Contre quelques idées reçues, le loup de Michel Pastoureau

Sujet : citation, Moyen-âge, bestiaire médiéval, loup, sorcellerie, diable, préjugés, idées reçues, représentations, anthropologie, histoire médiévale.
Période : de l’antiquité à nos jours
Ouvrage : Le loup : Une histoire culturelle, Michel Pastoureau, Seuil (2018).


« Contrairement à une idée reçue, les affaires de sorcellerie ne concernent pas tant le Moyen-Âge que l’époque moderne : la grande chasse aux sorcières commence, en effet, à l’horizon des années 1430 et va occuper l’Europe pendant trois siècles. Une surenchère à l’orthodoxie pousse désormais l’Église à voir partout des hérétiques, des adorateurs du Diable, des déviants de toutes espèces parmi lesquels de nombreux loups garous. »

Michel Pastoureau, le loup : Une histoire culturelle (2018)


Bonjour à tous,

e n’est pas faute de l’avoir souvent dit mais les idées reçues et les préjugés à l’égard du Moyen Âge ont la dent dure. Aussi, autant vaut-il le répéter, en compagnie, cette fois, d’une citation de l’historien médiéviste Michel Pastoureau : la chasse aux sorcières n’est pas médiévale.

Ce triste épisode, qui ne concerne d’ailleurs pas que des femmes, débute à la toute fin du Moyen Âge pour s’étendre largement dans le temps après lui. De même, on confond souvent l’inquisition médiévale à proprement parler avec cette chasse aux sorcières qui intervient donc plus tard dans le temps.

Jusqu’à récemment, la littérature comme le cinéma ont tendu, en effet, à alimenter la confusion, en promulguant certaines visions fausses d’un monde médiéval où se seraient étendus des bûchers à perte de vue et où l’on aurait brûlé, pour un oui ou pour un non, une quantité effroyable de mécréants, d’hérétiques, voire même de pauvres bougres ou bougresses dénoncés par leur voisin. Redisons-le donc à nouveau avec Michel Pastoureau : aujourd’hui, nous le savons bien, le Moyen Âge n’a pas connu de telles pratiques et encore moins de tels chiffres. Comme nous avons déjà écrit à de nombreuses reprises sur ce sujet, nous vous y renvoyons (1).

Citation de Michel Pastoureau sur la sorcellerie et la chasse au sorcières

Michel Pastoureau à la recherche
des animaux & des couleurs

La citation du jour de Michel Pastoureau sur la chasse aux sorcières est donc tirée de son l’ouvrage sur l’Histoire culturelle du Loup et nous allons en profiter pour vous faire un large détour à son sujet. On le sait, ce chartiste très populaire s’est fait une grande spécialité de l’histoire des symboles et des représentations et notamment des couleurs et des animaux. Ce sont des thèmes qui lui ont été longtemps assez propres et s’il admet volontiers que l’académie leur prêtait une certaine trivialité, il faut reconnaître qu’il a su en faire des sujets aussi sérieux que passionnants. Depuis, ils ont d’ailleurs été réhabilités.

En ce qui concerne son exploration des bestiaires et autres bébêtes qui meublent le monde des hommes médiévaux, nous avons déjà eu l’occasion de parler, ici, de son histoire du taureau de 2020 ou encore de ces procès faits aux animaux. Dans les vastes travaux qu’il a entrepris autour de l’histoire culturelle et symbolique des animaux, son Loup date, quant à lui, de 2018.

Une histoire culturelle du loup


En utilisant sa méthode habituelle, le médiéviste revient, donc, dans ce livre sur l’histoire du loup d’aussi loin qu’il existe des documents à son sujet jusqu’à une période récente. Se faisant, il balaiera les matériaux à sa disposition pour retracer un portrait du loup à la fois chronologique et thématique : mythologie, contes, fables, iconographie, pièces de littérature seront au rendez-vous de ses références.

Le Loup, chronique d’une peur en dents de scie

« À l’époque féodale, dans les campagnes françaises, on a surtout peur du Diable (2), du dragon, de la mesnie Hellequin ou des revenants, mais on n’a plus guère peur du loup. Cette accalmie, hélas ! ne durera pas ; cette peur reviendra avec force moins de deux siècles plus tard. »

Michel Pastoureau (opus cité)

La première chose qui vient en tête quand on pense au loup, c’est souvent la peur qu’il a pu inspirer aux hommes du passé. Cette dernière pourrait nous paraître ancestrale voire même atavique. Pourtant, l’historien nous apprendra que cette dernière est de nature plutôt variable en fonction des époques.

