Archives par mot-clé : Alphonse le sage

Cantiga de Santa Maria 226 : le miracle du monastère englouti

Sujet : Cantigas de Santa Maria, galaïco-portugais, culte marial, miracle, Sainte-Marie, monastère englouti.
Période : Moyen Âge central, XIIIe siècle
Auteur : Alphonse X  (1221-1284)
Titre : Assí pód’ a Virgen so térra guardar… cantiga de Santa Maria 226
Interprète : Musica Antigua, Eduardo Paniagua
Album : Merlin-Celtic Cantigas, Alfonso el Sabio (2006)

Bonjour à tous,

ous vous entraînons, une fois de plus, vers l’Espagne médiévale, pour y découvrir une nouvelle Cantiga de Santa Maria d’Alphonse X : la cantiga 226. Comme on le verra, il s’agit d’un des récits de miracles les plus spectaculaires du célèbre corpus de chants à la vierge.

Dans cet article, vous trouverez une étude détaillée de la Cantiga de Santa Maria 226 avec sa partition ancienne et ses sources manuscrites, une traduction en français actuel, mais aussi une belle version en musique. Avant d’avancer sur tout cela, disons quelques mots des cantigas qu’Alphonse X dédia à la la vierge.

La Cantiga de Santa Maria 226 et ses enluminures dans le Manuscrit de Florence Banco Rari 20.

Qui a écrit les Cantigas de Santa Maria ?

Dans le courant du XIIIe siècle, le souverain de Castille aurait compilé, écrit et mis en musique lui-même, des récits de miracles variés dont un grand nombre semble provenir de lieux de pèlerinage ou d’histoires qui couraient sur les routes de la chrétienté médiévales et même au delà.

Même s’il est communément admis qu’Alphonse X en a composé une partie, les érudits et historiens sont encore divisés sur la paternité de l’ensemble des Cantigas de Santa Maria au souverain de Castille. Ce dernier est, par ailleurs, à l’origine d’un certain nombre d’autres chansons dont l’attribution est certaine (voir Manselina sur la piste de Maria la Balteira). On est donc certain qu’il composait et s’adonnait à la poésie.

Du point de vue du corpus, l’œuvre d’Alphonse X regroupe plus de 400 chants mariaux. La grande majorité d’entre eux sont des récits de miracles (plus de 350). Dans les manuscrits les plus complets, ils sont rythmés par des chants de louanges qui reviennent à intervalles réguliers (un peu plus de 60). Aujourd’hui, ces chants à Marie venus d’Espagne, demeurent un témoignage vibrant du culte marial du Moyen Âge central, de la langue galaïco-portugaise et de la musique de cette période.

Aux sources manuscrites des Cantigas

Les Cantigas de Santa Maria et leur notation musicale ont traversé le temps grâce à quelques manuscrits superbement conservés. On en compte quatre, tous datés de la dernière partie du XIIIe siècle :

  • Le Manuscrit de Tolède (To) : sous la référence ms 10069, il s’agit du manuscrit le plus daté ou de la première compilation. On y trouve quelques 120 pièces et il est conservé à la Bibliothèque Nationale de Madrid.
  • Le Codice Rico (T) : sous la référence T.j.1, ce superbe codex présente un peu moins de 200 cantigas de Santa Maria (195) avec leur partition et de nombreuses enluminures. Il est actuellement conservé à la Bibliothèque royale de l’Escurial (Espagne).
  • Le Manuscrit de Florence (F) : ce manuscrit, conservé à la Bibliothèque National de Florence sous la référence Banco Rari 20, présente un peu plus de 100 cantigas de Santa Maria dont quelques variantes et inédites.
  • Le Codice de los Musicos ou Codice princeps (E) : sous la référence ms B.I.2 (ou j.b.2 ), ce codice est le plus complet de tous les manuscrits. Il présente 406 cantigas avec miniatures et partitions d’époque et se trouve également conservé à la Bibliothèque royale de l’Escurial.

Dans cet article, nous vous présentons les sources manuscrites de la Cantiga de Santa Maria 226 dans le Codice de los Musicos (partition et texte) ainsi que dans le Manuscrit de Florence (texte, enluminures mais partition non achevée).

La Cantigas de Santa Maria 226 ou le miracle du monastère englouti

Le récit de la Cantiga de Santa Maria 226 nous invite du côté de l’Angleterre. A quelque temps de Pâques, ce chant marial nous propose un miracle pour le moins spectaculaire, sinon le plus spectaculaire, de tout le corpus des cantigas d’Alphonse X. Il a pour thème cette période particulière du calendrier chrétien qu’est la résurrection et l’illustre d’une manière plutôt étonnante.

La Cantiga de Santa Maria 226 et sa partition dans le Codice de Florence (F) : manuscrit Banco Rari 20.

L’histoire de la cantiga 226 en quelques mots

Enluminure de la cantiga de Santa Maria 226 : Le jour de Pâques, durant la messe (Banco Rari 20)
Enluminure : le jour de la messe de Pâques

Un jour de Pâques alors que les frères dévots d’un grand monastère donnaient une messe pour célébrer dignement le jour saint, la terre s’ouvrit et le monastère fut totalement englouti sous elle. Tremblements de terre, effondrement de terrain, phénomène surnaturel ? La Cantiga de Santa Maria 226 semble plutôt suggérer que Dieu le voulut ainsi pour démontrer aux yeux des croyants son grand pouvoir et celui de Marie.

Enluminure de la cantiga 226 : Le monastère englouti  (Banco Rari 20)
Enluminure : le monastère se trouve englouti

Plus aucune trace du monastère du dehors, la terre s’était refermée sur lui. Cependant, à l’intérieur, la vie continua sans encombre. Les moines ne manquaient de rien et les lieux étaient parfaitement conservés. Les vignes restaient prospères, les moulins fonctionnaient et même le soleil continuait d’y briller. Ainsi donc, nous dit le poète, la sainte pourvoyait aux frères en toute chose et nul ne devint fou, ni ne tomba malade. Les moines furent même assurés qu’ils n’étaient pas morts et que tout allait bien.

Un an plus tard, à l’occasion d’une nouvelle messe de Pâques, les frères retournèrent en leur église pour y célébrer, de nouveau, la résurrection – non pas seulement celle de Dieu, mais aussi, symboliquement, celle de leur lieu de culte. La Sainte fit, en effet, ressurgir le monastère à la lumière et sur la terre. Alors, venus de loin, tous purent contempler le miracle et l’étendue du pouvoir de Marie et la louer.

Une légende bretonne à l’origine de ce Miracle ?

Il est probable que certaines légendes bretonnes aient inspiré Alphonse X pour ce miracle à la nature particulièrement épique ou mythique, selon les points de vue. Certains érudits l’avancent en tout cas. On peut penser à certains récits de cités submergées par les flots comme, par exemple, celui de la cité d’Ys et sa cathédrale engloutie.

