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Cantiga de Santa Maria 1, des louanges royales à la vierge

Sujet : Cantigas de Santa Maria, galaïco-portugais, culte marial, chants de louange, Sainte-Marie, nativité, révélation.
Période : Moyen Âge central, XIIIe siècle
Auteur : Alphonse X  (1221-1284)
Titre : Cantiga de Santa Maria 1  « Des hoge mais quér’ éu trobar. » 
Interprète : Boston Camerata et Joel Cohen,
A Spanish Christmas ( 2008, Warner Music)

Bonjour à tous,

ujourd’hui, nous voguons vers l’Espagne médiévale du XIIIe siècle, à la découverte d’une nouvelle pièce musicale de la cour de Castille et quelle pièce : la cantiga de Santa Maria 1.

Pour rappel, les quelques 417 Cantigas de Santa Maria comportent une grand majorité de récit de miracles qui alternent régulièrement avec des chants de Louange. La pièce qui ouvre le corpus des chants à la vierge légués par Alphonse X de Castille est un de ceux là.

La cantiga de Santa Maria 1, partition, texte et enluminures mariales dans le Codice Rico de la Bibliothèque de l'Escurial
le somptueux Códice Rico (T. I. 1) de la Bibliothèque Royale de l’Escurial (à consulter en ligne ici)

Une représentation de la nativité dans les Cantiga de Santa Maria.

En plus d’ouvrir le bal, la Cantiga de Santa Maria 1 a ceci de particulier que ses enluminures, en particulier celles du Codice Rico représentent, entre autres scènes bien connues de l’imagerie chrétienne, une scène de la nativité. Ce chant marial nous a donc semblé particulièrement indiqué pour cette période de l’année où l’on célèbre traditionnellement, en France et dans de nombreux pays occidentaux, la naissance du christ et du christianisme mais aussi, finalement, la maternité et l’enfantement.

A noter que le Cantiga de Santa Maria n’est pas la seule à présenter une scène de la nativité dans le large corpus. On retrouve, en effet, cette scène attachée à la Cantiga 80 qui est, elle aussi, un chant de louange à la vierge.

Moyen Âge chrétien et naissance de la crèche

La révélation à Marie par l'ange Gabriel, enluminure de la Cantiga de Santa Maria 1 (XIIIe siècle)

Pour rappel, la célébration de la nativité et l’établissement de la date du 25 décembre par l’Eglise romaine remontent au quatrième siècle de notre ère. La date avait d’abord été fixée au 6 janvier mais le 25 décembre fut bientôt établi par Rome car il coïncidait, entre autre date, avec le solstice d’hiver et le culte de Mitra, le dieu solaire 1.

Enluminure de la nativité, Cantiga de Santa Maria 1 (XIIIe siècle)

Au Xe siècle, l’enthousiasme et les célébrations autour de la nativité portés par les chrétiens et relayés par le clergé commencèrent à donner lieu à des représentations et un engouement autour de moments importants des évangiles comme l’annonce aux bergers ou l’arrivée de rois mages.

Une initiative de Saint François d’Assise

Au début du XIIIe siècle, le pape romain Innocent III ne tarda pas à les interdire et il faudra attendre saint François d’Assise et quelques décennies (1223) pour que soit acceptée par la papauté romaine une première mise en scène de la nativité, à l’occasion d’une messe de Noël.

L'annonciation aux bergers, enluminure de la Cantiga de Santa Maria 1 (XIIIe siècle)

L’initiative de saint François d’Assise connut bientôt un franc succès et son installation originelle avec son bœuf et son âne allaient entrer dans la tradition. La crèche de Noël était née. Elle commença à se diversifier entre personnages à l’effigie des protagonistes, représentations artistiques, peintures, sculptures, puis figurines et finit pour traverser les siècles.

L'arrivée des rois mages enluminure de la Cantiga de Santa Maria 1

Au moment de l’écriture des cantigas et de leur mise en image dans le codice rico (daté du dernier tiers du XIIIe siècle) on est donc assez proche historiquement de la naissance de cette imagerie vivante, à quelques dizaines d’années à peine. Bien sûr, les premières représentations de la nativité sont antérieures à ce rite de la crèche et on peut dater les premières représentations des tout premiers siècles de notre ère (Catacombes de Priscille).

La Cantiga de Santa Maria 1 , ouverture du corpus sur un chant de louange

Les Cantigas de Santa Maria d’Alphonse X s’ouvrent donc sur ce chant de louange mariale particulièrement important puisqu’il introduit le corpus.

Sur huit strophes, le poète et compositeur, sans doute Alphonse X pour le coup, reprend les épisodes les plus forts des évangiles autour de la vierge. Son insistance à n’en oublier aucun marque toute l’importance qu’il accorde à la vie de la sainte et l’emphase qu’il entend mettre, dans son ouvrage, à transmettre les écritures et le culte marial.

Dans les enluminures de la première Cantiga de Santa Maria, on retrouvera tous ces temps forts représentés, aux côtés de la nativité : la révélation de l’Ange Gabriel à Marie, l’annonciation aux bergers, l’arrivée des rois mages, etc…

Sur le fond, on retrouvera tous les ingrédients qui ont fait la popularité du culte marial au Moyen Âge central et ce pouvoir de protection mais aussi d’intercession de la vierge auprès de Dieu, son fils.

Un Noël Médiéval avec la Boston Camerata et Joel Cohen

Pour l’interprétation musicale de la cantiga de Santa Maria 1, on n’a que l’embarras du choix. Sa place dans le corpus et ses qualités l’ont, en effet, rendue très populaire et elle a été enregistrée par de nombreux musiciens et formations de la scène médiévale.

Ici, nous avons choisi la belle version de l’ ensemble de musique ancienne américain, la Boston Camerata sous la direction de Joel Cohen.

Au début des années 2000, la talentueuse formation proposa un voyage musical original à travers un triple album et trois façons de célébrer Noël : à l’américaine, à la française et à l’espagnol. Cette production est sortie sous le titre « A Boston Camerata Christmas : Worlds of Early Music. »

Du milieu des années 70 et jusqu’aux années 90, la Boston Camerata et son directeur avaient eu l’occasion d’aborder, à de nombreuses reprises, le thème de Noël et des musiques anciennes. Ce travail de remise à plat était donc le fruit d’un long itinéraire de recherche et de compilation. Sur une période couvrant plus de 7 siècles et 3 continents, cet album reste, à ce jour, totalement unique.

Un Noël à l’Espagnol et en musique

Le CD dédié au Noël espagnol propose 18 pièces pour plus d’une heure d’écoute. Il est intitulé : « Un Noël Espagnol : musique de la péninsule ibérique, l’Afrique du Nord, la terre promise et le nouveau monde » (A Spanish Christmas. Music from the Iberian Peninsula, North Africa, the Holy Land & the New World, 1200-1700). On y trouve cinq cantigas de Santa Maria. Le reste des pièces s’étale sur une période allant du XIIe siècle (Calendia maya) au XVIIe siècle et voyage d’un continent à l’autre.

Cette production commence un peu à dater. En l’absence de réédition récente, il peut donc s’avérer difficile de la trouver en stock chez votre disquaire. A défaut, vous pourrez également accéder à des versions digitalisées sur de nombreuses plateformes en ligne. A toutes fins utiles, voici un lien vers le CD du Noël espagnol au format MP3 : A Spanish Christmas, Joel Cohen et la Boston Camerata


La Cantiga de Santa Marial d’Alphonse X
et sa traduction française

Esta é a primeira cantiga de loor de Santa María, ementando os séte goios que houve de séu Fillo.

Voici le premier chant de louange à Sainte Marie, évoquant les sept joies qu’elle a éprouvées pour son Fils.

Des hoge mais quér’ éu trobar
pola Sennor honrrada,
en que Déus quis carne fillar
bẽeita e sagrada,
por nos dar gran soldada
no séu reino e nos herdar
por séus de sa masnada
de vida perlongada,
sen havermos pois a passar
per mórt’ outra vegada.

