XIIIe siècle, Espagne médiévale. A la cour, le roi Alphonse X de Castille s’entoure de sages et de savants et entreprend de compiler une grande œuvre littéraire et scientifique. Elle touchera tous les aspects de la vie intellectuelle de son temps : langage, culture, science, philosophie, religion,… Il héritera même du surnom d’Alphonse le Sage, ou Alphonse le Savant.
Vous explorerez, ici, le parcours de ce souverain médiéval hors du commun et sa littérature galaïco-portugaise, avec des textes, poésies, chansons, commentés et traduits, pour vous, en français moderne.
Sujet : musique médiévale, danse, vièle, rebec, Galice médiévale, Cantiga de Santa Maria, instruments anciens, musiques anciennes, inspirations celtiques. Période : Moyen Âge central, XIIIe siècle Titre : « danses, cantigas & chants de la terre « Auteurs : Anonymes, Alphone X de Castille, Jordi Savall Interprète : Jordi Savall, Pedro Estavan Album : La lira d’Espéria II , Allia Vox ( 2014)
Bonjour à tous,
n 1994-96, Jordi Savall partait sur les traces de la méditerranée médiévale et de ses musiques anciennes. L’album, intitulé La Liria d’Espéria (la lyre d’Hespérie), faisait référence à cette région qui désignait, pour les grecs antiques, les péninsules italiennes et ibériques. Quant au voyage musical, il passait de sonorités espagnoles à des danses italiennes d’époque pour encore faire des incursions du côté andalous et proche-oriental, avec des compositions venues d’Afrique du nord et même encore de la culture juive séfarade.
Accompagné du percussionniste Pedro Estevan, le maître de musiquecatalans’était, ici, doté pour seuls instruments, d’une vièle ténor, d’un rebec et d’un rabab. Un choix de formation audacieux et minimaliste qui allait lui permettre de marier l’essentiel à la pureté dans un album superbe et sans artifice. La critique, comme le public, ne s’y est d’ailleurs pas trompée en réservant un bel accueil à ce premier opus de la Liria d’Esperia.
Danses, cantigas & chants de la terre sous l’archet de Jordi Savall,
La lira d’Esperia II Galicia
Pour le plus grand plaisir des amateurs de musique médiévale et de voyages sonores dans le temps, Jordi Savall allait reprendre, un peu plus tard, le même concept et le même complice pour poursuivre son exploration. Ainsi, en 2014, un deuxième opus intitulé La Lira d’Esperia II allait naître, d’un niveau de qualité égale au premier.
Avec vingt-trois pièces pour près d’un heure quinze d’écoute, comme son titre l’indique, un accent particulier serait mis, dans ce deuxième album, sur les musiques de la Galice médiévale et ancienne, province la plus « celtique » de l’Espagne d’alors, selon les propres mots de Jordi Savall.
Sonorités celtiques et envolées uniques sur fond de Galice médiévale à la main d’Alphonse le sage
Dans cette nouvelle pièce d’orfèvrerie musicale, on reconnaîtra, plus encore que dans le premier opus, l’influence directe et prégnante du règne d’Alphonse le Sage ; aux côtés de pièces anciennes et traditionnelles de Galice, plus de dix compositions sont, en effet, issues des Cantigas de Santa Maria du souverain de Castille. Nous vous avions déjà présenté, ici, la très belle ductia, librement inspirée de la Cantiga de Santa Maria 248, qui ouvrait cet album. Sous le jeu d’archet du musicien catalan et ses sonorités instrumentales si particulières, elle nous entraînait dans une atmosphère toute à fait nouvelle, à des lieux des exécutions classiques habituelles.
Aujourd’hui, c’est une vidéo produite en 2014 par Allia-Vox (la société d’édition de Jordi Savall), que nous partageons avec vous. Elle donne un bel aperçu de la puissance de cette production et, on a, en prime, le plaisir d’y retrouver des extraits d’interviews du talentueux directeur musical.Pour le reste, on trouve toujours ce bel album récent à la vente, sous forme de CD ou même au détail et par fichier, au format MP3 : La Lira d’Esperia II – Galicia.