Ys, la légende de la cité engloutie

Enluminure de la cantiga 226 : Le jour de Pâques suivant, le monastère est sauvé  (Banco Rari 20).
Enluminure : le monastère sauvé à Pâques

On la connait plusieurs variantes de cette légende bretonne. Dans une version sans doute déjà christianisée, son histoire met en scène une princesse du nom de Dahut. S’étant adonnée à de nombreuses pratiques impies (meurtre de ses amants, sacrifices, rites magiques, …1), un jour de grande tempête, la jeune femme aurait fini par se laisser séduire par le diable lui étant apparu sous la forme d’un beau chevalier.

Enluminure de la cantiga de Santa Maria 226 : les frères et les croyants louent le miracle de Marie  (Banco Rari 20).
Enluminure : louanges à Sainte Marie

Ys était alors une ville côtière protégée de la colère des flots par une puissante digue. Hélas ! sous l’influence du Malin dont elle s’était entichée, Dahut aurait dérobé les clefs des remparts à son père, le roi Gradlon, et ouvert en grand les portes de la cité. Ys aurait alors été engloutie sous les flots. Le roi aurait réussi à en réchapper mais pas la jeune princesse emportée par les flots et le gros temps. Gradlon se serait établi ailleurs pour y noyer son chagrin. Cependant, certains jours, on pourrait encore entendre tinter les cloches de la cathédrale engloutie de la cité d’Ys.

Une fois de plus, il existe de nombreuses variantes de ce type de légendes dans la matière de Bretagne. Certaines mentionnent des tremblements de terre. Faut-il voir dans le miracle de la Cantiga 226 une parabole partie d’une idée similaire pour démontrer que Dieu et la Sainte peuvent, à volonté, submerger ou faire ressurgir des lieux entiers et leurs dévots avec ? Ici, la date de Pâques viendrait encore renforcer la nécessité de la dévotion, en ajoutant le moment de la résurrection et son symbole.

Autres sources latines et françaises

Il nous reste difficile d’affirmer si cette légende est à l’origine de l’inspiration d’Alphonse X. C’est plus une simple piste qu’une véritable hypothèse. En matière de sources latines ou vernaculaires, on trouve encore la trace de ce miracle dans un certain nombre de manuscrits médiévaux français.

On citera notamment un miracle marial du ms Français 818 (daté lui aussi du XIIIe siècle). Ce récit reprend, très directement le thème du monastère englouti : Del mostier nostre dame que terre transgloti o molt de pueple.2

La miracle du monastère englouti dans le manuscrit enluminé ms français 818 de la BnF.

Cantigas celtes & cantigas de Bretagne,
Musica Antigua & Eduardo Paniagua

En matière musicale, on peut retrouver cette cantiga et son interprétation dans l’album Merlin y otras cantigas celtas d’Eduardo Paniagua et sa formation Musica Antigua.

Merlin y Cantigas de Santa Maria de Bretagne, l'album de d'Eduardo Paniagua & Musica Antigua

En 2006, le talentueux musicien espagnol proposait un regroupement thématique des Cantigas de Santa Maria ayant des origines celtes ou Bretonnes.

Soutenu par une solide orchestration, cet album propose sur une durée d’un peu plus de 54 minutes, une sélection de dix chants mariaux donc quatre en version instrumentale. Le légendaire Merlin s’y fait même un place avec la Cantiga de Santa Maria 108. Pour information, nous avions déjà étudié ici la Cantiga de Santa Maria 23 issue de cette même production.

Cet album de Musica Antigua est encore édité mais il faut fouiller un peu pour le débusquer. Avec un peu de chance votre disquaire préféré pourra vous le procurer. Dans le cas contraire, vous pouvez aussi le trouver en ligne sur les plateformes de streaming légales ou même à la vente sous forme CD sur certains sites. Voici un lien utile à cet effet: L’album Merlin-Celtic Cantigas de Musica Antigua.

La cantiga 226 en musique

Musiciens & artistes présents sur cet album

Jaime Muñoz (instruments à vents, flûte, cornemuse, chalémie, choeur), Josep María Ribelles (harpe), Ana Alcaide (vièle, nyckelharpa), David Mayoral (percussions), Cesar Carazo (chant), Isabel Urzaiz (chant), Carlos Beceiro (vielle à roue, saz), Xurxo Nuñez (tambour médiéval, percussions, bodhram), Eduardo Paniagua (choeur, flute ténor, cloches et percussions, direction musicale).


La Cantiga de Santa Maria 226
& sa traduction en français actuel

Esta é do mõesteiro d’ Ingratérra que s’ afondou e a cabo dun ano saiu a cima assí como x’ ant’ estava, e non se perdeu null’ hóme nen enfermou.

Assí pód’ a Virgen so térra guardar
o séu, com’ encima dela ou no mar.

Cette cantiga nous parle d’un monastère d’Angleterre qui avait disparu sous terre et qui, un an après , a ressurgi à la surface tel qu’il était précédemment et aucun homme n’était tombé malade, ni n’était mort.

Ainsi, la vierge peut protéger ses biens (les siens, ses affaires)
Sous la terre, comme à sa surface ou dans les profondeurs de la mer

E dest’ un miragre per quant’ aprendí
vos contarei óra grande, que oí
que Santa María fez, e creed’ a mi
que maior deste non vos pósso contar.
Assí pód’ a Virgen so térra guardar…

A ce sujet, j’eu connaissance d’un très grand miracle
Que je vous conterai à présent,
Et que fit Sainte Marie et, croyez-moi,
Je ne pourrais vous conter un miracle plus grand que celui ci.

Ainsi, la vierge peut protéger ses biens…

Ena Gran Bretanna foi ũa sazôn
que un mõesteiro de religïôn
grand’ houv’ i de monges, que de coraçôn
servían a Virgen bẽeita sen par.
Assí pód’ a Virgen so térra guardar…

En Grande Bretagne, il y eut une fois,
Un grand monastère de grande piété (?)
dont les moines, avec cœur,
Servaient la vierge bénite et sans égale.

Ainsi, la vierge peut protéger ses biens…

E Santa María, u todo ben jaz,
mostrava alí de miragres assaz
e tiínna o lógo guardad’ e en paz;
mais quis Déus por ela gran cousa mostrar.
Assí pód’ a Virgen so térra guardar…

Et Sainte Marie, en qui réside toute bonté,
Faisait en ce lieu assez de miracles.
Et le gardait sous sa protection et en paix.
Mais Dieu voulut montrer par elle , une chose plus admirable encore.

Ainsi, la vierge peut protéger ses biens…

Que día de Pasqua u Déus resorgiu,
começand’ a missa os monges, s’ abriu
a térr’ e o mõesteiro se somiu,
que nulla ren del non podéran achar.
Assí pód’ a Virgen so térra guardar…

Ainsi au jour de Pâques où Dieu ressuscita
Alors que les moines commençaient la messe,
La terre s’ouvrit et le monastère s’y enfonça
Au point qu’il n’en resta plus une seule trace.

Ainsi, la vierge peut protéger ses biens…

E lóg’ assí todo so térra entrou
que nĩũa ren de fóra non ficou;
mais Santa María alá o guardou
que niũa ren non pode del minguar,

Suite à cela, il entra complétement sous terre
De sorte qu’on ne voyait plus rien de lui, du dehors
Mais Sainte Marie la garda ainsi
Pour qu’il ne manque de rien.

