Sujet : poésie, auteur médiéval, moyen français, ballade, poésie satirique, poésie morale, humour médiéval. Période : Moyen Âge tardif, XIVe siècle. Auteur : Eustache Deschamps (1346-1406) Titre : «De deux celles le cul a terre» Ouvrage : Œuvres complètes d’Eustache Deschamps, Vol 5, Marquis de Queux de Saint-Hilaire (1878), Œuvres inédites d’Eustache Deschamps, Prosper Tarbé (T1)
Bonjour à tous
ous revenons au XIVe siècle, pour y découvrir une nouvelle poésie satirique du bon vieux Eustache Deschamps.
Au cours de sa longue vie, cet auteur champenois a mis littéralement tout ce qui passait à sa portée en vers. Il en a résulté une œuvre prolifique, dont plus de 1000 ballades sur un grand nombre de sujets, qui fait le bonheur des médiévistes spécialistes du Moyen Âge tardif. Aujourd’hui, c’est une poésie humoristique et satirique qui retiendra notre attention.
Satyre et humour à la cour
Tout au long de son œuvre, Eustache n’a jamais perdu une occasion de s’adonner à la poésie morale et critique. L’officier de cour et huissier d’armes pour le roi Charles V a notamment su dépeindre avec causticité les mœurs des gens de cour de son temps. Il le fait, une fois encore et sous un nouvel angle, dans la ballade du jour.
S’il en profitera pour se gausser des gens qu’on y trouve entre personnes agréables ou lourdaudes, ce sont les serviteurs de cour que le poète médiéval ciblera plus particulièrement ici. Jeux de pouvoir, convoitise de meilleures positions ou de fonctions, ambition et volonté de paraître, sont au programme d’un propos qui finira par déborder du contexte curial pour s’élargir à tout un chacun.
Vouloir s’élever et mieux chuter
Pèlerin face à la convoitise, Français 376 de la BnF
« De deux celles le cul a terre. » scande le refrain de notre ballade satirique. A vouloir s’asseoir sur deux sièges à la fois, on pourrait bien finir par se retrouver le cul par terre.
Autrement dit, à convoiter une position trop haute et qui n’est pas la sienne, on risque bien de n’en plus avoir aucune, en s’étant tourné, au passage, en ridicule. Ici, « l’élévation » que tente le sergent, autrement dit l’officier ou le serviteur de cour, en empilant deux sièges n’est qu’une allégorie de la volonté de se hisser de statut ou de position (l’état, la condition, …).
Eloge du contentement
Au delà de la nature humoristique de la ballade, l’auteur médiéval nous parle, encore une fois, de la voie moyenne et de l’importance de savoir se contenter de sa condition, de son statut, de ses possessions, etc…
La « médiocrité dorée » qu’on trouve déjà chez des auteurs antiques comme Horace, est un thème cher à Eustache. Il lui a dédié un certain nombre de ballades en le reprenant à son compte : « Pour ce fait bon l’estat moien mener », « Benoist de Dieu est qui tient le moien » (nous vous invitons à en retrouver quelques-unes en pied d’article).
Au cœur de cette ballade, le protagoniste tombé le cul à terre pour avoir voulu s’élever trop haut, devient ainsi un exemple édifiant de cet éloge du contentement.
Sources historiques, le manuscrit français 840
Quand on désire aborder sérieusement les écrits d’Eustache Deschamps du point de vue des sources manuscrites anciennes, il est difficile de faire l’impasse sur le ms Français 840 de la BnF. Ce manuscrit médiéval du XVe siècle reste la référence la plus complète pour découvrir l’œuvre du poète champenois.
Pour la transcription en graphie moderne du texte du jour, nous nous sommes appuyés sur les Œuvres complètes d’Eustache Deschamps duMarquis de Queux de Saint-Hilaire et Gaston Raynaud (vol 5, 1878). Vous pourrez également retrouver cette poésie satirique dans les Œuvres inédites d’Eustache Deschamps, publié avant cela par Proper Tarbé (vol 1, 1849).
