Archives par mot-clé : miroir des princes

Injustice, violence politique & oppression des faibles dans le Boustan de Saadi


Sujet   : sagesse persane,  conte moral, devoir politique, justice, citations médiévales, citations, sagesse, conte politique.
Période  : Moyen Âge central, XIIIe siècle
Auteur :  Mocharrafoddin Saadi  (1210-1291)
Ouvrage  :  Le Verger de Saadi traduit pour la première fois en français,  par A. C. barbier de Meynard, (1880)

Bonjour à tous,

près notre article précédent sur le Disciplina Clericalis de Pierre Alphonse, juif séfardi converti au christianisme ayant introduit, dans l’Espagne des débuts du XIIe siècle, les contes orientaux en Occident, le moment ne pouvait être mieux choisi pour une escapade du côté de la Perse médiévale.

Nous sommes au XIIIe siècle et le voyageur, écrivain et conteur Mocharrafoddin Saadi distille ses contes moraux à destination de ses contemporains. Deux ouvrages de lui sont restés célèbres, le Gulistan (Golestan) ou Jardin de Roses et le Boustân (Bustan), le Verger ou Jardin de Fruits.

Exercice juste et raisonné du pouvoir, précis de bonne conduite, philosophie et sagesse, pratique religieuse, éducation, attitudes face aux âges de la vie, les sujets couverts par le poète persan sont multiples. Si de nombreux thèmes touchent l’homme du commun, la dimension politique reste toutefois importante. De nombreux passages du Boustan ou du Gulistan évoquent même les Miroirs aux Princes, genre qu’on dédiait, au Moyen Âge, à l’éducation et à l’édification morale des puissants.

« Que les rois doivent ménager le Peuple« 

Les deux extraits que nous partageons aujourd’hui sont issus du Boustan de Saadi. Violence envers les faibles, injustice et tyrannie sont des thèmes récurrents chez l’auteur du XIIIe siècle. Pour lui, le pouvoir ne vaut que s’il n’est juste, trempé de mansuétude et au service du peuple.

Dans un chapitre du Boustan destiné à la conduite des rois intitulé « Que les rois doivent ménager le Peuple« , il rappelait à nouveau les devoirs des puissants contre l’injustice et l’oppression des faibles. Il le faisait même, à l’occasion, au nom de l’humanité tout entière. Comme pour de nombreux auteurs moralistes et politiques, si l’objectif est moral, il est aussi pragmatique. En faisant preuve de mansuétude, le roi peut protéger du même coup ses propres intérêts et l’exercice pérenne du pouvoir.

Une Citation médiévale de Saadi extrait du Boustan : le peuple est un arbre fruitier qu'il faut soigner pour jouir de ses fruits.

« C’est une lâcheté d’opprimer les faibles, comme le passereau avide qui dérobe à la fourmi le grain qu’elle charrie péniblement. Le Peuple est un arbre fruitier qu’il faut soigner pour jouir de ses fruits ; n’arrache pas impitoyablement les branches et les racines de cet arbre ; l’ignorant seul agit contre ses propres intérêts. »

Que les rois doivent ménager le Peuple, Le Boustan,
Edition traduite par A. C. barbier de Meynard, (1880)


Une Citation médiévale de Saadi extrait du Boustan : ne pas verser le sang

A plus de sept siècles de Saadi, ses perles de sagesse continuent de résonner comme des évidences. Il est d’ailleurs toujours enseigné dans le monde perse et on le célèbre même grandement, chaque année, en Iran.


Pour découvrir d’autres textes médiévaux sur les devoirs politiques et moraux des puissants, c’est ici :

En vous souhaitant une belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge  sous toutes ses formes.

NB : l’image d’en-tête est un détail d’enluminure issu d’un manuscrit du Boustan datant des débuts du XVIe siècle. Elle représente Saadi à la proue d’un navire apercevant le derviche de la ville de Faryab qui traverse la rivière sur un tapis volant. The David Collection, Museum National d’Art de Copenhague.

La bonne Renommée, guide de l’Action Politique dans le Livre des Secrets

Enluminure du philosophe Aristote à son pupitre ( XVe siècle)

Sujet : miroir des princes, devoir politique, bonne renommée, bon gouvernement, Aristote, morale politique, Best Seller médiéval.
Période : Moyen âge central (Xe au XVe siècle)
Livre : Sirr Al-Asrar, le livre des secrets du Pseudo-Aristote, ouvrage anonyme du Xe siècle. Le Secret des Secrets, édition commentée par Denis Loree (2012), Manuscrit médiéval Français NAF 18145, BnF.

