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Des prélats égarés et de la mauvaise utilisation du pouvoir, sous la houlette du Jean de Meung

Une citation médiévale Jean  De Meung, moyen-âge central

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Bonjour à  tous,

O_accent_lettrine_moyen_age_passion joie cruelle et fallacieuse de la citation hors contexte,  nous voici encore au pied du Codicille du bon maître Jean de Meung, alias  Jean Clopinel ,  grand co-auteur du Roman de la Rose et érudit du  XIIIe siècle, pour nous délecter de sa sagesse toute médiévale.

Et dans ce codicille qu’il nous lègue, appendice d’un autre testament qu’il a rédigé par ailleurs, il fustige de son verbe et sans complaisance,  ses contemporains et,  par dessus tout, les religieux ou même les clercs savants. En l’occurrence dans cet extrait que nous vous proposons aujourd’hui en forme de citation, il s’adresse plus précisément aux chefs de l’église et aux prélats: abbés et évêques. Satire? peut-être un peu. Sermon, sans aucun doute.  Mais  comme tant d’autres auteurs le feront frise_vent_deco2 durant ce moyen-âge central et ce XIIIe siècle, c’est en homme pieu, soucieux de religion et de salut de l’âme, autant que de justice  qu’il s’exprime. Il ne cherche donc pas à mettre le feu aux poudres, (ce qui serait en plus un peu anachronique pour l’époque) mais plutôt à ramener dans la juste parole et,  plus encore, la juste pratique les brebis égarées de la haute hiérarchie de  l’Eglise.

Pourtant, oublieux un instant du contexte, comme elle est grande la tentation, en ne prenant que ces quatre pieds de vers, de les étirer un peu et d’en faire une morale du bon ou plutôt du mauvais exercice du pouvoir sous toutes ses formes, et de sauter,  allègrement hors de l’église et hors du temps :


“Se tu veulx mal user de ta grant seigneurie,
Se povres gens te foulent*, je ne m’en merveille mye;
Car quant la congnoissance est trop ensevelie,
Droiz et Dieu se consent que telz gens t’humilie.”
Jean de Meung (1250-1305) Le Codicille

« Si tu veux mal user de ta  grande seigneurie,
Si pauvres gens te  foulent, point ne m’en ébahis,
 car  quand la connaissance est trop ensevelie,
Justice* et Dieu s’accordent que tels gens t’humilient. »

*justice naturelle, nature,


Mais avant de nous reprendre par quelques médiévistes que notre glissement conceptuel et temporel  ferait soudain sortir légitimement de leurs gonds, empressons-nous de revenir au contexte et  au sens étroit  de ces vers de Jean De Meung.  Comme nous le disions, il s’adresse ici clairement au prélats et les enjoint d’être justes envers leurs propres clercs tout autant qu’envers les gens du simple. On trouvera, un peu plus haut dans son codicille, les lignes  suivantes qu’il leur adressent encore:

« Sçavoir vous appartient com chascun se moyenne,
Soyent clercs, soyent laiz, soyent communs ou moyenne »

frise_vent_deco2 Et pour ramener encore dans le giron d’une pratique plus proche de leur mission première,  ces ecclésiastiques dévoyés  par leur propre « fortune » et leurs propres richesses, autant que par les jeux de séduction de cour et de pouvoir, il  leur  dira aussi  dans le  même passage :  « Tout est perdu fors ce qu’on fait en charité; »

Difficile de ne pas  lire, en filigrane, dans ce sévère rappel à l’ordre de la part de l’auteur médiéval, la marque de ce même mouvement qu’on retrouvera encore dans les fabliaux, ou dans ces doigts qui pointeront les richesses des moines blancs ou celles des évêques, dans un XIIIe siècle qui mesure la distance laissée entre les petites gens et certains dignitaires de l’église, véritable caste aristocratique  affichant les marques ostentatoires de  pouvoir et d’argent,  au point d’être même rappelés ici par l’auteur à ses devoirs élémentaires de charité. 

En vous souhaitant une excellente journée.
Fred
Pour moyenagepassion.com
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« Des plaisirs de l’étude et des sciences », une ballade médiévale du XIVe par Eustache Deschamps

poesie_medievale_satirique_eugene_deschamps_moyen_ageSujet : poésie morale, littérature médiévale, ballade, vieux français, études, sciences.
Période : moyen-âge tardif, XIVe siècle
Auteur : Eustache Deschamps (1346-1406)
Titre : « Car tout desplais fors estude et sience»

Bonjour mes amis,

V_lettrine_moyen_age_passion copiaoici encore un peu, aujourd’hui de la poésie d’Eustache Deschamps, poète prolifique du XIVe, dans une ballade où il nous dévoile ses intérêts pour l’étude et la science qui, contrairement à d’autres occupations, nous dit-il, ne lassent jamais.