Pour la période qui nous intéresse, si la peur du loup est présente au haut Moyen Âge, à l’entrée dans le Moyen Âge central, elle semble s’atténuer quelque peu selon Michel Pastoureau. Dans la littérature, on trouvera même le loup moqué dans certaines pièces comme le Roman de Renard et le personnage d’Ysangrin. Pour donner un autre exemple, une histoire médiévale nous parle d’un loup qui terrorisait la ville de Gubbio, en Italie. L’animal se laissera pourtant dompté sagement par Saint François d’Assise et son pouvoir légendaire sur les animaux au point de devenir le protecteur de la ville.

Quoi qu’il en soit, à l’entrée du XIVe siècle, la peur du loup refera surface plus nettement pour durer durant 4 à 5 siècles jusqu’au XIXe siècle. A la faveur du climat et des famines, les loups semblent alors s’être s’approcher des hommes et des villes, faisant resurgir de vieilles terreurs. On imagine qu’ils sont aussi en nombre suffisant pour continuer d’inquiéter les campagnes, en faisant de sérieux dégâts dans les troupeaux d’animaux domestiques et chez les brebis.

Un blason pas vraiment doré

Que la peur soit plus ou moins présente, tout au long du Moyen Âge, il n’y aura pourtant guère de trêve pour le loup. L’Eglise et les hommes le pourchasseront et, si la peur oscille, son blason n’est jamais vraiment doré. C’est le moins qu’on puisse dire. Tout le monde semble s’accorder, en effet, sur le fait qu’il faut l’éliminer et des offices de Louvèterie sont créés pour l’abattre. Ainsi, de Charlemagne au XIXe siècle, ces derniers auront pignon sur rue et on rétribuera l’abatage d’un loup contre quelques pièces.

Loup, dans le manuscrit MS M81 ou Worksop Bestiary de la Morgan Library (New York)

Le loup dans les bestiaires médiévaux

Les bestiaires médiévaux, de leur côté, diaboliseront l’animal en lui prêtant les pires défauts : agressif, rusé, tricheur, vorace, lâche… Pire encore, pour le faire détester, il déambule et peut chasser la nuit ; il appartient donc au règne des animaux nocturnes. Pas très net tout ça. Fricoterait-il aussi avec le malin ? Qu’il soit plus ou moins craint, le loup qu’on considère comme un comparse du Diable reste honni, d’autant que l’ange déchu pourra même, à l’occasion, revêtir la peau du prédateur pour passer inaperçu et faire de mauvais tours.

En suivant les pas de Michel Pastoureau, et comme nous le disions plus haut, au Moyen Âge central, la peur et les diableries laisseront toutefois place à la moquerie, et le loup deviendra même dans la littérature et les bestiaires, en plus de tout le reste, stupide, lubrique, pathétique, etc… Bref, on s’autorise alors à se rire de lui. A voir le nombre d’enluminures où il est mis en scène, convoitant des brebis, il n’est pas certain qu’on s’en amuse autant dans les campagnes.

Sabbat, diableries et résurgence de la peur

A la toute fin du Moyen Âge, au moment où la peur du loup reviendra de manière plus marquée, on remettra sa dangerosité et ses supposées accointances diaboliques à l’ordre du jour. Animal de sabbat, il se retrouver alors lié, malgré lui, à la sorcellerie justement durant cette période postmédiévale où la chasse aux sorcières sévira.

Autre diablerie d’époque, si la lycanthropie était bien née au Moyen Âge — on se souvient, par exemple, du Lais de Bisclavret de Marie de France — l’ombre terrifiante des loups garous se voit aussi promouvoir, dans la littérature des XVIe & XVIIe siècle. Ne viendraient-ils pas, eux aussi, se joindre aux bals des suppôts du mal et des sorcières ? Dans ce contexte effrayant, mêlé de superstitions, de cérémonies nocturnes et de fantastique, on comprend mieux comment, à la fin du XVIIIe siècle, le loup, voir son homologue anthropoïde, ont pu se retrouver pointés du doigt : coupables tout désignés de l’histoire de la sanguinaire bête du Gévaudan dont le mystère continue à faire couler beaucoup d’encre.

Un changement après le XIXe siècle ?