En vous souhaitant une belle journée.
Fred
Pour moyenagepassion.com A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes
Sujet : musique médiévale, galaïco-portugais, lyrisme médiéval, culte marial, miracle Période : XIIIe siècle, Moyen Âge central Auteur : Alphonse X de Castille, (1221-1284) Interprète : Edouardo Panigua Titre : Cantiga Santa Maria 188, « Coraçôn d’hóm’ ou de mollér que a Virgen muit’ amar « Album : Cantigas de Mujeres (2011)
Bonjour à tous,
our aujourd’hui, voici l’étude d’une nouvelle Cantiga de Santa Maria tirée du legs du roi d’Espagne Alphonse X de Castille. Il s’agit, cette fois, de la Cantiga 188. C’est un nouveau récit de miracle à ajouter au compte de ceux que nous avons déjà commenté et étudier ( voir index des Cantigas de Santa Maria traduites et commentées).
Cette fois-ci, il est question de la très grande dévotion d’une jeune fille. Comme on le verra, le miracle accompli ne se situera pas forcément là où on l’attendait. D’une certaine façon, cette Cantiga remettra même les pendules à l’heure des mentalités très chrétiennes du Moyen Âge occidental, pour le cas où on les aurait perdu de vue.
Une image de la vierge
dans le cœur d’une damoiselle pieuse
Le poète nous conte, en effet, l’histoire d’une demoiselle a l’amour si grand pour la sainte vierge qu’elle n’avait fini par concevoir plus qu’un grand détachement, voire même du mépris, pour ce monde de matière. Emportée par ses jeûnes et sa volonté d’abstinence, la jeune fille finit même par refuser toute nourriture et toute boisson durant un mois entier. Alitée et affaiblie, quand on prononçait le nom de la Sainte devant elle, elle n’avait pour seul geste que de porter la main à son cœur. Finalement dans sa grande bonté et sans plus attendre, Dieu manda la vierge pour emporter la jeune fille au Paradis.
Ici, la dévotion se conclut donc par la mort et le miracle ne consistera pas à ramener la pieuse damoiselle à la vie. C’est là où nous sommes bien au cœur du Moyen Âge chrétien : la mort n’est pas un drame. Ce n’est qu’un passage et même l’âge n’importe pas. Ce qui compte c’est le Salut. Dans l’esprit de cette cantiga, c’est donc une fin heureuse que trouve la jeune fille. Au fond, elle l’a même presque appelée de ses vœux et elle accède ainsi au Paradis et au bonheur éternel, comme récompense suprême de sa foi, de son abstinence et de son détachement de ce monde.
Le miracle suivra. Face à la mort prématurée de la jeune fille et convaincus qu’elle faisait le geste de montrer son cœur pour designer le siège de son mal, les parents manderont une autopsie. Se pouvait-il qu’on l’ait empoisonnée ? Nenni. Durant l’opération post mortem, ils découvriront, stupéfaits, la présence de l’image de la vierge, à l’intérieur du cœur de la défunte : « même pour ceux, hommes ou femmes, qui veulent taire leur grand foi dans la sainte, cette dernière s’arrange toujours pour que cela soit établi et reconnu« .
Suite à l’histoire et, comme dans chaque miracle, les témoins, en l’occurrence les parents et leur entourage verront leur foi et leur dévotion renforcées.
La Cantiga de Santa Maria 188 par Eduardo Paniagua
« Cantigas de Mujeres » de Eduardo Paniagua
Nous vous avons déjà parlé, à plusieurs reprises, de Eduardo Paniagua. Grand musicien espagnol, passionné de musiques médiévales profanes ou sacrées, on lui doit de nombreux albums sur ce thème. Concernant les Cantigas de Santa Maria en particulier, son legs est immense puisqu’au fil du temps , il a fini par toutes les enregistrer dans de nombreux albums classés par thématique. Dans ce vaste travail on retrouve même, quelquefois, plusieurs versions de la même Cantiga. C’est le cas de cette Cantiga 188.
