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La Cantiga de Santa Maria 156 : le miracle d’un prêtre dévoué, à la langue tranchée, puis retrouvée

musique_espagne_medievale_cantigas_santa_maria_alphonse_de_castille_moyen-age_centralSujet : musique médiévale, Cantigas de Santa Maria, galaïco-portugais, culte marial, miracles, Sainte-Marie, vierge, moyen-âge chrétien, Espagne médiévale.
Période : moyen-âge central, XIIIe siècle
Auteur : Alphonse X  (1221-1284)
Ensemble : Musica Ficta & l’Ensemble Fontegara
Titre :  Cantiga 156
Album : Músicas Viajeras: Tres Culturas (Enchiriadis2013)

Bonjour à tous,

N_lettrine_moyen_age_passionous poursuivons aujourd’hui notre exploration du culte marial médiéval à travers l’étude des Cantigas de Santa Maria du roi Alphonse X de Castille. Cette fois-ci, nous nous penchons sur la Cantiga 156. A notre habitude, nous en détaillerons le contenu et nous en profiterons aussi pour vous dire un mot de la belle version que nous vous en présentons ici et de ses interprètes.

La Cantiga 156 par   Musica Ficta et l’Ensemble Fontegara

Musica Ficta et l’Ensemble Fontegara

Fondés au début des années  90,  par le musicien, directeur d’orchestre et éditeur de Musiques anciennes espagnoles, Raúl Mallavibarrena, les deux ensembles Musica Ficta  et Fontegara ont été réunis par lui en 2012 à  l’occasion d’un album ayant pour titre : Músicas Viajeras: Tres Culturas.

A la fusion des mondes chrétien, musulman et juif séfarade de la péninsule ibérique, Musicas Viajeras (Musiques itinérantes) est une invitation à la découverte de ces trois cultures, à travers leur univers musicaux. L’éventail des pièces proposées, au nombre de 15, déborde largement le Moyen-âge pour aller puiser jusque dans le répertoire de la période baroque. Entre tradition Sefardi, musique et chants arabes et chrétiens, on y retrouve deux Cantigas de Santa Maria, dont celle du jour. Ajoutons que dans cette production, les deux formations étaient accompagnées par la musiques_espagne_medievales_cantigas_santa_maria_156_ensemble_musica_ficta_culte_marial_moyen-agesoprano Rocío de Frutos.

A ce jour, l’album est toujours édité par Enchiriadis (la maison d’édition créée par le directeur des deux  ensembles) qui a eu l’excellente idée, en plus de le proposer au format CD, de le mettre à disposition également sous forme dématérialisée et MP3. Pour plus d’informations, voici un lien sur lequel vous pourrez trouver les deux formats:  Musicas Viajeras: Tres Culturas

Pour revenir à Raúl Mallavibarrena, dans le champ des musiques anciennes, du moyen-âge jusqu’à la période baroque, ce musicien et musicologue espagnol a déjà reçu de nombreux prix et la reconnaissance de ses pairs dans ses domaines de prédilection. musica_ficta_musique_medievale_renaissance_baroque_Raul_MallavibarrenaLoin de se contenter de diriger ou de fonder divers ensembles, il est également très actif dans le champ de la publication. A ce titre, il a participé notamment, depuis les années 90, à la revue de musique classique Ritmo et on lui doit encore, entre autres contributions, des articles sur les musiques médiévale, renaissante et baroque dans l’encyclopédie espagnole « Historia de la Música », paru aux Editions Altaya

Voici deux liens vous pouvez vous reporter pour plus d’informations (en Espagnol) : Site web de l’Ensemble Musica Ficta – Site Web des éditions Enchiriadis

Les paroles de la Cantigas 156
« A Madre do que de terra… » 