Bonjour à tous,

ujourd’hui, nous poursuivons notre exploration du Secretum Secretorum ou Livre des Secrets du Pseudo-Aristote. Cet ouvrage de nature politique et encyclopédique connut un très large succès du Moyen Âge central au début de la Renaissance.

Apparu originellement dans le monde arabe du Xe siècle, sous le titre Sirr al-Asrar, le Secretum Secretorum fut traduit en latin au début du XIIe siècle. On en connait encore de nombreuses éditions sous cette forme. Dans les siècles suivants, il sera diffusé dans de nombreuses autres langues, ce qui en fait un véritable best seller de l’Europe médiévale 1.

L’origine du Secretum Secretorum

Les versions originales du Secretum Secretorum le présentaient comme la transcription de missives réelles du philosophe Aristote à l’empereur Alexandre le Grand. D’après les notes de l’ouvrage, une traduction du grec vers l’arabe datant du IXe siècle en aurait été l’origine.

Avec l’avènement des méthodes historiques modernes et en l’absence de preuves documentaires susceptibles de confirmer son authenticité grecque, le Livre des Secrets fut finalement attribué à un auteur dénommé Pseudo-Aristote. Les érudits pensent aujourd’hui que son auteur a pu être un auteur arabe contemporain du Xe siècle et non un copiste du IXe siècle comme l’indiquait la version originale.

L’importance de la bonne renommée dans la conduite du pouvoir

La bonne renommée dans la conduite du pouvoir avec enluminure du Naf 18145 (l'honneur)

L’extrait du jour nous entraînera, une fois de plus, du côté de la morale politique et des Miroirs des princes (dans le courant du Moyen Âge central, ces précis de morale et d’éducation à l’usage des puissants sont assez appréciés). Quelle doit être l’intention ou la motivation ultime du Prince et du gouvernant dans l’exercice du pouvoir ? Le Pseudo-Aristote mettra ici l’accent sur l’importance de la recherche de « bonne renommée » comme guide dans l’action politique.

On croisera cette importance de la bonne renommée dans l’exercice du bon gouvernement chez bien des auteurs politiques et moraux du Moyen Âge. De la Perse de Saadi 2 à l’Espagne médiévale de Don Juan Manuel 3 , la notion voyage à l’image du Secretum Secretorum. Chez les auteurs médiévaux et poètes français du Moyen Âge tardif, les références ne manquent pas non plus. On peut en citer une, édifiante, issue d’une célèbre ballade d’Eustache Deschamps :

« Il vaudroit mieulx l’omme de faim perir,
Tant soit puissans, que mal renom avoir ;
Renoms mauvais fait tout homme haïr
Et sanz cause dommaige recevoir
Souventefoiz, mais l’en puet percevoir
Que bons renoms et sa suite est amée
En tout païs, pour ce vous fait sçavoir :
Plus que fin or vault bonne renommée. »

Œuvres complètes d’Eustache Deschamps,
Ballade MCCCLIV, tome VII, Gaston Raynaud (1861)

Soif d’argent, de conquête et de pouvoir, avidité, hubris, recherche de reconnaissance, coquetterie, flagornerie, ne pèsent rien au regard de la recherche de bonne renommée. Pire même, toutes ces mauvaises raisons de gouverner entraîneront inéluctablement le prince vers l’abîme. Cette importance pour le souverain d’user de sa bonne renommée comme gouvernail, en s’élevant dans la vertu et face à la postérité revient plus d’une fois dans le Livre des secrets.

Le Chap X du Secretum Secretorum dans le Manuscrit illuminé : Nouvelle Aquisition 18145 de la BnF
Le chapitre du jour dans le Manuscrit Nouvelle Aquisition Française 18145 de la BnF

De l’entencion finable que le roy doit avoir4
extrait du Secretum Secretorum

« Le commencement de sagesse et d’entendement est d’avoir bonne renommée par laquelle sont les royaumes et les grans seignories acquises et gouvernées. Et se tu aquiers ou que tu desires royaumes ou seignouries, se n’est pour avoir bonne renommée, tu n’acquerras ja a la fin autre chose, ne autre oeuvre. Et saches que envie engendre mensonge laquelle est racine et matiere de tous vices. Mensonge engendre mal parler. Mal parler engendre hayne. Hayne engendre villenie. Villenie engendre rancune. Rancune engendre contrariété. Contrariété engendre injustice. Injustice engendre bataille. Bataille engendre et ront toute loy, destruit citéz et qui est contraire a nature et destruit le corps de l’omme.

Pense donques, chier filz, et met tout ton desir que tu puisses avoir bonne renommée car par icelui desir, tu tireras a toy la verite de toutes choses, laquelle verite est racine de toute choses qui sont a louer et matiere de tous biens. Car elle est contraire a mensonge, laquelle est racine et matiere de tous vices comme dit est.

Et saches que vérité engendre desir de justice. Desir de justice engendre bonne foy. Bonne foy engendre largesse. Largesse engendre familiarité. Familiarité engendre amistié. Amistié engendre conseil et ayde. Par ces choses qui sont convenables a raison et nature fut tout le monde ordonnéz et les loys faictes. Si appert que desir de bonne renommee est pardurable vie et honnorable5. »


Dans la morale politique médiévale, le prince comme même l’honnête homme (le prudhomme) doit penser à la survivance de son œuvre et de son nom, bien après la mort. A des siècles du Sirr Al-Asrar, cette idée est toujours dans l’air en matière d’attente politique. On juge encore les qualités ou les vertus d’un gouvernant à l’aulne de sa moralité mais aussi de sa capacité à s’élever au dessus de ses propres ambitions immédiates ou personnelles pour servir le temps long.

La boussole de la bonne renommée continue-t-elle d’avoir son importance dans le monde politique du carriérisme, des mandats à court terme, de la technocratie et des intérêts de partis ? Cela reste, sans doute, une question d’hommes.

Cela n’engage que nous mais en regardant vers le pays de France et son actualité, entre manœuvres politiciennes et collusions variées, faux-pas et polémiques internationales diverses, le souci de bonne renommée et de legs à la postérité semblent avoir évacué définitivement l’ordre du jour. Si l’homme providentiel existe, il demeure encore bien caché et n’est surement pas à la gouvernance.

Découvrir d’autres extraits du Secretum Secretorum ou Secret des Secrets :


En vous souhaitant une excellente journée.
Fred
pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes

NOTES

NB : Sur l’image d’en-tête, ainsi que sur l’illustration, vous trouverez une enluminure du Manuscrit Naf 18145 qui représente l’Honneur.

  1. On connait des versions médiévales du Secretum Secretorum en Français vernaculaire, en Anglais, en Castillan, en Catalan, en Arargonais, en Portugais, en Italien, en Gallois, en Islandais et même encore en Russe, en Croatien, et en Tchèque ↩︎
  2. Leçons de vie de la bouche d’un mort, le Boustan de Saadi ) ↩︎
  3. Héroïsme & honneur dans l’exemple 37 du comte Lucanor, Don Juan Manuel ↩︎
  4. finable : « L’intention ultime » ↩︎
  5. De là, il résulte que le désir de bonne renommée induit une vie éternelle et honorable. ↩︎

Devoir Politique : Miséricorde et Prévoyance du Roi dans le Livre des Secrets

Enluminure du philosophe Aristote à son pupitre ( XVe siècle)

Sujet : miroir des princes, précis politique, bon gouvernement, roi, devoir politique, prévoyance, Aristote, Alexandre le Grand, miséricorde, morale politique.
Période : Moyen âge central (Xe au XVe siècle)
Livre : Sirr Al-Asrar, le livre des secrets du Pseudo-Aristote, ouvrage anonyme du Xe siècle. Le Secret des Secrets, édition commentée par Denis Loree (2012).

Bonjour à tous,

ujourd’hui, nous explorons la littérature politique médiévale, avec un nouvel extrait du Secret des Secrets du Pseudo-Aristote. Dans l’Europe des XIIe au XVe siècles, ce best-seller médiéval connut un grand succès et de nombreuses traductions.

Naissance d’un best-seller médiéval

L’ouvrage a émergé au sein du monde arabe, dans le courant du Xe siècle. Il y est connu sous le titre de « Kitāb Sirr al-asrār » ou « Sirr al-Asrar », le Livre des Secrets. Il deviendra le Secret des Secrets ou Secretum Secretorum dans ses premières transcriptions latines.

Son contenu originel est présenté comme la traduction d’une correspondance entre le philosophe Aristote et l’Empereur Alexandre le Grand. N’ayant pu attester cette origine de manière documentaire, on attribua, plus tard, l’ouvrage à un auteur du nom Pseudo-Aristote. Du même coup, on supposa que le Livre des secrets avait été conçu dans le monde arabe qui l’avait vu apparaître.

Du point de vue du contenu, le Secret des Secrets ouvre sur une large partie qui adresse les devoirs des princes et les conditions d’un exercice moral et stratégique du pouvoir. « Aristote » y prodigue ses conseils à Alexandre, dans le style des miroirs des Princes bien connus du Moyen Âge. Dans les parties suivantes, le best-seller médiéval explore des thèmes plus variés et encyclopédiques : santé et médecine, astrologie, alchimie, etc…

« De la Miséricorde (ou Garnison) du Roy » dans le NA FR 18145

En version courte comme en version longue, les traductions du Livre des Secrets connurent une grande popularité. Cette propagation le fit commenter par de nombreux auteurs médiévaux (cf Lettre sur les prodiges de la nature et de l’art de Roger Bacon). D’autres s’en inspirèrent également pour leurs propres écrits.