« De deux celles le cul a terre » dans le moyen français d’Eustache
A une grant court tres notable Alay pour vir seoir le gens Dont maint se mistrent a la table, Les uns lourdes, les autres gens (des lourdauds et des gentils) ; Mais la fut uns petiz sergens (serjant : serviteur, huissier domestique) Qui aises sist sur basse selle (bien assis sur un petit siège) ; Or ne lui souffisoit pas celle, Une autre mist sus, qu’il va querre (chercher); Mais il chut, en cheant sur elle : De deux celles (sièges) le cul a terre.
A maint (pour beaucoup) fut ce fait agreable, Chascun s’en rit; la ot venans Qui pour ceste chose muable Sont les .II. celles agrapans ; (saisissant les deux chaises et s’asseyant dessus) Sus se sirent. « Las! moy repans,» Dist cilz qui chut, « caille ay prins belle, « Bien deçus suy par ma cautelle (ruse) ; « Qui bien est, s’il se muet, il erre (celui qui est bien, s’il bouge, il se trompe) : « Cheus suy, par folie nouvelle (j’ai chu par mon action insensée), « De deux celles le cul a terre. »
Cest exemple est bien recitable (qu’on peut citer, édifiant) Et moral pour pluseurs servans Qui ont office proufitable Et qui sont autres convoitans, Puis sont l’un et l’autre perdans. Au petit ru boit teurterelle (tourterelle) Plus aise qu’en riviere isnelle (rapide), Son nife (nid) en lieu moien (peu élevé) enserre: Cheoir ne veult, par hault voul d’aelle (haut vol d’aile), De deux celles le cul a terre.
L’ENVOY
Prince, estre doit chascuns contens De son estat (condition) selon son sens, Il ne fait pas bon trop acquerre Ne vouloir monter es haulz rens Dont chéent les plus acquerans De deux celles le cul a terre.
Retrouvez d’autres ballades morales et satiriques d’Eustache Deschamps sur un thème similaire :
Frédéric EFFE Pour Moyenagepassion.com. A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.
NB : pour l’illustration et le texte en graphie moderne, nous avons utilisé une enluminure du Français 376. Elle représente le pèlerin face à la convoitise et ses tentations. Ce manuscrit daté du milieu du XIVe siècle contient la trilogie du moine cistercien et poète Guillaume de Digulleville : Le pèlerinage de humaine voyage de vie humaine, Le pèlerinage de l’âme et Le pèlerinage de l’âme Jhesu Crist. Il est actuellement conservé à la BnF et consultable sur gallica.
Sujet : marché médiéval, Moyen Âge, sorties, week-end, animations médiévales, marché de noël, compagnies médiévales, monde médiéval. Evénement : Le 14ème marché médiéval de Noël de Provins. Lieu : Provins, Seine-et-Marne, Île-de-France. Dates : 13 et 14 décembre 2025.
Bonjour à tous,
vec un peu d’avance, l’agenda hivernal sur le thème du Moyen Âge conduira nos pas en Île-de-France, vers la belle cité de Provins.
Une nouvelle édition du marché médiéval de Noël s’y tiendra, en effet, du 13 au 14 décembre 2025. Propulsé par l’Association Les Gardes-Foires de Champagne, l’événement fête déjà sa 14eme édition et promet d’être à nouveau une belle réussite dans un cadre patrimonial unique.
Au programme du Marché médiéval de Provins
Près d’une soixantaine exposants d’inspiration médiévale sont attendus pour cet événement hivernal à Provins. Le marché est réparti sur quatre places du centre historique de Provins.
Artisanat divers, déco, travail du cuir et tannerie, bijouterie, et autres idées cadeaux y trouveront une belle place aux côtés d’échoppes plus orientées sur les saveurs, les plaisirs de bouche et la gastronomie.
Pour un voyage dans le temps réussi, les animations médiévales ne seront pas en reste. Mini-Concerts, déambulations, jongleries, danses et campements médiévaux viendront encore rythmer ce marché de Noël à Provins.