Ainsi, la vierge peut protéger ses biens…

eigreja nen claustra neno dormidor
neno cabídoo neno refertor
nena cozinna e neno parlador
nen enfermería u cuidavan sãar,

Ni l’église, ni l’enceinte, ni le dortoir,
Ni la salle capitulaire, ni le réfectoire,
Ni la cuisine, ni le cloître
Ni l’infirmerie où ils allaient se soigner.

Ainsi, la vierge peut protéger ses biens…

adega e vinnas con todo o séu,
hórtas e moínnos, com’ aprendí éu,
guardou ben a Virgen, e demais lles déu
todo quant’ eles soubéron demandar.
Assí pód’ a Virgen so térra guardar…

Les caves et vignobles avec tous leurs biens
Les vergers et les moulins, comme on me l’a appris,
La Vierge protégea tout parfaitement, et leur donna en plus
Tout ce dont ils avaient besoin.

Ainsi, la vierge peut protéger ses biens…

E assí viían alá dentr’ o sól
como sobre térra; e toda sa pról
fazer-lles fazía, e triste nen fól
non foi nïún deles, nen sól enfermar

En plus de tout cela, de l’intérieur, ils voyaient le soleil
Comme s’ils avaient été sur la terre ; et elle leur accordait tout
Pour leur bien-être (avantage). Et aucun d’entre eux ne fut triste,
Ni ne sombra dans la folie, Ni ne tomba malade.

per ren non leixou mentre foron alá,
nen ar que morressen come os dacá
morrían de fóra, ca poder end’ há
de fazer tod’ esto e mais, sen dultar.
Assí pód’ a Virgen so térra guardar…

En rien, elle ne les abandonna tandis qu’ils étaient là-bas,
Elle ne leur dit pas non plus qu’ils étaient morts,
Pas plus que n’étaient morts ceux du dehors, car elle a le pouvoir
De faire tout cela et même plus, sans aucun doute.

Ainsi, la vierge peut protéger ses biens…

Un grand’ an’ enteiro assí os tẽer
foi Santa María; mais pois foi fazer
que dalí saíssen polo gran poder
que lle déu séu Fillo pola muit’ honrrar.
Assí pód’ a Virgen so térra guardar…

Une année entière, Sainte Marie les tint ainsi,
Et ensuite, elle fit en sorte
Qu’ils sortent de là par le grand pouvoir
Que son fils lui accorda pour l’honorer.

Ainsi, la vierge peut protéger ses biens…

Ca día de Pasqua, en que resorgir
Déus quis, foron todos a missa oír;
entôn fez a Virgen o logar saír
todo sobre térra como x’ ant’ estar

Au jour de Pâques (suivant) quand Dieu voulut ressusciter
Ils allèrent tous entendre la messe
Et c’est alors que la Vierge fit émerger de nouveau le lieu
Au dessus de la terre, à l’emplacement où il se trouvait précédemment.

soía, que sól non ên menguava ren.
E a gente toda foi alá porên,
e o convento lles contou o gran ben
que lles fez a Virgen; e todos loar

Et il ne manquait rien.
Et tous les gens furent alors jusqu’à l’endroit,
Et ceux du couvent leur contèrent
Combien la vierge avait été bonne avec eux et tous la louèrent.

Ainsi, la vierge peut protéger ses biens…

a foron porên como Madre de Déus
que mantên e guarda aos que son séus.
Porên a loemos sempr’, amigos méus,
ca esta nos céos nos fará entrar.
Assí pód’ a Virgen so térra guardar…

Ils louèrent à la mère de Dieu
Qui maintient et protègent ceux qui sont les siens.
Pour cela, mes amis, louons la toujours,
Car elle nous fera entrer au ciel.

Ainsi, la vierge peut protéger les siens
Sous la terre, comme à sa surface ou dans les profondeurs de la mer.


Retrouvez toutes les cantigas de Santa Maria étudiées à ce jour avec version musicales et traduction en français actuel.

En vous souhaitant une excellente journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes à tous,

  1. Voir The Drowning of the City of Ys ↩︎
  2. Voir Inglaterra en Algunas de las Cantigas de Santa Maria de Alfonso X, Santiago Di Salvo, Universidad Nacional de La Plata, Buenos Aires, Argentina. ↩︎

Récit de Miracle et Mal des Ardents à Paris dans la Cantiga de Santa Maria 134

Sujet : Cantigas de Santa Maria, galaïco-portugais, culte marial, miracle, Sainte-Marie, ergotisme, mal des ardents, feu Saint-Martial.
Période : Moyen Âge central, XIIIe siècle
Auteur : Alphonse X  (1221-1284)
Titre : A Virgen en que é toda santidade…
Interprète : Porque Trobar & John Wright
Album : Compostela Medieval, Song from the 12th and 13th centuries (1998)

Bonjour à tous,

ujourd’hui, nos études médiévales nous entraînent vers Paris au XIIIe siècle pour y découvrir un nouveau miracle marial, issu des Cantigas de Santa Maria d’Alphonse X de Castille.

Dans l’Espagne médiévale du Moyen Âge central, le très lettré souverain castillan nous a légué plus de 420 chants de miracles dédiés à la Vierge dont il a semble-t-il composé une partie. Pour de nombreux récits, il a aussi pu s’appuyer sur un vaste corpus qu’on trouvait alors consigné dans certains lieux célèbres de pèlerinage, dans certains codex mais qui circulait aussi, sans doute oralement.

Marie, la Sainte qui peut et guérit tout

S’il est beaucoup resté attaché au sud de France, le culte marial a connu de grandes heures durant les Moyen Âge(s) central à tardif. Plutôt que de s’adresser au Christ, on loue alors la Sainte et on appelle à sa miséricorde dans l’espoir qu’elle puisse intercéder auprès de son fils, le « Dieu mort en Croix ».

De fait, les pouvoirs que l’on prête à la vierge biblique sont incomptables et se reflètent dans les nombreux récits de miracles qui lui sont dédiés : témoignages de guérison extraordinaires, événement surnaturels survenus sur les routes de pèlerinage, apparitions et intercession de la Sainte dans les lieux qui lui sont dédiées, quelquefois même sur des terrains de bataille, etc… Si la foi soulève des montagnes, au Moyen Âge, aucun obstacle ne semble assez puissant pour limiter la volonté de Sainte Marie, sa miséricorde et sa puissance rédemptrice et, quelquefois, punitive.

Naissance et popularité du culte marial

Dans la France médiévale, le genre des miracles mariaux puise ses sources dans la deuxième moitié du XIe siècle. Au départ, en latin, les récits trouveront bientôt leur expression en langue vernaculaire et en vieux français. 1 Entre la fin du XIIe et les début du XIIIe siècle, le poète et trouvère Gautier de Coinci en consacrera le genre dans ses Miracles de Nostre Dame. Avant lui, le Gracial d’Adgar (1165) est considéré comme le premier ouvrage représentatif de ce genre.

Le culte à la vierge et ses miracles se poursuivront bien au delà du Moyen Âge central pour s’étendre jusqu’au Moyen Âge tardif et même aux siècles suivant. L’époque moderne connaitra aussi un grand nombre de récits de miracles et d’apparitions de la vierge biblique.