Les efforts pour séparer le « magique » du religieux courent tout le long de la période médiévale. Au XIIIe siècle, ils continuent d’être bien présents et même si les manifestations les plus fusionnelles de ces deux mondes telles qu’on pouvait les retrouver dans certaines formes d’Ordalie par exemple,  ont reculé depuis les débuts du XIe siècle. Dans ce moyen-âge imprégné de valeurs chrétiennes, au sein d’un univers nimbé de mystères et fait d’étranges lois d’analogies et de correspondances, les miracles resteront pour longtemps le signe d’une foi chrétienne qui tutoie,  le surnaturel et le magique et ouvrent tous les champs du musique_medievale_chant_chretien_culte_marial_miracle_alphonse-X_cantiga_santa_maria_moyen-agepossible. Dans ces champs là, les prodiges  qui on trait à l’intercession de la « mère du Dieu mort en croix » trouvent une place de choix,

Ci-contre miniature de la Cantiga de Santa Maria 156 dans le manuscrit de l’Escorial MS TI 1, Códice Rico (Bibliothèque San Lorenzo el Real, Madrid)

Le miracle dont il est question ici touche un prêtre que des hérétiques avaient châtié en lui coupant la langue, pour avoir trop chanté de louanges à la vierge. Le religieux se trouvait au désespoir de ne plus pouvoir entonner ses chants mais, là encore, sur les rives les plus miraculeuses du culte marial, tout peut s’accomplir. Ainsi, un jour qu’il se rendait à l’abbaye bénédictine de Cluny pour assister aux vêpres, avec les moines, il ne put s’empêcher de faire avec eux l’effort d’entonner les chants dédiés à la Sainte et, comme il s’exécutait, sa langue repoussa et elle lui fut rendue.

Comme dans de nombreuses autres Cantigas, le poète nous conte que bien des moines furent témoins du miracle et le louèrent. Pour finir, le prêtre se fit moine et rejoignit la communauté de Cluny.

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Este miragre fez Santa Maria en Cunnegro por un crerigo que cantava mui ben as sas prosas a ssa loor, e prendérono ereges e tallaron-ll’ a lingua.

A Madre do que de terra primeir’ ame foi fazer
ben pod’ a lingua tallada fazer que possa crecer.

Dest’ un mui maravilloso
miragre vos contarey,
que fez, e mui piadoso,
a Madre do alto Rei
por un crerigo, que foran a furt’ ereges prender
porque de Santa Maria sempr’ ya loor dizer.

A Madre do que de terra primeir’ ome foi fazer…

Poilo ouveron fillado,
quisérano y matar;
mais, polo fazer penado
viver, foron-lle tallar
a lingua ben na garganta, cuidando-o cofonder,
porque nunca mais da Virgen fosse loor compõer.

A Madre do que de terra primeir’ ome foi fazer…

Pois que ll’a lingua tallaron,
leixárono assi yr;
e mui mal lle per jogaron,
ca non podia pedir
nen cantar como cantara da que Deus quiso nacer
por nos; e con esta coita cuidava o sen perder.
A Madre do que de terra primeir’ ome foi fazer…

E o que mais grave ll’ era,
que quando oya son
dizer dos que el dissera,
quebrava-ll’ o coraçon
porque non podia nada cantar, onde gran prazer
ouvera muitas vegadas, e fillava-ss’ a gemer.

A Madre do que de terra primeir’ ome foi fazer…

El cuitad’ assi andando,
un dia foi que chegou
a Cunnegro, e entrando
na eigreja, ascuitou
e oyu como cantavan vesperas a gran lezer
da Virgen santa Rea; e quis con eles erger.

A Madre do que de terra primeir’ ome foi fazer…

Sa voz, e ssa voontade
e ssa punna y meteu.
E log’ a da gran bondade
fez que lingua lle naceu
toda nova e comprida, qual ante soy’ aver;
assi esta Virgen Madre lle foi conprir seu querer.

A Madre do que de terra primeir’ ome foi fazer…

Esto viron muitas gentes
que estavan enton y,
e meteron mui ben mentes
no miragre, com’ oý;
e a Virgen poren todos fillaron-s’ a beizer,
e o crerigo na orden dos monges se foi meter.

A Madre do que de terra primeir’ ome foi fazer…

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Retrouvez l’index de toutes les Cantigas de Santa Maria traduites et commentées, avec leur interprétation  par les plus grands ensembles de musique médiévale,

En vous souhaitant une très belle journée!

Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen-âge sous toutes ses formes

« le Miracle de la guérison de Lugo », la Cantiga de Santa Maria 77 commentée et traduite

musique_espagne_medievale_cantigas_santa_maria_alphonse_de_castille_moyen-age_centralSujet : musique médiévale, Cantigas de Santa Maria, galaïco-portugais, culte marial, miracles, Sainte-Marie, vierge, moyen-âge chrétien, Espagne médiévale
Période : moyen-âge central, XIIIe siècle
Auteur : Alphonse X  (1221-1284)
Ensemble : Arany Zoltán
Titre : Cantiga 77 « Da que deus mamou »
Média : chaîne youtube  de l’artiste (2011)

Bonjour à tous,

E_lettrine_moyen_age_passionn route pour l’Espagne médiévale du XIIIe siècle, nous continuons d’y dérouler le fil des Cantigas de Santa Maria du roi Alphonse de Castille. Aujourd’hui, c’est sur la Cantiga 77 que nous portons notre attention et c’est un autre récit de miracle à inscrire au crédit du culte marial du moyen-âge central.

Pour son interprétation, nous avons choisi ici une version assez « enlevée ». Il s’agit de celle de l’artiste hongrois Arany Zoltan (voir portrait de ce musicien multi-instrumentiste et chanteur ici). Loin des rivages du chant lyrique ou classique, le rythme de sa version autant que musique_culte_marial_medievale_cantigas_santa_maria_moyen-age_centralsa voix très « terrestre » ou ancrée nous sortent des lieux de culte habituels pour nous ramener vers une interprétation qui nous fait toucher du doigt un autre aspect de ces chants. Au moyen-âge, ils appartiennent à tous et on se les approprie dans les arts les plus allégoriques et les plus sophistiqués comme dans les plus populaires ( dans les écoles, dans la rue et bien sûr encore sur les routes de pèlerinage).

Vierge à l’enfant,Jean Fouquet (1481), moyen-âge tardif, début renaissance

D’une certaine manière, c’est encore un peu le cas de nos jours et en voici un autre exemple. Ces miracles médiévales autour de la vierge continuent en effet de séduire et d’interpeller les artistes les plus classiques du répertoire médiévale comme les plus folk.

La Cantiga Santa Maria 77 par Arany Zoltan

Cantiga 77 : la guérison de Lugo et son  adaptation-traduction en français moderne

L_lettrine_moyen_age_passione miracle conté dans la Cantiga de Santa Maria 77 touche le champ de l’infirmité. Elle ne sera pas la seule à traiter de ce sujet et on retrouvera d’autres Cantiga sur le thème.

Pèlerins ou sujets frappés de paralysie, d’infirmités, de maux étranges et orphelins ou même encore de lèpre, dans le courant du Moyen-âge central, la vierge guérit tout, pour peu qu’on lui prête foi, et comme celui qu’elle avait enfanté avait accompli, avant elle, de merveilleux prodiges, elle répète ses miracles quelquefois avec son aide et en intercédant auprès de lui, d’autre fois seule.

Nous vous proposons, ici, une adaptation traduction en français moderne des paroles de cette Cantiga.

Esta é como Santa María sãou na sa igreja en Lugo ũa mollér contreita dos pées e das mãos.

Voici comment, dans son église de Lugo, Sainte-Marie guérit une femme qui avec les pieds et les deux mains paralysés (rétrécis)

Da que Deus mamou o leite do seu peito,
non é maravilla de sãar contreito.

