Sujet : chanson médiévale, poésie, amour courtois, roi troubadour, roi poète Période : moyen-âge central Auteur : Thibaut de Champagne (1201-1253) Titre : chanson d’amour ou « Por conforter ma pesance » Manuscrit ancien : le chansonnier du roi Interprètes : Alla Francesca. Vocal: Emmanuel Vistorky, Harpe: Brigitte Lesne
Bonjour à tous,
‘est toujours un plaisir que d’approfondir la découverte de Thibaut de Champagne à travers ses chansons et ses compositions. Roi de Navarre, Comte de Champagne, il est entré dans la légende comme Thibaut le Chansonnier en léguant à la postérité pas moins de soixante chansons. Son répertoire est large et va de la chanson courtoise à des chansons plus engagées sur le plan politique ou religieux, en passant encore par le jeu-parti, ce divertissement médiéval qui prenait la forme de joutes verbales entre troubadours où alternant les couplets chaque protagoniste défendait une positon contraire. Au niveau stylistique, on prête généralement à ce noble chevalier et poète d’avoir revisité des formes classiques de son temps tout en y amenant sa propre touche d’humour et de distance.
Pour ce qui est de la pièce du jour, comme son titre l’indique, il s’agit d’une chanson d’amour courtois dans laquelle le roi poète, victime impuissante et consentante de ses sentiments amoureux, chante à sa dame la douce flamme qui le retient prisonnier.
Alla Francesca : à la découverte du Thibaut de Champagne et du Chansonnier du roi
On doit à la très sérieuse formation artistique et musicale Alla Francesca, spécialisée dans le répertoire des musiques anciennes et médiévales un album entier sur le roi troubadour.
Les chansons sont tirées du manuscrit du roy (roi) ou chansonnier du roi, ouvrage d’importance majeure pour la musique médiévale des XIIe et XIIIe siècles qu’il s’agisse de danses, de pièces instrumentales, comme de chansons monophoniques ou polyphoniques.
L’interprétation qu’ils font de cette pièce d’amour courtois de Thibaut de Champagne, tout en délicatesse avec une harpe pour seul accompagnement et cette voix tout en notes graves vous emportera peut-être à la cour de Champagne ou de Navarre du XIIIe siècle, pour vous y faire revivre les plus belles heures du roi chansonnier. Nous n’avons bien entendu aucune trace de la voix originelle de ce dernier, mais je dois avouer que l’incarnation subtile et toute en élégance qu’en fait le chanteur Emmanuel Vistorky est fort convaincante, en plus d’être très agréable à écouter.
Les paroles de la chanson d’amour de Thibaut le Chansonnier & leur adaptation en français moderne
Por conforter ma pesance Faz un son. Bons ert, se il m’en avance, Car Jason, Cil qui conquist la toison, N’ot pas si grief penitance. E! é! é!
Pour soulager mon cœur lourd Je compose un air. Il serait bon qu’il puisse m’aider Car Jason,
Celui qui conquit la toison, Ne subit pas si dure pénitence. Hé, hé, hé !
Je meïsmes a moi tence, Car reson Me dit que je faz enfance, Quant prison Tieng ou ne vaut raençon; Si ai mestier d’alejance. E! é! é!
Je me fais à moi-même des reproches Car ma Raison Me dit que je fais une folie De rester dans une prison Où il n’y a de rançon qui vaille. J’ai donc bien besoin de soulagement. Hé, hé, hé !
Ma dame a tel conoissance Et tel renon Que g’i ai mis ma fiance Jusqu’en son. Meus aim que d’autre amor don Un regart, quant le me lance. E! é! é!
Ma dame est si reconnue Et renommée Que j’ai mis toute confiance
jusqu’en elle Plus que l’amour d’une autre, je préfère un seul regard, quand c’est elle qui me le lance. Hé, hé, hé !
Melz aim de li l’acointance Et le douz non Que le roiaume de France. Mort Mahon! Qui d’amer qiert acheson Por esmai ne pour dotance! E! é! é!
J’aime mieux sa présence Et son doux nom Que le royaume de France. Maudit soit, par Mahomet ! Qui l’Amour veut accuser En ce qu’il apporte peine et souffrance. Hé, hé, hé !
Bien ai en moi remenbrance A conpaignon; Touz jorz remir sa senblance Et sa façon. Aiez, Amors, guerredon! Ne sosfrez ma mescheance! E! é! é!
J’ai en moi mes souvenirs Qui m’accompagnent ; Pour chaque jour contempler son image Et son visage. Amour, accordez-moi récompense, Ne souffrez pas mon malheur ! Hé, hé, hé !
Dame, j’ai entencion Que vos avroiz conoissance. E! é! é!
Dame, j’espère bien Que vous saurez faire preuve de discernement. Hé, hé, hé !
En vous souhaitant une excellente journée.
Fred
Pour moyenagepassion.com A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes.
Sujet : musique et poésie médiévale, chanson, trouvère, roi poète, roi troubadour, amour courtois. Auteur : Thibaut de Champagne, Thibaut de Navarre, Thibaut le chansonnier Titre : Ausi conme unicorne sui Période : Moyen Âge central
Interprète :FAUN Album : Totem (2007)
Bonjour à tous,
‘est toujours un plaisir que de pouvoir poster ici quelques textes ou quelques éléments d’histoire supplémentaires concernant le roi poète et trouvère Thibaut le chansonnier, roi de Navarre et comte de Champagne (1201-1253).*
Pour nous changer un peu de ses deux derniers textes qui gravitaient autour du thème des croisades, c’est ici une ode à l’amour courtois que nous vous proposons. Elle prend la forme d’un animal de légende très présent dans les bestiaires et l’imagerie du Moyen Âge: la licorne.
La licorne ou le monocéros,
créature mythique des bestiaires médiévaux
La licorne dans les bestiaires du Moyen Âge, ici tirée du Historiae Animalium de Conrad Gessner, XVIe siècle (1551)
Même si on la connait depuis l’antiquité, on retrouve la mythique licorne de la légende à laquelle se réfère Thibaut de Champagne dans notre poésie du jour, à partir du haut Moyen Âge et plus exactement du IVe siècle. On la nomme alors Monocéros ou unicorne et elle est décrite comme une créature puissante et sauvage, que, dit-on, seule une vierge peut aider à capturer. L’animal en voyant la pure jeune fille, viendrait, en effet, trouver refuge en son sein et la belle n’aurait alors qu’à lui laisser téter son lait pour que la bête devenue docile et soumise puisse être capturée ou abattue.
ci contre illustration de chasse à la licorne, XIIIe siècle, Bestiaire de Rochester (1230)
Voilà donc, ici, une poésie de notre bon roé de Navarre, Thibaut de Champagne, captif de son amour et toute à sa fascination pour l’objet de son désir, laissé sans plus de défense que cette fameuse licorne de la légende, devant une vierge.
Le chansonnier Cangé : manuscrit ancien de poésie françoise du XIIIe siècle
On retrouve cette chanson de Thibaut de Champagne dans le manuscrit 846 de la Bibliothèque Nationale de France: le Chansonnier Cangé. Cet ouvrage est, comme son nom l’indique, un recueil de chansons de troubadours de la fin du XIIIe siècle.
Il vaut la peine, ici, d’en dire un mot parce qu’outre le fait que l’original nous vient du XIIIe siècle, la version que nous connaissons de ce manuscrit est le fruit du travail d’un passionné collectionneur de la poésie et de la musique des troubadours d’alors; il a pour nom Jean-Baptiste Châtre de Cangé et est contemporain du XVIIIe siècle.
Il acquit, en effet, le manuscrit en question en 1724 et comme il possédait également d’autres recueils de chansons, se mit même à annoter les pages du manuscrit, comparant entre elles les chansons des troubadours et de trouvères et recoupant les différentes versions. Il en résulte que ce manuscrit ancien, annoté de la main de ce collectionneur, porte désormais son nom et reste, au demeurant, un précieux témoin du monde médiéval et de l’art des troubadours et trouvères du XIIIe siècle.
Outre le fait qu’il recèle des trésors de la poésie française du Moyen Âge central, les annotations musicales originales qui accompagnent ces chansons sont aussi particulièrement remarquables. Le Chansonnier Cangé reste, en effet, un des rares ouvrages faisant état d’une écriture musicale qui comprend les temps et la rythmique. Si vous vous souvenez, nous avions mentionné dans un article précédent sur l’art des troubadours, que la plupart du temps, les compositeurs utilisaient une autre forme d’écriture musicale et n’annotaient pas les rythmes, laissant en quelque sorte la libre interprétation de ces aspects au troubadour ou au trouvère.
Sur le fond, le Chansonnier Cangé contient plus de 351 chansons et forme une véritable anthologie de la poésie des troubadours sur le thème de l’amour courtois. On y retrouve en plus de Thibaut de Champagne qui y est à l’honneur avec 64 de ses chansons, suivi de près par Gace Brûlé avec 46 chansons, d’autres noms célèbres tels que Adam de la Halle, Richard Coeur de Lion et d’autres encore, mais aussi un certain nombre de chansons et compositions d’auteur étant demeurés anonymes.