Selon Michel Pastoureau, il faudra attendre le XIXe siècle et les découvertes de Pasteur et son vaccin contre la rage pour commencer à voir atténuer un bon nombre de craintes à l’égard du loup. Sans doute les nombreux siècles de chasse et de campagnes contre le prédateur européen avaient-ils aussi réduit, considérablement, le nombre de ses populations.

Ainsi, en suivant le fil de l’histoire, le loup de la littérature prendra bientôt une figure plus sympathique : on citera l’histoire de Moogly, l’enfant loup du Livre de la jungle, écrite à la toute fin du XIXe siècle, par Rudyard Kipling ou encore celle de Croc blanc, le demi-loup de Jack London, au tout début du XXe siècle. Un peu plus tard, des loups comme celui de Tex Avery deviendront, à leur tour, plus amusants et complaisants que ceux des siècles précédents. Quand au scouts, ils auront bientôt leurs louveteaux. Mais, alors, en a-t-on fini depuis avec la peur du loup ? Pas si sûr. Tout récemment encore, sa réintroduction a suscité de nombreux débats dans les campagnes qui ne semblent pas toujours se résumer aux seuls risques de prédation sur les troupeaux et les brebis.

Vous pouvez retrouver ce livre de Michel Pastoureau chez votre meilleur libraire. Cet ouvrage est également disponible en ligne au lien suivant.

Enluminure d'un loup, XIIIe siècle, manuscrit médiéval MS 711
Enluminure d’un Loup, MS 711 « De natura animalium« , Bibliothèque de Douai (XIIIe siècle)

Idées reçues et Moyen Âge composite

Du point de vue des préjugés, en tout cas, cette histoire culturelle du Loup aura permis de faire d’une pierre de coup. En plus de remettre à sa place l’idée d’une chasse aux sorcières datée des temps médiévaux, on a pu voir aussi combien l’idée très ancrée d’une peur du loup, fortement attachée à la période médiévale doit être, elle aussi, partiellement revisitée. D’après Michel Pastoureau, l’acmé de cette peur est étroitement lié à l’époque moderne. Dans ce mouvement d’oscillation historique (nous n’avons pas évoqué l’antique légende romaine de la louve qui avait nourri Romulus et Remus mais nous aurions pu), le Moyen Âge central et, pour être plus précis, la période qui court du XIe au XIIIe siècle, semble être relativement épargnée.

Dans un autre registre, on voit aussi combien les 1000 ans que recouvre cette tranche d’histoire que nous désignons sous le nom de Moyen Âge recouvrent des réalités souvent grandement composites et variés.


NOTES

(1) Au sujet de la chasse aux sorcières, voir notamment le thème des sorcières médiévales dans l’ouvrage Sacré Moyen Âge de Martin Blais. Voir aussi la conférence sur la légende noire de l’inquisition médiévale par l’historien Lauren Albaret.
Enfin, sur le thème des sorcières du monde médiéval et son actualité, vous pourrez valablement vous reporter à la grande exposition donnée du KBR Museum de Bruxelles, l’année dernière. On y abordait, en effet, l’image de la femme au Moyen Âge et les racines d’une certaine « mythologie » fantastique ayant pu préfigurer, plus tard, cette image de la sorcière.

(2) Sur la question des superstitions, de la magie et de la peur du diable au Moyen Âge voyez cette citation médiévale de Jacques le Goff.

Voir également nos autres articles sur les livres de Michel Pastoureau :


En vous souhaitant une belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
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NB : comme vous l’aurez deviné à la lecture de l’article, l’enluminure de l’image d’en-tête provient du même MS M81 ou Worksop Bestiary de la Morgan Library


Le rondeau joyeux d’un amant amoureux par Adam de la Halle

Sujet : musique, chanson, médiévale, vieux français, trouvère d’Arras,  chant polyphonique, rondeau, amour courtois, langue d’oïl, courtoisie.
Période : Moyen Âge central, XIIIe siècle.
Auteur :  Adam de la Halle (1235-1285)
Titre : Bonne amourete me tient gai
Interprète : Ensemble Sequentia
Album: 
Trouvères, chants d’amour courtois des pays de langue d’Oil (1987)

Bonjour à tous,

ous repartons, aujourd’hui, au XIIIe siècle et dans le nord de France, pour y découvrir un nouveau rondeau courtois d’Adam de la Halle. Ce célèbre trouvère qu’on trouve aussi référencé dans les manuscrits comme le bossu d’Arras, est considéré comme un des derniers trouvères. Il préfigure, en effet, par son œuvre à la fois monodique et polyphonique, les premiers compositeurs du Moyen Âge central et nous a laissé des pièces variées qui sont encore jouées, de nos jours, par les meilleurs ensembles médiévaux.