Dans un double album daté de 1998, intitulé Cantigas de Sevilla, Eduardo Paniagua en avait déjà proposé une version instrumentale. En 2011, avec l’album Cantigas de Mujeres, il en proposait, cette fois, un version vocale et instrumentale qui est celle que nous vous proposons aujourd’hui. En plus cette pièce, l’album en présente 8 autres issues du legs d’Alphonse le savant. Comme son titre l’indique, cette sélection se base sur le thème des femmes dans les Cantigas de Santa Maria, même s’il faut noter que ces dernières présentent un nombre de récits bien plus grand qui mettent en scène de femmes.
La Cantiga de Santa Maria 188
du galaïco-portugais au français moderne
Esta é dũa donzéla que amava a Santa María de todo séu coraçôn; e quando morreu, feze-a séu padre abrir porque põía a mão no coraçôn, e acharon-lle fegurada a omage de Santa María.
Celle-ci (cette cantiga) est à propos d’une jeune fille qui aimait Sainte Marie de tout son cœur ; Et quand elle mourut, ses parents la firent ouvrir parce qu’ils pensaient qu’on l’avait empoisonnée, et ils trouvèrent dans son cœur une image de la vierge.
Coraçôn d’ hóm’ ou de mollér que a Virgen muit’ amar, macá-lo encobrir queiran, ela o faz pois mostrar.
Cœur d’hommes ou de femmes qui aiment beaucoup la Vierge, Même quand ils veulent le cacher (couvrir), cette dernière fait le nécessaire pour que cela soit montré.
Desto ela un miragre mostrou, que vos éu direi, a que fix bon son e cobras, porque me dele paguei; e des que o ben houvérdes oído, de cérto sei que haveredes na Virgen porên mui mais a fïar.
Coraçôn d’ hóm’ ou de mollér que a Virgen muit’ amar…
A propos de cela, elle fit un miracle que je vous conterai Et duquel je fis un bon son et de bonnes strophes, pour que vous puissiez m’en payer (?) Et dès que vous l’aurez entendu, je suis bien certain Que vous aurez encore plus confiance dans le pouvoir de la vierge.
Refrain
Esto por ũa donzéla mostrou a Sennor de prez, que mui de coraçôn sempre a amou des meninnez e servía de bon grado; porên tal amor lle fez, que o ben que lle quería non llo quis per ren negar.
Coraçôn d’ hóm’ ou de mollér que a Virgen muit’ amar…
Le dame de grande valeur montra ceci par une jeune fille (donzelle) Qui de tout son cœur, l’avait aimée depuis toujours et depuis l’enfance Et qui la servait de bonne volonté ; pour cela, elle lui tenait un tel amour Que le bien qu’elle lui voulait, elle n’aurait pu le nier en rien. Refrain
Esta donzéla tan muito Santa María amou, que, macar no mund’ estava, por ela o despreçou tanto, que per astẽença que fazía enfermou, e un mes enteiro jouve que non pode ren gostar
Cette donzelle aimait si fort Sainte Marie Que, bien qu’elle était dans le monde, pour la Sainte elle le méprisait tant, que par les jeûnes (abstinences) qu’elle fit, elle tomba malade Et elle demeura ainsi, durant un mois entier, sans pouvoir rien apprécier
do que a comer lle davan e a bever outrossí. E pero que non falava, segundo com’ aprendí, se lle de Santa María falavan, en com’ oí, ao coraçôn a mão ía tan tóste levar.
Coraçôn d’ hóm’ ou de mollér que a Virgen muit’ amar…
De ce qu’on lui donnait à manger et à boire. Et bien qu’elle ne parlait pas, suivant ce que j’ai appris, Si on lui parlait de Sainte Marie, comme je l’entendis dire, Elle posait aussitôt sa main sur son cœur. Refrain
A madre, que ben cuidava que éra doente mal e que o põer da mão éra ben come sinal que daquel logar morría; e quis Déus, non houv’ i al, que a sa Madre bẽeita a fosse sigo levar.