Miracle à Paris, contre le Mal des ardents

Le miracle du jour est un autre de ces récits spectaculaires de guérison. il touche, cette fois, des malades atteints du mal des ardents dont un amputé qui recouvrira même l’usage de son membre.

La Cantiga de Santa Maria 134 et ses enluminure dans le Manuscrit Médiéval Codice Rico de l'Escurial
La Cantiga de Santa Maria 134 dans le Codice Rico de la Bibliothèque de l’Escurial 2

Feu de Saint-Martial et Ergotisme au Moyen Âge

Dans le courant du Moyen Âge, la consommation de seigle contaminé par l’Ergot (Claviceps purpurea) entraîna un certain nombre d’épidémies terribles, en particulier du XIe au XIIIe siècle. La forme gangréneuse de l’ergotisme qui s’accompagne de nécroses et d’hallucinations laissa même, derrière elle, de nombreux morts et mutilés.

Enluminure du pèlerin amputé, cantiga de santa maria 134, Manuscrit Códice Rico (T) de l'Escurial

Les symptômes en étaient impressionnants autant que les douleurs et donneront bien des surnoms à cet empoisonnement par l’ergot. Les sensations de brûlure dues aux tissus et aux extrémités nécrosées le font vite assimiler à un feu intérieur qu’on baptise de diverses manières : « feu de Saint Martial » comme dans cette cantiga de Santa Maria 134 où il est aussi nommé « lèpre » mais encore « feu de Saint Antoine », « mal des ardents », « feu sacré », etc..

Au Moyen Âge, l’ordre des Antonins se consacra, particulièrement, à la prise en charge et aux soins des malades atteints d’ergotisme (voir notre article sur Saint Antoine L’Egyptien).

L’ergotisme à la période moderne

Enluminure du pèlerin qui jette sa jambe dans la Seine, cantiga de santa maria 134, Manuscrit Códice Rico (T) de l'Escurial

S’il sévit encore quelquefois dans certains endroits du monde, le mal des ardents a fort heureusement largement reculé depuis la période médiévale. On se souvient encore en France de l’affaire de Pont-Saint-Esprit qui survint dans le courant de l’année 1951. Avec de nombreuses intoxications et internements psychiatriques, les causes en furent longtemps associées à un empoisonnement par l’ergot de seigle. Récemment, cette théorie s’est toutefois trouvée controversée par certaines révélations liées aux activités des Services d’Intelligence Américains et notamment des essais livrés, dans le plus grand secret, sur du LSD 3.

La Cantiga d’Alphonse le sage nous replonge, en tout cas, en plein cœur d’une de ces épidémies médiévales d’ergotisme et sa triste réalité.

La CSM 134, Miracle à Notre-Dame de Paris ?

Enluminure des pélerins priant Notre Dame à Paris, cantiga de santa maria 134, Manuscrit Códice Rico (T) de l'Escurial

La Cantiga de Santa Maria 134 se déroule, donc, à Paris et dans une église. Toutefois, l’édifice religieux dont il est question n’est pas précisément cité. A quelques semaines de l’inauguration de Notre-Dame de Paris, après le tragique incendie qui l’avait ravagée, on peut imaginer que ces malades atteints d’ergotisme auraient pu se tenir non loin de la grande dame parisienne chère aux Français, autant qu’à Victor Hugo.

L’ancienne Hôtel Dieu, fondée déjà depuis le VIIe siècle, jouxtait alors la Seine côté rive gauche et était voisine du parvis de Notre Dame. Au XIIIe siècle, l’établissement recevait toujours les pèlerins et les malades et la lecture de la Cantiga de Santa Maria 134 nous permet d’imaginer assez bien ce contexte.

A Paris, la Seine n’est jamais très loin et elle jouxte aussi le parvis de la cathédrale dans lequel le malade de la Cantiga 134 jette son membre en feu. Malgré tout, le mystère de l’église citée reste encore entier et on ne peut affirmer qu’il s’agisse bien de Notre-Dame.

Une guérison collective et christique

Enluminure : Rédemption et miracles pour le pèlerin amputé, cantiga de santa maria 134, Manuscrit Códice Rico (T) de l'Escurial

Dans ce miracle pour le moins spectaculaire, la Sainte apparaîtra à l’intérieur de l’Eglise. Descendant d’un vitrail, elle se mettra en devoir de soigner les malades à la ronde. Elle sortira même sur le parvis pour prendre soin des miséreux n’ayant pas trouvé de place dans l’édifice religieux.

Dans la Cantiga, le miracle ira au delà de la simple guérison de l’empoisonnement pour restaurer un membre amputé. Ce type de pouvoir est évoqué, à plusieurs reprises, dans le corpus des Cantigas (voir par exemple le miracle de la langue tranchée dans la Cantiga de Santa Maria 156). On notera encore que le pouvoir invoqué dans la cantiga est bien celui du Christ à travers la Sainte : « Soyez tous guéris
Car, mon fils, roi de majesté, veut qu’il en soit ainsi »
. Il s’agit bien ici d’intercession.

Porque Trobar : Les Cantigas de Santa Maria
sous la direction de John Wright

La Cantiga de Santa Maria 134 en musique

Fondé aux débuts des années 90 en Galice, Porque Trobar est un projet ayant pour mission la reconstitution de l’art lyrique des troubadours de langue galaïco-portugaise. Entre instruments d’époque et étude des manuscrits médiévaux et de leurs partitions, l’initiative est ambitieuses et mêle Histoire et ethnomusicologie.

Album Compostela Medieval de Porque Trobar

En 1998, Porque Trobar s’adjoignait la collaboration de John Wright (1939-2013), musicien britannique épris de folk et de musiques anciennes. Ensemble, ils partaient à la conquête des chants de pèlerinages sur les routes de Compostelle. Il en résulta, l’album « Compostela Medieval, Song from the 12th and 13th centuries« , une production de 70 minutes où les Cantigas d’Alphonse X côtoient des pièces de troubadours anonymes, mais aussi des chansons de Guiraut de Bornelh et de Guilhem de Poitiers.

Cet Album de Porque Trobar, sous la direction de John Wright, a été réédité chez Fonti Musicali en 2019. Vous devriez donc pouvoir le trouver chez votre meilleur disquaire. A défaut, il est également disponible au téléchargement en ligne.


La Cantiga de Santa Maria 134 en galaïco-portugaise et sa traduction en français actuel

Esta é como Santa María guareceu na sa eigreja en París un hóme que se tallara a pérna por gran door que havía do fógo de San Marçal, e outros muitos que éran con ele.

A Virgen en que é toda santidade
poder há de toller tod’ enfermidade.

Celle-ci conte comment Sainte-Marie guérit un homme en son église de Paris qui s’était coupé la jambe à cause de la grande douleur due au feu de Saint- Martial, ainsi que de nombreux autres malades qui étaient avec lui.

La Vierge, en laquelle réside toute Sainteté, a le pouvoir de soigner toute infirmité.

E daquest’ en París
a Virgen María
miragre fazer quis
e fez, u havía
mui gran gent’ assũada que sãidade
vẽéran demandar da sa pïadade.
A Virgen en que é toda santidade…

Et, à ce propos, à Paris,
La Vierge Marie
Voulut faire un miracle
Et le fit, alors qu’il y avait
De nombreuses personnes en attente de guérison
Venues implorer sa piété.
La Vierge en laquelle réside toute Sainteté…

E do fógo tan mal
éran tormentados,
deste de San Marçal,
e assí queimados
que os nembros todos de tal tempestade
havían de perder, esto foi verdade.
A Virgen en que é toda santidade…

Et du feu de Saint-Martial, ils étaient
Si tourmentés
Et tant consumés
Que leurs membres en telle disgrâce
Ils allaient perdre. Tout cela survint véritablement.
La Vierge en laquelle réside toute Sainteté…

Porende se levar
fazían aginna
lógo ant’ o altar
da Santa Reínna,
dizendo: “Madre de Déus, en nós parade
mentes e non catedes nóssa maldade.”
A Virgen en que é toda santidade…

Pour cette raison, ils se faisaient porter
Ensuite Jusqu’à l’autel
De la Saint Reine
En disant : « Mère de Dieu, arrête ton attention
Sur nous et guéris nous de notre mal ».
La Vierge en laquelle réside toute Sainteté…

Eles chamand’ assí
a Virgen comprida,
foi-lles, com’ aprendí,
sa razôn oída;
e per ũa vidreira con craridade
entrou na eigreja a de gran bondade.
A Virgen en que é toda santidade…

Ils en appelaient ainsi
A la Vierge pleine de grâce
Et leur prière, comme je l’ai appris
Fut entendue
Et par un vitrail, avec une grande clarté
Celle pleine de bonté, entra dans l’église.
La Vierge en laquelle réside toute Sainteté…

E a ir-se fillou
perant’ os doentes
e os santivigou,
pois lles teve mentes,
e disse-lles assí: “Tan tóste sãade,
ca méu Fillo o quér, Rei da Majestade.”
A Virgen en que é toda santidade…

Et elle commença à aller
Entre les malades
Y les sanctifia
Puis elle les reçut
Et leur dit : « Soyez tous guéris
Car, mon fils, roi de majesté, veut qu’il en soit ainsi »
La Vierge en laquelle réside toute Sainteté…

Lógo foron tan ben
daquel fógo sãos,
que lles non noziu ren
en pés nen en mãos;
e dizían assí: “Varões, levade
e a Santa María loores dade.”
A Virgen en que é toda santidade…

Suite à cela, ils furent si bien
Délivrés de ce feu
Qu’on ne pouvait plus en voir traces
Ni sur leurs pieds, ni sur leurs mains.
Et ils disaient : « Messieurs, levez-vous
Et faites des louanges à la vierge »
La Vierge en laquelle réside toute Sainteté…

Quantos éran entôn
dentro essa hóra
sãos e sen lijôn
foron; mais de fóra
da eigreja jazían con mesquindade,
ca non cabían dentr’ end’ a meadade.
A Virgen en que é toda santidade…

Tous ceux qui étaient là
En cette même heure,
Se retrouvèrent soignés
Et sans aucune lésion. Cependant, au dehors
De l’Eglise se tenaient encore quelques miséreux
Car ni la moitié d’entre eux n’avaient pu y entrer.
La Vierge en laquelle réside toute Sainteté…

Ontr’ aqueles, com’ hei
en verdad’ apreso,
jazía, com’ achei,
un tan mal aceso
que sa pérna tallara con crüeldade
e deitara no río dessa cidade.
A Virgen en que é toda santidade…

Entre tous, comme je l’ai
En vérité, appris
Il en était un, tellement affecté par le feu,
Qu’il s’était coupé la jambe avec cruauté
Et l’avait jeté dans le fleuve de la ville.
La Vierge en laquelle réside toute Sainteté…

O mal xe ll’ aprendeu
ena outra pérna,
tan fórte que ardeu
mui mais que lentérna;
mais la Madre de Déus lle diss’: “Acordade,
ca ja são sodes desta gafidade.”
A Virgen en que é toda santidade…

Le mal lui avait pris
Aussi l’autre jambe
De manière si grave que cela le brûlait
Plus encore que le feu d’une lanterne;
Mais la mère de Dieu lui dit  » Eveille-toi,
Car te voilà déjà soigné de cette lèpre. »
La Vierge en laquelle réside toute Sainteté…

El respondeu-ll’ adur:
“Benaventurada,
est’ outra con segur
pérna hei tallada;
mas pola vóssa gran mercee mandade
que seja com’ ant’ éra e a juntade.”
A Virgen en que é toda santidade…

L’homme répondit avec difficulté
« Mère bénie de Dieu,
Je me suis tranché cette autre jambe,
Avec une hache
Par votre grande miséricorde, faites qu’elle redevienne comme avant
Et soit rattachée à mon corps. »
La Vierge en laquelle réside toute Sainteté…

Entôn séu róg’ oiu
a mui pïadosa,
e lóg’ a pérna viu
sãa e fremosa
per poder da Virgen, que per homildade
foi Madre do que é Déus en Trĩidade.
A Virgen en que é toda santidade…

Alors, la très pieuse
écouta sa prière
Y sans attendre, il vit sa jambe réparée
Saine et belle
Par le pouvoir de la Vierge, qui par son humilité
Fut Mère de celui qui est Dieu en la Trinité.
La Vierge en laquelle réside toute Sainteté…


Retrouvez les Cantigas de Santa Maria traduites en français avec partition et versions en musique.

En vous souhaitant une belle journée.
Frédéric Effe.
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.

Notes

  1. « Les Miracles de Notre-Dame du Moyen Âge à nos jours. Maria Colombo Timelli,  études recueillies par J.-L. Benoit et J. Root », Studi Francesi [En ligne], 196 (LXVI | I) | 2022.  ↩︎
  2. Consulter le Codice Rico en ligne sur le site digital de la Bibliothèque de l’Escurial, Madrid ↩︎
  3. Voir « Pont-Saint-Esprit poisoning: Did the CIA spread LSD?« , BBC (2010) ↩︎

La Cantiga de Santa-Maria 167 : le miracle d’un enfant ressuscité et la conversion de sa mère

Sujet :  musique  ancienne, galaïco-portugais, culte marial, miracle, résurrection, Moyen Âge chrétien, Espagne médiévale, pèlerinage.
Période : XIIIe siècle, Moyen Âge central
Titre :  CSM 167,  Quen quer que na Virgen fia e a roga de femença,
Auteur : Alphonse X (1221-1284)
Interprète : Conservatoire de musique Thornton, Los Angeles, Californie (2014).

Bonjour à tous,

otre expédition du jour nous ramène du côté de la cour d’Espagne pour la découverte d’une nouvelle Cantiga de Santa Maria. A partir du Moyen-âge central, les pèlerinages à la vierge, avec leurs chants de louanges et leurs histoires de miracles sillonnent les routes médiévales. Au XIIIe siècle, Alfonse X de Castille, grand roi lettré de l’Espagne médiévale, décide d’en compiler ces récits en musique dans un vaste recueil.

