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Poésies courtes : trois dizains amoureux de Melin de Saint-Gelais

Sujet :  poésies courtes,  poésie de cour, dizain, moyen français, courtoisie, poésie amoureuse.
Période :   XVIe siècle, Renaissance, hiver du Moyen Âge
Auteur  :  Mellin Sainct-Gelays ou Melin de Saint- Gelais (1491-1558)
Ouvrage  :  Oeuvres Poétiques de Melin de S. Gelays, Tome 1 et 3, Prosper Blanchemain, Editeur Paul Daffis, (1873).

Bonjour à tous,

ujourd’hui, nous embarquons pour l’hiver du Moyen Âge et plus précisément pour le XVIe siècle. Nous sommes à la cour de France et Melin de Saint-Gelais y brille par ses poésies courtes et incisives, son art oratoire et son don pour le luth.

Sous François 1er puis sous Henri II, cet émule et ami de Clément Marot (Blanchemain T1 op cité) a su se mettre sous les bons auspices des souverains. Il compte même, en terme de statut, comme un des poètes majeurs de ces deux cours. Nous le retrouvons, aujourd’hui, pour trois dizains amoureux qui nous permettront d’apprécier une nouvelle fois son style enlevé et son sens de la chute. Avant cela, disons quelques mots de la poésie au XVIe siècle et de la biographie de Melin.

La poésie, une affaire sérieuse ?

La poésie est-elle une affaire sérieuse ? Au Moyen Âge, elle est partout et tous les thèmes s’y prêtent. Elle peut véhiculer l’humour sur des sujets variés, sociaux ou satiriques comme dans les fabliaux. Elle peut, bien sûr et elle est, l’objet d’un exercice de style. Pourtant, sous ses formes les plus variées y compris les plus émotionnelles, elle reste un sujet majeur (voir l’importance de la poésie au Moyen Âge, Régine Pernoud).

Au XVIe siècle, une certaine poésie de cour semble s’être faite plus légère et triviale. Loin des pompes des poètes qu’on rassemblera bientôt sous la Pléiade, ses auteurs entendent se divertir et faire rire. A la recherche constante du trait d’esprit, ils peaufinent une certaine sophistication autour de la légèreté 1. C’est aussi le temps des « Fleurs de poésies« , ces recueils de poésies courtes à butiner et à consommer pour le plaisir et dans lesquelles les auteurs ne sont souvent pas cités.

Dans la veine de ce courant, des Marot ou des De Saint-Gelais, tous deux héritiers de grands rhétoriqueurs, se distinguent par cette poésie « mondaine » qui tuerait presque pour un bon mot, dusse-t-elle en appeler à la grivoiserie ou même au graveleux parfois 2. Face à eux (et peut-être même contre), montent les ambitions d’une nouvelle génération d’auteurs qui veulent refaire de la poésie un art ultime, sous l’égide des classiques. Les deux tendances connaîtront des frictions, les nouveaux auteurs cherchant leur place et leur légitimité, les anciens défendant la leur.

Il s’agit, bien sûr, de grandes tendances et c’est un avis très personnel que je ne prétends pas ici développer mais, dans les deux cas, on pourrait discerner un jeu sur les formes et une dissociation qui ne sont déjà plus médiévales. Quoiqu’il en soit, les deux écoles s’opposent sur le fond et la destination de l’objet poétique. Ce cadre étant posé, revenons à Melin Saint-Gelais.

Saint-Gelais, favori et conseiller des rois

« Aucune fête n’étoit réussie s’il (Melin) n’en avoit réglé les mascarades, écrit les vers, composé la musique »

Oeuvres Poétiques de Melin de S. Gelays, T 1, P Blanchemain.

En dehors de son statut de favori et conseiller du roi, Melin de Saint-Gelais est à la fois ecclésiastique et abbé. Il sera aussi aumônier et bibliothécaire de François 1er et occupera des charges religieuses auprès de différentes abbayes. A la cour, il organise aussi des divertissements. Pour autant, la poésie n’est pas son seul talent. Il semble même y être venu à la faveur des circonstances.

Eléments de biographie

Fils de Octavien de Saint-Gelais ( évêque d’Angoulême, traducteur et poète de l’école de rhétoriqueurs), Melin a reçu une solide éducation. Musicien, chanteur, poète à ses heures, il est aussi versé dans les sciences, les mathématiques, la philosophie, l’astronomie et la théologie.