Coraçôn d’ hóm’ ou de mollér que a Virgen muit’ amar…
La mère, était bien convaincue qu’elle était gravement malade Et qu’elle mettait sa main ainsi pour signaler Un mal à cet endroit dont elle allait mourir ; Et Dieu voulut, sans plus attendre, Que sa mère bénie s’en fut pour emporter la jeune fille. Refrain
O padr’ e a madre dela, quando a viron fĩir, cuidaron que poçôn fora e fezérona abrir; e eno coraçôn dentro ll’ acharon i sen mentir omagen da Grorïosa, qual x’ ela foi fegurar.
Coraçôn d’ hóm’ ou de mollér que a Virgen muit’ amar…
Son père et la mère, quand ils la virent mourir, Crurent qu’elle avait été empoisonnée et la firent ouvrir; Et, sans mentir, ils trouvèrent à l’intérieur de son cœur, L’image de la glorieuse, comme la jeune fille se l’était imaginée (figurée). Refrain
E dest’ a Santa María déron porên gran loor eles e toda-las gentes que éran en derredor, dizendo: “Bẽeita sejas, Madre de Nóstro Sennor, que a ta gran lealdade non há nen haverá par.”
Coraçôn d’ hóm’ ou de mollér que a Virgen muit’ amar…
Et à partir de cet instant, ils firent de grandes louanges à Sainte Marie Eux et tous les gens qui les entouraient En disant : « Bénie sois-tu, Mère de notre Seigneur, Toi dont la grande loyauté n’a et n’aura jamais d’égale. » Refrain.
En vous souhaitant une belle journée.
Fred
Pour moyenagepassion.com A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.
Sujet : musique médiévale, Cantigas de Santa Maria, galaïco-portugais, culte marial, louange, Sainte-Marie, vierge, miséricorde Période : Moyen Âge central, XIIIe siècle Auteur : Alphonse X (1221-1284) Titre : Cantiga 140 « Sean dados honrados » Ensemble : Theatrum Instrumentorum & Aleksandar Sasha Karlic Album : Alfonso « El Sabio »: Cantigas de Santa Maria (1999)
Bonjour à tous,
ous revenons, aujourd’hui, à l’Espagne médiévale d’Alphonse le Savant et ses Cantigas de Santa Maria. Nous avons, jusque là, étudié de nombreux miracles issus de ce corpus du roi de Castille du XIVe siècle. Cette fois-ci, pour varier un peu, la pièce que nous vous proposons, la cantiga 140 est un chant de louange. Elle alimentera également, nos autres articles au sujet du culte marial et son importance au Moyen Âge central.
Theatrum Instrumentorum & Aleksandar Sasha Karlic
Theatrum Instrumentorum et Aleksandar Sasha Karlic
La formation Theatrum Instrumentorum fut fondée au milieu des années 90 et dirigée par Aleksandar Sasha Karlic. La passion de ce musicien yougoslave pour les musiques anciennes ou encore ethniques, n’était pas nouvelle. Installé en Italie, il y avait suivi le conservatoire de Milan et de Parme. Plus tard, il avait également collaboré avec quelques grands noms de la scène locale des musiques anciennes et traditionnelles. En plus de ses talents de directeur, Aleksandar Sasha Karlic est aussi joueur de luth , de oud, de percussions et il également doté de talents vocaux.
Sous sa houlette, la formation Theatrum Instrumentorum s’est faite connaître dans le domaine des musiques anciennes et médiévales, en Italie, mais aussi dans d’autres pays d’Europe. Du point de vue discographique, elle a légué 6 albums qui furent tous bien accueillis par la critique. En plus des Cantigas de Santa Maria qui font l’objet de cet article, on peut y trouver les Carmina Burana, le Llibre Vermell de Montserrat, mais encore des Chants grégoriens et religieux de Giovanni Pierluigi da Palestrina en provenance du XVIe siècle.
Sauf erreur, Theatrum Instrumentorum n’est plus actif depuis longtemps déjà et on ne trouve plus grand chose à son sujet sur le net. Quant à son directeur, en 2004, il a fondé, toujours en Italie, Balkan Blues, une nouvelle formation autour des musiques des Balkans qu’il affectionne particulièrement depuis ses débuts de carrière. Parallèlement, il a continué de laisser vibrer sa passion pour les musiques anciennes et traditionnelles du berceau méditerranéen, en étant encore largement salué par la critique pour ses travaux dans ce domaine.
Alfonso « El Sabio »: Cantigas de Santa Maria
En 1999, Theatrum Instrumentorum sortait un album autour des Cantigas d’Alphonse X de Castille. On peut y trouver 12 pièces d’exception qui laissent une large place à l’interprétation vocale.
Cet album est toujours disponible à la distribution. Le CD ne semble pas avoir été réédité, ces dernières années ; Il peut donc s’avérer difficile à débusquer ou être mis en vente à des prix un peu hors de portée. En revanche, les pièces qui le composent sont disponibles à la vente et au téléchargement, au format MP3, sur divers sites internet. A toutes fins utiles, voici le lien correspondant sur Amazon : Alfonso X « El Sabio »: cantigas de Santa Maria by Theatrum Instrumentorum.
La Cantiga 140
Du galaïco-portugais au français moderne
Esta es de loor de Santa María.
Celle-ci (cette cantiga) est en louanges à Sainte Marie
A Santa Maria dadas sejan loores onrradas.
Qu’à Sainte-Marie soient faites
des louanges respectueuses. (Que soit louée avec respect Sainte Marie)
Loemos a sa mesura, seu prez, e ssa apostura, e seu sen, e ssa cordura, mui mais ca cen mil vegadas.
A Santa Maria dadas sejan loores onrradas.
Louons sa mesure, Son prestige et son intégrité (maintien) Son bon jugement et sa raison, Bien plus de cent mille fois.
refrain.
Loemos a ssa nobressa, sa onrra e ssa alteza, sa mercee e ssa franqueza, e sas vertudes preçadas.
A Santa Maria dadas sejan loores onrradas.
Louons sa noblesse, son honneur et son altesse (élévation, noblesse des valeurs) Sa miséricorde, sa franchise Et ses précieuses vertus.
refrain.
Loemos sa lealdade, seu conort’ e ssa bondade, seu accorr’ e ssa verdade, con loores mui cantadas.
A Santa Maria dadas sejan loores onrradas.
Louons sa loyauté, Sa consolation (ou confort : dans le sens de conforter) et sa bonté, Son secours et sa vérité Avec des louanges bien chantées.
refrain.
Loemos seu cousimento, conssell’ e castigamento, seu ben, seu enssinamento, e sass graças mui grãadas.
A Santa Maria dadas sejan loores onrradas.
Louons son attention, Son conseil et ses mises en garde, Son bien, ses enseignements, Et ses grâces très prisées.
refrain.
Loando-a, que nos valla, lle roguemos na batalla do mundo que nos traballa, e do dem’ a donodadas.
A Santa Maria dadas sejan loores onrradas.
Et la louant, nous la prions, qu’elle nous prête courage dans la bataille Contre le monde qui nous tourmente Et contre le démon.
Sujet : musique médiévale, Cantigas de Santa Maria, galaïco-portugais, culte marial, miracles, Sainte-Marie, vierge, sauvetage, croisades, Saint-Louis, De Joinville Période : Moyen Âge central, XIIIe siècle Auteur : Alphonse X (1221-1284) Titre : Cantiga 193 « Sobelos fondos do mar » Ensemble : Sequentia Album : Songs for King Alfonso X of Castille and León (1991)
Bonjour à tous,
ans la continuité de nos articles sur le culte marial dans l’Europe médiévale du Moyen Âge central, voici un nouveau récit de miracle tiré du corpus du roi Alphonse X de Castille. Il s’agit cette fois de la Cantiga de Santa Maria 193.
