent,
Que bien ne me puet venir Se n’est par vostre plaisir. Chançon, va moi dire Lorent Qu’il se gart bien outree ment De grant folie envahir, Qu’en li auroit faus mantir.
Au Temps plein de félonie
Les paroles adaptées en Version Française.
En ce temps plein de félonie D’envie et de trahison, D’injustice et de méfaits, Sans bien et sans courtoisie, Tandis qu’entre nous, barons, Nous ne faisons qu’empirer les choses Et que je vois être excommunier Ceux qui se montrent les plus sensés,* Je veux dire une chanson. (* l’excommunication de Frédéric II)
Le Royaume de Syrie, Nous dit & crie à voix haute, Que sauf à nous amender Mieux vaut ne pas se croiser Car nous n’y ferions que du mal: Dieux aime les cœurs qui sont droits C’est sur eux qu’il veut s’appuyer; Et ceux là exhausseront son nom Et conquerront son paradis. (ce paragraphe a disparu d’un certain nombre de versions)
Encore vaut-il mieux que tout cela Demeurer en son Pays Plutôt qu’aller, pauvre et malheureux, Là où il n’y a ni joie, ni bonheur; Philippe*, on doit conquérir le paradis, par les privations car vous n’y trouverez pas bien-être, jeux et rires Dont vous aviez pris l’habitude. (* Philippe de Nanteuil, chevalier qui se croisa avec Thibaut de Navarre.)
L’amour a poursuivi sa proie Et il m’emmène captif Dans la demeure d’où, je crois, Je ne chercherai pas à sortir, S’il ne dépendait que de moi. Dame, à la beauté si grande, Je vous le fais bien savoir, Je ne sortirai jamais vivant de cette prison, Mais j’y mourrai en ami loyal.
Dame, il me faut rester, Car je ne puis me séparer de vous Jamais je n’ai pu feindre De vous aimer et vous servir. Et pourtant, il vaut bien un « mourir » L’amour qui si, souvent, m’assaille. Sans cesse j’attends votre merci Car bien ne me peut venir Si ce n’est par votre plaisir.
Chanson, va pour moi dire à Laurent Qu’il se garde autant qu’il peut D’entreprendre de grandes folies, Car il n’y aurait là que l’œuvre d’un faux martyre.
Merci à nouveau à l’ensemble médiéval Alla Francesca pour cette belle interprétation!
Longue vie et un beau dimanche à tous! Fred Pour moyenagepassion.com A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes
Le chant de croisade de Thibaut de Champagne, version lyrique
Sujet : chant, chanson et musique médiévale, troubadour, trouvère, croisade des barons, sixième croisade Titre : « Chant de croisade » Période : moyen-âge central, XIIIe siècle. Auteur-Compositeur : Thibaut de Champagne, Thibaut le chansonnier, Thibaut IV, roi de Navarre dit encore « Thibaut le posthume ». Interprète : Richard Levitt, chanteur lyrique
Nous voilà donc reparti sur les routes avec Thibaut IV de Champagne ou Thibaut 1er de Navarre, qui a pris la « croé » en 1239 pour partir pour la sixième croisade, appelée aussi la « croisade des barons », Nous en avions parlé plus longuement dans notre article précédent. Si vous souhaitez le consulter, il est ici : le chant de croisade de Thibaut de Champagne, roi troubadour du XIIIe siècle
Vous noterez que cette version est carrément plus aigu et plus « sophistiqué » aussi d’une certaine manière, que la version plus guerrière et plus « terroir » du très talentueux René Zosso. C’est plaisant aussi. je vous laisse vous faire votre idée!
En vous souhaitant une très belle journée.
Fréderic EFFE.
Pour moyenagepassion.com « A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes »