Sujet : poésie morale, poète courte, poésie médiévale, politique, dits moraux, poésie courte, moyen-français, rondeau Période : Moyen Âge tardif, XVe siècle Auteur : Henri Baude (1430-1490) Titre : dict moral en rondeau Ouvrage : Les vers de Maître Henri Baude, poète du XVe siècle, M. Jules Quicherat (1856),
Bonjour à tous,
ujourd’hui, nous repartons vers le Moyen Âge tardif pour partager une nouvelle pièce courte de Henri Baude, poète médiéval et petit fonctionnaire royal du temps de François Villon, qui connut, lui aussi, quelques déboires avec la justice.
Du peu de sens et de sagesse dans nos actes
Satire et moralité sont les genres que Baude a principalement affectionnés. La poésie du jour se situe dans cette veine et porte le titre explicite de « Dict moral en rondeau« .
Son style, agréable et léger, autant que sa courte taille, n’excluent en rien sa profondeur. Il y est question de l’inconstance et de « l’inconsistance », même, des décisions humaines. Étourderie, manque de réflexion et de sagesse, virages de comportement impromptus, sans crier gare, l’auteur médiéval nous explique, sans s’en exclure, à quel point l’on peut faire les choix qui gouvernent nos actes et même nos vies, de manière légère et inconsidérée.
Pour ce qui est du langage en usage dans ce rondeau, le moyen français de Henri Baude se rapproche tant du nôtre qu’il n’est guère besoin de le traduire littéralement. Quelques clés de vocabulaire seront donc suffisantes.
Dict Moral en Rondeau
A l’estourdy, sans y veoir goutte. On fait souvent mainte follye : On va, on vient, on se marie. Et ne sçait-on où l’on se boutte (1).
On tire l’un, et l’autre on boutte, On menasse et après on prye A l’estourdy.
On parle assez, mais on n’escoutte, Si ce n’est quelque menterie. On dispose et puis on varie, On mesdit de tous, somme toute, A l’estourdy.
Sujet : poésie médiévale, rondeaux, auteurs médiévaux, poètes, amour courtois, humour, loyal amant, poésie satirique Période : Moyen Âge tardif, XVe siècle Auteur : Blosseville Manuscrit ancien : MS français 9223 Ouvrage : Rondeaux et autres poésies du XVe siècle de Gaston Raynaud (1889)
Bonjour à tous,
u milieu du XVe siècle, à la cour de Charles d’Orleans, on versifiait sans bouder son plaisir. Au petit cercle qui entourait le prince, auquel la bataille d’Azincourt et ses conséquences avaient ravi la couronne, venait se joindre des nobles de passage. A la faveur d’un concours, le temps d’un dîner ou d’une soirée, tout ce petit monde s’adonnait à l’exercice du style et de la rime.
Poésie de cours et jeux poétiques
Fallait-il qu’on aime la langue ? Le talent de plume du noble, amoureux des arts et des lettres, semblait étendre, sur tous, comme une aura d’inspiration. Les sujets pouvaient être sérieux. Pourtant la poésie savait y prendre, aussi, un tour de légèreté qui trouverait, peut être même, quelques échos, jusque sous François 1er, avec des Clément Marot ou des Melin Saint Gelais, avant que les poètes un peu guindés de la pléiade ne s’en mêlent pour tenter d’en faire une affaire sérieuse.
Bien sûr, longtemps avant tout cela et dès le XIIe siècle, il y a avait eu les jeux partis des troubadours et des trouvères, les sirvantois, les farces et les choses ne sont pas si tranchées. Sous la plume de certains auteurs, la poésie du Moyen Âge central avait aussi ses aspects ludiques et elle permettait déjà de rire et de se divertir dans les cours. Pourtant, la première moitié du XVIe siècle fera souffler sur elle, comme un vent de dilettante et d’amusement qui lui est propre. Les mœurs changeront alors et peut-être, avec elles, une certaine relation au langage. En nous avançant un peu, il nous semble déjà trouver dans certaines des poésies de cette cour d’Orléans au XVe, un peu de cet esprit nouveau, même si les textes n’ont pas non plus la grivoiserie ou l’impertinence de ceux qu’on trouvera au XVIe.
Blosseville et l’amour courtois :
entre contre-pieds et désillusions
Vers la fin du XIXe, l’archiviste paléographe Gaston Raynaud eut la bonne idée de retranscrire le manuscrit MS Français 9223, dans une graphie accessible pour ses contemporains. Daté du XVe siècle, cet ouvrage contient un grand nombre de poésies de la cour de Charles d’Orléans et on peut y débusquer, en plus de certains textes de ce dernier, quelques auteurs de qualité que la postérité n’a pas retenus. C’est le cas de Blosseville, homme de lettres non dénué de style et d’humour, dont nous vous avions déjà présenté une ballade ironique sur les loyaux amants véritables.
Trois rondeaux choisis de Blosseville
Le Français 9223 nous gratifie d’un nombre important de poésies signés de la main de cet auteur. Les thèmes du loyal amant et du sentiment amoureux y reviennent fréquemment et ce poète médiéval nous gratifie, souvent, d’une posture désabusée, voire grinçante, à leur encontre. Les contre-pieds qu’il fait à la Fine amor sont même pour tout dire rafraîchissants et nous changent, en tout cas, des habituelles ritournelles sur le sujet. Pourtant, quelques-uns de ses rondeaux montrent aussi l’homme sous un jour tout à fait classique : dans le rôle de l’amant contrit, rejeté par sa dame, avec l’habituelle panoplie courtoise de circonstance, etc…
Blosseville connaissait-il quelques déboires amoureux ? Certaines de ses poésies semblent le suggérer mais, peut-être au fond, tout cela n’est-il qu’un exercice littéraire et, peut-être qu’après tout, notre auteur ne fait-il que feindre tout du long. Le troisième rondeau que nous avons choisi plaiderait plutôt en ce sens. Fine amant rendu amer par l’échec ? Observateur ironique et aguerri ? Ou simplement poète appliqué à se couler au mieux dans l’exercice de la courtoisie ? On en jugera. Il semble en tout cas que les règles de la courtoisie inventées et promulguées par le Moyen Âge aient la dent dure. Entre adhésion ou rejet, leur norme reste, quoiqu’il arrive, le point de référence autour duquel l’on gravite.
A tord le nommez paradis
A tord le nommez paradis, L’enfer(s) d’amours, s’aucune joye Vous n’y trouvés qui vous rejoye, Ou par beaulx faiz ou par beaulx dis.
Quant est a moy, nommer le veux Le purgatoire des loyaux, Qui ont leans* (là dedans, en cette matière) voué mains veux, Par quoy ilz souffrent plusieurs maux.
Je le congnoys tant de jadis, Que se nullement je savoye, Voulentiers plus j’en mesdiroye : Pardonnez moy, si je le dis : A tort le nommez paradis.
Bien grand dommaige
Se me semble bien grant dommaige Que n’avez en vous leaulté Autant comment a de beauté Vostre corps et vostre visaige.
Se coeur avez tant fort volage, Qu’en lui n’a que desleauté, Se me semble [bien grant dommaige.]
Vous ne maintenez tel oultraige Enverz moy pas de nouveauté, Et, qui pis est, sans cruaulté N’est jamais vostre fier couraige Se me semble [bien grant dommaige.]
Pour contrefaire l’Amoureux
Pour contrefaire l’amoureux, Je foix ainsi le douloureux Que ceulx qui sont en grant chaleur! Sy n’ay je ne mal ne douleur, De quoy je me tiens bien heureux.
Lays ! j’entretiens les maleureux, Que seuffrent les maulx rigoreux, Et changent souvent de coulleur, Pour contrefaire [l’amoureux.]
Ce de quoy sont tant desireux, Plusieurs foys, je le sçay par eux, Car il me comptent leur malheur, Cuidant* (en croyant, en pensant) que je soye des leur. Dont je me sens plus rigoureux Pour contrefaire [l’amoureux.]
En vous souhaitant très belle journée.
Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes
Sujet : poésie médiévale, ballade, auteur médiéval, moyen-français, poésie morale, folk, musique Auteur :François Villon (1431-?1463) Titre : extrait du testament Période : moyen-âge tardif, XVe siècle. Interprète : Evgen Kirjuhel Album: 12 poèmes en langue française
Bonjour à tous,
ujourd’hui, nous nous éloignons un peu des compositions musicales purement médiévales pour revenir aux inspirations plus modernes qu’ont pu susciter les auteurs et poètes du Moyen-âge chez nos compositeurs et chanteurs contemporains. C’est avec François Villon que nous y revenons. On sait qu’il a inspiré Georges Brassens, Léo Ferré, Monique Morelli et d’autres encore et, pour cet article, c’est un extrait du Testament mis en musique et chanté par Evgen Kirjuhel que nous vous présentons.
Un extrait du testament de François Villon chanté par Evgen Kirjuhel
Evgen Kirjuhel itinéraire et portrait
d’un artiste insatiable
Né en 1929, Evgen Kirjuhel (nom de scène et d’écriture de Jean Frédéric Brossard) est un auteur-compositeur-chanteur à la longue carrière. Inclassable, il a, jusque là, œuvré dans un registre qui va de la chanson bretonne et française poétique ou sociale, à des expérimentations textuelles et musicales aux origines culturelles très diverses : de la Grèce ancienne à la musique contemporaine, au jazz, au flamenco, en passant par bien d’autres univers musicaux ou poétiques.
Chanson sociale et militante
D’origine parisienne, l’artiste s’est cherché dans les arts du théâtre et de la musique jusqu’aux années 68. Leur impact a éveillé chez lui une vocation plus engagée et il s’est alors engagé plus clairement vers la chanson militante et sociale. Durant ces années là, il s’est rangé notamment aux côtés des révoltes ouvrières et paysannes. Installé en Bretagne, il a fait, un peu plus tard, l’apprentissage de la langue et commencé à écrire, ses premières chansons bretonnes. Il allait, bientôt, en devenir une des icônes. La mouvance folk bat alors son plein dans la région. L’artiste la côtoie tout en restant un peu à part. Son intérêt reste à la colère sociale et, dans les années qui suivent, il conservera ce ton à la fois militant et poétique. Il créera même son propre label indépendant pour véhiculer ses textes et ses compositions.
Le temps des voyages
La fin des années 70 sera source pour Evgen Kirjuhel de nouveaux horizons. La Bretagne a-t-elle un peu perdu de sa verve et laissé en chemin certains des engagements militants des premières heures des soixante-dix ? En tout cas, l’artiste s’en est éloigné avec, dans ses valises, grand soif d’aventure et de découvertes : Allemagne, Afrique, Grèce, il est de tous les voyages et de toutes les expériences. S’il n’est pas question pour lui de faire le deuil de ses sensibilités premières, sans doute cherche-t-il aussi autre chose à présent ; d’autres nourritures. La poésie des grands auteurs l’inspire, celle des celtes, des français mais encore celle des grecs anciens. Ses recherches s’étendent aussi sur l’expérimentation instrumentale et musicale à partir des berceaux culturels qu’il explore et au delà, à l’inde, au Tibet, la Turquie, le Japon, et même la musique plus contemporaine. Il inventera même un instrument à la mesure de sa créativité, une harpe baptisée « nucléaire » aux cordes métalliques et au son unique.
Cherchant son propre chemin poétique et musicale dans la synthèse et la modernité, Evgen se refuse à être cantonné au registre des musiques folkloriques ou traditionnelles. Il ne l’a, du reste, jamais été, puisque, face aux compositions anciennes, il n’a cessé de vouloir les transcender, recomposer, adapter, actualiser. En 1996, à l’aube des années 2000, il fondera Revoe Productions une maison d’édition à sa mesure, pour distribuer ses productions : quelques simples syllabes pour une triple lecture et une étymologie qui contient à la fois tous ses rêves, toute sa révolte et tout son goût pour l’évolution ; trois clefs essentiels pour comprendre son itinéraire atypique.
12 poèmes en langue française, l’album
En 86, Evgen Kirjuhel décida de faire tribut aux poètes de langue française, de Villon à Rimbaud. Il mis ainsi en chansons 12 poèmes et donna ce même titre à son album. Il en composa toutes les mélodies et les chanta lui même. Comme vous pourrez l’entendre ici, il fit le choix de moderniser la langue de Villon et de l’adapter légèrement pour la mettre à portée de tous.
L’album fut salué, dès sa sortie, par Telerama. Il a été réédité en 2004 par Revoe Productions et on peut le trouver en ligne au format CD ou même en MP3, avec la possibilité de l’acquérir par pièces. Voici un lien utile pour en savoir plus ou pour le pré-écouter : 12 Poèmes de Evgen Kirjuhel.
Sélection faite par Evgen Kirjuhel
dans les strophes du Testament de Villon
I En l’an trentiesme de mon aage, Que toutes mes hontes j’eu beues, Ne du tout fol, ne du tout sage. Nonobstant maintes peines eues, (…)
XXII Je plaings le temps de ma jeunesse, Ouquel j’ay plus qu’autre gallé, Jusque à l’entrée de vieillesse, Qui son partement m’a celé. (…)
XXVI Bien sçay se j’eusse estudié Ou temps de ma jeunesse folle, Et à bonnes meurs dedié, J’eusse maison et couche molle! Mais quoy? je fuyoye l’escolle, Comme faict le mauvays enfant… En escrivant ceste parolle, A peu que le cueur ne me fend.