La vierge et son manteau contre les éléments
Au Moyen Âge, il n’est pas d’éléments terrestres qui puissent arrêter les miracle de la vierge. Des profondeurs des mers jusqu’aux plus hauts sommets, elle peut, en effet, intercéder en faveur de ceux qui la prient et ont foi en elle, et lever tous les obstacles.
Le récit de la Cantiga 193 porte sur un sauvetage en mer miraculeux. L’histoire se déroule durant ce qui semble être la première croisade de Saint-Louis. Le poète nous conte qu’un marchand fortuné se tenait sur un navire de la large flotte. L’homme était visiblement entouré de mauvaise compagnie puisqu’il fut jeté par dessus bord par l’équipage qui voulut lui dérober ses biens pour les dépenser à la guerre. Quoiqu’il en soit, la vierge intervint et déploya un voile blanc (un drap, un tissu, ailleurs il sera question de son manteau) entre l’homme et les eaux afin qu’il ne fut pas noyé. Quelque temps plus tard, survint une autre nef qui tira l’homme d’affaire. Suite au miracle, il décida qu’il se joindrait à la guerre et tous louèrent la Sainte pour son intervention.
La version de la Cantiga de Santa Maria 193 par Sequentia
Les Cantigas de Santa Maria par Sequentia
En 1991, l’ensemble Sequentia fit, à son tour, un tribut aux célèbres cantigas d’Alphonse X. Enregistré en Suisse, l’album sortit l’année d’après sous le label Deutsche Harmonia Mundi. Il contient 18 pièces dont 13 cantigas et a pour titre : Songs for King Alfonso X of Castille and León (1221-1284). Pour plus de détails à son sujet voir : un chant de Louanges de Cantigas par Sequentia. Vous pouvez également vous procurer cet album au lien suivant : Sequentia performs Vox Iberica III by El Sabio. Quant à la formation de Benjamin Bagby et Barbara Thornton, vous la trouverez présentée ici : portrait de l’ensemble médiéval Sequentia
Aux origines de la Cantiga 193 :
un récit de Sire de Joinville ?
On trouve la trace de miracles semblables à celui de la Cantiga 193 dans des sources diverses. Pour la plupart d’entre eux, ils portent toutefois sur le sauvetage de plusieurs pèlerins de la noyade par l’intervention de la Sainte. (Les Collections De Miracles De La Vierge en Gallo et Ibéro-Roman au XIII Siècle, Paule V. Bétérous, 1993). Autour de 1248-1250, un récit de Sire de Joinville a pu également inspirer le souverain d’Espagne. L’histoire conte, en effet, un miracle ayant de troublantes correspondances avec celui du roi espagnol, à ceci près qu’il s’agit d’une chute malencontreuse à la mer, et pas d’une tentative d’homicide. Dans Les mémoires de Saint-Louis de De Joinville, c’est aussi une des nefs royales qui secourut l’homme. La voici dans le détail, telle que traduite par Natalis de Wailly, en 1874 :
« 650. Une autre aventure nous advint en mer; car monseigneur Dragonet, riche homme de Provence, dormait le matin dans sa nef, qui était bien une lieue en avant de la nôtre, et il appela un sien écuyer et lui dit : « Va boucher cette ouverture, car le soleil me frappe au visage.» Celui-ci vit qu’il ne pouvait boucher l’ouverture s’il ne sortait de la nef: il sortit de la nef. Tandis qu’il allait boucher l’ouverture, le pied lui faillit, et il tomba dans l’eau, et cette nef n’avait pas de chaloupe, car la nef était petite : bientôt la nef fut loin. Nous qui étions sur la nef du roi, nous le vîmes, et nous pensions que c’était un paquet ou une barrique, parce que celui qui était tombé à l’eau ne songeait pas à s’aider.