Puisque Dieu elle a nourri de son sein,
Il ne faut pas s’étonner qu’elle puisse soigner les paralysés

Desto fez Santa Maria miragre fremoso
ena sa ygrej’ en Lugo, grand’ e piadoso,
por ha moller que avia tolleito
o mais de seu corp’ e de mal encolleito.
Da que Deus mamou o leite do seu peito…

De fait, Sainte Marie accomplit un grand,
pieux et merveilleux miracle dans son église de Lugo
pour une femme qui avait contracté
un mal ayant paralysé (contracré, rétréci) la plus grande partie de son corps. (refrain)

Que amba-las suas mãos assi s’ encolleran,
que ben per cabo dos onbros todas se meteran,
e os calcannares ben en seu dereito
se meteron todos no corpo maltreito.
Da que Deus mamou o leite do seu peito…

Ses deux mains étaient contractées de telle manière
qu’elles se mettaient jusqu’à dedans ses épaules
et ses deux talons, pour la même raison,
entraient jusque dans son corps maltraité. (refrain)

Pois viu que lle non prestava nulla meezinna,
tornou-ss’ a Santa Maria, a nobre Reynna,
rogando-lle que non catasse despeyto
se ll’ ela fezera, mais a seu proveito
Da que Deus mamou o leite do seu peito…

Après avoir vu qu’aucune médecine ne lui fonctionnait
Elle se tourna vers Sainte Marie, la noble reine,
La suppliant de ne pas prendre mal
ce qu’elle avait pu faire, mais qu’elle le prenne à son avantage. (refrain)

Parasse mentes en guisa que a guareçesse,
se non, que fezess’ assi per que çedo morresse;
e logo se fezo levar en un leito
ant’ a sa ygreja, pequen’ e estreito.
Da que Deus mamou o leite do seu peito…

Qu’elle fasse cesser son mal de façon à ce qu’elle guérisse
Et, sinon, qu’elle fasse en sorte qu’elle meurt vite (à l’instant).
Et suite à cela elle se fit emmener sur un lit
petit et étroit, en face de son église. (refrain)

E ela ali jazendo fez mui bõa vida
trões que ll’ ouve merçee a Sennor conprida
eno mes d’ agosto, no dia ‘scolleito,
na sa festa grande, como vos retreito
Da que Deus mamou o leite do seu peito…

Et se trouvant là, elle mena une vie virtueuse,
Jusqu’à obtenir la miséricorde de la dame pleine de bonté
au mois d’août,  durant le jour choisi
pour sa grande fête, comme je vous le conterai (refrain)

Será agora per min. Ca en aquele dia
se fez meter na ygreja de Santa Maria;
mais a Santa Virgen non alongou preyto,
mas tornou-ll’ o corpo todo escorreyto.
Da que Deus mamou o leite do seu peito…

Vous le conterais désormais. Qu’en ce jour
elle se fit porter à l’intérieur de l’église de Sainte Marie.
Et la Sainte ne retarda pas son action
mais remis tout son corps en ordre. (refrain)

Pero avo-ll’ atal que ali u sãava,
cada un nembro per si mui de rig’ estalava,
ben come madeira mui seca de teito,
quando ss’ estendia o nervio odeito.
Da que Deus mamou o leite do seu peito…

Mais tout survint de telle façon que là où elle soignait
chaque membre, tout à tour, se mettait à craquer
comme le bois très sec d’un toit
quand son muscle rétréci s’étirait. (refrain)

O bispo e toda a gente deant’ estando,
veend’ aquest’ e oynd’ e de rijo chorando,
viron que miragre foi e non trasgeito;
porende loaron a Virgen afeito.
Da que Deus mamou o leite do seu peito…

L’évêque et tous ceux qui se trouvaient en face,
voyant cela et l’entendant, et criant à haute voix,
virent qu’il s’agissait d’un miracle et non une tromperie,
et pour cela, ils louèrent la Vierge. (refrain)

Retrouvez-ici l’index des  Cantigas de Santa Maria que nous avons déjà abordées, commentées et même traduites.

En vous souhaitant une très belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes.