XXIX Où sont les gratieux gallans Que je suyvoye au temps jadis, Si bien chantans, si bien parlans, Si plaisans en faictz et en dictz? Les aucuns sont mortz et roydiz; D’eulx n’est−il plus rien maintenant. Respit ils ayent en paradis, Et Dieu saulve le remenant!
XXX Et les aucuns sont devenuz, Dieu mercy! grans seigneurs et maistres, Les autres mendient tous nudz, Et pain ne voyent qu’aux fenestres; Les autres sont entrez en cloistres; De Celestins et de Chartreux, Bottez, housez, com pescheurs d’oystres: Voilà l’estat divers d’entre eulx.
XXXV Pauvre je suys de ma jeunesse, De pauvre et de petite extrace. Mon pere n’eut oncq grand richesse. Ne son ayeul, nommé Erace. Pauvreté tous nous suyt et trace. Sur les tumbeaulx de mes ancestres, Les ames desquelz Dieu embrasse, On n’y voyt couronnes ne sceptres.
XXXIX Je congnoys que pauvres et riches, Sages et folz, prebstres et laiz, Noble et vilain, larges et chiches, Petitz et grans, et beaulx et laidz, Dames à rebrassez colletz, De quelconque condicion, Portant attours et bourreletz, Mort saisit sans exception.
XL Et mourut Paris et Hélène. Quiconques meurt, meurt à douleur. Celluy qui perd vent et alaine, Son fiel se crève sur son cueur, Puys sue Dieu sçait quelle sueur! Et n’est qui de ses maulx l’allège: Car enfans n’a, frère ne soeur, Qui lors voulsist estre son pleige.
XLI La mort le faict frémir, pallir, Le nez courber, les veines tendre, Le col enfler, la chair mollir, Joinctes et nerfs croistre et estendre. Corps féminin, qui tant est tendre, Polly, souef, si precieulx, Te faudra−il ces maulx attendre? Ouy, ou tout vif aller ès cieulx.
Une belle journée.
Frédéric EFFE.
Pour moyenagepassion.com A la découverte du Moyen-âge sous toutes ses formes
Sujet : poésie médiévale, littérature, ballade médiévale, moyen-français, poésie , satirique, satire, Période : Moyen Âge tardif, XIVe siècle Auteur : Eustache Deschamps (1346-1406) Titre : « Que m’est il mieulx de quanque je vi onques?.» Ouvrage : Oeuvres complètes d’Eustache Deschamps, Marquis de Queux Saint-Hilaire, Gaston Raynaud (1893)
Bonjour à tous,
ous repartons au Moyen Âge tardif avec une autre ballade d’Eustache Deschamps. Elle est également tirée du Manuscrit français 840, conservé à la BnF et consultable en ligne au lien suivant(voir également photo ci-dessous).
Si le ton de cette poésie demeure satirique par endroits, au sujet des puissants, c’est sous un jour plus désabusé que l’auteur médiéval se présente ici. Interrogé sur un passé « riche en faits et glorieux », Eustache Deschamps fait le constat de la fuite du temps. A quoi lui sert tout ce qu’il a fait et vu à présent ? Tout s’en est allé et il n’est guère plus avancé.
On pourra faire de cette ballade une double lecture. S’il nie l’incidence sur le présent de tout ce qu’il a accompli ou de tout ce dont il a été le témoin, Eustache en profite, en effet, pour surenchérir sur le côté chevaleresque de sa jeunesse et sur ses exploits. Las ! il ne lui reste que le renom, rien des amours nombreuses pour lequel il a pris haut les armes, rien des nombreux pays qu’il a conquis, … De fait, il en ressort désabusé mais tout de même un peu grandi et peut-être peut on lire, là, une pointe de coquetterie ou même de vanité de sa part.
« Que m’est il mieulx de quanque je vi onques ? » du moyen-français au français moderne
Pour cette fois, nous nous sommes attelés à une traduction- adaptation de l’ensemble de cette poésie, du moyen-français vers le français moderne. Dans cet exercice, la question la plus épineuse est sans doute comment traduire et interpréter ce « Que m’est il mieulx de quanque je vi onques ? » qui rythme cette ballade.