651 . Une des galères du roi le recueillit et l’apporta en notre nef, là où il nous conta comment cela lui était advenu. Je lui demandai comment il se faisait qu’il ne songeait pas à s’aider pour se sauver, ni en nageant ni d’autre manière. Il me répondit qu’il n’était nulle nécessité ni besoin qu’il songeât à s’aider ; car sitôt qu’il commença à tomber, il se recommanda à Notre-Dame de Vauvert, et elle le soutint par les épaules dès qu’il tomba, jusques à tant que la galère du roi le recueillît. En l’honneur de ce miracle, je l’ai fait peindre à Joinville en ma chapelle, et sur les verrières de Blécourt. «
Jean Sire de Joinville Histoire de Saint Louis,
credo et lettre a Louis X, Natalis de Wailly (1874)
Contre ce récit miraculeux de Jehan de Joinville, et sous réserve que le roi d’Espagne s’en soit inspiré, on notera que la version de ce dernier ne met pas tellement à l’honneur la qualité de l’ost du roi de France et, encore moins, certains membres de sa flotte.
Les paroles de la Cantiga de Santa Maria 193
et approche de traduction française
Como Santa Maria guardou de morte u mercadeiro que deitaron no mar.
Comment Sainte-Marie sauva de la mort un marchand qu’on avait jeté à la mer.
Sobelos fondos do mar e nas alturas da terra á poder Santa Maria, Madre do que tod’ ensserra.
Sur les profondeurs des mers et les plus hautes montagnes, Elle a tout pouvoir Sainte Marie, Mère de celui qui règne sur toute chose,
E daquest’ un gran miragre vos direi e verdadeiro, que fezo Santa Maria, Madre do Rei josticeiro, quand’ o Rei Lois de França a Tunez passou primeiro con gran gente per navio por fazer a mouros guerra.
Sobelos fondos do mar e nas alturas da terra…
Et, à ce propos, je vous conterai un grand et véritable miracle Que fit Sainte-Marie, Mère du Roi de Justice (Dieu, Jésus), Quand le roi Louis de France navigua vers la Tunisie Avec une grande armée pour faire la guerre contre les Maures.
En ha nave da oste, u gran gente maa ya, un mercador y andava que mui grand’ aver tragia; e porque soo entrara ontr’ aquela conpania, penssaron que o matassen pera despender na guerra
Sobelos fondos do mar e nas alturas da terra…
Sur l’un des navires de son ost, où on comptait beaucoup de gens vils, voyageait un marchand qui avait avec lui une grande fortune. Et comme il s’était embarqué seul avec une telle compagnie Ceux-ci eurent l’idée de le tuer pour dépenser à la guerre
O aver que el levava. E [tal] conssello preseron que eno mar o deitassen, e un canto lle poseron odeito aa garganta e dentro con ele deron. Mais acorreu-ll[e] a Virgen que nunca errou nen erra,
Sobelos fondos do mar e nas alturas da terra…
toutes les richesses qu’il avait avec lui. Ils s’accordèrent
pour le jeter à la mer, et il lui attachèrent une pierre autour de son cou, et le jetèrent à l’eau. Mais la Vierge, qui n’a jamais commis de péchés et n’en commettra jamais, vint le secourir.
Que aly u o deitaron tan tost’ ela foi chegada e guardou-o de tal guisa, que sol non lli noziu nada o mar nen chegou a ele, esto foi cousa provada; ca o que en ela fia, en ssa mercee non erra.
Sobelos fondos do mar e nas alturas da terra…
Ainsi, elle vint aussitôt à l’endroit où ils l’avaient noyé et le protégea de sorte que la mer ne lui fit aucun mal et ne le toucha même pas. C’est là une chose admise, que, dans sa miséricorde, elle n’abandonne jamais ceux qui ont foi en elle.
E ele ali jazendo u o a Virgen guardava, a cabo de tercer dia outra nav’ y aportava; e un ome parou mentes da nav’ e vyu com’ estava aquel ome so a agua, e diz: «Mal aja tal guerra
Sobelos fondos do mar e nas alturas da terra…
Et l’homme resta couché là où la vierge le protégeait Et trois jours plus tard, un autre navire s’est approché Et un homme a arrêté le navire et en voyant comment se trouvait cet homme sous l’eau, il a dit : «Maudit soit une telle guerre
U assi os omes matan en com’ a este mataron.» E dando mui grandes vozes, os da nave ss’ y juntaron, e mostrou-lles aquel ome; e logo por el entraron e sacárono en vivo, en paz e sen outra guerra.