Point de trace de pédanterie chez lui, pourtant, pas d’avantage que de lourdeur académique ni même de grandes ambitions d’auteur. S’il glisse quelquefois des références théologiques ou philosophiques dans ses poésies, De Saint-Gelais est adepte d’une poésie galante, toujours à la recherche du bon mot à l’attention des courtisans, des courtisanes et des têtes couronnées. A la lecture de nombre de ses pièces, on imagine bien à quel point ses interventions ont dû ravir ses auditoires 3. Du reste, sa longévité aux différentes cours l’atteste, notre poète sait séduire son public.

Homme de « scène » autant que de lettres, Melin de Saint-Gelais versifie, chante et joue du luth. Quatrains, sixains, huitains, dizains, épigrammes, … Les poésies courtes et efficaces deviennent sa marque de fabrique. A l’image d’un Marot, il en use aussi abondamment auprès des dames. S’il a ramené de ses études en Italie, le sonnet (d’aucuns attribuent cette paternité à Marot) et un goût pour les vers Pétrarque, Melin reste adepte d’une poésie mondaine qui s’épanouit pleinement dans l’exercice de la séduction et du divertissement.

"Amour aveugle aveugle tout le monde", un dizain amoureux de Melin avec portrait de l'auteur

Pas de postérité pour le favori des cours

Peut-être est-ce tout cela qui explique que De Saint- Gelais n’ait pas pris, lui-même, sa poésie suffisamment au sérieux pour vouloir y mettre un peu d’ordre et en organiser la publication de son vivant. Certains biographes mentionnent qu’il ne le fit pas de crainte de ne pouvoir réutiliser ses plus belles pièces auprès des dames. Sans doute est-ce un peu exagéré mais, en tout cas, au cœur de l’ère Gutenberg, il n’a pas souhaité formaliser ses œuvres poétiques.

Son legs sera donc mis en ordre post mortem et non sans difficultés. En plus de quelques 600 poésies réunies par certains biographes (donc Bernard La Monnoye au début du XVIIIe s et Blanchemain dans le courant du XIXe siècme) Melin laissera quelques traductions ainsi qu’un opuscule d’Astrologie.

Légèreté, esprit, quelquefois même gaillardise et gauloiserie, dans ses poésies courtes, Melin n’a de cesse que d’exercer son sens de la chute. La parenté de plume d’avec Clément Marot est indéniable. Même si l’œuvre de ce dernier a, par endroits, plus de consistance thématique ( ou même encore d’esprit) ce qui a d’ailleurs assuré au poète de Cahors une postérité dont De Saint-Gelais s’est trouvé privé. C’est un peu injuste car certaines pièces sont d’excellente facture. Retour du sort peut-être ? Melin s’est-il à ce point complu dans son rôle de favori au risque de s’y trouver réduit et d’épuiser tout son talent dans la galanterie ?

Melin De Saint-Gelais contre la Pléiade

Plus que son œuvre, l’histoire a justement retenu de Melin de Saint-Gelais de s’être dressé contre les adeptes du renouveau poétique, à l’ombre des classiques. Au XVIe siècle, Dante était de longtemps passé par là et la Pléiade s’employait déjà à enterrer le Moyen Âge et ses poètes.

Entre tradition et modernité, il en restait pourtant quelques-uns à la cour pour jouer de la plume, sans renier totalement l’héritage médiéval. Marot comme de Saint-Gelais étaient de cette école. Marot aime Villon et cède aux archaïsmes même si, pour ne prendre que cet exemple, leurs envolées courtoises semblent plus souvent guidées par la recherche du bon mot, que par l’émotion véritable. Le loyal amant en souffrance des temps médiévaux n’est plus qu’une lointaine remembrance. Avec Marot et de Saint-Gelais, l’heure est un peu aux poètes séducteurs collectionneurs.

Poésies courtes : "Fortune montre assez de cruauté", un dizain amoureux de Melin avec portrait de l'auteur

Querelle contre Ronsard et Du Bellay

Pour revenir à ses frictions d’avec les nouveaux auteurs, bien installé à la cour, de Saint-Gelais se fit épingler par Du Bellay qui le qualifia, sans le nommer, de « poète courtisan ». Peu après, Melin se moqua ouvertement de Ronsard devant la cour d’Henri II. Lors d’une lecture à voix haute, il fit une sélection choisie des textes du chef de file de la Pléiade, en appuyant exagérément sur sa pédanterie et sa fatuité.