Index : les Cantigas de Santa Maria par le menu

musique_espagne_medievale_cantigas_santa_maria_alphonse_de_castille_moyen-age_centralSujet :  musique médiévale, Cantigas de Santa Maria, galaïco-portugais, culte marial, miracles, Sainte-Marie.
Epoque :  Moyen Âge central, XIIIe siècle
Auteur :  Alphonse X  (1221-1284)
Index :  Index des Cantigas de Santa Maria traduites, commentées et adaptées en français moderne
Bonjour à tous,

P_lettrine_moyen_age_passion copiaour faciliter vos recherches et aussi parce que nous commençons à avoir quelques articles sur la question, voici un index des Cantigas de Santa Maria d’Alphonse X de Castille, que nous avons eu l’occasion de commenter et/ou  traduire, jusque là.

Nos versions commentées et traduites en français des Cantigas de Santa Maria


Autres articles, versions instrumentales

En espérant que ce récapitulatif vous sera utile. Nous nous efforcerons de le mettre à jour régulièrement aussi, si le sujet vous intéresse, n’hésitez pas à l’ajouter à vos favoris.

En vous souhaitant une belle journée.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes.

Un bol d’argent plein d’amertume: le miracle de la Cantiga de Santa Maria 152

 musique_espagne_medievale_cantigas_santa_maria_alphonse_de_castille_moyen-age_centralSujet :  musique médiévale, Cantigas de Santa Maria, galaïco-portugais, culte marial, miracles, Sainte-Marie.
Epoque : moyen-âge central, XIIIe siècle
Auteur :  Alphonse X  (1221-1284)
Titre :  Cantiga 152, le bol d’argent
Tantas nos mostra a Virgen
Direction : Eduardo Paniagua  (2003) 
Album : Caballeros, Cantigas de Alfonso X, el sabio

Bonjour à tous,

N_lettrine_moyen_age_passionous poursuivons ici l’exploration des Cantigas de Santa Maria, chansons médiévales toutes entières dédiées au culte marial et à la vierge, léguées à la postérité par le roi espagnol Alphonse X de Castille, dans le courant du XIIIe siècle. Aujourd’hui, c’est la Cantiga numero 152 que nous vous présentons par le détail.

Culte Marial

La bonté d’une Sainte et la bienveillance d’une mère, au secours de l’homme médiéval

C’est une évidence mais on ne peut s’intéresser au moyen-âge en Europe occidentale, sans se pencher sur ses aspects profondément chrétiens et, dans ce cadre, on peut encore moins occulter le culte qui s’y développe autour de la vierge Marie, et ce monument qu’il lui est dédié et que représentent les Cantigas de Santa Maria.

En Occident, le culte marial s’intensifie autour du VIIe siècle avec l’entrée dans le calendrier de fêtes destinées à célébrer la Sainte incarnée et sa maternité. Cette force s’affirmera encore du IXe au XIe siècle et, au XIIe siècle, les images et les réflexions associées à la « madre dolorosa » accompagnant son fils sur la croix lui conférera plus que jamais un statut unique dans le coeur des croyants. Entre le ciel et la terre, la mère de Dieu sera alors devenue celle de tous les hommes, capable de leur offrir le salut et prompte à les secourir. Mère de miséricorde, le XIIe et le XIIIe la vénéreront encore culte_marial_sainte_vierge_marie_moyen-age_chretien_miracles_cantigas_santa_maria_musique_medievaleintensément à travers des productions artistiques dans tous les domaines et de nombreux récits de Miracles. (1)

Au XIIIe siècle, les Cantigas de Santa Maria sont chantées à la cour d’Espagne, elles résonnent aussi dans les chants des pèlerins et les accompagnent sur le chemin de la rédemption au long des grandes routes souvent périlleuses du moyen-âge. A la faveur de certains prêcheurs de l’Eglise, cet « amour » de la Sainte héritera même par endroit des formes et des contours de la lyrique courtoise. L’émotion qu’elle suscite chez bon nombre d’hommes occidentaux, au coeur du moyen-âge, nous est sans doute aujourd’hui difficile à percevoir dans toute sa profondeur et sa complexité mais elle recouvre une réalité indubitable dont nous gardons encore de nombreux témoignages.