Plus de 400 pièces dédiées à la Sainte

Le corpus des Cantigas de Santa Maria finit par dépasser les 400 pièces annotées musicalement. Elles forment une anthologie du culte marial qui déborde largement les frontières de l’Espagne. Du point de vue linguistique, ces chants à la vierge furent rédigés en galaïco-portugais, langue alors privilégiée par les poètes, troubadours et jongleurs de la péninsule ibérique et portugaise. Depuis quelque temps déjà, nous en avons entrepris, tranquillement, la traduction (voir index des cantigas déjà traduites en français actuel)

En terme de thématique, les miracles dominent largement les cantigas de Santa Maria d’Alphonse X ; tous les sujets y sont traités, y compris les plus fantastiques et surnaturels (protection, guérison miraculeuse, résurrection, apparition, etc…). Au XIIIe siècle, aucun obstacle ne semble pouvoir se dresser devant la foi en la Sainte Mère.

Nous sommes au cœur du culte marial ; à ce moment du Moyen Âge, il s’est déjà pleinement installé, avec une vierge Marie capable d’exaucer toutes les prières des hommes et qui a pris pleinement sa place, aux côtés de son fils, « le Dieu mort en croix », si cher au monde médiéval.

La vierge réconciliatrice de tous les croyants

La cantiga 167 et sa partition dans le Códice de los músicos - manuscrit médiéval du XIIIe siècle.
La CSM 167 & sa partition (MS B.I.2 códice de los músicos, Bibliothèque de L’Escurial (Madrid)

Aujourd’hui, nous vous proposons de découvrir la Cantiga de Santa Maria 167. Elle nous conte un nouveau miracle survenu, cette fois, au nord de l’Espagne, dans la province de Huesca, à l’occasion d’un pèlerinage vers le sanctuaire de la vierge de Salas. Au passage, en étudiant la Cantiga 189, nous avions déjà eu l’occasion d’y croiser le miracle d’un pèlerin empoisonné par un dragon et sauvé in extremis.

Dans la CSM 167, le récit mettra en scène une mère musulmane originaire de la ville de Borja, dans la province de Saragosse. Ayant perdu son enfant et au comble du désespoir, la pauvre femme décidera de s’en remettre à la vierge de Salas. Elle a, nous dira la Cantiga, déjà entendu parler de miracles similaires accomplis par cette vierge de Salas.

Une référence à la Cantiga 118

Concernant cette allusion, il faut, sans nul doute, y voir une référence à la CSM 118. Celle-ci conte, en effet, une histoire similaire à la Cantiga du jour. Il y est, question de la résurrection d’un enfant chrétien par la vierge de Salas justement et sur demande de la mère éplorée. Il s’agit donc là clairement d’un renvoi à l’intérieur du corpus, qui vient en renforcer la cohérence et le propos. La vierge peut accomplir deux fois le même miracle pour la consolation d’une mère, indépendamment des croyances de départ de cette dernière.

La Cantiga de Santa Maria 167 et ses enluminures dans le Manuscrit de l'Escurial
La Cantiga de Santa Maria 167 et ses enluminures – MS T.I.1 Codice Rico de l’Escurial

Une résurrection suivie d’une conversion

Contre la désapprobation et la véhémence d’autres femmes de sa communauté qui s’opposent au pèlerinage, la protagoniste du miracle du jour tiendra bon. Elle ira prier la vierge de Salas « à la manière des femmes chrétiennes », pour que son fils lui soit rendu. Selon le poète, sa persévérance et ses prières se verront largement récompensées puisqu’elle assistera, sans délai, à la résurrection de son fils. Saisie d’émerveillement et de reconnaissance pour avoir retrouvé son enfant vivant, la femme se convertira même à la religion chrétienne et (nous dit la cantiga), elle vouera, pour le reste de ses jours, une grande vénération à la vierge.

A l’habitude, le refrain de cette cantiga de Santa Maria scande la leçon à retenir : « Quen quer que na Virgen fia e a roga de femença, Valer ll’a, pero que seja d’outra lee en creença« . Autrement dit, la vierge Marie ou Maryam pour les musulmans (le Coran la mentionne, de son côté, à plusieurs reprises), sait écouter toutes les doléances et elle peut les exaucer, y compris celles faites par des croyants qui se sont rangés sous une autre loi que la loi chrétienne.

A ce sujet, on pourra encore rapprocher ce chant à la vierge du miracle de la Cantiga de Santa Maria 181 dans laquelle la sainte chrétienne répondra à l’appel des musulmans, en volant au secours du Khalife de Marrakech et de ses gens.

L’Espagne médiévale au cœur de Los Angeles

Pour la version musicale de la Cantiga du jour, nous avons choisi une interprétation en provenance d’Outre-Atlantique et du Conservatoire de musique de l’Université de Thornton (University of Southern California Thornton School of Music). Cette école de musique américaine, basée à Los Angeles, a vu le jour, il y a près de 150 ans, en 1884. Elle forme, depuis, ses étudiants à l’apprentissage des musiques et des instruments les plus divers, ce qui inclue des formations aux musiques anciennes, mais aussi des répertoires plus modernes, pour des cursus complétés par des cours dans des matières théoriques variées.

Aujourd’hui, cette école de musique californienne affiche plus que jamais l’ambition de préparer ses apprenants à des carrières d’envergure internationale. On jugera de la qualité de leur formation autant que du talent de ces derniers avec cette interprétation pleine de légèreté de la cantiga 167. La performance date de 2014 et nous l’avons empruntée à la chaîne YouTube officielle de l’établissement dédié aux musiques anciennes. Si vous êtes amateurs de musiques anciennes, vous pourrez y trouver de nombreuses pièces en provenance de répertoires médiévaux et baroques.


La Cantiga de Santa Maria 167
et sa traduction en français actuel

Esta é como hua moura levou seu morto a Santa Maria de Salas,
e ressucito-llo.

Quen quer que na Virgen fia e a roga de femença,
Valer ll’a, pero que seja d’outra lee en creença.


Celle-ci (cette cantiga) raconte comment une femme musulmane emporta son enfant défunt à Sainte Marie de Salas, qui le ressuscita.

Quiconque a foi en la Vierge et la prie avec ardeur
sera entendu (valorisé, protégé), même s’il suit une autre loi en matière de religion.