L’exercice ravit le roi, mais choqua la sœur de ce dernier, Marguerite de Valois, qui ne goûta pas cet humour. Piquée, elle entreprit de poursuivre elle-même la lecture pour rendre justice à Ronsard. Ce dernier absent fut bien vite mis au fait de l’incident. Il riposta à grands traits de plume et la querelle dura plusieurs années, de 1550 à 1553 4. L’affaire se retourna donc contre Melin désormais entré dans l’âge mur et dont la réputation fut écornée.

Contrairement à Marot à qui les aventures politiques et religieuses coûtèrent l’exil, l’incident de la lecture n’eut pas de conséquences fâcheuses pour de Saint-Gelais. Il sut même rester dans les bonnes grâces d’Henri II jusqu’à son trépas. Il mourut alité et, dit-on, peu de temps après avoir entonné une dernière chanson, le luth à la main (Blanchemain op cité).

A noter que Melin resta fidèle à Marot et le soutint à travers ses déboires et son infortune. Il fut donc un bon et loyal camarade et cela ajoute à son épaisseur comme à son crédit.

Trois Dizains amoureux et poésies courtes
de Melin en moyen français


Au programme du jour donc, trois poésies courtes et trois dizains courtois, issus des œuvres poétiques de Melin de Saint-Gelais. Le moyen français n’y pose guère de difficultés. Nous vous les livrons donc à l’état brut.

De qui plus tost me devrois-je complaindre,
D’amour, de Vous, de Moy-mesme ou du Temps ?
Amour me veult à le servir contraindre;
Vous refusez ce qu’à bon droict j’attends.
Je vy d’espoir et nul bien ne pretends,
Et par le Temps constraint suis m’absenter.
Ainsy j’ai cause assez de lamenter,
Mais plus de Vous ; car vous estes à mesme
De me pouvoir promptement contenter
D’Amour, de Vous, du Temps et de Moy-mesme.


Amour aveugle aveugle tout le monde
Et moins souvent espargne le plus saige.
Oncques le sens, le sçavoir ou faconde
Ne peult couvrir ce qu’on voyt au visaige.
Or je cognois qu’il vous guette au passaige
Le traistre Enfant qui m’a tant abusé!
Fuyez-vous-en, car il est trop rusé
Et n’en croyez Petrarque ny Ovide ;
Mais advisez s’il doit estre excusé
Celuy qui prend un aveugle pour guide.


Fortune monstre assez sa cruaulté
En m’esloignant du lieu ou gist mon cueur ;
Amour me rend serf de vive beaulté
Et n’adoulcist vostre extresme rigueur ;
Le Ciel n’a point pitié de ma laugueur ;
Nature aussy ne m’a pas figuré
Pour estre à vous en grace mesuré.
La Mort souhaite
5 et Mort de moy n’a cure ;
Contre moy donc ensemble ont conjuré
Fortune, Amour, le Ciel, Mort et Nature.

En espérant que vous ayez apprécié ces poésies courtes et courtoises de Monsieur de Saint-Gelais, nous vous souhaitons une belle journée.

Encore merci de votre lecture.

Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge  sous toutes ses formes.


NOTES

NB : sur l’image d’en-tête, vous retrouverez le portrait présumé de Melin de Saint-Gelais tiré de l’œuvre du peintre franco-hollandais Corneille de Lyon ou Corneille de la Haye (1510-1575). Cette toile fait partie des collections du Louvre. En arrière plan, le manuscrit est le Français 885 de la BnF. Cet ouvrage, daté du XVIe siècle, présente une partie des œuvres de Melin de Saint-Gelais. Vous pourrez le retrouver en ligne sur gallica.fr.