Faun, « folk celtique néo-médiéval païen » en provenance d’Allemagne
Il existe des versions bien plus lyriques de cette pièce de Thibaut de Champagne que celle que nous vous proposons d’aujourd’hui, cette dernière appartenant à un registre plus résolument folk médiéval. Elle est interprétée par FAUN, une formation relativement récente de musiciens et d’artistes allemands qui a fait ses premières armes en 2002. Le groupe se définit lui-même comme proposant une musique qui « fusionne les sons anciens et médiévaux, le folk celtique et nordique avec la musique moderne », d’où le nom de « folk néo-médiéval celtique » qu’on lui donne souvent et qui sonne un peu tout de même comme une appellation marketing clinquante pour inscrire leur travail dans un genre. Si je voulais faire court et sans déprécier du tout leurs talents, je dirais que FAUN est un peu à la musique médiévale ce que le Rondo Veneziano était à la musique classique. On n’est dans l’easy listening celtique à consonances médiévales (ce qui n’exclut pas bien sûr la qualité, mais qui reste une manière de montrer que, quand je m’y mets, je peux moi-aussi inventer des mots qui claquent bien). Bref, vous l’avez compris, leur travail les situe dans un Moyen Âge plus résolument allégorique et imaginaire que classique.
Au delà du fait qu’il est toujours intéressant de voir comment le monde médiéval s’invite dans l’actualité de notre XXIe siècle, on trouve du reste chez FAUN des choses très agréables à écouter. A en juger, nous ne sommes pas les seuls à partager ce goût, puisqu’ils furent nominés à trois reprises pour les « Echo », le music awards allemand. Le groupe est aussi très actif et productif puisqu’on leur doit déjà, à ce jour, 8 CDs et quelques tournées d’envergure mondiale : USA, Brésil et j’en passe. Le néo médiéval folk celtique païen semble donc aussi entré dans la World Music. Pour ce qui est du morceau d’aujourd’hui, qui est un classique médiéval revisité par leurs soins, la performance vocale de la chanteuse reste très convaincante et que les choix mélodiques sont aussi très agréables, mais je vous laisse vous en faire une idée.
Tout cela étant dit, voilà le texte de cette chanson de Thibaut de Navarre, en vieux français du XIIIe siècle que nous nous fendrons sans doute d’adapter en français moderne sous peu.
Les paroles de la chanson de Thibaut de Champagne en vieux français
Ausi conme unicorne sui Qui s’esbahist en regardant, Quant la pucelle va mirant. Tant est liee de son ennui, Pasmee chiet en son giron; Lors l’ocit on en traïson. Et moi ont mort d’autel senblant Amors et ma dame, por voir : Mon cuer ont, n’en puis point ravoir.
Dame, quant je devant vous fui Et je vous vi premierement, Mes cuers aloit si tressaillant Qu’il vous remest, quant je m’en mui. Lors fu menez sans raençon En la douce chartre en prison Dont li piler sont de talent Et li huis sont de biau veior Et li anel de bon espoir.
De la chartre a la clef Amors Et si i a mis trois portiers : Biau Senblant a non li premiers, Et Biautez cele en fet seignors; Dangier a mis en l’uis devant, Un ort, felon, vilain, puant, Qui mult est maus et pautoniers. Ciol troi sont et viste et hardi: Mult ont tost un honme saisi.
Qui porroit sousfrir les tristors Et les assauz de ces huissiers? Onques Rollanz ne Oliviers Ne vainquirent si granz estors; Il vainquirent en combatant, Més ceus vaint on humiliant. Sousfrirs en est gonfanoniers; En cest estor dont je vous di N’a nul secors fors de merci.
Dame, je ne dout més rien plus Que tant que faille a vous amer. Tant ai apris a endurer Que je suis vostres tout par us; Et se il vous en pesoit bien, Ne m’en puis je partir pour rien Que je n’aie le remenbrer Et que mes cuers ne soit adés En la prison et de moi prés.
Dame, quant je ne sai guiler, Merciz seroit de seson més De soustenir si greveus fés.
En vous souhaitant une belle journée!
Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes
* J’en profite pour faire ici une petite parenthèse sur l’orthographe du prénom Thibaud, ou Thibault ou Thibaut qui n’a décidément jamais l’air de savoir comment il veut s’écrire. Nous avons donc décidé ici, une bonne fois pour toutes, de l’écrire avec un T mais vous trouverez le roi de Navarre sous toutes les formes possibles de l’orthographe de son prénom.