Desta razon fez miragre Santa Maria, fremoso,
de Salas, por ûa moura de Borja, e piadoso,
ca un fillo que avia, que criava, mui viçoso,
lle morrera mui coitado dûa [muy] forte doença.
Quen quer que na Virgen fia e a roga de femença…


A ce propos, Sainte Marie de Salas fit un beau miracle,
plein de piété, pour une femme maure de Borja,
Qui avait un fils très beau qu’elle élevait
Et qui mourut très affligé par une maladie très grave.
Quiconque a foi en la Vierge et la prie avec ardeur

Ela, con coita do fillo, que fezesse non sabia,
e viu como as crischãas yan a Santa Maria
de Salas, e dos miragres oyu que ele fazia,
e de fiar-sse na Virgen filloumui grand’ atrevença;
Quen quer que na Virgen fia e a roga de femença…

Pleine d’affliction pour l’enfant et ne sachant que faire,
Elle vit comment les chrétiennes allaient en pèlerinage à Sainte-Marie
De Salas, et entendit parler des miracles qu’elle avait accomplis
Et en décidant de placer sa foi en la vierge, elle fit montre d’une grande audace Quiconque a foi en la Vierge et la prie avec ardeur

E comendou-ll’o menynno e guisou ssa offerenda.
Mais las mouras sobr’aquesto lle davan mui gran contenda;
mais ela lles diss’: « Amigas, se Deus me de mal defenda,
a mia esperença creo que vossa perfia vença.
Quen quer que na Virgen fia e a roga de femença…

Et elle lui recommanda l’enfant et prépara son offrande.
Mais les femmes maures, à ce propos, lui firent de grands reproches ;
Mais elle leur rétorqua : « Mes amies, si Dieu ne me protège pas du mal,
Je crois que mon espérance vaincra votre insistance pesante.
Quiconque a foi en la Vierge et la prie avec ardeur

Ca eu levarei meu fillo a Salas desta vegada
con ssa omagen de cera, que ja lle tenno conprada,
e velarei na eigreja da mui benaventurada
Santa Maria, e tenno que de mia coita se sença. »
Quen quer que na Virgen fia e a roga de femença…

Car j’emménerai mon fils à Salas, cette fois,
Avec une image en cire
(1) que j’ai déjà achetée
Et je veillerai en l’Eglise de la bienheureuse
Sainte Marie, et je tiens pour sûr qu’elle se souciera de mon affliction. »
Quiconque a foi en la Vierge et la prie avec ardeur

E moveu e foi-sse logo, que non quis tardar niente,
e levou seu fillo morto, maravillando-ss’a gente;
e pois que chegou a Salas, diss’aa Virgen: « Se non mente
ta lee, dá-me meu fillo, e farey tig’avêença. »
Quen quer que na Virgen fia e a roga de femença…

Puis, elle prit congé et s’en fut, car elle ne voulait point tarder
Et elle emporta son fils défunt, en suscitant l’émotion de tous,
Et une fois qu’elle fut arrivée à Salas, elle dit à la vierge : « Si ta loi n’a pas menti
Rends-moi mon fils et je te montrerai une grande reconnaissance. »
(2)
Quiconque a foi en la Vierge et la prie avec ardeur

Ua noite tod’enteira velou assi a mesquinna;
mas, que fez Santa Maria, a piadosa Reynna?
ressucitou-lle seu fillo, e esto foi muit’aginna;
ca a ssa mui gran vertude passa per toda sabença.
Quen quer que na Virgen fia e a roga de femença…

Une nuit entière, la pauvre femme veilla ainsi
Mais que fit alors Sainte Marie, la reine pleine de miséricorde ?
Elle ressuscita son fils, et cela survint très rapidement ;
Car sa très grande vertu dépasse tout entendement.
Celle qui a foi en la Vierge et la prie avec ardeur…

Quand’aquesto viu a moura, ouv’en maravilla fera,
ca ja tres dias avia que o fillo mort’ouvera;
e tornou logo crischãa, pois viu que loo vivo dera
Santa Maria, e sempre a ouv’en gran reverença.
Quen quer que na Virgen fia e a roga de femença…

Quand la femme maure vit cela, elle en fut tout émerveillée
Car cela faisait déjà trois jours que son fils était mort :
Et après cela, quand elle vit qu’il était vivant grâce à Sainte Marie,

Elle se fit chrétienne, et pour toujours, elle voua à cette dernière une grande vénération.
Quiconque a foi en la Vierge et la prie avec ardeur

(1) il s’agit d’une statuette de cire faite à l’effigie de l’enfant défunt. La CSM 118 fait allusion à la même pratique.
(2) reconnaissance (union, accord, pacte, concorde)


En vous souhaitant une belle journée !

Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du moyen-âge sous toutes ses formes.

NB : concernant l’enluminure de l’image d’en-tête, elle est également tirée Ms T1 dit Codice rico de la Bibliothèque Royale de l’Escurial à Madrid. Ce manuscrit daté du XIIIe est contemporain d’Alphonse X. Il peut être désormais consulté en ligne.

Manseliña sur la piste de María la Balteira

Enluminure Alphonse X, espagne médiévale

Sujet :  musique, poésie médiévale, Cantiga de amigo, galaïco-portugais, troubadour, Espagne médiévale.
Période :  XIIIe siècle, Moyen Âge central
Auteur : João Vasques de Talaveira
Titre:  O que veer quiser 
Interprète  : Manseliña
Album :  Maria Pérez se maenfestou  (2021)

Bonjour à tous,

eux qui nous lisent le plus régulièrement se souviennent peut-être de la présentation que nous avions faite, il y a quelque temps, du jeune ensemble médiéval Manseliña. Depuis notre article, la formation galicienne passionnée de musiques anciennes a poursuivi ses recherches et son chemin artistique autour des cantigas de la péninsule ibérique et de l’Espagne médiévale. Elle nous propose même un nouvel album plutôt ambitieux comme nous allons le voir.

Maria Pérez, un personnage haut en couleur
à la cour des grands

Si le terrain d’exploration de Manseliña reste la poésie du Moyen Âge central, l’ensemble musical nous entraîne, cette fois-ci, du côté des chansons satiriques galaïco-portugaises : les « cantigas de escarnio” ou “cantigas de maldizer” sont, en effet, ces chansons humoristiques et pleines de moqueries (« médire » « médisances »). Avec leurs sous-entendus persifleurs et leurs railleries, elles évoquent un peu nos sirventès du pays d’Oc. Selon certaines hypothèses, elles pourraient même en avoir dérivé tout comme les serventois du nord de France l’ont fait.

Une cantiga de Maldizer tiré du nouvel album de Manseliña
Enluminure médiévale sur une danseuse et artiste du Moyen Âge

Cantigas de Escarnio et de maldizer au programme donc, mais ce n’est pas tout. Ce nouvel album se concentre également sur un personnage haut en couleur des cours de l’Espagne médiévale : María Pérez, encore connue sous le surnom de María la Balteira.

Ci contre, l’incroyable enluminure utilisée pour la pochette de cet album de Manseliña. Elle est tirée du Psautier doré de Munich (XIIIe siècle, Angleterre) actuellement conservé à la Bibliothèque d’État de Berlin, à Munich.

Du point de vue du statut, Maria était une « soldadeira ». Les définitions de ce terme sont assez variables et même confuses suivant les sources. Si l’on s’en tient à la Real Academia Galega, il correspond à des artistes féminines qui faisaient des numéros ou qui dansaient durant les prestations des troubadours et des jongleurs. En d’autres endroits, on trouve une définition associée à des femmes accompagnant des soldats pour les divertir en chantant et dansant et en percevant, elles aussi, une « solde ». Dans la lyrique galaïco-portugaise, les soldadeiras occupent un rôle assez complexe et elles font souvent l’objet de cantigas humoristiques et satiriques (1).