Pour respecter les pieds et le sens « A quoi me sert tout ce que je vis lors ? » serait le plus correct. « voir » étant le plus fidèle à la lettre. Comme il est question de choses vues autant que d’exploits accomplis, nous l’avions traduit, au départ et de manière plus extrapolée comme : « A quoi me sert tout ce que j’ai vécu ? » Cela nous semblait, et nous semble toujours, plus poétique, parce que plus dramatique et plus profond aussi. Dans la version que nous donnons ici, l’adaptation s’est toutefois effacée devant la traduction et nous avons gardé le « voir » contre le vécu.
On pourrait même encore dire « A quoi m’a servi ? » ou « Que m’a rapporté tout ce que je vis lors ». « En quoi est-ce que je m’en trouve mieux ? » Au delà du constat de la vacuité des choses passées, la question adresse aussi la dimension matérielle. Eustache Deschamps se demande en quoi tout cela l’a « avancé ». Le double sens est presque contenu dans l’expression. Il est question de temps qui passe, de l’arrivée de l’âge aussi, mais encore d’apports ou de bénéfices concrets. « Je n’y ai rien gagné », ce n’est pas la première fois que le poète médiéval se plaint dans ses vers, de sa condition mais aussi du manque de reconnaissance reçue pour ses services. Il le fait sans doute, une nouvelle fois ici, de manière plus voilée.
Que m’est il mieulx de quanque je vi onques?
Chascun me dit: “Tu te doiz bien amer Qui cerchié as honeur en mainte terre Deca les mons ou pays d’oultre mer Et en tous lieus que noble cuer doit querre, Qui as veu mainte dure et fors guerre Et qui amas bien par amours adonques.” Lors respons je: “Ce m’a fait po acquerre; Que m’est il mieulx de quanque je vi onques ?
Chacun me dit « Tu dois être bien fier (de toi) Toi qui chercha l’honneur en maintes terres Deçà les monts et pays d’outre-mer Et en tout lieu que noble cœur recherche Qui a vu maintes et très cruelles guerres Et qui (servit ) aima bien par amour alors « Et j’y réponds : « Je n’y ai rien gagné A quoi me sert tout ce que je vis lors ? »
“II est certain que j’ay veu caroler Et pour amours maint fait d’armes requerre, En temps de paix tournoier et jouster, Faire chancons et maint pais conquerre, Oiseaulx voler, chiens chacer a grant erre Et tous deduit; or court uns autres mondes; Dire puis bien de quoy le cuer me serre, Que m’est il mieulx de quanque je vi onques ?
Certes, j’ai vu danser ou bien chanter Et pour amour, accompli maints faits d’armes, En temps de paix, fait tournois et jouté, Et fait chansons et maints pays conquis Vu vols d’oiseaux et dogues en grande chasse, Et tout aimé (pris plaisir à tout cela) mais ce monde n’est plus, Et je puis dire, ce qui me serre le cœur A quoi me sert tout ce que je vis lors ?
“J’ay veu les roys aux sacres couronner Et leurs grans cours dont l’en doit po enquerre, Les chevaliers sur riches draps broder, Leurs grans tresors de joiaulx mis soubz serre; Sui les ay; pour ce pas ne me terre; Rien n’ay acquis et ne puis durer longues Fors que renom; c’est le vent de soulerre; Que m’est il mieulx de quanque je vi onques ?
J’ai vu les rois aux sacres couronner Et leurs grandes cours qu’il vaut mieux ignorer (dont il faut peu attendre, desquelles il vaut mieux se détourner) Les chevaliers sur de beaux draps brodés Leurs grands trésors et joyaux mis sous clef (bien cachés), Je les ais vu, je ne veux m’en cacher; Rien n’ait acquis et rien ne dure toujours, Sauf le renom : le vent d’été ne dure. A quoi me sert tout ce que je vis lors ? »
L’envoy
“Prince, le temps ne puet gaires durer ; II fault chascun a son aage finer, Jeusnes et vieulz, vielles et blondes, Fors et hardiz, couars au parler, C’est tout neant; pour ce vueil demander: Que m’est il mieulx de quanque je vi onques?”
Prince, le temps ne peut guère durer : Chacun doit bien mourir quand son temps vient (finir avec son âge) Jeunes et vieux, comme vieilles et blondes Forts et hardis ou couards en parole Tout ça n’est rien. Pour ce je vous demande (veux demander) A quoi me sert tout ce que je vis lors ?
En vous souhaitant une excellente journée.
Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.