Les organisateurs ont aussi pensé aux plus petits avec différents ateliers participatifs et ludiques mais aussi des initiations au combat ou au tir à l’arc.
Compagnies médiévales invitées
Gentes Comitis – La Forge du Berry -Tales of Tengri – Soñj – Les Tritons Ripailleurs -Les R’Mon Temps – Danceries Thibaud de Champagne – MandalaS – Compagnie Médiévale de St Ouen – Amici d’Orbais.
En plus de cette ambiance de marché de Noël très spécial, les charmes de celle qui fut le fief des comtes de Champagne au Moyen Âge sauront largement récompenser les visiteurs de leur venue. Une flânerie à Provins est, en effet, toujours l’assurance d’une immersion dans un patrimoine médiéval exceptionnel.
De ses remparts à ses plus beaux édifices historiques et ses maisons à colombages, la cité a conservé un cachet qui, à lui seul, mérite le détour. Ses trésors historiques et monumentaux, ainsi que son histoire liée aux grandes foires de Champagne lui ont aussi valu d’être classée au patrimoine mondial de l’Unesco. Voilà bien des raisons d’aller y célébrer Noël et son marché.
Retrouvez tous nos articles sur Provins, sa grande fête médiévale et ses marchés de Noël médiévaux :
Sujet : folk médiéval, chanson, rondeau, poésie, Anne de Bretagne, manuscrit français 23936. Période : Moyen Âge tardif, XXe siècle. Titre :« Si mort a mors » Auteur : Rondeau anonyme, chanson du XXe siècle. Ensemble : Tri Yann Album : An heol a zo glaz / Le soleil est vert (1981)
Bonjour à tous,
ous vous invitons, aujourd’hui, pour un voyage qui va nous entraîner de la Bretagne médiévale de la fin du XVe siècle jusqu’au folk celtique du célèbre groupe Tri Yann.
Au cœur de cette aventure, nous découvrirons un rondeau ancien en hommage à Anne de Bretagne celle qui fut reine de France sous deux rois et une chanson plus récente inspirée de ce rondeau.
Anne de Bretagne, Grande dame de France et de Bretagne
Anne de Bretagne , ms latin 9474, BnF.
La guerre fait rage dans la Bretagne médiévale du XVe siècle et le duché est sujet à bien des convoitises par la couronne de France. Anne devient duchesse de Bretagne à 11 ans.
Au cœur de ces tensions et de ces conflits, la jeune noble devra manœuvrer et accepter des alliances qui scelleront le rattachement de la France à la Bretagne. Entre-temps, elle aura épousé deux rois de France en achetant une paix durable et se sera imposée comme une grande régente de France sous Louis XII.
Protectrice des intérêts de la Bretagne auxquels elle reste attachée ( bien que n’étant pas toujours en position de force pour s’imposer face à la couronne ) Anne de Bretagne a aussi eu l’occasion de se montrer comme une grande mécène, amoureuses des lettres et des arts. De fait, on la trouve entourée de nombreux artistes, poètes et musiciens. Meschinot a été à la fin de sa vie son maître d’hôtel mais des noms comme Jean Marot (père de Clément Marot), Fauste Andrelin de Forlì ou encore le compositeur Johannes Ockeghem pour ne citer qu’eux gravitent encore autour d’elle et de sa cour.
Le ms Français 23936 , Un Récit de funérailles
A la disparition d’Anne de Bretagne, de grandes funérailles furent données à la Cathédrale Notre-Dame de Paris. La reine de France et duchesse de Bretagne fut ensuite inhumée en la basilique cathédrale de Saint Denis.
Anne de Bretagne , ms Velins 2780, BnF.
De nos jours, ceux qui visitent ce beau monument classé peuvent encore y admirer l’incroyable mausolée qu’édifièrent les plus fins artistes italiens en l’honneur d’Anne de Bretagne et son époux Louis XII.