Eléments de biographie

Enluminure de troubadours et musicien autour d'Alphonse X de Castille
La cour d’Alphonse X et ses troubadours dans le Codice Rico de l’Escorial

Au XIIIe siècle, María la Balteira connut une popularité certaine à la cour de Fernando III, mais surtout, plus tard, à celle d’Alphonse X de Castille. Le nombre de troubadours lui ayant consacré des chansons ou ayant écrit des poésies, à son sujet, en témoignent. On compte même, parmi eux, le roi Alphonse le Sage en personne. D’après le peu que l’on en sait, cette femme de caractère serait issue d’une famille noble et native de Betanzos, dans la province de la Corogne, en Galice. Etonnement, il semble que le désir de liberté l’appela assez tôt au point qu’elle décida de se soustraire aux obligations du mariage et aux contraintes d’une vie toute tracée. Elle lui préféra donc une vie de musique de danse et de chant à la solde des princes et des rois et c’est dans leurs cours qu’elle exerça ses talents. Précisons encore que certaines cantigas de Escarnio autour des soldadeiras pouvaient verser dans des allusions assez grivoises. En fonction des médiévistes, ces dernières ont pu être, ou non, prises au pied de la lettre pour juger hâtivement la légèreté (voir la fonction professionnelle) de celles à qui elles étaient adressées. María la Balteira n’a pas échappé à cela et ce fut même l’occasion d’un débat d’experts. Les derniers d’entre eux semblent avoir tranché en faveur du deuxième degré (2).

En dehors des poésies qui la chantent, un document atteste de l’existence d’un María Perez dans sa Galice d’origine. En 1257, elle signa en effet, au monastère cistercien de Sobrado dos Monxes ce qui s’apparente à un document de cession d’un bien et d’échange de services contre quoi les moines s’engageait à prendre soin de son salut. Autrement dit, prier pour elle et l’enterrer auprès d’eux en terre chrétienne. On y trouvait également un engagement de prendre la croix pour aller combattre en terre sainte. Pour combattre ou suivre les troupes ? On ne le sait pas, pas d’avantage qu’on ne sait si elle put s’y rendre, ni, le cas échéant, ce qu’il y survint. Les médiévistes se perdent aussi en conjecture pour savoir s’il s’agit bien d’elle ou plutôt d’un homonyme.

Réalité ou métaphore ?

monastère cistercien de Sobrado dos Monxes

D’une manière générale, il est difficile de trier le vrai du faux au sujet de María la Balteira mais les cantigas lui associent tout un tas de pratiques qui sonnent aussi étonnantes que « garçonnes » : compétitions de tir à l’arbalète, jeux de dés à grand renfort de jurons. Tout ceci ne lui aurait d’ailleurs pas empêché de s’attirer les nombreuses faveurs de courtisans et troubadours à en juger toujours par le contenu de certaines poésies à son encontre. D’autres histoires encore plus surprenantes content même qu’elle aurait pu être agent secret du roi Alphonse X auprès d’autres souverains chrétiens mais aussi musulmans.

Que les exploits qu’on lui prête soient avérés ou non, les chansons à son sujet ne tournent jamais en dérision ses talents artistiques. Cela semble renforcer la reconnaissance de ses qualités auprès de ses paires et des cours qu’elle a fréquentées. Pour ses vieux jours, il semble que Maria Perez se retira dans sa province d’origine. Elle est probablement décédée après l’an 1257 et elle fut enterrée au monastère de Sobrado. Avec un tel itinéraire, on comprend aisément comment ce personnage féminin détonnant a pu susciter l’intérêt de Manseliña au point de lui consacrer un album.

Maria Pérez se maenfestou, l’album de Manseliña

« Maria Pérez se maenfestou, cantigas de escarnio a María Balteira » est donc le second album de l’ensemble médiéval. Le premier « Sedia la Fremosa » était consacré aux cantigas de amigo galaïco-portugaises. De l’aveu même de María Giménez, co-fondatrice de la formation, il aura fallu plusieurs années et de sérieuses recherches pour finaliser cette nouvelle production. Comme María la Balteira n’a pas composé directement (ce n’est pas un trobairitz), on y trouvera réuni les cantigas de escarnio et chansons satiriques que les troubadours de l’époque lui consacrèrent.

Album de musique médiévale sur Maria Perez de l'ensemble Manseliña

Avec près d’une heure d’écoute, l’album propose 16 cantigas dont 14 gravitent autour du personnage de María Pérez. Aucune notation musicale n’ayant subsisté pour accompagner ces pièces, la formation médiévale s’est exercée à l’art du contrafactum. Les mélodies utilisées pour mettre ces textes en musique proviennent donc d’origines diverses : les Cantigas de Santa Maria d’Alphonse X mais aussi des compositions de troubadours français ou des cantigas traditionnelles de Galice et du Portugal. Pour la chanson proposée aujourd’hui, c’est la CSM 170 (Cantiga de Santa Maria) qui a été utilisée.

Vous pouvez vous procurer cet album au format digital sur Spotify. Il est également disponible en ligne. Voir le lien suivant pour plus d’informations : Maria Pérez se maenfestou.

Artistes ayant participé à cet album

María Giménez (voix, vièle, percussions), Tin Novio (luth), Pablo Carpintero. (voix, instruments à vent et percussions).


O que veer quiser, ai cavaleiro,
de João Vasques de Talaveira

La chanson médiévale du jour a été attribuée à la plume de João Vasques de Talaveira. Troubadour du XIIIe siècle, il était probablement natif de la région de Tolède. Pour le reste, son legs et ses cantigas semblent établir qu’il était bien introduit dans le cercle des troubadours entourant Alphonse X de Castille. Il nous a laissé autour d’une vingtaine de pièces dont des Cantigas de escarnio y maldizer, des Cantigas de amor et des Cantigas de amigo, mais encore des tensons ou tençons (ces joutes verbales poétiques très appréciées des troubadours du Moyen Âge central).


O que veer quiser, ai cavaleiro,
Maria Pérez, leve algum dinheiro,
senom nom poderá i adubar prol.


Ah Messires ! Ceux qui veulent voir
Maria Perez, doivent avoir de l’argent
Sans quoi ils n’obtiendront rien.


Quen’a veer quiser ao serão,
Maria Pérez, lev’alg’em sa mão,
senom nom poderá i adubar prol.

Ceux qui pour le spectacle (la soirée) veulent voir
Maria Perez, ne doivent pas venir les mains vides
Sinon, ils n’obtiendront rien.


Tod’home que a ir queira veer suso,
Maria Pérez, lev’algo de juso,
senom nom poderá i adubar prol.

Quiconque veut aller, en-haut, pour voir
Maria Perez, doit porter quelque chose en-bas,
sinon, ils n’obtiendront rien.


En vous souhaitant une belle journée.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes

NB : sur l’image d’en-tête on peut voir la formation Manseliña et, à l’arrière plan, une belle enluminure du Códice Rico des Cantigas de Santa Maria d’Alphonse X. Ce manuscrit médiéval, daté de la fin du XIIIe siècle (1280-1284), est actuellement conservé à la Bibliothèque royale du monastère de l’Escorial à Madrid, Espagne. Il est consultable en ligne ici.

Notes

(1)Vós, que conhecedes a mim tam bem…” – as soldadeiras, Márcio Ricardo Coelho Muniz·
(2) O contrato de María Pérez Balteira con Sobrado, Joaquim Ventura, GRIAL, revista Gallega de Cultura (numero 215 sept 2017) et