Sujet : musique, poésie médiévale, troubadour, trouvère, sirventès, poésie satirique Thême : croisade, amour courtois Période : Moyen Âge central Auteur : Thibaut IV de Champagne, Comte de Champagne, Roi de Navarre, Thibaut le chansonnier (1201-1253). Titre : Au tans plein de félonie. Interprète :Alla Francesca (ci-contre Blason de Navarre)
« Thibault fut roi galant et valeureux, Ses hauts faits et son rang n’ont rien fait pour sa gloire, Mais il fut Chansonnier, et ses couplets heureux, Nous ont conservé sa mémoire. » Citation de Pierre René Auguis (1783-1844)
Bonjour à tous,
oici une nouvelle chanson et poésie de Thibaut de Champagne, comte de Champagne, roi de Navarre et troubadour du XIIIe siècle, que l’on surnomme aussi Thibaut le chansonnier, et dont nous avions déjà présenté, ici, le chant de croisade. Cette fois, le roi poète nous entraîne dans une critique sur la corruption de son temps, à la manière dont le faisaient les troubadours avec les Sirventès.
LesSirventès (Sirvente) désignent un genre poétique dans lequel les troubadours provençaux des XIIe et XIIIe siècles critiquaient et prenaient à partie les « vices » ou les problèmes de leur temps; c’étaient donc des poésies de nature satirique, politique ou morale. A partir de la fin du XIIIe siècle, il semble que le mot ait effectué un glissement sémantique pour désigner des poésies à consonance plus religieuse de type louanges (photo ci-dessus, troubadour médiéval jouant de la vièle, British Library).
Cinquième croisade : les expéditions en Terre Sainte se suivent et ne se ressemblent pas.
Le roi de Navarre nous parle encore de croisades dans cette poésie, mais d’une manière bien largement plus désabusée qu’il ne le fera plus tard dans son « chant de croisade ». Le texte « Au temps plein de félonie » est, de fait, antérieur au très fort et très guerrier: « Seigneur Sachiez qui or ne s’en ira » que Thibaut de Champagne écrira, une dizaine d’années plus tard, en 1237, alors qu’il sera lui même désigné pour conduire, avec le duc de Bourgogne et Richard de Cornouailles, la sixième croisade, dite « croisade des Barons« .
Pour l’heure et au moment de cette chanson, l’amour tient le Comte de Champagne « en sa prison » et il ne veut se résoudre à partir, mais il fait aussi le constat de tant de fausseté et de corruption en observant les seigneurs et barons autour de lui qu’il ne veut les encourager à se croiser pour de mauvaises raisons et surtout dans de mauvaises dispositions. Tous ces seigneurs qui vivent dans l’abondance et loin des chemins de droiture ne pourraient-ils créer plus de nuisances en Terre Sainte et en Syrie que de bien en y allant guerroyer sans s’être amender?
La cour de l’empereur Frédérick II à Palerme, XIXe siècle, Arthur von Ramberg
Il fait également allusion à l’excommunication par le pape Grégoire IX du Saint Empereur Germanique Frédéric II, Frédéric de Hohenstaufen, Roi de Germanie, de Sicile et Roi de Jérusalem. La papauté perdant patience et refusant d’entendre les raisons politiques pour lesquelles Frédéric II n’en finissait pas de différer son départ, prit cette décision à son encontre en 1227. Il faut dire qu’en plus de montrer des velléités de conquête sur le territoire italien, au moment où le pape Grégoire IX pris cette décision, l’Empereur avait pris la croix plus de dix ans auparavant, sans qu’aucune expédition n’ait été montée. On appelle d’ailleurs cette période « la fausse croisade » et le pape Grégoire IX dut d’ailleurs lancer un nouvel appel pour que la sixième croisade soit effectivement engagée. Quoiqu’il en soit, au moment de rédiger ce texte, la décision d’excommunier Frédéric II est, à l’évidence, loin de rallier l’approbation de Thibaut de Champagne.
Outre le contexte sur le territoire et cet amour qui le retient, il y a, peut-être, à travers cette tiédeur qu’il semble montrer à se croiser un sens critique que l’on commençait alors à tirer à l’égard de certaines croisades? L’enthousiasme des premières expéditions en Orient étant désormais loin derrière, peut-être les échecs de la cinquième croisade (concile du Latran, 1215) pèsent-ils encore sur l’état d’esprit du roi troubadour? Au fond, ce n’est pas que Thibaut de Champagne s’y oppose en tous points, mais il ne semble que trouver des raisons de ne pas s’y résoudre. Il reste difficile pourtant de l’affirmer totalement pour une raison simple: quand on écume les différentes traductions du XIXe au XXe siècle de ce texte, on s’y perd quelquefois un peu. Les traductions vont du poète qui enjoint les autres à s’amender pour pouvoir partir, à celles qui penchent plus nettement du côté d’une claire démotivation de sa part même si ce sont tout de même ces dernières interprétations qui l’emportent. Quoiqu’il en soit et comme nous l’avons dit plus haut, au moment où il sera directement appelé pour la croisade des barons, près de dix ans plus tard, Thibaut de Champagne sera nettement plus motivé et le ton aura indubitablement changé. (portrait ci-dessus, dix ans après au temps plein de félonie, Thibaut de Champagne s’apprête à partir en croisade, portrait espagnol).
Au tans plein de félonie, les paroles en vieux français
Au tans plein de felonie D’envie et de traïson, De tort et de mesprison, Sanz bien et sans cortoisie, Et que entre nos barons Faisons tot le siecle empirier, Que je voi escomenïer Ceus qui plus offrent reson, Lor vueil dire une chançon.
Li Roiaumes de Surie, Nous dit, & crie à haut ton, Se nos ne nos amendon Por Deu, que n’i alons mie, N’i ferions se mal non : Dex aime fin cuer droiturier De tel gent se veut aidier Cil essauceront son nom, Et conquerront sa maison
Encor aim mielz toute voie Demorer ou saint païs Que aler povres, chaitis La ou ja solas n’auroie. Phelipe, on doit paradis Conquerre par mesaise avoir, Que vos n’i troverez ja, voir, Bon estre, ne jeux, ne ris, Que vos aviëz apris.
Amors a coru en proie Et si m’en meine tot pris En l’ostel, ce m’est avis, Dont ja issir ne querroie, S’il estoit a mon devis. Dame, de cui biautez fet oir, Je vos faz or bien a savoir, Ja de prison n’istrai vis, Ainz morrai loialz amis.
Dame, moi couvient remaindre, De vos ne me quier partir. De vos amer et servir Ne me soi onques jor faindre, Si me vaut bien un morir L’amor qui tant m’assaut souvent. Ades vostre merci atent,
Que bien ne me puet venir Se n’est par vostre plaisir. Chançon, va moi dire Lorent Qu’il se gart bien outree ment De grant folie envahir, Qu’en li auroit faus mantir.
Au Temps plein de félonie
Les paroles adaptées en Version Française.
En ce temps plein de félonie D’envie et de trahison, D’injustice et de méfaits, Sans bien et sans courtoisie, Tandis qu’entre nous, barons, Nous ne faisons qu’empirer les choses Et que je vois être excommunier Ceux qui se montrent les plus sensés,* Je veux dire une chanson. (* l’excommunication de Frédéric II)
Le Royaume de Syrie, Nous dit & crie à voix haute, Que sauf à nous amender Mieux vaut ne pas se croiser Car nous n’y ferions que du mal: Dieux aime les cœurs qui sont droits C’est sur eux qu’il veut s’appuyer; Et ceux là exhausseront son nom Et conquerront son paradis. (ce paragraphe a disparu d’un certain nombre de versions)
Encore vaut-il mieux que tout cela Demeurer en son Pays Plutôt qu’aller, pauvre et malheureux, Là où il n’y a ni joie, ni bonheur; Philippe*, on doit conquérir le paradis, par les privations car vous n’y trouverez pas bien-être, jeux et rires Dont vous aviez pris l’habitude. (* Philippe de Nanteuil, chevalier qui se croisa avec Thibaut de Navarre.)
L’amour a poursuivi sa proie Et il m’emmène captif Dans la demeure d’où, je crois, Je ne chercherai pas à sortir, S’il ne dépendait que de moi. Dame, à la beauté si grande, Je vous le fais bien savoir, Je ne sortirai jamais vivant de cette prison, Mais j’y mourrai en ami loyal.
Dame, il me faut rester, Car je ne puis me séparer de vous Jamais je n’ai pu feindre De vous aimer et vous servir. Et pourtant, il vaut bien un « mourir » L’amour qui si, souvent, m’assaille. Sans cesse j’attends votre merci Car bien ne me peut venir Si ce n’est par votre plaisir.
Chanson, va pour moi dire à Laurent Qu’il se garde autant qu’il peut D’entreprendre de grandes folies, Car il n’y aurait là que l’œuvre d’un faux martyre.
Merci à nouveau à l’ensemble médiéval Alla Francesca pour cette belle interprétation!
Longue vie et un beau dimanche à tous! Fred Pour moyenagepassion.com A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes