Archives par mot-clé : devoir politique

Devoir Politique : Miséricorde et Prévoyance du Roi dans le Livre des Secrets

Enluminure du philosophe Aristote à son pupitre ( XVe siècle)

Sujet : miroir des princes, précis politique, bon gouvernement, roi, devoir politique, prévoyance, Aristote, Alexandre le Grand, miséricorde, morale politique.
Période : Moyen âge central (Xe au XVe siècle)
Livre : Sirr Al-Asrar, le livre des secrets du Pseudo-Aristote, ouvrage anonyme du Xe siècle. Le Secret des Secrets, édition commentée par Denis Loree (2012).

Bonjour à tous,

ujourd’hui, nous explorons la littérature politique médiévale, avec un nouvel extrait du Secret des Secrets du Pseudo-Aristote. Dans l’Europe des XIIe au XVe siècles, ce best-seller médiéval connut un grand succès et de nombreuses traductions.

Naissance d’un best-seller médiéval

L’ouvrage a émergé au sein du monde arabe, dans le courant du Xe siècle. Il y est connu sous le titre de « Kitāb Sirr al-asrār » ou « Sirr al-Asrar », le Livre des Secrets. Il deviendra le Secret des Secrets ou Secretum Secretorum dans ses premières transcriptions latines.

Son contenu originel est présenté comme la traduction d’une correspondance entre le philosophe Aristote et l’Empereur Alexandre le Grand. N’ayant pu attester cette origine de manière documentaire, on attribua, plus tard, l’ouvrage à un auteur du nom Pseudo-Aristote. Du même coup, on supposa que le Livre des secrets avait été conçu dans le monde arabe qui l’avait vu apparaître.

Du point de vue du contenu, le Secret des Secrets ouvre sur une large partie qui adresse les devoirs des princes et les conditions d’un exercice moral et stratégique du pouvoir. « Aristote » y prodigue ses conseils à Alexandre, dans le style des miroirs des Princes bien connus du Moyen Âge. Dans les parties suivantes, le best-seller médiéval explore des thèmes plus variés et encyclopédiques : santé et médecine, astrologie, alchimie, etc…

« De la Miséricorde (ou Garnison) du Roy » dans le NA FR 18145

En version courte comme en version longue, les traductions du Livre des Secrets connurent une grande popularité. Cette propagation le fit commenter par de nombreux auteurs médiévaux (cf Lettre sur les prodiges de la nature et de l’art de Roger Bacon). D’autres s’en inspirèrent également pour leurs propres écrits.

Anticipation des temps difficiles et bienveillance du pouvoir

Le sujet de notre extrait du jour se situe pleinement dans le champ du devoir politique. Il porte sur l’importance de la prévoyance en matière de gestion alimentaire. Anticiper les futures disettes, savoir thésauriser le blé et les victuailles, le roi diligent voit loin. Il doit prévoir les temps difficiles et s’y préparer pour la sauvegarde de ses sujets. Dans le Livre des secrets, comme plus généralement dans les miroirs des princes, le gouvernant prévenant sera payé en retour de sa miséricorde et de sa bienveillance. Il y gagnera la reconnaissance de son peuple et le respect de son autorité.

Au passage, cette injonction faite au pouvoir dans le célèbre best-seller médiéval semble faire étrangement écho à certains événements d’actualité. On pense notamment aux questions de souveraineté alimentaire soulevées encore récemment par la gente paysanne en révolte et en détresse.

De la Garnison du Roi (1)

"De la Garnison du roi" Livre des Secrets avec Enluminure d'Aristote remettant une missive à un messager (tirée du Manuscrit Na fr 18145 de la BnF)

« Chier filz, je te prie et conseille que tu faces tousjours grant grenison (provision) de bléz et de potages et de toutes vitailles que ton paÿs en ait tousjours habondance afin que, quant il avendra comme aucunefoiz avient le temps de chierté (nécessité) et de famine que tu puisses souvenir par ta grant prudence a tes subgés ; et dois ouvrir tes greniers et publier par ton royaume et par tes citéz les grains et autres vitailles que tu as assemebléz et gardéz : et sera grant cautelle (habileté, ruse) et grant sagesse la garde de ton royaume et au sauvement de ton peuple.

Lors tes subgés feront de grant courage tes commandemens. Lors sera ton fait en grant prosperité et tous s’esjouiront et se merveilleront de ta grant sagesse. Lors congnoistront tous que tu regarderas de loing en tes besoingnes (affaires, tâchers) et te reputeront comme saint et par ce priseront et loueront moult ta vaillance et chacun se redoubtera de toy courroucier. »

Le Livre des Secrets : Chap XXIV (24), De la Miséricorde du roy

(1) Garnison : ici dans le sens de provision, approvisionnement. Ce chapitre apparaît également sous le titre De la Miséricorde du Roy dans certains manuscrits.


Découvrir d’autres extraits du Secret des Secrets :


En vous souhaitant une excellente journée.
Fred
pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes

NB : sur notre illustration, comme sur l’image d’en-tête, vous pourrez retrouver un extrait d’enluminure en provenance du manuscrit NA FR 18145 de la BnF (à consulter sur Gallica.fr)

La Sagesse de Saadi contre l’avidité et les abus de pouvoir envers les pauvres et les déshérités

saadi_mocharrafoddin_sagesse_persane_moyen-age_XIIIe_siecleSujet : citations médiévales, sagesse persane, poésie morale, conte moral, cupidité, avidité, justice, devoir politique, abus de pouvoir.
Période : moyen-âge central, XIIIe siècle
Auteur : Mocharrafoddin Saadi (1210-1291)
Ouvrages: Gulistan, le jardin des roses,  par Charles Defrémery (1838) et  Gulistan le Parterre de Fleurs du Cheick Moslih-Eddin Sadi De Chiraz par N Semelet, (1834)

Bonjour à tous,

A_lettrine_moyen_age_passionujourd’hui, nous levons les voiles en direction du moyen-orient médiéval pour découvrir une nouvelle histoire d’un des plus célèbres conteurs de la Perse du moyen-âge central : Mocharrafoddin Saadi.  D’entre tous ses écrits, Le Gulistan ou Le Jardin des Roses demeure un véritable miroir des princes, un guide de la morale et de l’action pour les hommes, les puissants ou ceux qui les côtoient, et dans lequel seul le vrai sage saura tirer son épingle du jeu, par ses actes et non par ses mots.

Mansuétude, écoute, discernement, la sagesse dont il est question ici transcende l’application de quelque loi écrite, elle est la qualité suprême et intrinsèque qui peut élever le plus puissant comme le plus miséreux. Et Saadi fustige sans merci : cupidité, stupidité, égoïsme, orgueil, ambition, flatterie, négligence ou abus dans l’exercice du pouvoir, … Sous l’œil du conteur,  il n’est nul homme, fut-il roi ou vizir, qui ne finisse par saadi_sagesse_persane_conte_poesie_morale_medievale_XIIIe_moyen-age_centralrencontrer sa propre destinée : l’impunité n’existe pas et tout finit, tôt ou tard, par se payer. C’est encore le cas dans le conte moral du jour. On y assistera à la ruine et la déroute d’un tyran contre les larmes de sang qu’il avait arrachées, par cupidité, aux plus déshérités et on trouvera, au passage, cette belle image de « la fumée des cœurs » des miséreux spoliés, montée en prière et entendue.   » Ne trouble pas un coeur, parce qu’un soupir bouleversera tout un monde. « 

Une fois de plus, le sage persan plaide pour la raison du plus faible contre la tyrannie  du plus fort, la justice contre l’abus de pouvoir et l’avidité et c’est une justice à la fois transcendantale et sociale qui est ici à l’oeuvre, un peu, peut-être, dans l’esprit de celle que Saint-Louis avait rendue sous son chêne.  Enfin, chez le conteur persan, comme dans notre moyen-âge central occidental, la roue de la fortune et du temps tourne et vient fournir un argument supplémentaire à la morale. Le temps de l’existence passe comme le vent du désert et le pouvoir comme la royauté demeurent éphémères.


Abus de pouvoir et avidité :
le pouvoir d’un cœur blessé

On raconte qu’un Tyran achetait, par la violence, le bois des pauvres et les donnait aux riches, moyennant un prix qu’il fixait arbitrairement. Un sage passa auprès de lui, et dit :

– Es-tu un serpent, toi qui piques tous ceux que tu vois ? Ou un hibou, puisque tu fouilles partout où tu te poses ? Si ta violence te réussit avec nous, elle ne réussira pas avec le maître qui connaît tous les secrets (ie: Dieu). N’exerce pas la violence sur les habitants de la terre, afin que leurs prières contre toi ne parviennent  au-dessus du ciel.

saadi_justice_devoir-politique_tyrannie_conte-medieval-poesie-morale-sagesse-persane

L’oppresseur fut irrité de cette parole, fronça le sourcil a cause de ce conseil et n’y fit aucune attention; jusqu’à ce qu’une certaine nuit le feu tombât de la cuisine dans son magasin de bois, brûlât toutes ses richesses et lui laissât pour seul siège, au lieu d’un coussin bien rembourré, la cendre chaude.

Par hasard, le même sage passa auprès de lui, et l’entendit qui disait a ses amis :  » Je ne sais d’où ce feu est tombé dans mon palais.  » ll dit :  » Il a été allumé par la fumée du coeur des pauvres (les soupirs). »

Distique : Garde-toi de la fumée des coeurs blessés, car la blessure du coeur se montre, à la fin, au dehors. Tant que tu le peux, ne trouble pas un coeur, parce qu’un soupir bouleversera tout un monde.

Sentence. Il était écrit sur la couronne du roi Qaï-Khosrou* (3eme roi de Perse, de la dynastie des Caïanides ) :

« Pendant combien d’innombrables années et de longs siècles les hommes marcheront sur la terre, au-dessus de notre tête* (notre tombeau) ? De même que la royauté nous est parvenue de main en main, ainsi elle parviendra aux mains des autres ».


Puisse cette belle leçon continuer de résonner à travers les siècles, aux oreilles des intéressés.

Une belle journée à tous.

Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen-Age sous toutes ses formes.