En 1514, à la disparition de la noble reine, l’événement fut d’une si grande importance que le héraut d’Armes d’Anne de Bretagne en consigna tous les détails dans un manuscrit. L’ouvrage illuminé donna ensuite lieu à des copies sur instruction de Louis XII.
Certaines de ces copies ont traversé le temps dont le ms Français 23936 de la BnF. On y retrouve tous les textes dits à cette occasion et même aussi les enluminures décrivant toutes les étapes de la cérémonie. Sur cet article nous leur avons préféré des enluminures représentant la noble dame de son vivant.
Parmi les nombreux textes et hommages versifiées à la dame, dont notamment le beau rondeau suivant :
Meurtris en cueurs, tristes en corps et ames, Amassons pleurs, parfondons nous en larmes, Regrectz gectons et cris en habondance, Jamais n’ayons à plaisir acointance, Mais plourons tant que soyons soubz les lames. Perdu avons l’honneur de toutes dames, La libérable à tous hommes et femmes, Et ce secours qui nous laisse en souffrance: Deul à jamais.
Ah! faulse mort, par tes cruelz alarmes Osté nous as l’estandard et les armes, Des nobles cueurs et de tous l’espérance: Duchesse fuz et deux fois royne en France, Or sommes nous par toy en piteulx termes: Deul à jamais.
Si mort a mors par son aspre pointure Le noble espoir de maincte créature. Si mort a mors si haulte mageste, Le lys en fleur de toute crestienté. Si mort a mors le confort de noblesse; Maincts haulx voulloirs sont atainctz de foiblesse. Si mort a mors des pauvres la sustance, Le bon conseil, des vices résistance.
Si mort a mors des vertueulx le mémoyre, L’honneur de paix, l’unyon débonnayre. Si mort a mors des tristes le confort Et joye, l’accord, l’ayde du foible au fort. Si mort a mors de gloire le mérite; La doctrine des dames deshérite. Si mort a mors de l’église la mère: Plusieurs en ont affliction amère.
Si mort a mors le guydon de jeunesse, Et l’estandart de tout féminin sexе. Si mors a mors le zelle de justice: Je tiens vaccant de mainct homme l’office. Si mort a mors des Bretons la princesse, Et des Français leur regrect n’a prins cesse. Si,mort a mors des filles l’abitacle : Las! griefs, soupirs en sont sous mainct pinacle.
Si mort a mors le cueur de si grant dame. Prions à Dieu qu’il en veuille avoir l’âme.
« Si Mort a mors », L’hommage à Anne de Bretagne par Tri Yann
C’est donc ce texte poignant qui inspira, plus de 250 ans plus tard, à Jean Antoine Michel Chocun et Bernard Baudriller la belle chanson « mort a mors ».
Le travail proposé par les talentueux musiciens de Tri Yann ira bien au delà de la paraphrase et de l’adaptation en français moderne. Les paroliers se sont livrés là à une réécriture complète très loin du texte d’origine mais qui sait encore parler à nos imaginaires médiévaux.
La poésie reste au rendez-vous de ce très beau texte dont la mélodie et la musique proviennent d’une chanson traditionnelle irlandaise.
Le Folk Irlandais aux origines de l’inspiration
Aux origines de la reprise, une chanson traditionnelle irlandaise « An cailín Rua » qui conte l’amour d’un homme pour sa belle, une fille aux cheveux rouges. Cette chanson gaélique a été popularisée aux débuts des années 70 par le groupe de folk irlandais Skara Brae.
Il semble que la mélodie soit antérieure mais de nombreux titres identiques compliquent un peu les recherches. On trouve une chanson semblablement nommée abondamment citée dans les ouvrages de folklore locaux des débuts du 20e siècle mais les paroles en sont différentes. La mélodie traditionnelle remonterait au moins aux débuts du 19e siècle (1805) mais n’est pas celle utilisée par Skara Brae1. Affaire à suivre donc.