  1. Les concours à la cour de Charles d’Orléans préfiguraient peut-être déjà cette tendance même si les joutes poétiques médiévales les avaient précédé. Voir Blosseville à la cour de C d’Orléans. ↩︎
  2. Marot a tout de même su diversifier avec des pièces un peu moins triviales mais une partie de son œuvre reste attachée à cette poésie légère et galante. ↩︎
  3. Le film « Ridicule » de Patrice Leconte vient même à l’esprit avec, notamment, la superbe prestation de Bernard Giraudeau dans le rôle de l’abbé de Vilecourt. ↩︎
  4. D’une prétendue réconciliation de Ronsard et Saint-Gelais en 1553, Claire Sicard, Audaces et innovations poétiques, Honoré Champion (2021) ↩︎
  5. « La Mort souhaite » Il s’agit d’une inversion. Il faut lire « Je souhaite la mort ». ↩︎

Au XVIe siècle, un joli huitain amoureux de Saint-Gelais

Sujet :  poésies courtes,  poésie de cour, huitain, moyen français, courtoisie, poésie amoureuse.
Période :   XVIe, renaissance, hiver du Moyen Âge
Auteur  :  Mellin Sainct-Gelays ou Melin de Saint- Gelais (1491-1558)
Ouvrage  :  Œuvres complètes de Melin de Sainct-Gelays  par Proper Blanchemain, T2 (1873)

Bonjour à tous,

ujourd’hui, nous revenons à un peu de poésie légère, empreinte de courtoisie. Nous sommes à l’hiver du Moyen Âge, en compagnie du poète Melin de Saint-Gelais qui fut un des favoris de François 1er et qui occupa diverses fonctions à la cour de ce dernier, ainsi qu’à celle d’Henri II.

A l’image de Clément Marot dont il est contemporain, Melin de Saint-Gelais a particulièrement brillé dans les poésies courtes où son sens de la chute et son esprit pouvaient s’exprimer à plein. Chansons, humour et grivoiseries, voire même gauloiseries, ont également fait partie de son arsenal. Comme Marot, il s’est, lui aussi, frotté aux humeurs de certains auteurs de la Pléiade dont Du Bellay et en a fait, quelque peu, les frais.

Si l’œuvre Melin reste prolifique — à la fin du XIXe siècle , Proper Blanchemain l’a recompilée sur trois tomes qu’on trouve encore édités — elle ne se hisse sans doute pas à la hauteur de celle d’un Marot, en matière de style comme d’ambition. De fait, l’œuvre de Saint-Gelais n’a pas connu la même postérité, loin s’en faut. Il y brille toutefois de nombreuses pépites qui valent un détour comme ce huitain amoureux que nous vous proposons de découvrir aujourd’hui.

Aux sources manuscrites et historiques

Le huitain de Mellin de Saint-Gelais dans le Français 885 de la BnF
Le huitain de Melin de Saint-Gelais dans le Français 885 de la BnF (consulter sur Gallica)

Aux sources historiques de ce huitain, nous recroisons ici le ms Français 885 de la BnF. Daté de la deuxième partie du XVIe siècle, ce manuscrit de 218 feuillets richement relié mais de peu d’intérêt du point de vue des enluminures, est entièrement dédié à l’œuvre du poète natif d’Angoulême.

Huitain : « ce que je veux et ce que je mérite… »

En matière de compréhension, la langue de Melin de Saint-Gelais ne pose pas, en principe, de difficultés particulières. Nous sommes au XVIe siècle et nous nous rapprochons à grand pas du français moderne. Nous vous laissons donc découvrir cet huitain tel quel et sans y adjoindre de clefs de vocabulaire.

Un Huitain amoureux de Melin de Saint-Gelais (XIVe siècle)

Ce que je veux et ce que je merite
Ont d’une part entre eux quelque distance.
Humble est mon rang ; ma fortune est petite ;
Mais bon esprit, bon coeur valent chevance.
Jà ne deviez éprouver ma constance,
Puis de l’espoir m’oster le réconfort.
Rendez moy donc, s’il vous plaist, l’esperance,
Ou m’enseignez à n’aimer plus si fort.


En vous souhaitant une belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge  sous toutes ses formes.

NB : sur l’image d’en-tête, au premier plan, on retrouve un portrait présumé de Melin de Saint-Gelais tiré de l’œuvre du peintre franco-hollandais Corneille de la Haye, encore connu sous le nom de Corneille de Lyon (1510-1575). Cette toile fait partie des collections du Louvre.