Sobelos fondos do mar e nas alturas da terra…
Dans laquelle les hommes tuent comme ils tuèrent celui-ci.» Et comme il poussait de grands cris, ceux du navire le rejoignirent Et il leur montra cet homme ; et ensuite, ils entrèrent (sous les eaux) et l’en sortirent vivant, en paix et sans autres difficultés.
E poi-lo om’ a cabeça ouve da agua ben fora, catou logo os da nave e falou-lles essa ora e disse-lles: «Ai, amigos, tirade-me sen demora daqui u me deitou gente maa que ameud’ erra.»
Sobelos fondos do mar e nas alturas da terra…
Et quand l’homme eut la tête bien hors de l’eau, Il vit alors ceux du navire et leur fit cette supplique, et leur dit : « Ah, mes amis, tirez-moi sans tarder de là où m’ont jeté ces mauvaises gens qui aiment faire du tord (pêcher)« .
Quando os da nav’ oyron falar, espanto prenderon, ca tian que mort’ era; mais pois lo ben connoceron e lles el ouve contado como o no mar meteron, disseron: «Mal aja gente que contra Deus tan muit’ erra.»
Sobelos fondos do mar e nas alturas da terra…
Quand ceux du navire l’entendirent parler, ils furent pris de terreur car ils pensaient qu’il était mort ; mais ils le connaissaient bien et en l’entendant conter comment on l’avait jeté à l’eau, ils dirent : » Bien mauvaises gens qui contre Dieu agissent à si grand tort »
E depois lles ar contava como sempre as vigias el jajava da Virgen e guardava os seus dias; e porend’ o guardou ela e feze-lle no mar vias que o non tangess’ a agua e lle non fezesse guerra.
Sobelos fondos do mar e nas alturas da terra…
Et ensuite il leur a conté comment toujours il gardait Le jeûne pour la Vierge et célébrait ses fêtes : Et c’est pour cela qu’elle le protégeait et le faisait sur les voies maritimes Pour qu’il ne tombe pas à l’eau et qu’on ne lui fasse pas la guerre.
«E porque entendeu ela que prendera eu engano, log’ entre mi e as aguas pos com’ en guisa de pano branco, que me guardou senpre, per que non recebi dano; poren por servir a ela seerei en esta guerra.»
Sobelos fondos do mar e nas alturas da terra…
Et parce qu’elle a compris qu’on m’avait trompé Alors, entre moi et les eaux, elle a posé, comme un drap (tissu) Blanc, qui m’a protégé sans cesse, afin que je ne sois pas blessé; Aussi, pour la servir, je participerais à cette guerre.
Quando os da nav’ oyron esto, mui grandes loores deron a Santa Maria, que é Sennor das sennores; e pois foron eno porto, acharon os traedores e fezeron justiça-los como quen atan muit’ erra.
Sobelos fondos do mar e nas alturas da terra…
Quand ceux des navires entendirent cela, de très grandes louanges Ils firent à Sainte Marie, qui est la dame d’entre les dames : Et puis ils allèrent au port, livrer les traîtres Et leur firent justice comme on le fait à ceux qui agissent mal.
Poi-la jostiça fezeron, o mercador entregado foi de quanto lle fillaran quando foi no mar deitado; e el dali adeante sempre serviu de grado a Virgen Santa Maria sen faliment’ e sen erra.
Sobelos fondos do mar e nas alturas da terra…
Lorsque le châtiment fut appliqué, le marchand retrouva tout ce qu’ils lui avaient pris avant de le jeter à la mer. Et lui, à partir de ce jour, servit toujours de bon gré La Sainte-Vierge sans faille et sans péchés.