« Si mors à mors » la chanson de Tri Yann
Si les matins de grisaille se teintent S’ils ont couleur en la nuit qui s’éteint Viendront d’opales lendemains Reviendront des siècles d’or 100 fois 1 000 et 1 000 aurores encore.
Si mort à mors duchesse, noble Dame S’il n’en sera plus que poudre de corps Dorme son cœur bordé d’or Reviendront des siècles d’or 100 fois 1 000 et 1 000 aurores encore.
Si moribonds sont les rois en ripaille Si leurs prisons sont des cages sans fond Viennent l’heure des évasions Reviendront des siècles d’or 100 fois 1 000 et 1 000 aurores encore.
Si mort à mors duchesse, noble Dame S’il n’en sera plus que poudre de corps Dorme son cœur bordé d’or Reviendront des siècles d’or 100 fois 1 000 et 1 000 aurores encore.
Si 1 000 soleils de métal prennent voile 10 000 soleils de cristal font merveille Viennent des lueurs de vermeil Reviendront des siècles d’or 100 fois 1 000 et 1 000 aurores encore.
Si mort à mors duchesse, noble Dame S’il n’en sera plus que poudre de corps Dorme son cœur bordé d’or Reviendront des siècles d’or 100 fois 1 000 et 1 000 aurores encore.
Si 1 000 brigands à l’encan font partage 10 000 enfants des torrents font argent Viennent des fleurs de safran Reviennent des siècles d’or 100 fois 1 000 et 1 000 aurores encore.
Si mort à mors duchesse, noble Dame S’il n’en sera plus que poudre de corps Dorme son cœur bordé d’or Reviendront des siècles d’or 100 fois 1 000 et 1 000 aurores encore.
L’album : « An heol a zo glaz – Le soleil est vert«
La chanson de Tri Yann, en hommage à Anne de Bretagne, apparait la première fois dans l’album « An heol a zo glaz, Le soleil est vert » daté de 1981. Depuis, elle est devenue un des titres phares du groupe, entre de nombreux autres, et on la retrouve dans plusieurs albums dont tous les Best of de Tri Yann.
Du Folk écologique et militant
Sixième album de la formation nantaise trempée de folk breton, An heol a zo glaz, le Soleil vert se signe par son positionnement militant et écologique notamment contre la création de la centrale nucléaire de Plogoff. La guerre, l’agriculture intensive, le nucléaire et ses déchets, la révolte des habitants de Plogoff vont encore partie des thèmes abordés dans cet opus. Le titre « Guerre Guerre, vente vent » deviendra même un autre titre très remarqué de Tri Yann.
Pour le reste et d’un point de vue musical, la promesse est comme toujours tenue. Sur un peu plus de 42 minutes d’écoute, Tri Yann déroule son riche folk aux accents traditionnels et celtiques. Du côté des pièces proposées, suite écossaise, sonorités irlandaises, danses et musiques traditionnelles sont au programme.
Aux côtés de la chanson Mort a Mors évocatrice du Moyen Âge et d’Anne de Bretagne, on trouve encore d’autres références médiévales comme ce grand bal de Kermania-an-isquit, une ballade inspirée des danses macabres du Moyen Âge et notamment la fresque peinte sur la chapelle du même nom.
Les musiciens présents sur cet album
Jean-Louis Jossic (chant, bombarde, chalemie, flûtes, psaltérion), Jean-Paul Corbineau (chant, guitare), Jean Chocun (chant, guitare, mandoline), Bernard Baudriller (chant, basse, violoncelle, flûtes, dulcimer), Gérard Goron (chant, basse, percussions), et Christian Vignoles (guitares, basse chant) pour Tri Yann entourés de quelques autres collaborations : Jean-Louis Labro (chant), Joël Cartigny (chant), Pierre-Yves Calais (chant), Jean Luc Chevalier (guitare), Jacques Migaud (claviers).
Où se procurer l’album ?
Sauf à vouloir chiner chez les disquaires d’occasion, Le Soleil est Vert peut être assez difficile à trouver en vinyle. A défaut, voici un lien vers un Best Of de la formation nantaise dans laquelle la chanson apparait. Cette production est disponible au format CD ou MP3; Tri Yann, Le Meilleur.