Sainte miraculeuse, mère des mères, dames des dames, touchée par la grâce divine et pleine de miséricorde, icone féminine sublime de bonté et de pureté, cette « notre dame » qui est même devenue le symbole de l’Eglise toute entière est, pour l’homme médiéval, capable plus encore que tout autre Saint d’intercéder efficacement auprès de son fils, le Christ, le Dieu mort en croix et d’obtenir son oreille et sa mansuétude. A lui, on n’ose pas toujours d’adresser directement, jamais tout à fait certain d’en être digne, ni d’avoir son écoute et comme on la crédite de cette bonté infinie. tout autant que de cette proximité, elle apparaît aussi, souvent et se montre quand on l’appelle, pour peu qu’on le fasse avec une foi sincère. Ainsi, l’histoire de la Cantiga 152 est encore celle d’un miracle et d’une apparition.

La Cantiga 152 par Eduardo Paniagua

Eduardo Paniagua et les chevaliers dans les cantigas de Santa Maria

Nous avions déjà dédié à Eduardo Paniagua, un long article à l’occasion de notre présentation détaillée de la Cantiga 23  (celle du miracle du vin). Aussi, si vous désirez en savoir plus sur ce brillant et talentueux musicien espagnol entièrement dévoué au répertoire médiéval, nous vous invitons à le consulter.

Rappelons simplement que dans les nombreuses productions musicales médiévales qu’il a ramené à la lumière et réinterprétées, on doit à Eduardo Paniagua l’immense travail d’avoir recompilé et musique_espagne_medievale_culte_marial_eduardo_paniagua_alphonse_de_castille_caballeros_cantigas_santa_maria_chevalier_moyen-ageenregistré l’ensemble des Cantigas de Santa Maria.

Dans un album de 2003 ayant pour titre Caballeros, il proposait une selection des Cantigas d’Alphonse le Sage, sur le thème des chevaliers et de la chevalerie. C’est de cet album qu’est tiré l’interprétation de la Cantiga 152 du jour.  Vous le trouverez disponible à la vente en ligne sous ce lien : Caballeros


La Cantiga 152 Un bol d’argent plein d’amertume pour un chevalier débauché

P_lettrine_moyen_age_passion copiaetits pélerins, simple gens, marchands, bourgeois, seigneurs et princes, les miracles des Cantigas de Santa Maria ne font pas d’ostracisme social et la vierge ne distingue pas entre les classes pour accomplir ses prodiges. Bien au contraire, la multiplicité des exemples ne fait que renforcer l’idée que la Sainte est à portée de tous.  Le Miracle, cette fois-ci, concerne un chevalier.

Como u bon cavaleiro d’armas, pero que era luxurioso, dezia sempr’ «Ave Maria», e Santa Maria o fez en partir per sa demostrança.

Comment un bon chevalier d’armes, mais qui était plein de luxure, disait toujours « Ave Maria » et comment Sainte Marie par sa démonstration lui permis de s’en défaire.

Bien qu’il invoqua souvent le nom de la vierge en disant « Ave Marie », l’homme ne se rendait jamais aux messes, ni aux offices et ne priait guère non plus. Fort talentueux dans les arts de la guerre et doté d’un grand courage, il demeurait aussi arrogant et licencieux, se rendant coupable de tous les péchés de luxure, les plus grands comme les plus petits.

cantigas_santa_maria_miracle_culte_marial_chevalier_moyen-age_alphonse_X_espagne_medievaleUn jour, l’homme se trouva en grande lutte avec lui-même, désireux de s’amender au fond de son âme mais au dilemme, car son corps ne voulait abandonner les plaisirs de chair qu’il goûtait par ailleurs et auxquels il s’était habitué. Et tandis qu’il était au débat, ne sachant trancher, la « glorieuse » lui apparut, tenant dans sa main un magnifique bol d’argent grand et luisant. A l’intérieur du récipient, se tenait un mets de couleur jaunâtre et abjecte, à la saveur amère et à l’odeur  nauséabonde et fétide.