A partir d’aujourd’hui, je souhaite chanter
pour la Dame honorée
en qui Dieu a choisi de s’incarner,
bénie et sainte,
pour nous donner une grande récompense
dans son royaume et pour nous donner en héritage,
comme [membres] de sa suite,
une vie prolongée
sans avoir à repasser
par la mort.

E porên quéro começar
como foi saüdada
de Gabrïél, u lle chamar
foi: “Benaventurada
Virgen, de Déus amada:
do que o mund’ há de salvar
ficas óra prennada;
e demais ta cunnada
Elisabét, que foi dultar,
é end’ envergonnada”.

C’est pourquoi je souhaite commencer
par la manière dont elle fut accueillie
par Gabriel, lorsqu’il lui dit :
« Vierge bénie, bien-aimée de Dieu,
de celui qui sauvera le monde,
maintenant tu es enceinte,
comme ta parente
Élisabeth, qui avait des doutes,
et en a désormais honte. »

E demais quéro-ll’ enmentar
como chegou canssada
a Beleên e foi pousar
no portal da entrada,
u pariu sen tardada
Jesú-Crist’, e foi-o deitar,
como mollér menguada,
u deitan a cevada,
no presév’, e apousentar
ontre bestias d’ arada.

Et de plus, je veux me souvenir
de son arrivée fatiguée
à Bethléem, et de la façon dont elle s’installa,

comme une pauvre femme,
dans l’étable à l’entrée,
où elle donna naissance

à Jésus-Christ et le déposa
là où l’on sème l’orge,
dans la mangeoire, et comment elle se logea
parmi les animaux de la ferme.

E non ar quéro obridar
com’ ángeos cantada
loor a Déus foron cantar
e “paz en térra dada”;
nen como a contrada
aos tres Reis en Ultramar
houv’ a strela mostrada,
por que sen demorada
vẽéron sa oférta dar
estranna e preçada.

Et je ne veux pas oublier
comment les anges chantant

les louanges de Dieu chantèrent
et « Paix sur la terre » ;
ni comment l’étoile
montra aux trois rois mages
le lieu des mers lointaines,
afin que sans tarder
ils viennent apporter leur présent
extraordinaire et précieux.

Outra razôn quéro contar
que ll’ houve pois contada
a Madalena: com’ estar
viu a pédr’ entornada
do sepulcr’ e guardada
do ángeo, que lle falar
foi e disse: “Coitada
mollér, sei confortada,
ca Jesú, que vẽes buscar,
resurgiu madurgada.”

Une autre chose que je veux raconter,
et que lui raconta plus tard
a Marie-Madeleine : comment

elle vit la pierre entrouverte
du sépulcre et gardée
par un ange qui lui parla
et lui dit : « Femme affligée,
sois réconfortée
car Jésus, que tu es venue chercher,
est ressuscité à l’aube. »

E ar quéro-vos demostrar
gran lediç’ aficada
que houv’ ela, u viu alçar
a nuv’ enlumẽada
séu Fill’; e pois alçada
foi, viron ángeos andar
ontr’ a gent’ assũada,
mui desaconsellada,
dizend’: “Assí verrá julgar
est’ é cousa provada.”

Et je veux aussi vous montrer
l’immense joie
qu’elle a ressentie en voyant s’élever
sur la nuée illuminée

son Fils ; et une fois qu’il fut élevé,
ils virent les anges marcher
parmi le peuple rassemblé,
qui était très déconcerté
et disait : « Ainsi viendra-t-il nous juger,
cela ne fait aucun doute. »

Nen quéro de dizer leixar
de como foi chegada
a graça que Déus envïar
lle quis, atán grãada,
que por el’ esforçada
foi a companna que juntar
fez Déus, e enssinada,
de Spírit’ avondada,
por que soubéron preegar
lógo sen alongada.

Je ne veux pas omettre de dire
comment fut reçu

La grâce que Dieu
voulait leur envoyer,
avec une telle abondance,
que par elle,
le groupe que Dieu avait fait se rassembler
fut très instruit et déterminé,
et rempli du Saint-Esprit,
si bien qu’ils apprirent à prêcher
immédiatement, sans délai.

E, par Déus, non é de calar
como foi corõada,
quando séu Fillo a levar
quis, des que foi passada
deste mund’ e juntada
con el no céo, par a par,
e Reínna chamada,
Filla, Madr’ e Crïada;
e porên nos dev’ ajudar,
ca x’ é nóss’ avogada.

Et, par Dieu, je ne dois pas me taire
sur la façon dont elle a été couronnée,
lorsque son Fils voulut la porter
lorsqu’elle a quitté ce monde,

et, la tenir avec lui, à ses côtés, au Ciel,
où (et) elle est appelée Reine,
fille, mère et servante ;
et c’est pourquoi elle doit nous aider,
car elle est notre avocate.


Retrouvez toutes les cantigas de santa maria traduites et commentées sur ce lien.

En vous souhaitant une belle journée.

Frédéric EFFE
Pour Moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.

  1. Miniaturas de la navidad en las cantigas de santa maria, María Rosa Fernández Peña, source dialnet.unirioja.es ↩︎

Best-Seller médiéval : le Disciplina Clericalis de Pierre Alphonse

Sujet : contes orientaux, fable médiévale, contes, auteur médiéval, Espagne médiévale, poésie morale, contes moraux.
Période : Moyen Âge central, XIe & XIIe siècle
Auteur : Pierre Alphonse, Petrus Alfonsi, Petrus Alfonsus, Pedro Alfonso, Petrus Alphonsi, (1062-?1110)
Ouvrages : Disciplina Clericalis, Discipline du Clergie, Le Castoiement d’un père à son fils.

Bonjour à tous,

ujourd’hui, nous embarquons pour les débuts du XIIe siècle à la découverte d’un nouveau best-seller médiéval : le Disciplina Clericalis et son adaptation en vers et en vieux-français, Le castoiement d’un père à son fils.

Pour débusquer les origines de cet ouvrage à succès du Moyen Âge central, il nous faudra passer les Pyrénées françaises à l’ouest d’Andorre avant d’entrer dans l’Aragonais. C’est là, à Huesca, dans la Province de Saragosse et au cœur de l’Espagne médiévale que l’auteur de notre best seller s’est tenu, entre la fin du XIe siècle et les débuts du XIIe siècle. Il a pour nom Pierre Alphonse (Petrus Alfonsi ou Alfonsus, ou encore Pietro Alfonso) et il se rendit célèbre au moins autant pour son œuvre que pour sa conversion tardive au catholicisme.

De Moïse Sephardi à Petrus Alfonsi

D’origine Juive, Pierre Alphonse embrassa la religion catholique à un âge relativement avancé. Il était alors dans sa quarantième année et plutôt bien implanté et reconnu dans sa communauté locale. Médecin, peut-être même rabbin, cette conversion volontaire ne manqua pas de susciter la désapprobation des siens. Quelques années plus tard, il expliqua et argumenta cette décision dans le Liber adversus Judeos ou Dialogus contra Judaeos connu en français sous le nom de « Dialogue contre les juifs ».

L’ouvrage se présente sous la forme d’un dialogue entre Moïse (l’homme d’avant la conversion) et Petrus, son nouveau moi converti et ayant endossé le prénom de Pierre l’apôtre. Cet essai connut un succès certain au Moyen Âge et alimenta les conversations théologiques opposant le christianisme au judaïsme.

Aujourd’hui, ce n’est pas cet ouvrage de Pierre Alphonse que nous souhaitons aborder mais le Disciplina Clericalis ou l’enseignement des clercs. Moins polémique que le Liber adversus Judeos, il s’agit d’une collection de contes et de récits d’inspiration orientale mais qui eut un grand retentissement dans la littérature médiévale occidentale. De fait, le Disciplina Clericalis est encore considéré, à ce jour, comme une la plus ancienne compilation de contes d’origine orientale en Occident.

Le Disciplina Clericalis et Le Castoiement d’un père à son fils.

L'enluminure de Petrus Alfonsi, Pierre Alphonse dans le manuscrit médiéval 11043-11044 du KBR de Bruxelles.

Pour comprendre l’émergence de ce célèbre ouvrage médiéval au cœur de l’Aragonais et de l’Espagne des débuts du XIIe siècle, il faut avoir en tête deux ou trois éléments de contexte. Petrus Alfonsi est d’origine séfardi mais il nait et grandit aussi dans une province aux mains d’Al Andalous. Cette dernière ne sera reprise complétement par la reconquista qu’autour de 1118.

Dans la Huesca des débuts du XIIe siècle, les intellectuels espagnols, arabes et juifs se côtoient (voir notre biographie détaillée de Petrus Alfonsi ). La cour d’Aragon est elle-même ouverte à ces influences culturelles même si les échauffourées ne manquent pas entre les provinces aux mains du Califat de Cordoue.

Ce bain multiculturel trempé de littérature orale et écrite orientale a certainement influencé Pierre Alphonse. On sait par ailleurs qu’il a grandi avec les arabes et parle leur langue. Doté d’un bon niveau en latin et d’un excellent bagage en culture orientale, notre auteur était tout indiqué pour adapter cette tradition orientale dans une forme qui puisse séduire les lecteurs et clercs occidentaux d’alors.

Un manuel de savoir-vivre accessible et léger

Le monde arabe et perse, comme l’Europe médiévale du Moyen-Âge central furent particulièrement friands de manuels d’éducation à l’usage des jeunes princes ou nobles appelés à régner. Le Disciplina Clericalis échappe pourtant à ce genre de « Miroir des princes » et ne se réserve pas aux puissants.

L’ouvrage est, certes, rédigé par un savant. Pierre Alphonse est médecin et instruit. On le sait très proche du puissant d’Alphonse Ier d’Aragon dont il fut le médecin. Le souverain parraina aussi la conversion religieuse de notre auteur et, à cette occasion, ce dernier adopta même comme patronyme le prénom de ce dernier (le Alfonsi vient de là). Il a également pu accompagner le roi d’Aragon et de Pampelune dans certains de ses voyages ou de ses campagnes militaires 1.

Au cours de sa vie, on retrouve également Pierre Alphonse médecin à la cour du roi d’Angleterre, c’est dire qu’il côtoie les puissants. Plutôt que de prétendre les éduquer ou les édifier, il fera le choix de destiner son Disciplina Clericalis à l’éducation générale des clercs et des lettrés. Dans ses récits courts, notre auteur se montrera léger, soulignant les aspects moraux sans lourdeur et sans s’appesantir. Ses choix de vocabulaire et le ton choisi permettront aussi de mettre ses contes à la portée de tous ceux en situation de pouvoir les lire.

Au delà du style, la fraîcheur thématique de l’ouvrage a sans doute contribué aussi à son succès. La bonne connaissance des cultures séfardis, perses, arabes, et latines de Pierre Alphonse ont indéniablement contribué à faire de son Disciplina Clericalis un ouvrage novateur original en son temps. Tous les ingrédients étaient donc réunis pour que l’œuvre se propage et devienne une importante référence littéraire médiévale.

Le Castoiement d'un père à son fils, conte du Demi-ami avec un portrait de Pierre Alphonse tiré du Liber Chronicarum (XVe siècle)
Le portrait de Pierre Alphonse sur cette image est tiré du Liber Chronicarum (XVe siècle)

Du latin au vieux-français vernaculaire

Le Disciplina Clericalis propose trente-trois contes ou « exempla » issus de la tradition orientale. L’ouvrage est rédigé en prose dans la langue universelle de l’Europe du Moyen Âge central, le latin. Il sera traduit en vieux français dans le courant du XIII siècle sous son titre original « La Discipline de Clergie« .

Des adaptations en vers seront vouées à un beau succès. Elles apparaîtront à la même période sous le titre « Le Castoiement d’un père à son fils » ou « Chastoiement d’un père à son fils soit « L’instruction d’un père à son fils » ( et non le châtiment que le mot « castoiement » pourrait suggérer). Dans les manuscrits d’époque, on trouvera encore le titre « Les fables Pierre Aufors » pour désigner certaines de ses adaptations versifiées.

Au passage, dans ces versions rimées, la cible s’élargit encore un peu plus de l’instruction du clerc et du lettré, vers l’éducation du père vers son fils. Le manuel de savoir-vivre supplante encore d’autant les miroirs des Princes 2 même s’il en restait éloigné dès le départ.

Influences littéraires médiévales

« Disciplina est un petit livre et pourtant l’influence de ce texte fut considérable en Occident, aussi bien en littérature que dans le domaine pratique du didactisme religieux. »
Apparition et disparition du clerc dans Disciplina clericalis, Marie-Jane Pinvidic, le Clerc au Moyen Âge (op cité).

Dans le courant du Moyen Âge et des siècles suivants, on retrouvera des influences directes de l’ouvrage de Pierre Alphonse chez de nombreux auteurs. Jacques de Vitry reprendra un certain nombre de ces contes. On pourra trouver encore des traces de la Disciplina Clericalis dans La Légende Dorée de Jacques de Voragine (Jacobus de Voragine), dans le célèbre roman de Renard, chez Boccace ou encore chez Don Juan Manuel et son comte Lucanor pour ne citer que ces sources.

Du Moyen Âge central au Moyen Âge tardif, les contes de Pierre Alphonse seront aussi repris dans un nombre important de compilations monastiques de fables et contes.

Aux sources manuscrites du Disciplina Clericalis

Les fables Pierre Aufors, Enluminure du Père enseignant son fils sur le feuillets du Castoiement d'un père, Ms Français 12581 de la BnF
Les Fables Pierre Aufors dans le MS 12581 de la BnF (à découvrir sur Gallica)

On peut retrouver l’adaptation française en prose ou en vers du Disciplina Clericalis de Petrus Alfonsi dans un nombre important de manuscrits médiévaux des XIIIe au XVe siècles.

Pour notre article du jour, nous avons choisi le français Français 12581 de la BnF. Sur plus de 429 folios, cet ouvrage de la fin du XIIIe siècle présente des pièces très variées. Des chansons de Thibaut de Champagne au Trésor de Brunetto Latini, en passant par des poésies, des fabliaux, le Discipline de clergie de Pierre Alphonse et même encore un traité de fauconnerie.

De son côté, le KBR Museum conserve également le Ms 11043-11044 qui présente une copie de la discipline de clergie de Pierre Alfonse.


Exemple 1, un demi ami dans le Castoiement du père à son fils

Pour présenter le premier conte du Disciplina Clericalis, nous avons choisi l’adaptation en vers tirée du Manuscrit de Augsbourg, le Ms M (cote I. 4. 2° 1, anciennement Maihingen 730). On peut la trouver retranscrite en graphie moderne dans l’ouvrage « Le Castoiement d’un père à son fils, traduction en vers de la Disciplina Clericalis de Petrus Alfonsus » par Michael Roesle (Librairie de la Cour royale de Munich, 1899).

Pierre Alfonse oppose dans ce conte un père et son « demi-ami » aux cent amis de son fils. Ces derniers le sont-ils vraiment ? Pour le savoir, il faudra d’abord les mettre au Pied du mur. La sagesse consiste ici à savoir mettre à l’épreuve ces relations avant de pouvoir les placer sur l’échelle réelle de l’amitié.


Conte 1, Du Preudom qui avoit demi ami
(Probatio amicitie)

NB : ce conte nous met face à du vieux-français avec quelques tournures assez particulières. Afin de vous aider à mieux percer cette langue d’oïl du XIIIe siècle, nous avons prévu quelques clefs de vocabulaire.


Uns sages hons (homme) jadis estoit,
Quant il sot que fenir devoit,
Un sien fil a soi apela,
Puis li enquist et demanda:
– Fiex, dist il, di moy, quans
(combien) amis
Tu as en ta vie conquis ?
Et chil respont: Mien escient
En ai je conquis plus de cent.
– Mult l’as, dist li pères, bien fait,
Mais je cuit que autrement vait.
Ja mar ton ami loeras
Devant que esprové l’aras.
Mult sui ore anchois
(avant) de toi nés,
Et si me sui toudis penés
(tourmenter)
D’amis aquerre et pourcachier
(porchacier, rechercher),
Nonques
(jamais) tant ne peu esploitier (accomplir)
Pour rien que je faire peüsse
Que un ami entier eüsse.
Nonques ne peu tant esploitier
Que le peüsse avoir entier.

Et tu, biax fiex, comfaitement (comment en fait)
En aves si tost conquis cent?
Considera verum amicum!
Or fai che que je te dirai,
Esprueve, se il sont verai.
Pren un veel
(veau) ou autre beste,
Puis li caupe orendreit
(lui coupe aussitôt) le teste,
Puis aies un sac apresté
Qui soit de sanc ensanglenté
De le beste qui ert ens mise,
Et appareillie en tele guise
Com se che fust uns hons ocis
(un homme mort)
Que on eüst par dedens mis.
A tes amis le porteras
Et a cascun par soi diras
Que un homme as en murdre
(meutre) occis,
Dont tu es mult fort entrepris,
Car tu nel ses ou enfoïr,
Ne tu ne l’oses regehir
(avouer, confesser)
A nul homme qui soit en terre,
Fors lui
(à part lui), n’en oses conseil querre,
Et il t’ en puet mult bien aidier.
Sans che que l’en viegne encombriez
(l’en empêcher)
Car plus tost ne sera enquis
Ne se maisons ne ses pourpris
(enceinte).
Et se aucuns t’en velt oïr,
Et toi et ton mort requeillir,
En chelui dois avoir fianche
(confiance)
Que ch’est tes amis sans doutanche;
Tu ne dois ami apeler
Qui ne te voira escouter.


Li fiex ensi s’ apareilla
Com li pères li enseigna.
Le sac a tout le beste prist,
Ses amis un et un requist.
Li premiers qui parler l’oï,
Li dist, tantost fuies de chi
(fuyez d’ici instamment);
Bien est li sas sor vostre col;
Pour bricon
(coquin, écervelé) vous tieng et pour fol
Qui de tel cose m’aparles.
Ne veil estre desiretés,
Pris ne raiens pour vostre atrait;
Si com vous aves le mal fait,
Si soit le paine toute vostre.
Par saint Andrieu, le boin apostre,
Ja en me maison n’ entreres,
Ne vostre mort n’ i enfourres.

N’ i ot onques un seul des cent
Qui ne li desist ensement
(qui ne lui dit pareillement).
Quant il les ot tous ensaiés
(essayés, éprouvés),
Si est arrière repairiés,
(il est donc reparti chez lui)
A son père dist que fali
Li estoient tout si ami.
Dist li pères: Or as apris
Che que tu as oï toudis.
Que au besoing veïr puet on
Qui ses amis est, et qui non.
Or va a mon demi ami,
Puis le respreuve tout ausi
(éprouve-le à son tour):
Si sarons que il redira
Et combien il nous amera.
Et chil si fist tout maintenant.

Tout autresi comme devant.
Ot as autres l’ uevre contée
L’a a chestui
(cestui, l’a à celui-ci) dit et contée;
Et chil respont: Biax dous amis,
N’ a lieu en trestout mon pourpris
Ou vostre mors ne soit celée
3,
Ne je n’ai maison si privée;
Ne pourquant je vous aiderai
Au miex que aidier vous porrai.
Dont est en le maison entrés,
Tous les autres en a getés
(congédiés);
Bien a fermée le maison
Sor lui et sor son compaignon;
Puis prist un picois pour foïr
(creuser)
Et le mort voloit enfoïr.

Quant chil vit que tant l’en estoit
Que le mort enfoïr voloit.
Del tout li dist le vérité,
Confaitement avoit ovré;
Puis prist congié, si s’ en ala
Et a son père le conta.
– Fiex, dist li père, amis n’est mie
Qui a ton besoing ne t’aïe.
– Peres, dist li fîex, saves vous
Homme el siècle si éurous (
eüré, heureux)
Qui eüst conquis vraiement
Un ami enterinement
(entiérement)?
Chertes, fait il, ainc
(jamais) ne le vi:
Mais d’un seul parler en oï
Qui a mort se voloit livrer
Pour un sien ami delivrer.
Pères, dont me dites comment
Mult volentiers or i entent.


Voilà pour notre conte du jour, les amis. Il s’agit du premier du Disciplina Clericalis et, ici, du Castoiement d’un Père à son fils. La leçon n’est pas anodine et le prélude en dit toute l’importance. C’est la dernière leçon d’un père sur le déclin à son fils.

Comme toute bonne fable ou poésie morale, le conte de Pierre Alphonse n’a pas pris une ride. Elle pourrait même avoir été rédigée hier. A l’ère du digital, des « bros », des « frérots » et des milliers « d’amis » en ligne, le récit n’en raisonne que plus fort.

Dans le conte suivant, on verra plus encore le degré d’abnégation et d’exigence que sous-tend l’amitié véritable selon Petrus Alfonsi mais ce sera pour une autre fois. Nous avons déjà assez pris de votre attention. 😉

Merci de votre lecture.

Découvrir d’autres ouvrages à succès du Moyen Âge :

En vous souhaitant une belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.


Notes

  1. Voir l’excellente conférence de Juan Bolea à propos de Petrus Alfonsi, Las 1001 noches en Aragón (2024) ↩︎
  2. Voir Apparition et disparition du clerc dans Disciplina clericalis, Marie-Jane Pinvidic, Le Clerc au Moyen Âge Presses universitaires de Provence (1995) ↩︎
  3. N’ a lieu en trestout mon pourpris Ou vostre mors ne soit celée : il n’est nul leiu en mon enceinte ou votre mort puisse être caché. ↩︎

Cantiga de Santa Maria 226 : le miracle du monastère englouti

Sujet : Cantigas de Santa Maria, galaïco-portugais, culte marial, miracle, Sainte-Marie, monastère englouti.
Période : Moyen Âge central, XIIIe siècle
Auteur : Alphonse X  (1221-1284)
Titre : Assí pód’ a Virgen so térra guardar… cantiga de Santa Maria 226
Interprète : Musica Antigua, Eduardo Paniagua
Album : Merlin-Celtic Cantigas, Alfonso el Sabio (2006)

Bonjour à tous,

ous vous entraînons, une fois de plus, vers l’Espagne médiévale, pour y découvrir une nouvelle Cantiga de Santa Maria d’Alphonse X : la cantiga 226. Comme on le verra, il s’agit d’un des récits de miracles les plus spectaculaires du célèbre corpus de chants à la vierge.

Dans cet article, vous trouverez une étude détaillée de la Cantiga de Santa Maria 226 avec sa partition ancienne et ses sources manuscrites, une traduction en français actuel, mais aussi une belle version en musique. Avant d’avancer sur tout cela, disons quelques mots des cantigas qu’Alphonse X dédia à la la vierge.

La Cantiga de Santa Maria 226 et ses enluminures dans le Manuscrit de Florence Banco Rari 20.

Qui a écrit les Cantigas de Santa Maria ?

Dans le courant du XIIIe siècle, le souverain de Castille aurait compilé, écrit et mis en musique lui-même, des récits de miracles variés dont un grand nombre semble provenir de lieux de pèlerinage ou d’histoires qui couraient sur les routes de la chrétienté médiévales et même au delà.

Même s’il est communément admis qu’Alphonse X en a composé une partie, les érudits et historiens sont encore divisés sur la paternité de l’ensemble des Cantigas de Santa Maria au souverain de Castille. Ce dernier est, par ailleurs, à l’origine d’un certain nombre d’autres chansons dont l’attribution est certaine (voir Manselina sur la piste de Maria la Balteira). On est donc certain qu’il composait et s’adonnait à la poésie.

Du point de vue du corpus, l’œuvre d’Alphonse X regroupe plus de 400 chants mariaux. La grande majorité d’entre eux sont des récits de miracles (plus de 350). Dans les manuscrits les plus complets, ils sont rythmés par des chants de louanges qui reviennent à intervalles réguliers (un peu plus de 60). Aujourd’hui, ces chants à Marie venus d’Espagne, demeurent un témoignage vibrant du culte marial du Moyen Âge central, de la langue galaïco-portugaise et de la musique de cette période.

Aux sources manuscrites des Cantigas

Les Cantigas de Santa Maria et leur notation musicale ont traversé le temps grâce à quelques manuscrits superbement conservés. On en compte quatre, tous datés de la dernière partie du XIIIe siècle :

  • Le Manuscrit de Tolède (To) : sous la référence ms 10069, il s’agit du manuscrit le plus daté ou de la première compilation. On y trouve quelques 120 pièces et il est conservé à la Bibliothèque Nationale de Madrid.
  • Le Codice Rico (T) : sous la référence T.j.1, ce superbe codex présente un peu moins de 200 cantigas de Santa Maria (195) avec leur partition et de nombreuses enluminures. Il est actuellement conservé à la Bibliothèque royale de l’Escurial (Espagne).
  • Le Manuscrit de Florence (F) : ce manuscrit, conservé à la Bibliothèque National de Florence sous la référence Banco Rari 20, présente un peu plus de 100 cantigas de Santa Maria dont quelques variantes et inédites.
  • Le Codice de los Musicos ou Codice princeps (E) : sous la référence ms B.I.2 (ou j.b.2 ), ce codice est le plus complet de tous les manuscrits. Il présente 406 cantigas avec miniatures et partitions d’époque et se trouve également conservé à la Bibliothèque royale de l’Escurial.

Dans cet article, nous vous présentons les sources manuscrites de la Cantiga de Santa Maria 226 dans le Codice de los Musicos (partition et texte) ainsi que dans le Manuscrit de Florence (texte, enluminures mais partition non achevée).

La Cantigas de Santa Maria 226 ou le miracle du monastère englouti

Le récit de la Cantiga de Santa Maria 226 nous invite du côté de l’Angleterre. A quelque temps de Pâques, ce chant marial nous propose un miracle pour le moins spectaculaire, sinon le plus spectaculaire, de tout le corpus des cantigas d’Alphonse X. Il a pour thème cette période particulière du calendrier chrétien qu’est la résurrection et l’illustre d’une manière plutôt étonnante.

La Cantiga de Santa Maria 226 et sa partition dans le Codice de Florence (F) : manuscrit Banco Rari 20.

L’histoire de la cantiga 226 en quelques mots

Enluminure de la cantiga de Santa Maria 226 : Le jour de Pâques, durant la messe (Banco Rari 20)
Enluminure : le jour de la messe de Pâques

Un jour de Pâques alors que les frères dévots d’un grand monastère donnaient une messe pour célébrer dignement le jour saint, la terre s’ouvrit et le monastère fut totalement englouti sous elle. Tremblements de terre, effondrement de terrain, phénomène surnaturel ? La Cantiga de Santa Maria 226 semble plutôt suggérer que Dieu le voulut ainsi pour démontrer aux yeux des croyants son grand pouvoir et celui de Marie.

Enluminure de la cantiga 226 : Le monastère englouti  (Banco Rari 20)
Enluminure : le monastère se trouve englouti

Plus aucune trace du monastère du dehors, la terre s’était refermée sur lui. Cependant, à l’intérieur, la vie continua sans encombre. Les moines ne manquaient de rien et les lieux étaient parfaitement conservés. Les vignes restaient prospères, les moulins fonctionnaient et même le soleil continuait d’y briller. Ainsi donc, nous dit le poète, la sainte pourvoyait aux frères en toute chose et nul ne devint fou, ni ne tomba malade. Les moines furent même assurés qu’ils n’étaient pas morts et que tout allait bien.

Un an plus tard, à l’occasion d’une nouvelle messe de Pâques, les frères retournèrent en leur église pour y célébrer, de nouveau, la résurrection – non pas seulement celle de Dieu, mais aussi, symboliquement, celle de leur lieu de culte. La Sainte fit, en effet, ressurgir le monastère à la lumière et sur la terre. Alors, venus de loin, tous purent contempler le miracle et l’étendue du pouvoir de Marie et la louer.

Une légende bretonne à l’origine de ce Miracle ?

Il est probable que certaines légendes bretonnes aient inspiré Alphonse X pour ce miracle à la nature particulièrement épique ou mythique, selon les points de vue. Certains érudits l’avancent en tout cas. On peut penser à certains récits de cités submergées par les flots comme, par exemple, celui de la cité d’Ys et sa cathédrale engloutie.

Ys, la légende de la cité engloutie

Enluminure de la cantiga 226 : Le jour de Pâques suivant, le monastère est sauvé  (Banco Rari 20).
Enluminure : le monastère sauvé à Pâques

On la connait plusieurs variantes de cette légende bretonne. Dans une version sans doute déjà christianisée, son histoire met en scène une princesse du nom de Dahut. S’étant adonnée à de nombreuses pratiques impies (meurtre de ses amants, sacrifices, rites magiques, …1), un jour de grande tempête, la jeune femme aurait fini par se laisser séduire par le diable lui étant apparu sous la forme d’un beau chevalier.

Enluminure de la cantiga de Santa Maria 226 : les frères et les croyants louent le miracle de Marie  (Banco Rari 20).
Enluminure : louanges à Sainte Marie

Ys était alors une ville côtière protégée de la colère des flots par une puissante digue. Hélas ! sous l’influence du Malin dont elle s’était entichée, Dahut aurait dérobé les clefs des remparts à son père, le roi Gradlon, et ouvert en grand les portes de la cité. Ys aurait alors été engloutie sous les flots. Le roi aurait réussi à en réchapper mais pas la jeune princesse emportée par les flots et le gros temps. Gradlon se serait établi ailleurs pour y noyer son chagrin. Cependant, certains jours, on pourrait encore entendre tinter les cloches de la cathédrale engloutie de la cité d’Ys.

Une fois de plus, il existe de nombreuses variantes de ce type de légendes dans la matière de Bretagne. Certaines mentionnent des tremblements de terre. Faut-il voir dans le miracle de la Cantiga 226 une parabole partie d’une idée similaire pour démontrer que Dieu et la Sainte peuvent, à volonté, submerger ou faire ressurgir des lieux entiers et leurs dévots avec ? Ici, la date de Pâques viendrait encore renforcer la nécessité de la dévotion, en ajoutant le moment de la résurrection et son symbole.

Autres sources latines et françaises

Il nous reste difficile d’affirmer si cette légende est à l’origine de l’inspiration d’Alphonse X. C’est plus une simple piste qu’une véritable hypothèse. En matière de sources latines ou vernaculaires, on trouve encore la trace de ce miracle dans un certain nombre de manuscrits médiévaux français.

On citera notamment un miracle marial du ms Français 818 (daté lui aussi du XIIIe siècle). Ce récit reprend, très directement le thème du monastère englouti : Del mostier nostre dame que terre transgloti o molt de pueple.2

La miracle du monastère englouti dans le manuscrit enluminé ms français 818 de la BnF.

Cantigas celtes & cantigas de Bretagne,
Musica Antigua & Eduardo Paniagua

En matière musicale, on peut retrouver cette cantiga et son interprétation dans l’album Merlin y otras cantigas celtas d’Eduardo Paniagua et sa formation Musica Antigua.

Merlin y Cantigas de Santa Maria de Bretagne, l'album de d'Eduardo Paniagua & Musica Antigua

En 2006, le talentueux musicien espagnol proposait un regroupement thématique des Cantigas de Santa Maria ayant des origines celtes ou Bretonnes.

Soutenu par une solide orchestration, cet album propose sur une durée d’un peu plus de 54 minutes, une sélection de dix chants mariaux donc quatre en version instrumentale. Le légendaire Merlin s’y fait même un place avec la Cantiga de Santa Maria 108. Pour information, nous avions déjà étudié ici la Cantiga de Santa Maria 23 issue de cette même production.