British folk, folk médiéval et Moyen Âge réinventé des 70’s
Pour en dire un mot, différents facteurs peuvent expliquer la résurgence du Moyen Âge dans des périodes ultérieures à sa disparition. S’agit-il simplement de « mode » comme nous le disait Jacques le Goff ou de mouvements plus profonds ? Cela dépend sans doute des périodes et des événements de référence.
Peut-on comparer l’engouement pour les fêtes d’inspiration médiévale de fins de semaine avec les élans des romantiques du XIXe siècle et leur soif de Moyen Âge après les Lumières ? Cela mériterait des développements que cet article ne saurait couvrir. Une chose est sûre, quand il s’agit de conjuguer nos rêves au passé, princesses, châteaux et chevaliers n’en finissent pas d’hanter nos imaginaires.
Chez les musiciens et la génération qui avaient 20 ans dans les années 70, le monde médiéval semble s’être invité sur le terrain d’un rejet plus que pour des raisons simplement hasardeuses ou expérimentales. Et si les romantiques des XVIIIe et XIXe siècles avaient pu invoquer l’imaginaire médiéval au secours de leurs envies de changement, on connait la soif de nouveaux horizons de la génération de 68 et on a même pu parler, à son propos, de « romantisme révolutionnaire ».
Le folk anglo-saxon ouvre la voie
Pour faire un peu d’histoire, c’est vers la fin des années 60 que le folk britannique et américain se mettent à réinvestir la musique ancienne et le terrain de l’imaginaire médiéval. Dès lors, le Moyen Âge commence à refaire son apparition au milieu des claviers et des guitares électriques de certains groupes de rock progressifs ou de folk.
Les instruments d’époque viennent, quelquefois, se joindre aux instruments électriques et dans ces joyeuses expérimentations, la flute, les sonorités anciennes, et même les textes et référence brouillent un peu les lignes de démarcation. En bref, le monde médiéval y gagne en élasticité.
Les chansons traditionnelles et anciennes du folk irlandais ou anglais des XVIIIe et XIXe siècle viennent jouer sur un terrain perçu comme médiéval sans que les textes ou les mélodies en soient forcément directement inspirés. Le folk médiéval fusionne la modernité avec les références imaginaires.
Le goût des 70’s pour le Moyen-Âge
Plus généralement, ce Moyen Âge des années 70’s semble s’épanouir sur le terreau d’une contestation sociale ambiante. A la fin des années 60, le mouvement rock s’accompagne de l’idée de l’émancipation d’une certaine jeunesse vis à vis de la société post-industrielle et d’un rejet des traditions qu’avaient pu couver les générations précédentes.
Envie d’un retour aux sources, d’une émancipation des dogmes religieux et moraux, recherches peut-être aussi d’un ailleurs préindustriel plus écologique, moins rationaliste, plus onirique, moins matérialiste ? La communauté devient le nouvel horizon. Sur le plan spirituel, l’heure est aussi aux expérimentations individuelles et psychédéliques.
Le Moyen Âge évoqué a pu ainsi se voir investi de valeurs païennes, mystiques ou de cultes proches de la nature. C’est assez étonnant quand on considère la réalité chrétienne du Moyen Âge occidental mais il s’agit bien là d’une reconstruction (romantique ?) au service de la modernité.
A la la fin des années 60’s et des 70’s, on va aussi redécouvrir outre-Atlantique Le Seigneur des Anneaux de Tolkien. Loin de toute réalité historique, l’univers médiévalisant du génial universitaire britannique entre légendes nordiques et fantaisie trouvera de nombreuses résonnances chez les étudiants californiens à l’origine du mouvement des fleurs. Elle alimentera aussi cette idée d’un Moyen Âge onirique peuplée de magie, de créatures, de vertes communautés et de héros désintéressés. Musique, littérature, univers ludique, le Moyen Âge trouve là un terrain nouveau où s’épanouir.
Le Folk médiéval français
La France ne restera, bien sûr, pas insensible à ce mouvement musical, social et culturel, né dans les pays anglo-saxons. Les 70’s et même l’aube des 80’s seront propices à l’épanouissement du folk médiéval. Le mouvement verra se former des groupes comme Malicorne ou Mélusine et d’autres encore.
Les formations orientées sur la musique celtique et les chansons traditionnelles bretonnes inviteront, à leur tour, le monde médiéval et ses inspirations dans certains de leurs titres. Alan Stivell, Tri Yann comptent aux noms des grands groupes émergés durant cette période.
En Italie et même en France, il faut citer également Angelo Branduardi qui émerge sur la scène folk comme un troubadour poète sorti tout droit des temps médiévaux. Ses inspirations restent largement traditionnelles, folk ou même renaissantes mais il fait aussi largement place au Moyen Âge dans certains de ses titres.
A quelques formation près qui ont résisté au temps comme Tri Yann ou Branduardi, la tendance folk médiéval des années soixante-dix s’est un peu tassée avec le temps. Il faudra attendre les années 90 tardives à 2000 pour en voir de nouvelles résurgences, notamment au départ de l’Allemagne avec des groupes comme Corvus Corax ou Faun. En France, certaines formations vont même privilégier une approche plus métal et rock métal médiéval comme Sangdragon.
Il est possible que ce nouveau mouvement se soit aussi inscrit, en partie, dans un regain d’intérêt populaire pour le Moyen âge festif. La popularité croissante des fêtes ou festivals célébrant la période médiévale étant au rendez-vous, l’offre musicale s’est diversifiée.
En vous remerciant de votre lecture.
Frédéric EFFE Pour Moyenagepassion.com A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.
NB : sur la photo d’entête, le portrait d’Anne de Bretagne en premier plan du manuscrit français 23936 est celui du peintre Luigi Rubio (1836)
Sujet : poésie morale, poésie médiévale, poète breton, ballade médiévale, ballade satirique, auteur médiéval, Bretagne médiévale, tyran, grands rhétoriqueurs. Période : Moyen Âge tardif, XVe siècle Auteur : Jean (Jehan) Meschinot (1420 – 1491) Titre : Affin qu’il sente aultruy playe premiere Manuscrit médiéval : MS français 24314 BnF Ouvrage : poésies et œuvres de Jean MESCHINOT, éditions 1493 et 1522.
Bonjour à tous,
ujourd’hui, nous repartons pour la Bretagne médiévale, celle du Moyen Âge tardif et de Jehan Meschinot. Au XVe siècle, ce poète soldat se distingue par une poésie politique et morale de belle tenue.
En son temps, il se fit particulièrement connaître par ses Lunettes des Princes. Le ton était déjà politique et moral, un peu à la manière de ces miroir des princes (ou miroir aux princes) et guide pour l’éducation politique des puissants dont le Moyen Âge était friand. Sans concession, mais avec un vrai talent de plume, le poète y laissait aussi poindre quelques pointes de désespérance sur sa propre condition.
Les 25 ballades satiriques de Meschinot
Si les Lunettes des Princes sont devenues un des ouvrages les plus imprimés des débuts du XVIe siècle, la postérité a un peu moins retenu de Meschinot les 25 ballades satiriques que lui inspira la poésie Le Prince (ou les princes) de Georges Chastelain. Ce grand auteur flamand, attaché à la cour de Bourgogne, s’était distingué avant tout par ses grandes chroniques historiques mais il n’hésita pas à égratigner Louis XI dans un exercice plus poétique, politique et caustique qui inspira son homologue breton.
Meschinot reprit donc les 25 strophes du Prince de Chastelain et en fit les envois de 25 nouvelles ballades. On peut retrouver ces dernières dans le manuscrit enluminé français 24314 de la BnF daté du XVe siècle. Quant aux éditions imprimées des siècles suivants, elles adjoindront quelquefois ses poésies au texte principal des Lunettes des princes mais elles s’arrêteront souvent aux lunettes.