Trois dizains courtois de Melin de Sainct-Gelays

Couverture des oeuvres de Melin Saint Gelay

Sujet :  poésies courtes,  dizain, moyen français, courtoisie, amour courtois, sentiment amoureux, désir.
Période :  XVIe s, renaissance, hiver du Moyen Âge
Auteur  :  Mellin de Sainct-Gelays ou Melin (de) Saint- Gelais (1491-1558)
Ouvrage : Œuvres complètes de de Mellin de S. Gelais par Prosper Blanchemain (1873)

Bonjour à tous,

ujourd’hui, nous vous invitons à un voyage au moment de l’hiver du Moyen Âge et en terres renaissantes. Nous y découvrirons trois jolis dizains courtois tirés des Œuvres complètes de Mellin de S. Gelais telles que le poète et éditeur français Jean-Baptiste Prosper Blanchemain les fit paraître en 1873.

Jeux amoureux, séduction & art littéraire

Ce sont donc trois variations sur le sentiment amoureux auxquels Melin s’adonnerai ici. A quelles dames ces poésies sont-elles destinées? Difficile de le savoir. Dans sa biographie du poète, Prosper Blanchemain nous explique que Melin tendait à ne pas laisser de traces écrites des vers qu’il écrivait, notamment ceux qu’il réservait aux dames afin de pouvoir en conserver la fraîcheur en diverses occasions.

On mesure bien, du même coup, la distance qu’il y a pu avoir, dès l’inauguration de l’amour courtois médiéval, entre le pur exercice littéraire et poétique, les rituels de séduction et la durabilité des sentiments ou même leur sincérité. Plus loin, on apprend encore que Saint Gelais, proche de François 1er et de Clément Marot, était devenu « favori des dames et doté par elle » pour ses grands talents versificateurs comprend-on. Joaquim du Bellay parlera, en faisant un jeu de mots sur le prénom Melin de « ses vers emmiéllés« . Savant, lettré, de bonne éducation, jouant du luth et sachant chanter, Melin était aussi doté d’esprit, de style, de répartie et d’humour. Il n’en fallut guère plus pour assurer son succès auprès des rois, des seigneurs et de leur cour.

L’éditeur français a dédié 3 tomes aux œuvres complètes de Melin de Sainct Gelays. Pour vous proposer ces trois dizains, nous avons butiné dans chacun de ses ouvrages. Le moyen français du poète du XVIe siècle n’offrant pas de difficultés particulières, ces trois pièces devraient pouvoir être comprises sans nécessité de les traduire.


Dizain (Tome 1 des œuvres complètes)

Poésie médiévale : dizain de Melin Saint Gelais (1)


Si comme espoir je n’ay de guerison,
De tost mourir j’aurois ferme esperance,
J’estimerois liberté ma prison,
Et desespoir me seroi esperance.
Mais quand de mort j’ai le plus d’apparence,
Lors plus en vous apparoist de beauté ;
Dont malgré moy et votre cruauté
Pour plus vous voir Amour me tient en vie.
O cas étrange, ô grande nouveauté !
Vivre d’un mal qui de mort donne envie.


Dizain (Tome 2 des œuvres complètes)

Poésie médiévale : dizain de Melin Saint Gelais (2)


S’il est ainsy qu’une meule tant dure
Et tant pesante et forte a remuer
L’on voit soudain de sa façon muer
Par l’eau qui est de tant foible nature,
J’espère donc enfin vaincre et tuer
Le despoir que j’ai de mon desir ;
Car nonobstant que vous preniez plaisir
A me tenir, cruelle, si durs termes,
Je vous feray ou tourner, ou choisir
D’estre noyée à force de mes lermes.


Dizain (Tome 3 des œuvres complètes)

Poésie médiévale : dizain de Melin Saint Gelais (3)


La liberté, qu’avecques tant de peine
J’avois tasché si long-temps à ravoir,
Ayant de vous une faveur soudain
Je vy du tout oster de mon pouvoir,
Sans esperer que j’y peusse pourvoir
Pour mal passé dont trop il me souvienne ;
Mais, s’il m’en doit mal venir, si advienne !
Vous et le ciel en serez à blasmer :
Vous d’avoir faict semblant d’estre tant mienne,
Luy m’ayant faict si subjet à aimer.


On ne se lasse pas de trouver certaines similitudes entre certaines pièces légères de Sainct Gelays et d’autres de son ami Clément Marot. Du reste, quelquefois certaines attributions se sont croisées et même Prosper Blanchemain laisse planer un doute sur certaines pièces (issues de son tome 3 notamment). Les deux poètes sont de la même période. Tous deux sont assez prolifiques. Ils ont aussi un certain goût pour l’école italienne et leur plume rivalise d’esprit et de finesse. A l’occasion, elle sait se faire également plus humoristique, satirique ou grivoise. C’est d’ailleurs l’apanage d’une certaine poésie de cette période (voir aussi notre article sur la Fleur de poésie françoyse).