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L’oeuvre que nous a laissée Eustache Dechamps dit Morel est, nous l’avons déjà dit ici, colossale. S’il s’est essayé au genre de l’amour courtois, il lui a largement préféré le registre de la poésie satirique, morale ou même réaliste. C’est heureux pour nous car, ainsi, son legs a le grand avantage de nous éclairer sur un large pan de la société du moyen-âge tardif, qui est aussi celle de la guerre de cent ans et des épidémies de peste. Valeurs morales, moeurs et pratiques, costumes, tournois, jeux de cour, duels, etc.., ses textes sont une source inépuisable d’enseignement sur le monde médiéval du XIVe siècle.

eustache_deschamps_ballade_poesie_medievale_enluminure_clerc_etudes_science_savant_moyen-age_tardifSon goût pour les ballades, encore en usage durant son siècle et qui le resteront quelque temps encore, pour tomber dans l’escarcelle du génial François Villon, lui en a fait écrire plus de mille.  Il ne s’arrêtera pourtant pas à ce seul genre dont on dit même qu’il le fixera et il laissera encore des rondeaux, des virelais, des farces, mais aussi des traités didactiques dont l’un ‘L’art de Dictier » qui deviendra célèbre. Digne héritier d’ESOPE,  Eustache Deschamps excellera encore dans le genre des fables, qui, maintes fois réécrites d’une Marie de France jusqu’au XVIIe siècle d’un Jean de la Lafontaine, traverseront l’ensemble du moyen-âge et fourniront le prétexte à un genre satirique, politique et moral, qui avancera, à couvert, sous le bouclier de la métaphore animalière.

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Et le voilà clerc et savant, Eustache le sage, Eustache le désabusé aussi, revenu pour nous aujourd’hui, de six cents ans d’Histoire pour nous faire l’éloge de l’Etude et des « Sciences », cette large appellation de « sciences » qui, au moyen-âge, recouvre les nombreuses disciplines qui font de l’homme « un savant », un détenteur du savoir dans les « matières savantes ».

Formé dans sa jeunesse à la prestigieuse Université d’Orleans qui, depuis le début de ce XIVe qui l’a vu naître, dispense notamment le Droit, sa longue et variée carrière d’employé de cour lui fournira l’occasion de l’exercer, mais au delà, cette formation lui donnera sans doute aussi une rigueur qu’il  Enluminure, Université médiévale, Bologne, XIVe siècle. mettra jusque dans son exigence de style.

Revenu de tout. il a vécu longtemps et certains lisent quelquefois à travers ses rimes, l’aigreur d’un homme qui a servi sa vie entière les rois et les puissants, sans pour autant en retirer ni le prestige, ni la fortune. Le sens critique n’est pas une valeur de cour. A-t-il payé le prix d’une plume trop acerbe et trop prompte à souligner de ses traits les abus de pouvoir de tous bords? Sans doute. Pourtant indéniablement de son travail et ses loyaux services, Eustache Deschamps se démarque encore d’autres poètes de son temps en ce qu’il ne dépend pas de sa plume pour subsister. Si elle a pu lui jouer des tours, elle demeure affranchie de toute contrainte alimentaire et c’est un fait qui éclaire largement l’oeuvre de ce poète médiéval et les libertés qu’il y prend.

etudes_science_moyen-age_poesie_realiste_sociale_ballade_eustache_deschamps_moyen-age_monde_medievalEt s’il y a, par instants, un peu d’écume amère au bord de certaines de ses lignes, ce serait une erreur de ne s’arrêter qu’à cela et de ne pas voir encore à travers sa poésie l’oeil du temps, le témoin, un chroniqueur atypique entre les lignes versifiées duquel le XIVe siècle se donne à observer. Au delà de cela, ce grand auteur médiéval  reste encore le témoin d’une période de transition dans l’art de la poésie, une page qu’il aura lui-même contribuée à tourner. Ami de Guillaume de Machaut, dont il se déclare le disciple, notre auteur est un amoureux des formes et du langage, un adepte de la rigueur stylistique. Et dans ses réflexions sur une poésie qu’il déclare innée et qui ne s’apprend pas, il valorisera encore l’art de la rime et du vers comme une musique en soi, un art du langage affranchi de toute composition musicale apprise et qui entend bien se livrer au lecteur, entier et sans artifice, dans sa propre musicalité.

Car tout desplaist fors estude et science
dans le verbe d’Eustache Deschamps

Des plaisirs de l’Etude et de la Science.
Il n’est délit, joie, feste, soûlas,
Joustes, tournois, déduit, esbatement,
De quoy chascuns ne soit à la foiz las,
Combien que tout plaise au commencement.
Continuer telz choses longuement
Engendre ennui ou quelque desplaisance;
Estudier n’a pas ce mouvement :
Car tout desplaist fors estude et science.

Et ce puet-on veoir en pluseurs cas
Chascun le scet qui a entendement,
De grans festes dient pluseurs, Hélas!
Et des deliz de chacier ensement,
Et de voler, et de tournoiement,
De dame avoir, et de mener la dance;
Vanitez sont , croy donc certainement :
Car tout desplaist fors estude et science.

Mais plus vit homs, et plus passe le pas
De l’aage humain, plus quiert diligemment
L’art de sçavoir dont il veult faire un tas;
De jour en jour croist l’estudiement,
Sanz lui lasser , et continuelment,
Pour acquérir renommée et prudence,
Mais trop petit lui chaut du rémanent:
Car tout desplaist fors estude et science.

Prince, qui a terre et gouvernement
Doit voulentiers aprandre dès s’enfance,
Pour soy garder et vivre saigement:
Car tout desplaist fors estude et science.

En vous souhaitant une merveilleuse journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
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Un songe de Clément Marot en forme de dizain.

poesie_medievale_clement_marotSujet : poésie médiévale, auteur, poète, dizain, amour, romantisme, passion amoureuse
Période : fin du moyen-âge, début renaissance
Auteur : Clément Marot (1496-1544)
Titre : « D’un songe »
Tiré de : Récréation et passe temps des tristes, (1595)

Bonjour à tous,

L_lettrine_moyen_age_passione talent de Clément Marot pour les pièces de poésies courtes n’est plus à démontrer tant il excelle dans ce genre, qu’il s’agisse d’épigrammes, de dizains ou même encore d’épitaphes. Le dizain que nous vous proposons aujourd’hui est dédié à sa belle dont les charmes irrésistibles ont, dans le verbe du poète, conquis  jusqu’à Apollon, Dieu de poète des Arts, de la musique et de la connaissance.

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Même s’il reste chaste, Marot ose ici la nudité et s’avance sur le terrain d’une sensualité qu’on retrouve peu dans les traits de l’amour courtois des siècles précédents; la plupart du temps, ce dernier ne s’approche, en effet, pas aussi près. Dans les formes poétiques de ce dizain et dans cet objet convoité que même un Dieu veut dérober à l’emprise de son auteur, on lit , sans doute plus, le désir intarissable de l’amant, que celui inassouvi du prétendant.

Et à travers cette pièce, Marot nous montre encore que son don pour les mots et leur musique ne s’arrête pas aux traits d’esprit, à la satire ou aux grivoiseries légères, mais a aussi le pouvoir de donner au sentiment amoureux ses plus belles lettres.

D’un songe

La nuict passée en mon lict je songeoye
Qu’entre mes bras vous tenoy nue à nu,
Mais au resveil, se rabaissa ma joye
De mon désir en dormant advenu,
Àdonc je suis vers Apollo venu, 
Luy demander qu’aviendroit de mon songe,
Lors luy jaloux de toy, longuement songe,
Puis me respond : tel bien ne peulx avoir.
Helas! m’amour fais luy dire mensonge,
Si confondras d’Apollo le scavoir.
Clément Marot (1496-1544)

En vous souhaitant une belle journée.
Fred
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La vérité, le fou et le sage, par le philosophe Erasme

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“Accordez aussi aux fous une qualité qui n’est pas à dédaigner: seuls, ils sont francs et véridiques.”
Erasme de Rotterdam, (1461-1536)- L’Eloge de la folie.
Philosophe, humaniste, écrivain de la toute fin du moyen-âge ou du début de la renaissance.

Bonjour à tous,

J_lettrine_moyen_age_passione fais juste une petite précision pour éclairer cette citation de Erasme qui peut être mal comprise quand on la prend hors contexte. Le fou dont il est question ici est le bouffon, le fou du prince. Plus loin le philosophe ajoutera d’ailleurs :

« On me dira que les oreilles princières ont précisément horreur de
la vérité et que, si elles fuient les sages, c’est par crainte d’ouïr parmi eux une voix plus sincère que complaisante. Je le reconnais, la vérité n’est pas aimée des rois. Et pourtant, mes fous réussissent cette chose étonnante de la leur faire accepter, et même de leur causer du plaisir en les injuriant ouvertement. Le même mot, qui, dans  la bouche d’un sage, lui vaudra la mort, prononcé par un fou réjouira prodigieusement le maître. C’est donc que la vérité a bien quelque pouvoir de plaire, si elle ne contient rien d’offensant, mais folie_citation_medievale_bouffon_roi_erasme_veriteles Dieux l’ont réservée aux fous. »

En ces temps imbéciles où un rien nous offense si souvent et, en accord avec Erasme, ajoutons encore ceci : bienheureux le royaume ou les terres de ce monde où le fou peut encore se rire même des princes et où il n’a crainte que la vérité ne sorte par sa bouche.

Une belle journée à tous.
Fred
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