Sources historiques et manuscrites
Pour les sources manuscrites, nous vous renvoyons au ms français 24314 qui reste le plus accessible à la consultation en ligne (voir capture ci contre).
Pour la transcription en graphie moderne de la poésie qui nous occupe ici, nous nous sommes appuyés sur diverses éditions historiques datées du XVIe siècle.
La ballade du jour dans le Français 24314 de la BnF (à consulter sur Gallica.fr)
La punition du tyran et du prince oppresseur
La ballade du jour est la quatrième des 25 dans l’ordre des manuscrits. En terme de versification et de rythmique, elle suit la forme de toutes les autres. Meschinot a opté pour des douzains de 10 pieds tout au long de cet exercice, trois par ballades suivis d’envois dument rétribués à leur auteur (« Georges »).
Dans cette poésie politique, trempée de morale chrétienne, le tyran ou le seigneur abusif est encore dans la ligne de mire. Meschinot prolonge en quelque sorte le ton de Chastelain et développe à sa manière. Pas d’impunité pour le prince oppresseur qui brime et pille ses propres sujets. Il sera meurtri et Dieu lui fera sentir jusque dans sa chair les blessures qu’il inflige à autrui.
Dieu est à l’œuvre, ici, mais pas seulement. Le prince tyrannique paye le prix juste et logique de sa propre stupidité/avidité. En attentant à ceux qui fondent sa richesse et même sa survie, il se heurte lui-même et, croyant trompé ses sujets, c’est lui-même qu’il trompe.
« Affin qu’il sente aultruy playe premiere » dans le moyen français de Meschinot
Ou tost fauldroit terre, soleil & lune Bien de grace, de nature, & fortune, Et tout ce qu’est en essence produyt: Ou les tyrans qui sans raison aulcune Pillent les biens de la chose commune Dont par après n’en est riens mieulx conduit Seront puniz de très-griefve poincture (blessure). L’abus est grant en la loy de nature Quand le seigneur par maulvaise maniere Sur les subgectz (sujets) prent excessive proye Dieu le payera en pareille monnoye Affin qu’il sente aultruy playe(plaie) premiere.
C’est cruaulté des plus piteuses l’une Qui jamais fust si par voye importune Le commun est par le prince destruyt Duquel il a bled (blé), vin, rentes, pecune (argent monnayé) Service honneur & sans lui fault qu’il jusne (jeûne) Car il n’est pas au labourage duyt En le perdant, il perd sa nourriture Et si se mect en damnable adventure Car bien souvent a la fin derreniere Trompé se voit quand a tromper essaye Et justement raison ainsi le paye Affin qu’il sente aultruy playe premiere.
Terne conseil & celée rancune (rancune secrète) Propre proufit en province plus de une ont aultrefoys porté dommageux fruict Et de cecy ne sçay raison nesune (aucune) Fors que dieu veult non pas saison chascune Descouvrir ce qui es cueurs ard & bruyt Ainsi advient que mieulx qu’en portraicture (image, plan) Des cas secretz conduys par voye obscure A t’on souvent congnoissance planiere (plénière) Dont le maulvais en l’espineuse haye Qu’il a basty tresbuche & la se playe Affin qu’il sente aultruy playe premiere.
L’envoi Prince lettré, entendant l’escripture, Qui fait contraire à honneur et droiture Dont il doit estre exemplaire et lumière, Bien loist (vb loisir, il est permis) que Dieu du mesme le repaye, Et que autre, après, lui fasse grief et playe, Affin qu’il sente autruy playe première.
Frédéric EFFE Pour Moyenagepassion.com A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.
NB : en image d’en-tête vous retrouverez un détail de l’enluminure de garde du ms Français 24314 de la BnF. On y voit l’auteur affairé à l’écriture tandis que ses muses ou plutôt ses démons le visitent (langueur, fureur, courroux, peine, …)