Un rondeau courtois plein de légèreté

La chanson du jour est un nouveau rondeau polyphonique courtois. On y trouvera le poète tout en joie d’être en amour et d’avoir trouvé une compagne. La pièce est courte, rondeau oblige, et bien qu’elle soit dans la vieille langue d’Oïl d’Adam de la Halle quelquefois un peu ardue, sa compréhension ne pose guère de difficultés.

La chanson Bonne Amourette d'Adam de la Halle dans le Chansonnier médiéval W ou MS Français 25566.

Pour ce qui est des sources manuscrites, nous avons choisi de vous présenter ce rondeau courtois tel qu’on le trouve dans le manuscrit médiéval Français 25566 de la BnF, connu également sous le nom de chansonnier français W. Sur plus de 280 feuillets, cet ouvrage originaire d’Arras et daté du XIVe siècle contient un grand nombre de pièces, entre chansons notées et pièces littéraires d’auteurs divers. Vous pouvez le consulter, à tout moment, sur le site Gallica.fr.

Les grands trouvères des XIIIe et XIVe siècles
par l’ensemble Sequentia

Bonne Amourette d’Adam de la Halle, par l’ensemble Sequentia

Une fois de plus, nous avons choisi, pour l’interprétation musicale de ce rondeau, l’incontournable double-album « Trouvères, Höfische Liebeslieder Aus Nordfrankreich (Trouvères : chants d’amour courtois des pays de langue d’Oil) de l’Ensemble médiéval Sequentia, sous la houlette de Benjamin Bagby et de Barbara Thornton.

Le double-album Trouvères de l'ensemble médiéval Sequentia.

Enregistré en 1982 et sorti au format CD en 1987, ce double opus et ses 43 pièces continuent de faire référence en matière de musique médiévale des XIIIe et XIVe siècles. Comme nous lui avions déjà dédié un long article, nous vous invitons à vous y reporter pour en savoir plus sur cette anthologie musicale.

Bien qu’il ait été réédité chez Sony en 2009, ce double-album peut s’avérer un peu difficile à trouver. Pour le débusquer, quelques recherches seront donc à prévoir chez votre disquaire préféré. En ligne, il est disponible sur un certain nombre de plateformes, au format MP3. Voici un lien utile pour plus d’informations.

Musiciens & artistes ayant participé à cet album

Barbara Thornton (voix, chifonie), Benjamin Bagby (voix, harpe, organetto), Margriet Tindemans (violon, psaltérion), Jill Feldman (voix), Guillemette Laurens (voix), Candace Smith (voix), Josep Benet (voix), Wendy Gillespie (violon, luth).

Les partitions anciennes et modernes de la chanson médiévale "Bonne amourette" du trouvère Adam de la Halle.

Bonne amourete me tient gai
dans le vieux français d’Adam de la Halle

Bonne amourete
Me tient gai ;
Ma compaignete
* ;
Bonne amourete,
Ma cançonnete
Vous dirai.
Bonne amourete
Me tient gai.

*compaignete : petite compagne


En vous souhaitant une belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
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Quand Eustache Deschamps dénonçait l’ascendant des financiers sur la société médiévale

Ballade Médiévale Eustache Deschamps

Sujet  : poésie médiévale, auteur médiéval,  moyen-français, manuscrit ancien, poésie, ballade, finance, monnayeurs, banquiers, poésie morale, poésie politique, poésie satirique, satire, convoitise.
Période  : Moyen Âge tardif,  XIVe siècle.
Auteur :  Eustache Deschamps  (1346-1406)
Titre  :  «Nul n’a estat que sur fait de finance.»
Ouvrage  :  Œuvres  inédites d’Eustache Deschamps, T1   Prosper Tarbé (1849).

Bonjour à tous,

os aventures du jour nous entraînent à la découverte d’une nouvelle poésie satirique, signée de la plume d’Eustache Deschamps. Nous sommes donc au Moyen Âge tardif et au XIVe siècle et il y sera question de convoitise, d’appétit d’argent et d’invasion des financiers dans toutes les sphères du pouvoir et de la société.

Les financiers dans les rouages du pouvoir

En suivant le fil des ballades satiriques et politiques d’Eustache Deschamps, le poète médiéval revient, ici, sur le thème du pouvoir, de l’argent et de la convoitise. Il y fait le constat amer d’une certaine éducation et légitimité en recul, celle des clercs lettrés. Les voilà, en effet, rendus sans pouvoir et sans plus d’influence, au profit d’un art qu’il considère comme le « moindre de tous », mais aussi le moins vertueux et le moins sage : celui de la finance.

Nous ne sommes qu’au XIVe siècle et, pourtant, à l’entendre, toutes les portes s’ouvrent déjà devant ceux qui ont fait de la gestion de l’argent, leur profession. Si Eustache critique le pouvoir donné à ceux qui comptent, produisent et manient les écus, en dernier ressort, ce sont bien les princes qu’il vise, ici, car ce sont bien eux qui se prêtent au jeu de la convoitise et privilégient, non sans intérêt, cet entourage plutôt que celui de clercs plus instruits et lettrés.

La Ballade sur les financiers d'Eustache Deschamps illustrée.

L’obsession de la finance soulignée par Eustache

En bon moraliste chrétien, ce n’est pas la première fois qu’Eustache Deschamps pointera du doigt l’emprise de la finance et de la convoitise sur la société de son temps. Le thème reviendra, en effet, à plusieurs reprises dans son œuvre abondante. En voici un exemple assez proche de la ballade du jour :

Conseillez moi – De quoi ? – D’avoir chevance,
Et des .VII. ars lequel puet plus valoir
Pour le present, et tost avoir finance.
Tresvoluntiers je te faiz assavoir
Qu’Arismetique est de moult grant pouoir,
Tous les .VII. ars en puissance surmonte
Elle enrrichist, elle giette, elle compte,
Finance fait venir de mainte gent;
Nulz n’a estat se bien ne scet que monte
Compter, getter et mannier.


Gramaire est rien; Logique ne s’avance;
Rethorique ne puet richesce avoir
Astronomi n’ont estat ne puissance;
Geometrie se fait pou apparoir,
Et Musique n’a au jour d’ui vray hoir.
De ces .VI. ars aprandre a chascun honte;
Mais qui assiet sur finance et remonte,
Qui scet doubler et tierçoier souvent
C’est le meilleur apran ton cuer et dompte
Compter, getter et mannier argent.


Ballade CCC, Œuvres complètes d’Eustache Deschamps, T2,
Marquis de Queux de Saint-Hilaire (1858)

On retrouvera, encore, chez l’auteur médiéval de nombreuses poésies dénonçant les effets directs de cette convoitise des princes et des puissants sur les misères du peuple. A ce sujet, on pourra se reporter, par exemple, à la ballade Nul ne tend qu’à remplir son sac ou encore à son chant royal Méfiez-vous des barbiers et sa critique acerbe des abus financiers de la couronne.

Au XVe siècle, quelque temps après Eustache, on pourra retrouver un peu de l’esprit de sa ballade du jour dans le dit des pourquoi d’Henri Baude. Ce dernier y opposera, en effet, à son tour, les sages lettrés aux compteurs d’écus, en dénonçant l’ascendant de ces derniers sur la société et sur le pouvoir.

Aux sources manuscrites de cette ballade

La ballade d'Eustache Deschamps dans le manuscrit médiéval MS Français 840 de la BnF.
La ballade d’Eustache dans le MS Français 840 de la BnF

Une nouvelle fois, c’est dans le manuscrit médiéval Français 840 que vous pourrez retrouver cette poésie d’Eustache Deschamps. Cet ouvrage, daté du XVe siècle, est tout entier dédié à son œuvre très fournie. Conservé au département des manuscrits de la BnF, il est disponible à la libre consultation sur le site Gallica.fr.

Pour la transcription en graphie moderne, nous nous sommes appuyés sur le Tome 1 des Œuvres  inédites d’Eustache Deschamps, par Prosper Tarbé (1849), mais vous pourrez également retrouver cette Ballade dans les œuvres complètes d’Eustache par le marquis de Queux de Saint-Hilaire.


Ballade sur les financiers
dans le moyen français d’Eustache Deschamps

Le moyen français d’Eustache Deschamps n’est pas toujours très simple à saisir. Aussi, pour vous y aider, nous vous fournissons, à l’habitude, quelques clés de vocabulaire.

