Sujet : chanson médiévale, poésie, amour courtois, chevalier, trouvère, trouvère d’Arras, Artois, lyrisme courtois, descort
Période : Moyen Âge central
Auteur : Conon de Béthune  ( ?1170 – 1219/20)
Titre : «Bele douce dame chiere»
Interprètes : Diabolus in Musica
Album :  La Doce Acordance: chansons de trouvères (2005).
Bonjour à tous,
près avoir présenté le trouvère et chevalier artésien Conon de Béthune et donné quelques éléments de biographie le concernant, voici une de ses chansons interprétée par l’excellent ensemble médiéval Diabolus In Musica.
Bele douce dame chiere, de Conon de Bethune par Diabolus in Musica
Diabolus en Musica
à la rencontre des trouvères

La pièce de Conon de Béthune que nous partageons ici est tirée de l’album La Doce Acordance sortie en 2005 dont nous avions également dit un mot dans un autre article. On se souvient que l’album ayant pour thème les trouvères des XIIe et XIIIe 
Actualité et concerts
Toujours très actif depuis sa création en 1992, Diabolus in Musica continue d’explorer, sans relâche, le vaste champ des musiques médiévales et anciennes pour les faire redécouvrir au public. Dans le courant de l’année 2017, la formation a ajouté à son ample programme les requiem(s) de deux grands compositeurs des XVe et XVIe siècles : Johannes Ockeghem et Pierre de la Rue.

Belle do(u)ce Dame chiere
Belle doce Dame chiere,
 Vostre grans beautés entière
 M’a si pris
 Ke, se iere* (*de estre : si j’étais) em Paradis,
 Si revenroie je arrière,
 Por convent* (* à condition) ke ma proiere
 M’eùst mis
La ou fuisse vostre amis
 Ne vers moi ne fuissiés fiere,
 Car aine ens nule manière
 Ne forfis
 Par coi fuissiés ma guerrière* (*pour que vous me fassiez la guerre).
Ne lairai ke je ne die
  De mes maus une partie
  Come irous.
  Dehaiz ait* (*maudit soit) cuers covoitos,
  Fausse, plus vaire*(*changeante) ke pie,
  Ki m’envoia en Surie !
  Ja por vous
  N’avrai mais les ieus plorous.
  Fous est ki en vous se lie,
  Ke vos estes l’Abeïe
  As Soffraitous* (*aux misérables),
  Si ne vous amerai mie.
Analyse et interprétation

Belle douce dame chiere,
A vos mi doin e m’otroi;
Je n’avrai mes joi’ entiere
Si je n’ai vos e vos moi.
Mot estes male guerriere
Si je muer per bone foi;
Mes ja per nulle maniere
No.m partrai de vostre loi.
Certaines rimes identiques utilisées par Conon de Béthune viennent encore confirmer cette référence : « entière », « guerrière », « manière » et il semble donc bien que nous soyons ici face à une transposition d’Oc vers Oil aux inspirations non voilées.
Pour ce qui est du sens, dans la première strophe, le trouvère exprime sa loyauté envers celle qui fait l’objet de sa chanson. Ayant loué sa grande beauté, en bon loyal amant et dans la veine de la lyrique courtoise, il affirme ne jamais l’avoir trahi et aurait même renoncé pour elle au paradis (à condition tout de même qu’elle cède clairement à ses avances). Dans la deuxième strophe, le ton est largement plus conflictuel et exprime la discorde. Plus question de grand transport ici et même plutôt le contraire puisque le chevalier déçu y épanche sa colère et sa désillusion.
Les différents manuscrits qui la contiennent proposent des variantes de cette chanson. La version que nous publions ici est celle de Axel Wallenskôld (Les chansons de Conon de Béthune (1921), Honoré Champion). Ainsi, au début de la deuxième strophe, dans certaines variantes, au lieu de :
Ne lairai ke je ne die
De mes maus une partie
Come irous.
On trouve :
Por une k’en ai haïe
ai dit as autres folie,
come irous.
Pour une autre que j’ai haïe, 
 j’ai dit des folies de toutes les autres
 n’écoutant que ma colère.
Le trouvère fait-il référence à un autre de ses déboires amoureux ou s’adresse-t-il simplement à son public ? Quoiqu’il en soit, la suite de la strophe entérine la rupture après une référence quelque peu obscure aux croisades. L’expression « l’Abeïe As Soffraitous » (l’abbaye des misérables) reste sujette à interprétation. Avec quelques réserves, on peut sans doute en déduire que la dame ne filtre pas tellement ses relations (amoureuses?) et qu’elle ne s’est donc pas montrée très fiable ou loyale envers le trouvère. Il est assez difficile de mesurer à quel point l’expression clairement mâtinée d’ironie, prend ou non un tour un peu graveleux (1).
Concernant le dernier vers on trouvera encore comme variante, celle utilisée ici par Diabolus In Musica : « Si ne vous nomerai mie » au lieu de « Si ne vous amerai mie. »
En vous souhaitant une belle journée.
Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.
(1) Pour creuser le sujet et affiner encore l’interprétation de cette chanson de Conon de Bethune autant que ses références, voir l’article de Luca Barbieri sur le portail de l’Université de Warwick