Anticipation des temps difficiles et bienveillance du pouvoir

Le sujet de notre extrait du jour se situe pleinement dans le champ du devoir politique. Il porte sur l’importance de la prévoyance en matière de gestion alimentaire. Anticiper les futures disettes, savoir thésauriser le blé et les victuailles, le roi diligent voit loin. Il doit prévoir les temps difficiles et s’y préparer pour la sauvegarde de ses sujets. Dans le Livre des secrets, comme plus généralement dans les miroirs des princes, le gouvernant prévenant sera payé en retour de sa miséricorde et de sa bienveillance. Il y gagnera la reconnaissance de son peuple et le respect de son autorité.

Au passage, cette injonction faite au pouvoir dans le célèbre best-seller médiéval semble faire étrangement écho à certains événements d’actualité. On pense notamment aux questions de souveraineté alimentaire soulevées encore récemment par la gente paysanne en révolte et en détresse.

De la Garnison du Roi (1)

"De la Garnison du roi" Livre des Secrets avec Enluminure d'Aristote remettant une missive à un messager (tirée du Manuscrit Na fr 18145 de la BnF)

« Chier filz, je te prie et conseille que tu faces tousjours grant grenison (provision) de bléz et de potages et de toutes vitailles que ton paÿs en ait tousjours habondance afin que, quant il avendra comme aucunefoiz avient le temps de chierté (nécessité) et de famine que tu puisses souvenir par ta grant prudence a tes subgés ; et dois ouvrir tes greniers et publier par ton royaume et par tes citéz les grains et autres vitailles que tu as assemebléz et gardéz : et sera grant cautelle (habileté, ruse) et grant sagesse la garde de ton royaume et au sauvement de ton peuple.

Lors tes subgés feront de grant courage tes commandemens. Lors sera ton fait en grant prosperité et tous s’esjouiront et se merveilleront de ta grant sagesse. Lors congnoistront tous que tu regarderas de loing en tes besoingnes (affaires, tâchers) et te reputeront comme saint et par ce priseront et loueront moult ta vaillance et chacun se redoubtera de toy courroucier. »

Le Livre des Secrets : Chap XXIV (24), De la Miséricorde du roy

(1) Garnison : ici dans le sens de provision, approvisionnement. Ce chapitre apparaît également sous le titre De la Miséricorde du Roy dans certains manuscrits.


Découvrir d’autres extraits du Secret des Secrets :


En vous souhaitant une excellente journée.
Fred
pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes

NB : sur notre illustration, comme sur l’image d’en-tête, vous pourrez retrouver un extrait d’enluminure en provenance du manuscrit NA FR 18145 de la BnF (à consulter sur Gallica.fr)

Saadi : Injustice et Fardeau véritable du tyran

Sujet   : sagesse persane,  conte moral, tyrannie, violence politique, injustice, citations médiévales, citations.
Période  : Moyen Âge central, XIIIe siècle
Auteur :  Mocharrafoddin Saadi  (1210-1291)
Ouvrage  :  Gulistan ou Le Parterre de Roses par Saadi, traduit de persan par Charles Defrémery, Librairie Firmin Diderot Frères, Paris (1858)

Bonjour à tous,

u fil de nos pérégrinations à la découverte de la littérature médiévale, nous nous sommes éloignés plus d’une fois de la France et même de l’Europe du Moyen Âge, pour débusquer d’autres perles de sagesse ou de poésie produites par d’autres cultures ou univers de croyances de cette période. Aujourd’hui, nos pas nous entraînent, à nouveau, du côté du Proche-Orient médiéval, aux côtés du célèbre auteur et conteur Mocharrafoddin Saadi et de son Gulistan ou Jardin de roses.

La réelle punition de l'homme injuste, une citation médiévale illustrée de Saadi

Les Leçons d’un poète voyageur
dans la Perse du Moyen-Âge central

Dans la perse du XIIIe siècle, Saadi est tout à la fois poète, conteur, voyageur mais aussi conseiller à la cour des émirs et des puissants. L’homme nous a légué une œuvre abondante entre traités et poésies en langue perse et en langue arabe. Ses plus célèbres ouvrages Le Boustan (Boustân, le Verger) et Le Gulistan (Golestân, le Jardin des Roses) ont traversé les âges et sont encore étudiés de nos jours, pour leur profondeur morale.