Il faut noter que, tandis que Marot paiera cher ses écarts de conduite, Melin de Sainct Gelays se tiendra plus sage et plus discret. Résistant aux sirènes de la réforme, il se fera même aumonier et continuera de rester dans les eaux de sainteté de François 1er et des puissants. De son côté, l’infortuné poète de Cahors paiera de son exil ses inimitiés comme ses faux pas (revoir sa biographie). Malgré ses ennuis et sa déroute, Melin lui resta toujours fidèle en amitié.

En vous souhaitant une belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
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NB : l’image d’en-tête est tirée d’un portrait du poète Melin Sainct-Gelays effectué par l’un de ses contemporains, le peintre et portraitiste François Clouet (1520-1572). Il fait partie des collections du Musée de Condé.

Quatrain : l’homme de raison & l’homme de cour

Sujet :  poésies courtes,  quatrain, poésie satirique, moyen français, XVe siècle, Moyen Âge tardif, auteur anonyme.

Bonjour à tous,

ujourd’hui, nous vous proposons un quatrain qui, tout bien considéré, pourrait être de circonstances. Demeurée anonyme, cette poésie courte nous provient du Moyen Âge tardif. Elle est tirée d’une compilation de pièces médiévales qu’on peut retrouver dans l’ouvrage : « La Danse aux Aveugles et autres poésies du XVe siècle, extraites de la bibliothèque des Ducs de Bourgogne » (édition de 1748 chez André Joseph Panckoucke Libraire).

Si toute la première partie de cet ouvrage reproduit la Danse aux aveugles de Pierre Michault, ce quatrain demeuré anonyme apparait dans sa deuxième partie, aux cotés de quelques autres poésies courtes et proverbe du même type. Ces pièces viennent en prélude d’un texte intitulé : Le Petit Traittiet du Malheur de la France et demeuré, lui aussi, anonyme. De notre côté et au vue du contexte, il nous est bien difficile de nous retenir de trouver dans ce quatrain, quelques accents d’actualité.


Poésie médiévale Quatrain anonyme

L’homme vivant selon raison,
Considéré le temps qui court,
Est plus aisé en sa maison
Que ne sont ceux qui sont en Court.

Quatrain anonyme du XVe siècle


Vie normale vs vie curiale

Ce quatrain oppose la tranquillité et la sagesse d’une vie normale aux vicissitudes d’une vie de cour, proche des couloirs du pouvoir. Historiquement, cette critique de la vie curiale, déjà présente dans la littérature du Moyen Âge central, le devient encore plus à l’approche du Moyen Âge tardif. On se souvient au XIVe et XVe siècles des envolées d’un Eustache Deschamps sur ce même sujet, du Dit de Franc Gontier de Philippe de Vitry ou encore du Curial de Alain Chartier dont voici un court extrait :

« Les abus de la court et la manière des gens curiaux sont telz que jamez homme n’y est souffert durer sans estre corrumpu, ou n’y est souffert soy eslever s’il n’est corrumpable« . (…) « Telz sont les ouvraiges de court, que les simples y sont mesprisez, les vertueux enviez et les arrogans orgueilleux en perilz mortelz« . Le Curial, Alain Chartier

Dans le reste du passage, Chartier donnera mille détails pour exhorter son frère à préférer sa vie paisible et à se tenir, le plus éloigné possible, des folies de la cour.

Une enluminure de la cour de Bourgogne

Sur l’image en-tête d’article, le président de la république française Emmanuel Macron reçoit des mains de son conseil scientifique, un 60eme rapport sur la situation sanitaire, établissant la nécessité absolue d’un 14eme confinement. Bon ça va, je plaisante… Cette enluminure est tirée du Cod. 2549, Romance ou Chronique de Girart de Roussillon. Elle représente le duc de Bourgogne Philippe le Bon en train de recevoir la chronique. Ce manuscrit ancien, daté du milieu du XVe est conservé à la Bibliothèque nationale autrichienne de Vienne.

Une belle journée
Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
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