De tous les VII ars qui sont libéraulx
Lequel est plus aujourd’ui en usaige ?
Cellui de tout qui mendres
(le moindre) est entre aulx (eux),
Et qui moins tient de vertu et de saige
(sage):
C’est de compter et détenir or en caige,
De convoitier, et de faire démonstrance
D’argent trouver. Est ce beau vassellaige
(prouesse)?
Nulz n’a estat
(condition, stature) que seur fait (activité, action) de finance.

Un receveur, un changeur, s’il est caux
(rusé),
Un monnoier, ceulz sont en haulte caige
(demeure) :
Et les claime on seigneurs et généraulx
(des finances).
Et c’est bien drois
(juste) ; grans est leur héritaige.
L’or et l’argent passent par leur passaige :
Villes, chateaulx ferment
(assujettir) par leur puissance.
Aux clercs lettrez, vault petit leur langaige;
Nul n’a estat que sur fait de finance.

Petit puelent
aux autres (ils peuvent peu comparés aux autres) : c’est deffaulx
D’entendement, de congnoissance, n’age
Qui ne congnoist des vaillans
(des braves, des valeureux) les travaulx
Ni des expers le sens et le couraige.
Convoitise gouverne, qui enraige
D’argent tirer, qui les bons desavance
(repousse, font reculer),
Et fait à tous sçavoir par son messaige :
Nulz n’a estat que sur fait de finance.

L’Envoy.


Prince, pou (peu) vault estre homme de parage (noble, bien né),
Saiges, prodoms, n’avoir grant diligence :
Pour le jour d’ui vault trop pou vaisselaige
(fait d’armes, bravoure) :
Nulz n’a estat que sur fait de finance.


Si le Moyen Âge d’Eustache Deschamps est sans commune mesure avec la financiarisation du monde actuelle, à la lecture de cette ballade, il est tout de même intéressant de noter que le problème d’une société qui valorise, à tout crin, la convoitise, la spéculation et les activités financières est moins récent qu’il n’y paraît.

En vous souhaitant une belle journée.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes

NB : concernant les illustrations de cet article, elles sont tirées d’une fresque murale du Moyen Âge tardif. Elle est l’œuvre du peintre toscan Niccolo di Pietro Gerini (1368-1415) et on peut la trouver en la chapelle Migliorati de l’église San Francesco de Prato, en Italie.

Paris aux heures de la musique médiévale espagnole

Sujet :  musique médiévale, cantigas de Santa Maria, livre Vermeil de Montserrat, Espagne médiévale.
Période :  moyen-âge central à tardif
Evénement  :  Concert médiéval espagnol
Interprètes : Le Choeur Les Oréades & Les Ménestrels de Paris
Lieu :  Eglise Sainte-Rosalie (Paris 13) & Eglise Saint-Joseph-Artisan (Paris 10).
Date :  8 &  21 janvier 2023.

Bonjour à tous,

our débuter cette année 2023 en musique, la formation vocale Le Choeur Les Oréades vous propose deux dates de concert, en janvier.

Ces deux événements se tiendront sur Paris et auront pour thème les musiques de l’Espagne médiévale. Vous pourrez donc y entendre des pièces empruntées au répertoire des Cantigas de Santa Maria d’Alphonse X de Castille, ainsi qu’au célèbre Livre Vermeil de Montserrat. Coté programmation, le premier concert sera donné le Dimanche 8 janvier, à 17h00, à l’église Sainte Rosalie, dans le 13e arrondissement de Paris et le second, le Samedi 21 janvier, à 20h00, à l’église Saint-Joseph-Artisan du 10e arrondissement. La participation est libre.

La formation Le Choeur Les Oréades

Affiche du concert de musique médiévale de la formation Le chœur Les Oréades

Pour dire un mot de l’ensemble, le chœur Les Oréades a été fondé en 2013 par la directrice Clara Brenier. Cette formation musicale parisienne a ceci d’original qu’elle se compose, tout à la fois, de musiciens professionnels et amateurs, pour un répertoire assez varié. Ce dernier ne se limite, en effet, pas au Moyen Âge et on peut les retrouver sur des musiques anciennes, médiévales ou renaissantes comme sur des partitions plus folkloriques ou même encore des variations plus Jazz ou contemporaines.

A l’occasion de ces deux concerts qui mettront à l’honneur les musiques espagnoles du Moyen Âge central, le Choeur Les Oérades sera accompagné des Ménestrels de Paris.

En vous souhaitant une belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
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