Les écrits et les leçons de sagesse de Saadi ont également donné naissance à de nombreuses locutions proverbiales et une partie de son œuvre est ainsi entrée dans la sagesse populaire des mondes perse et arabe du Moyen-Âge et des siècles suivants.

La beauté de la langue de Saadi a été louée de son vivant et, bien après sa mort, par de nombreux poètes du Proche-Orient et au delà. Elle n’a guère pu survivre entièrement à ses traductions en langue française mais on peut tout de même l’effleurer par endroits. A défaut de restituer toute son intensité poétique et stylistique, le fond moral et les valeurs mises en avant par le conteur du XIIIe siècle y ont plutôt bien résisté. On peut donc encore, aujourd’hui, se plonger dans ses œuvres et trouver de quoi s’y nourrir.

Des contes moraux, sociaux et politiques

Gravure de Saadi dans un manuscrit de ses oeuvres complètes du XIXe siècle (Collections du Louvre - MAO 2314)
Saadi dans le manuscrit MAO 2314 des collections du Louvre

De sa longue expérience et de ses aventures, Saadi extrait des petits contes et des vers dont ses contemporains sont friands. A-t-il voyagé aussi loin et aussi longtemps que sa poésie le laisse entendre ? On ne peut guère l’attester et sa biographie laisse quelques flottements sur son itinéraire véritable. Quoi qu’il en soit, le champ thématique qu’il aborde reste riche et ses leçons ont toujours l’agréable parfum d’anecdotes glanées au cours de ses nombreux (et supposés) voyages.

Sur le fond, les contes de Saadi prennent souvent un tour plus social, politique ou philosophique que dogmatique : rappel des devoirs des puissants et miroir des princes, précis de valeurs et de conduite en toute chose, plaidoyer pour la sagesse ou la foi dans l’action contre le verbiage et la culture des apparences, appel à la mansuétude et la charité contre la sécheresse de cœur, la tyrannie ou l’avarice, grandeur et misère des âges de la vie, etc…

Finalement, par le truchement de contes et d’anecdotes accessibles à tout un chacun, Saadi fait œuvre d’éducation pour les princes, comme pour un public plus large. Il suffit de feuilleter un instant le Boustan ou le Gulistan pour y découvrir des sujets qui touchent tant à l’exercice du pouvoir, à l’éducation qu’aux sentiments ou aux réalité de la vie. On verra que, comme dans toute bonne poésie morale indépendamment du contexte, certains préceptes et conseils ont largement résisté au temps.

Aujourd’hui, nous retrouvons notre auteur perse dans un conte qui touche les actes injustes des tyrans, des princes ou des hommes abusifs. On verra que la première victime de l’injustice devant le temps de la vie et même l’éternité n’est pas forcément celle que l’on croit.


De la conduite des rois : Injustice, un fardeau éternel pour le tyran


Un roi donna l’ordre de tuer un innocent. Celui-ci dit :
— Ô roi ! Ne cherche point ta propre peine, à cause de la colère que tu as contre moi.
— Et comment ? demanda le roi.
L’innocent répondit : « Ce châtiment passera sur moi en un instant, mais le péché en restera éternellement sur toi. »

« Le temps de la vie s’est écoulé comme le vent du désert. L’amertume et la douceur, le laid et le beau ont passé. L’homme injuste a pensé avoir commis une injustice envers nous. Elle est restée attachée sur ses épaules comme un fardeau et a passé au-dessus de nous. »

Ce conseil parut profitable au roi ; il renonça à verser le sang de cet homme et lui fit ses excuses.

Gulistan ou le parterre de Roses, Chap 1er touchant la conduite des rois, trentième historiette. Mocharrafoddin Saadi (op cité)


Les thèmes de la violence politique, de l’injustice et de l’abus de pouvoir sont récurrents chez Saadi. Ils courent sur de nombreux chapitres de ses deux plus célèbres ouvrages. Vous pourrez les retrouver, notamment, dans les contes suivants :

Bien qu’exprimée différemment, on retrouver ici cette condamnation du sang versé injustement déjà croisé dans le Livre des Secrets du Pseudo-Aristote.

En vous souhaitant une belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge  sous toutes ses formes.

NB : le détail de gravure sur l’image d’en-tête représente le conteur Saadi dispensant son savoir. L’illustration est tirée d’un beau manuscrit iranien daté du XIXe siècle contenant le Kulliyat de Saadi ou ses œuvres complètes (référence MAO 2314). Il appartient actuellement aux collections du Louvre et peut être consulté en ligne sur le site du musée.