A la vue du liquide, le chevalier fut pris d’une grande peur et somma l’apparition de vouloir se nommer. La Sainte lui répondit : « Je suis Sainte Marie et je viens avec ce bol te décrire ta situation afin que tu les abandonnes tes erreurs. Car, vois-tu, ce bol te montre que tu es beau et doté de très grandes qualités. Et pourtant, comme tu es aussi plein de péchés et sale dans ton âme, tu empestes comme ce mets malodorant et tu iras en enfer, qui est plein d’amertume.

Ayant prononcé ces mots, la vierge s’en fut, et depuis cet instant là jusqu’à la fin de ses jours, le chevalier s’amenda et vécut dans la droiture. Et quand son âme fut séparée du corps, il s’en fut dans le lieu de Paradis où il vit la vierge sainte qui est la dame des dames.

Refrain « La vierge nous montre tant de merci et d’amour
Que jamais et pour aucune raison nous ne devons être de mauvais pêcheurs. »


La Cantiga de Santa Maria 152
en  galaïco-portugais original

Como u bon cavaleiro d’armas, pero que era luxurioso, dezia sempr’ «Ave Maria», e Santa Maria o fez en partir per sa demostrança.

Tantas nos mostra a Virgen de mercees e d’ amores
que per ren nunca devemos seer maos pecadores.

E dest’ un mui gran miragre mostrou por un cavaleiro
que apost’ e fremos’ era e ardid’ e bon guerreiro;
mas era luxurioso soberv’ e torticeiro,
e chẽo d’ outros pecados muitos, grandes e mẽores.
Tantas nos mostra a Virgen de mercees e d’ amores
que per ren nunca devemos seer maos pecadores.

Este per ren madodynnos nen vesperas non oya,
nen outras oras nen missa; pero en Santa Maria
fiava e muitas vezes a saudaçon dizia
que ll’ o Sant’ Angeo disse, de que somos sabedores.
Tantas nos mostra a Virgen de mercees e d’ amores
que per ren nunca devemos seer maos pecadores.

E un dia, u estava cuidando en ssa fazenda
com’ emendass’ en sa vida, e avia gran contenda,
ca a alma conssellava que fezesse dest’ emenda,
mas a carne non queria que leixasse seus sabores;
Tantas nos mostra a Virgen de mercees e d’ amores
que per ren nunca devemos seer maos pecadores.

El estand’ en tal perfia, pareceu-ll’ a Groriosa
con ha branqu’ escudela de prata, grand’ e fremosa,
chẽa dun manjar mui jalne, non de vida saborosa,
mas amarga, e sen esto dava mui maos odores.
Tantas nos mostra a Virgen de mercees e d’ amores
que per ren nunca devemos seer maos pecadores.

U a viu o cavaleyro, foi con medo [e]spantado
e preguntou-lle quen era. Diss’ ela: «Dar-ch-ei recado:
eu sõo Santa Maria, e venno-te teu estado
mostrar per est’ escudela, porque leixes teus errores.
Tantas nos mostra a Virgen de mercees e d’ amores
que per ren nunca devemos seer maos pecadores.

Ca ves, esta escudela mostra-ti que es fremoso
e ás muitas bõas mannas; mas peccador e lixoso
es na alma, poren cheiras com’ este manjar astroso,
per que yrás a inferno, que é chẽo d’ amargores».
Tantas nos mostra a Virgen de mercees e d’ amores
que per ren nunca devemos seer maos pecadores.

E pois ll’ ouv’ aquesto dito, a Virgen logo foy ida;
e el dali adeante enmendou tant’ en sa vida,
per que quando do seu corpo a ssa alma foy partida,
foi u viu a Virgen santa, que é Sennor das sennores.
Tantas nos mostra a Virgen de mercees e d’ amores
que per ren nunca devemos seer maos pecadores.


Retrouvez l’index de toutes les Cantigas de Santa Maria traduites et commentées, avec leur interprétation  par les plus grands ensembles de musique médiévale,

En vous souhaitant une belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du moyen-âge sous toutes ses formes.

(1) Voir  Débora González Martínez, Sur la translatio de miracles de la Vierge au Moyen Âge. Quelques notes sur les Cantigas de Santa Maria, FMSH-WP-2014-57, janvier 2014