Cet album de Musica Antigua est encore édité mais il faut fouiller un peu pour le débusquer. Avec un peu de chance votre disquaire préféré pourra vous le procurer. Dans le cas contraire, vous pouvez aussi le trouver en ligne sur les plateformes de streaming légales ou même à la vente sous forme CD sur certains sites. Voici un lien utile à cet effet: L’album Merlin-Celtic Cantigas de Musica Antigua.

La cantiga 226 en musique

Musiciens & artistes présents sur cet album

Jaime Muñoz (instruments à vents, flûte, cornemuse, chalémie, choeur), Josep María Ribelles (harpe), Ana Alcaide (vièle, nyckelharpa), David Mayoral (percussions), Cesar Carazo (chant), Isabel Urzaiz (chant), Carlos Beceiro (vielle à roue, saz), Xurxo Nuñez (tambour médiéval, percussions, bodhram), Eduardo Paniagua (choeur, flute ténor, cloches et percussions, direction musicale).


La Cantiga de Santa Maria 226
& sa traduction en français actuel

Esta é do mõesteiro d’ Ingratérra que s’ afondou e a cabo dun ano saiu a cima assí como x’ ant’ estava, e non se perdeu null’ hóme nen enfermou.

Assí pód’ a Virgen so térra guardar
o séu, com’ encima dela ou no mar.

Cette cantiga nous parle d’un monastère d’Angleterre qui avait disparu sous terre et qui, un an après , a ressurgi à la surface tel qu’il était précédemment et aucun homme n’était tombé malade, ni n’était mort.

Ainsi, la vierge peut protéger ses biens (les siens, ses affaires)
Sous la terre, comme à sa surface ou dans les profondeurs de la mer

E dest’ un miragre per quant’ aprendí
vos contarei óra grande, que oí
que Santa María fez, e creed’ a mi
que maior deste non vos pósso contar.
Assí pód’ a Virgen so térra guardar…

A ce sujet, j’eu connaissance d’un très grand miracle
Que je vous conterai à présent,
Et que fit Sainte Marie et, croyez-moi,
Je ne pourrais vous conter un miracle plus grand que celui ci.

Ainsi, la vierge peut protéger ses biens…

Ena Gran Bretanna foi ũa sazôn
que un mõesteiro de religïôn
grand’ houv’ i de monges, que de coraçôn
servían a Virgen bẽeita sen par.
Assí pód’ a Virgen so térra guardar…

En Grande Bretagne, il y eut une fois,
Un grand monastère de grande piété (?)
dont les moines, avec cœur,
Servaient la vierge bénite et sans égale.

Ainsi, la vierge peut protéger ses biens…

E Santa María, u todo ben jaz,
mostrava alí de miragres assaz
e tiínna o lógo guardad’ e en paz;
mais quis Déus por ela gran cousa mostrar.
Assí pód’ a Virgen so térra guardar…

Et Sainte Marie, en qui réside toute bonté,
Faisait en ce lieu assez de miracles.
Et le gardait sous sa protection et en paix.
Mais Dieu voulut montrer par elle , une chose plus admirable encore.

Ainsi, la vierge peut protéger ses biens…

Que día de Pasqua u Déus resorgiu,
começand’ a missa os monges, s’ abriu
a térr’ e o mõesteiro se somiu,
que nulla ren del non podéran achar.
Assí pód’ a Virgen so térra guardar…

Ainsi au jour de Pâques où Dieu ressuscita
Alors que les moines commençaient la messe,
La terre s’ouvrit et le monastère s’y enfonça
Au point qu’il n’en resta plus une seule trace.

Ainsi, la vierge peut protéger ses biens…

E lóg’ assí todo so térra entrou
que nĩũa ren de fóra non ficou;
mais Santa María alá o guardou
que niũa ren non pode del minguar,

Suite à cela, il entra complétement sous terre
De sorte qu’on ne voyait plus rien de lui, du dehors
Mais Sainte Marie la garda ainsi
Pour qu’il ne manque de rien.

Ainsi, la vierge peut protéger ses biens…

eigreja nen claustra neno dormidor
neno cabídoo neno refertor
nena cozinna e neno parlador
nen enfermería u cuidavan sãar,

Ni l’église, ni l’enceinte, ni le dortoir,
Ni la salle capitulaire, ni le réfectoire,
Ni la cuisine, ni le cloître
Ni l’infirmerie où ils allaient se soigner.

Ainsi, la vierge peut protéger ses biens…

adega e vinnas con todo o séu,
hórtas e moínnos, com’ aprendí éu,
guardou ben a Virgen, e demais lles déu
todo quant’ eles soubéron demandar.
Assí pód’ a Virgen so térra guardar…

Les caves et vignobles avec tous leurs biens
Les vergers et les moulins, comme on me l’a appris,
La Vierge protégea tout parfaitement, et leur donna en plus
Tout ce dont ils avaient besoin.

Ainsi, la vierge peut protéger ses biens…

E assí viían alá dentr’ o sól
como sobre térra; e toda sa pról
fazer-lles fazía, e triste nen fól
non foi nïún deles, nen sól enfermar

En plus de tout cela, de l’intérieur, ils voyaient le soleil
Comme s’ils avaient été sur la terre ; et elle leur accordait tout
Pour leur bien-être (avantage). Et aucun d’entre eux ne fut triste,
Ni ne sombra dans la folie, Ni ne tomba malade.

per ren non leixou mentre foron alá,
nen ar que morressen come os dacá
morrían de fóra, ca poder end’ há
de fazer tod’ esto e mais, sen dultar.
Assí pód’ a Virgen so térra guardar…

En rien, elle ne les abandonna tandis qu’ils étaient là-bas,
Elle ne leur dit pas non plus qu’ils étaient morts,
Pas plus que n’étaient morts ceux du dehors, car elle a le pouvoir
De faire tout cela et même plus, sans aucun doute.

Ainsi, la vierge peut protéger ses biens…

Un grand’ an’ enteiro assí os tẽer
foi Santa María; mais pois foi fazer
que dalí saíssen polo gran poder
que lle déu séu Fillo pola muit’ honrrar.
Assí pód’ a Virgen so térra guardar…

Une année entière, Sainte Marie les tint ainsi,
Et ensuite, elle fit en sorte
Qu’ils sortent de là par le grand pouvoir
Que son fils lui accorda pour l’honorer.

Ainsi, la vierge peut protéger ses biens…

Ca día de Pasqua, en que resorgir
Déus quis, foron todos a missa oír;
entôn fez a Virgen o logar saír
todo sobre térra como x’ ant’ estar

Au jour de Pâques (suivant) quand Dieu voulut ressusciter
Ils allèrent tous entendre la messe
Et c’est alors que la Vierge fit émerger de nouveau le lieu
Au dessus de la terre, à l’emplacement où il se trouvait précédemment.

soía, que sól non ên menguava ren.
E a gente toda foi alá porên,
e o convento lles contou o gran ben
que lles fez a Virgen; e todos loar

Et il ne manquait rien.
Et tous les gens furent alors jusqu’à l’endroit,
Et ceux du couvent leur contèrent
Combien la vierge avait été bonne avec eux et tous la louèrent.

Ainsi, la vierge peut protéger ses biens…

a foron porên como Madre de Déus
que mantên e guarda aos que son séus.
Porên a loemos sempr’, amigos méus,
ca esta nos céos nos fará entrar.
Assí pód’ a Virgen so térra guardar…

Ils louèrent à la mère de Dieu
Qui maintient et protègent ceux qui sont les siens.
Pour cela, mes amis, louons la toujours,
Car elle nous fera entrer au ciel.

Ainsi, la vierge peut protéger les siens
Sous la terre, comme à sa surface ou dans les profondeurs de la mer.


Retrouvez toutes les cantigas de Santa Maria étudiées à ce jour avec version musicales et traduction en français actuel.

En vous souhaitant une excellente journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes à tous,

  1. Voir The Drowning of the City of Ys ↩︎
  2. Voir Inglaterra en Algunas de las Cantigas de Santa Maria de Alfonso X, Santiago Di Salvo, Universidad Nacional de La Plata, Buenos Aires, Argentina. ↩︎

Récit de Miracle et Mal des Ardents à Paris dans la Cantiga de Santa Maria 134

Sujet : Cantigas de Santa Maria, galaïco-portugais, culte marial, miracle, Sainte-Marie, ergotisme, mal des ardents, feu Saint-Martial.
Période : Moyen Âge central, XIIIe siècle
Auteur : Alphonse X  (1221-1284)
Titre : A Virgen en que é toda santidade…
Interprète : Porque Trobar & John Wright
Album : Compostela Medieval, Song from the 12th and 13th centuries (1998)

Bonjour à tous,

ujourd’hui, nos études médiévales nous entraînent vers Paris au XIIIe siècle pour y découvrir un nouveau miracle marial, issu des Cantigas de Santa Maria d’Alphonse X de Castille.

Dans l’Espagne médiévale du Moyen Âge central, le très lettré souverain castillan nous a légué plus de 420 chants de miracles dédiés à la Vierge dont il a semble-t-il composé une partie. Pour de nombreux récits, il a aussi pu s’appuyer sur un vaste corpus qu’on trouvait alors consigné dans certains lieux célèbres de pèlerinage, dans certains codex mais qui circulait aussi, sans doute oralement.

Marie, la Sainte qui peut et guérit tout

S’il est beaucoup resté attaché au sud de France, le culte marial a connu de grandes heures durant les Moyen Âge(s) central à tardif. Plutôt que de s’adresser au Christ, on loue alors la Sainte et on appelle à sa miséricorde dans l’espoir qu’elle puisse intercéder auprès de son fils, le « Dieu mort en Croix ».

De fait, les pouvoirs que l’on prête à la vierge biblique sont incomptables et se reflètent dans les nombreux récits de miracles qui lui sont dédiés : témoignages de guérison extraordinaires, événement surnaturels survenus sur les routes de pèlerinage, apparitions et intercession de la Sainte dans les lieux qui lui sont dédiées, quelquefois même sur des terrains de bataille, etc… Si la foi soulève des montagnes, au Moyen Âge, aucun obstacle ne semble assez puissant pour limiter la volonté de Sainte Marie, sa miséricorde et sa puissance rédemptrice et, quelquefois, punitive.

Naissance et popularité du culte marial

Dans la France médiévale, le genre des miracles mariaux puise ses sources dans la deuxième moitié du XIe siècle. Au départ, en latin, les récits trouveront bientôt leur expression en langue vernaculaire et en vieux français. 1 Entre la fin du XIIe et les début du XIIIe siècle, le poète et trouvère Gautier de Coinci en consacrera le genre dans ses Miracles de Nostre Dame. Avant lui, le Gracial d’Adgar (1165) est considéré comme le premier ouvrage représentatif de ce genre.

Le culte à la vierge et ses miracles se poursuivront bien au delà du Moyen Âge central pour s’étendre jusqu’au Moyen Âge tardif et même aux siècles suivant. L’époque moderne connaitra aussi un grand nombre de récits de miracles et d’apparitions de la vierge biblique.

Miracle à Paris, contre le Mal des ardents

Le miracle du jour est un autre de ces récits spectaculaires de guérison. il touche, cette fois, des malades atteints du mal des ardents dont un amputé qui recouvrira même l’usage de son membre.

La Cantiga de Santa Maria 134 et ses enluminure dans le Manuscrit Médiéval Codice Rico de l'Escurial
La Cantiga de Santa Maria 134 dans le Codice Rico de la Bibliothèque de l’Escurial 2

Feu de Saint-Martial et Ergotisme au Moyen Âge

Dans le courant du Moyen Âge, la consommation de seigle contaminé par l’Ergot (Claviceps purpurea) entraîna un certain nombre d’épidémies terribles, en particulier du XIe au XIIIe siècle. La forme gangréneuse de l’ergotisme qui s’accompagne de nécroses et d’hallucinations laissa même, derrière elle, de nombreux morts et mutilés.

Enluminure du pèlerin amputé, cantiga de santa maria 134, Manuscrit Códice Rico (T) de l'Escurial

Les symptômes en étaient impressionnants autant que les douleurs et donneront bien des surnoms à cet empoisonnement par l’ergot. Les sensations de brûlure dues aux tissus et aux extrémités nécrosées le font vite assimiler à un feu intérieur qu’on baptise de diverses manières : « feu de Saint Martial » comme dans cette cantiga de Santa Maria 134 où il est aussi nommé « lèpre » mais encore « feu de Saint Antoine », « mal des ardents », « feu sacré », etc..

Au Moyen Âge, l’ordre des Antonins se consacra, particulièrement, à la prise en charge et aux soins des malades atteints d’ergotisme (voir notre article sur Saint Antoine L’Egyptien).

L’ergotisme à la période moderne

Enluminure du pèlerin qui jette sa jambe dans la Seine, cantiga de santa maria 134, Manuscrit Códice Rico (T) de l'Escurial

S’il sévit encore quelquefois dans certains endroits du monde, le mal des ardents a fort heureusement largement reculé depuis la période médiévale. On se souvient encore en France de l’affaire de Pont-Saint-Esprit qui survint dans le courant de l’année 1951. Avec de nombreuses intoxications et internements psychiatriques, les causes en furent longtemps associées à un empoisonnement par l’ergot de seigle. Récemment, cette théorie s’est toutefois trouvée controversée par certaines révélations liées aux activités des Services d’Intelligence Américains et notamment des essais livrés, dans le plus grand secret, sur du LSD 3.

La Cantiga d’Alphonse le sage nous replonge, en tout cas, en plein cœur d’une de ces épidémies médiévales d’ergotisme et sa triste réalité.

La CSM 134, Miracle à Notre-Dame de Paris ?

Enluminure des pélerins priant Notre Dame à Paris, cantiga de santa maria 134, Manuscrit Códice Rico (T) de l'Escurial

La Cantiga de Santa Maria 134 se déroule, donc, à Paris et dans une église. Toutefois, l’édifice religieux dont il est question n’est pas précisément cité. A quelques semaines de l’inauguration de Notre-Dame de Paris, après le tragique incendie qui l’avait ravagée, on peut imaginer que ces malades atteints d’ergotisme auraient pu se tenir non loin de la grande dame parisienne chère aux Français, autant qu’à Victor Hugo.

L’ancienne Hôtel Dieu, fondée déjà depuis le VIIe siècle, jouxtait alors la Seine côté rive gauche et était voisine du parvis de Notre Dame. Au XIIIe siècle, l’établissement recevait toujours les pèlerins et les malades et la lecture de la Cantiga de Santa Maria 134 nous permet d’imaginer assez bien ce contexte.

A Paris, la Seine n’est jamais très loin et elle jouxte aussi le parvis de la cathédrale dans lequel le malade de la Cantiga 134 jette son membre en feu. Malgré tout, le mystère de l’église citée reste encore entier et on ne peut affirmer qu’il s’agisse bien de Notre-Dame.

Une guérison collective et christique

Enluminure : Rédemption et miracles pour le pèlerin amputé, cantiga de santa maria 134, Manuscrit Códice Rico (T) de l'Escurial

Dans ce miracle pour le moins spectaculaire, la Sainte apparaîtra à l’intérieur de l’Eglise. Descendant d’un vitrail, elle se mettra en devoir de soigner les malades à la ronde. Elle sortira même sur le parvis pour prendre soin des miséreux n’ayant pas trouvé de place dans l’édifice religieux.

Dans la Cantiga, le miracle ira au delà de la simple guérison de l’empoisonnement pour restaurer un membre amputé. Ce type de pouvoir est évoqué, à plusieurs reprises, dans le corpus des Cantigas (voir par exemple le miracle de la langue tranchée dans la Cantiga de Santa Maria 156). On notera encore que le pouvoir invoqué dans la cantiga est bien celui du Christ à travers la Sainte : « Soyez tous guéris
Car, mon fils, roi de majesté, veut qu’il en soit ainsi »
. Il s’agit bien ici d’intercession.

Porque Trobar : Les Cantigas de Santa Maria
sous la direction de John Wright

La Cantiga de Santa Maria 134 en musique

Fondé aux débuts des années 90 en Galice, Porque Trobar est un projet ayant pour mission la reconstitution de l’art lyrique des troubadours de langue galaïco-portugaise. Entre instruments d’époque et étude des manuscrits médiévaux et de leurs partitions, l’initiative est ambitieuses et mêle Histoire et ethnomusicologie.

Album Compostela Medieval de Porque Trobar

En 1998, Porque Trobar s’adjoignait la collaboration de John Wright (1939-2013), musicien britannique épris de folk et de musiques anciennes. Ensemble, ils partaient à la conquête des chants de pèlerinages sur les routes de Compostelle. Il en résulta, l’album « Compostela Medieval, Song from the 12th and 13th centuries« , une production de 70 minutes où les Cantigas d’Alphonse X côtoient des pièces de troubadours anonymes, mais aussi des chansons de Guiraut de Bornelh et de Guilhem de Poitiers.

Cet Album de Porque Trobar, sous la direction de John Wright, a été réédité chez Fonti Musicali en 2019. Vous devriez donc pouvoir le trouver chez votre meilleur disquaire. A défaut, il est également disponible au téléchargement en ligne.


La Cantiga de Santa Maria 134 en galaïco-portugaise et sa traduction en français actuel

Esta é como Santa María guareceu na sa eigreja en París un hóme que se tallara a pérna por gran door que havía do fógo de San Marçal, e outros muitos que éran con ele.

A Virgen en que é toda santidade
poder há de toller tod’ enfermidade.

Celle-ci conte comment Sainte-Marie guérit un homme en son église de Paris qui s’était coupé la jambe à cause de la grande douleur due au feu de Saint- Martial, ainsi que de nombreux autres malades qui étaient avec lui.

La Vierge, en laquelle réside toute Sainteté, a le pouvoir de soigner toute infirmité.

E daquest’ en París
a Virgen María
miragre fazer quis
e fez, u havía
mui gran gent’ assũada que sãidade
vẽéran demandar da sa pïadade.
A Virgen en que é toda santidade…

Et, à ce propos, à Paris,
La Vierge Marie
Voulut faire un miracle
Et le fit, alors qu’il y avait
De nombreuses personnes en attente de guérison
Venues implorer sa piété.
La Vierge en laquelle réside toute Sainteté…

E do fógo tan mal
éran tormentados,
deste de San Marçal,
e assí queimados
que os nembros todos de tal tempestade
havían de perder, esto foi verdade.
A Virgen en que é toda santidade…

Et du feu de Saint-Martial, ils étaient
Si tourmentés
Et tant consumés
Que leurs membres en telle disgrâce
Ils allaient perdre. Tout cela survint véritablement.
La Vierge en laquelle réside toute Sainteté…

Porende se levar
fazían aginna
lógo ant’ o altar
da Santa Reínna,
dizendo: “Madre de Déus, en nós parade
mentes e non catedes nóssa maldade.”
A Virgen en que é toda santidade…

Pour cette raison, ils se faisaient porter
Ensuite Jusqu’à l’autel
De la Saint Reine
En disant : « Mère de Dieu, arrête ton attention
Sur nous et guéris nous de notre mal ».
La Vierge en laquelle réside toute Sainteté…

Eles chamand’ assí
a Virgen comprida,
foi-lles, com’ aprendí,
sa razôn oída;
e per ũa vidreira con craridade
entrou na eigreja a de gran bondade.
A Virgen en que é toda santidade…

Ils en appelaient ainsi
A la Vierge pleine de grâce
Et leur prière, comme je l’ai appris
Fut entendue
Et par un vitrail, avec une grande clarté
Celle pleine de bonté, entra dans l’église.
La Vierge en laquelle réside toute Sainteté…

E a ir-se fillou
perant’ os doentes
e os santivigou,
pois lles teve mentes,
e disse-lles assí: “Tan tóste sãade,
ca méu Fillo o quér, Rei da Majestade.”
A Virgen en que é toda santidade…

Et elle commença à aller
Entre les malades
Y les sanctifia
Puis elle les reçut
Et leur dit : « Soyez tous guéris
Car, mon fils, roi de majesté, veut qu’il en soit ainsi »
La Vierge en laquelle réside toute Sainteté…

Lógo foron tan ben
daquel fógo sãos,
que lles non noziu ren
en pés nen en mãos;
e dizían assí: “Varões, levade
e a Santa María loores dade.”
A Virgen en que é toda santidade…

Suite à cela, ils furent si bien
Délivrés de ce feu
Qu’on ne pouvait plus en voir traces
Ni sur leurs pieds, ni sur leurs mains.
Et ils disaient : « Messieurs, levez-vous
Et faites des louanges à la vierge »
La Vierge en laquelle réside toute Sainteté…

Quantos éran entôn
dentro essa hóra
sãos e sen lijôn
foron; mais de fóra
da eigreja jazían con mesquindade,
ca non cabían dentr’ end’ a meadade.
A Virgen en que é toda santidade…

Tous ceux qui étaient là
En cette même heure,
Se retrouvèrent soignés
Et sans aucune lésion. Cependant, au dehors
De l’Eglise se tenaient encore quelques miséreux
Car ni la moitié d’entre eux n’avaient pu y entrer.
La Vierge en laquelle réside toute Sainteté…

Ontr’ aqueles, com’ hei
en verdad’ apreso,
jazía, com’ achei,
un tan mal aceso
que sa pérna tallara con crüeldade
e deitara no río dessa cidade.
A Virgen en que é toda santidade…

Entre tous, comme je l’ai
En vérité, appris
Il en était un, tellement affecté par le feu,
Qu’il s’était coupé la jambe avec cruauté
Et l’avait jeté dans le fleuve de la ville.
La Vierge en laquelle réside toute Sainteté…

O mal xe ll’ aprendeu
ena outra pérna,
tan fórte que ardeu
mui mais que lentérna;
mais la Madre de Déus lle diss’: “Acordade,
ca ja são sodes desta gafidade.”
A Virgen en que é toda santidade…

Le mal lui avait pris
Aussi l’autre jambe
De manière si grave que cela le brûlait
Plus encore que le feu d’une lanterne;
Mais la mère de Dieu lui dit  » Eveille-toi,
Car te voilà déjà soigné de cette lèpre. »
La Vierge en laquelle réside toute Sainteté…

El respondeu-ll’ adur:
“Benaventurada,
est’ outra con segur
pérna hei tallada;
mas pola vóssa gran mercee mandade
que seja com’ ant’ éra e a juntade.”
A Virgen en que é toda santidade…

L’homme répondit avec difficulté
« Mère bénie de Dieu,
Je me suis tranché cette autre jambe,
Avec une hache
Par votre grande miséricorde, faites qu’elle redevienne comme avant
Et soit rattachée à mon corps. »
La Vierge en laquelle réside toute Sainteté…

Entôn séu róg’ oiu
a mui pïadosa,
e lóg’ a pérna viu
sãa e fremosa
per poder da Virgen, que per homildade
foi Madre do que é Déus en Trĩidade.
A Virgen en que é toda santidade…

Alors, la très pieuse
écouta sa prière
Y sans attendre, il vit sa jambe réparée
Saine et belle
Par le pouvoir de la Vierge, qui par son humilité
Fut Mère de celui qui est Dieu en la Trinité.
La Vierge en laquelle réside toute Sainteté…


Retrouvez les Cantigas de Santa Maria traduites en français avec partition et versions en musique.

En vous souhaitant une belle journée.
Frédéric Effe.
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.

Notes

  1. « Les Miracles de Notre-Dame du Moyen Âge à nos jours. Maria Colombo Timelli,  études recueillies par J.-L. Benoit et J. Root », Studi Francesi [En ligne], 196 (LXVI | I) | 2022.  ↩︎
  2. Consulter le Codice Rico en ligne sur le site digital de la Bibliothèque de l’Escurial, Madrid ↩︎
  3. Voir « Pont-Saint-Esprit poisoning: Did the CIA spread LSD?« , BBC (2010) ↩︎