Archives de catégorie : Musiques, Poésies et Chansons médiévales

Vous trouverez ici une large sélection de textes du Moyen âge : poésies, fabliaux, contes, chansons d’auteurs, de trouvères ou de troubadours. Toutes les œuvres médiévales sont fournis avec leurs traductions du vieux français ou d’autres langues anciennes (ou plus modernes) vers le français moderne : Galaïco-portugais, Occitan, Anglais, Espagnol, …

Du point du vue des thématiques, vous trouverez regroupés des Chansons d’Amour courtois, des Chants de Croisade, des Chants plus liturgiques comme les Cantigas de Santa Maria d’Alphonse X de Castille, mais aussi d’autres formes versifiées du moyen-âge qui n’étaient pas forcément destinées à être chantées : Ballades médiévales, Poésies satiriques et morales,… Nous présentons aussi des éléments de biographie sur leurs auteurs quand ils nous sont connus ainsi que des informations sur les sources historiques et manuscrites d’époque.

En prenant un peu le temps d’explorer, vous pourrez croiser quelques beaux textes issus de rares manuscrits anciens que nos recherches nous permettent de débusquer. Il y a actuellement dans cette catégorie prés de 450 articles exclusifs sur des chansons, poésies et musiques médiévales.

« Li plusour ont d’amours chanté » : l’amour courtois du trouvère Gace Brûlé contre les médisants

musique_danse_moyen-age_ductia_estampie_nota_artefactumSujet : musique médiévale, chanson médiévale,  poésie, amour courtois, trouvère, vieux-français,  fine amant, fine amor, fin’amorchansonnier C, manuscrit ancien
Période :  XIIe,  XIIIe, moyen-âge central
Titre: Li plusour ont d’amours chanté 
Auteur :  Gace Brûlé  (1160/70 -1215)
Interprète :  Ensemble Oliphant
Album: Gace Brûlé (Alba Records, 2004)
Bonjour à tous,

N_lettrine_moyen_age_passionous revenons, aujourd’hui, aux premiers trouvères du moyen-âge, avec une chanson du XIIe siècle. Elle a été diversement attribuée par les manuscrits et sources d’époque au Châtelain de Coucy  ou à Gace Brûlé. Suivant l’avis partagé par un nombre important de médiévistes, c’est cette dernière attribution, par  le Chansonnier C ou Manuscrit de Berne Cod 389 (voir ce manuscrit en ligne ici ) que nous avons choisi de retenir ici.

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Gace Brûlé dans le Chansonnier Trouvère C, de la bibliothèque de Berne

Pour son interprétation, nous retrouvons l’ensemble médiéval finlandais Oliphant et l’album que la formation avait dédié  à ce trouvère, en 2004 (voir article détaillé ).

« Li plusour … », une leçon d’amour courtois
contre les médisants et les faux amoureux,

Dans la pure tradition de la lyrique courtoise, le poète  donne ici un leçon de fine amor (fin’amor) à ses contemporains. Contre les médisants, les envieux et les « faux amoureux », il est, nous explique t-il, comme tant d’autres poètes lyriques médiévaux le feront par ailleurs, un fine amant sincère et véritable.

Comme toute société crée et valorise ses propres normes, elle produit aussi systématiquement la possibilité de s’en revêtir faussement pour s’élever socialement. Et comme la loyauté engendre la fausse loyauté, l’humilité la fausse modestie, au Moyen-âge, la courtoisie donne naissance au « faux amoureux ». On retrouve parmi ces derniers, ceux qui entrent dans la compétition en feignant la Fine amor véritable, pour faire bonne figure auprès des dames, mais aussi, plus largement, de l’univers mondain. Pour n’en citer qu’un exemple, on se souvient de cet « amor torné en fables » dont nous parlait Chrétien de Troyes dans son Chevalier au Lion :

« Or est amor torné en fables,
Por ce que cil rien n’en sentent
Dient qu’ils aiment, et si mentent ;
Et cil fable et mensonge en font,
Que s’en vantent, et rien n’y ont.
Mais por parler de celz qui furent,
Laissons celz qui en vie durent,
Qu’encor valt miex, se m’est avis,
Un cortois mort qu’un vilain vis. »
Chrétien de Troyes – Yvain ou l Chevalier au Lion.

Aux côtés du faux-amoureux, les médisants, les « lauzengiers » ou les calomniateurs,  qui transgressent par leurs mensonges les règles de l’amour courtois et le salissent, sont montrés du doigt par le poète.  Plus vils que le plus vil des vilains, ils sont exécrés par lui et  voués à être mis au banc. Ce thème récurrent des « médisants », déjà présent chez les troubadours sera largement repris, par la suite, chez les trouvères. Bien souvent, il ne s’agit pas seulement d’un procédé littéraire qui consisterait à invoquer des ennemis « imaginaires » comme autant d’obstacles dressés entre le poète et la réalisation de son désir, pour mieux l’édifier comme fine amant, aux yeux de sa dame et de l’univers mondain. Si l’effet est bien là, l’adversité et les quolibets sont aussi bien réels. Dans le contexte des cours où la courtoisie s’exerce,  les enjeux de pouvoir et la nature transgressive et sulfureuse de l’amour courtois ont suscité des rivalités et des tensions véritables. Pour n’en dire qu’un mot, laissons ici la parole à Joseph Anglade

« (…) Que les troubadours aient reçu un excellent accueil dans les cours où ils apportaient la poésie et la joie, c’est ce que tous les témoignages du temps, leurs œuvres en premier lieu, nous apprennent. Mais ils nous disent aussi combien âpre fut ce que nous appellerions du nom vulgaire de concurrence ou du nom en apparence plus scientifique de lutte pour la vie. Les poésies des troubadours sont pleines d’allusions aux «médisants»; ce sont eux qui perdent le poète auprès de sa dame ou qui ternissent sa réputation. Ils le brouillent, chose aussi grave, avec son protecteur. On peut croire les troubadours sur parole. Dans ces petites sociétés fermées où ils vécurent, la jalousie, et son cortège habituel, la calomnie et la médisance, durent pousser comme fleurs naturelles. »
Joseph Anglade
Les Troubadours, leurs vies, leurs œuvres, leur influence (1919)

Pour le reste, la chanson est dédiée au comte de Bretagne,  et si c’est bien Gace Brûlé qui l’a composé, il s’agit probablement de Geoffroy II de Bretagne, fils d’Aliénor d’Aquitaine et d’Henri II d’Angleterre, noble contemporain et protecteur, du trouvère.

Paroles en vieux-français avec clefs de vocabulaire

I
Li plusour* (nombreux) ont d’amours chanté
Par esfort et desloiaument* (avec force et de façon déloyale);
Mes de tant me doit savoir gré,
Qu’onques ne chantai faintement.
Ma bone foi m’en a gardé,
Et l’amours, dont j’ai tel plenté* (en abondance),
Que merveille est* (qu’il est étonnant) se je rien hé* (haïr),
Neïs* (pas plus que, ni même) celé* (celer, cacher) envïouse gent.

II
Certes j’ai de fin cuer amé,
Ne ja n’amerai autrement;
Bien le puet avoir esprouvé
Ma dame, se garde s’en prent* (si elle y prête attention).
Je ne di pas que m’ait grevé* (qu’il ne m’ai pesé, blessé)
Qu’el ne soit a ma volenté,
Car de li sont mit mi pensé,
Moût me plet ce que me consent.

III
Se j’ai fors* (hors) du pais esté,
Ou mes biens et ma joie atent,
Pour ce n’ai je pas oublié
Conment on aime loiaument;
Se li merirs* (les mérites, les récompenses) m’a demoré
Ce m’en a moût reconforté,
Qu’en pou* (peu) d’ore a on recouvré
Ce qu’on desirre longuement.

IV
Amours m’a par reson moustré
Que fins amis* (le fine amant) sueffre et atent ;
Car qui est en sa poësté* (pouvoir)
Merci doit proier franchement* (doit implorer grâce ouvertement),
Ou c’est orgueus; — si l’ai prouvé;
Mais cil faus amorous d’esté,
Qui m’ont d’amour ochoisoné* (chercher quereller, accuser),
N’aiment fors quant talens lor prent*. (que quand l’envie leur prend)

V
S’envïous l’avoient juré,
Ne me vaudroient il nïent,
La dont il se sont tant pené
De moi nuire a lor essïent* (sciemment, volontairement).
Por ce aient il renoié Dé,
Tant ont mon enui* (chagrin, ennui) pourparlé* (débattu, discuté)
Qu’a paine* (difficilement) verrai achevé
Le penser qui d’amours m’esprent.

VI
Mes en Bretaigne m’a loé
Li cuens(le comte), cui j’aim tôt mon aé* (âge, vie. que j’ai aimé toute ma vie),
El s’il m’a bon conseil doné,
Ce verrai je procheinement.

En vous souhaitant une belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du moyen-âge sous toutes ses formes.

Cantiga de Santa Maria 26 : le miracle du pèlerin trompé par le diable, sur la route de Compostelle

Codex-Calixtinus_Liber_Sancti_Jacobi_miracles-de-saint-jacques_moyen-age_manuscrit-ancien_XIIe-siecle
Le codex Calixtinus ou Livre de Saint Jacques

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Enluminure du pèlerin trompé

Un pèlerin avait l’habitude de se rendre, chaque année, à Saint-Jacques de Compostelle, mais une de ces nombreuses fois, avant de se mettre en chemin, il s’acoquina avec une femme de petite moralité et passa la nuit avec elle. Facteur aggravant, nous conte le poète, l’homme n’était pas marié avec sa partenaire de passage, mais, pire encore, il ne se lava pas de son péché (en le confessant), avant de prendre la route de Compostelle. C’est ainsi que le diable, attiré par l’odeur du coupable péché, lui apparût en chemin. « Blanc comme une hermine« , le Malin, qui avait pris l’apparence de Saint-Jacques de Compostelle, prétendit vouloir sauver le pécheur et lui demanda pour cela de s’amputer du membre par lequel il avait fauté, avant de se trancher le cou.

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Enluminure du pèlerin trahi par le diable

Désireux d’échapper aux affres de l’Enfer, le dévot pèlerin suivit scrupuleusement les perfides consignes et, après s’être émasculé, il mit fin à ses jours, en s’ouvrant la gorge. De crainte d’être accusés de l’avoir occis, ceux qui l’accompagnaient s’enfuirent et les démons vinrent bientôt chercher l’âme de l’infortuné pour la porter avec eux, aux enfers. L’affaire ne fut pourtant pas si simple car, comme leur cortège passait devant une belle chapelle dédiée à Saint-Pierre, Saint-Jacques en personne, en sortit pour s’interposer. Le pèlerin avait été trompé en son nom et l’âme égarée ne pouvait être conduite aux enfers ; c’est la ruse du Diable, autant que la grande foi de l’homme en la parole usurpée du Saint, qui l’avaient, en effet, conduit au suicide et non sa propre volonté. Les démons, de leur côté, argumentèrent que, comme le pécheur s’était donné la mort de ses propres mains, il devait être conduit, sans délai, devant l’ange déchu.

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Enluminure du pélerin sauvé par Saint-Jacques

Voyant que le débat demeurait sans issue, Saint-Jacques fit appel au jugement de la Sainte-Mère, dont même les démons ne pourraient que convenir de l’impartialité. Dans sa grande mansuétude, la vierge ne donna pas cause à ces derniers et l’âme du pèlerin que la perfidie du Malin avait poussé à l’irréparable, fut retournée dans son corps, afin qu’il puisse vivre :  « Non é gran cousa se sabe bon joyzo dar a Madre do que o mundo tod’ á de joigar.« . Ce n’est pas très étonnant qu’elle sache bien juger, la Mère de celui qui, dans le monde entier, est juge de toute chose. 

Suite à cela, l’homme put faire pénitence et servit Dieu, le reste de sa vie. L’appendice par lequel il avait péché ne lui fut, toutefois, pas restitué.


NB : concernant la traduction, merci de prendre en compte qu’elle n’a la prétention que d’être indicative.  Comme ce n’est pour l’instant qu’un premier jet, elle comporte encore certaines imperfections. 

Esta é como Santa María juïgou a alma do Roméu que ía a Santïago, que se matou na carreira por engano do dïabo, que tornass’ ao córpo e fezésse pẽedença.

Celle-ci raconte comment Marie a jugé l’âme d’un pèlerin qui allant à Santiago de Compostelle, s’était tué en chemin après avoir été trompé le diable, de sorte qu’elle la fit retourner dans son corps pour qu’il fasse pénitence.

Mui gran razôn é que sábia dereito
quen Déus troux’ en séu córp’ e de séu peito
mamentou, e del despeito
nunca foi fillar;
porên de sen me sospeito
que a quis avondar.

Non é gran cousa se sabe | bon joyzo dar
a Madre do que o mundo | tod’ á de joigar.

Il est très juste que celle qui fit croître Dieu dans son corps, le nourrit de son sein, et ne l’a jamais mécontenté, soit capable de juger justement, car j’ai confiance qu’il l’a doté en abondance (de grands dons).

Ce n’est pas chose étonnante qu’elle sache bien juger
la Mère de celui qui, dans le monde entier, est juge de toute chose. 

Sobr’ esto, se m’ oissedes, diria
dun joyzo que deu Santa Maria
por un que cad’ ano ya,
com’ oý contar,
a San Jam’ en romaria,
porque se foi matar.
Non é gran cousa se sabe | bon joizo dar…

A ce propos, si vous m’écoutez, je vous parlerai d’un jugement que fit Sainte Marie pour un qui chaque année, allait, comme je l’entendis conter, en pèlerinage à Saint-Jacques de Compostelle où il se  donna la mort.
Refrain…

Este romeu con bõa voontade
ya a Santiago de verdade;
pero desto fez maldade
que ant’ albergar
foi con moller sen bondade,
sen con ela casar.
Non é gran cousa se sabe | bon joizo dar…

Ce pèlerin de bonne volonté se rendait vraiment à Santiago mais, il se comporta mal, car avant de prendre la route, il coucha avec une femme de peu de moralité, sans être marié avec elle.
Refrain…

Pois esto fez, meteu-s’ ao caminno,
e non se mãefestou o mesquinno;
e o démo mui festinno
se lle foi mostrar
mais branco que un arminno,
polo tóst’ enganar.

Cela fait, il se mit en chemin sans confesser son péché, le mesquin, et le démon  très rusé se manifesta à lui, plus blanc qu’une hermine, pour le tromper totalement.
Refrain…

Semellança fillou de Santïago
e disse: “Macar m’ éu de ti despago,
a salvaçôn éu cha trago
do que fust’ errar,
por que non cáias no lago
d’ iférno, sen dultar.
Non é gran cousa se sabe | bon joízo dar…

Sous l’apparence de Saint-Jacques , il lui dit « Même si je devrais te donner le bâton, je vais t’apporter le salut car tu t’es égaré, pour que tu ne tombes pas dans le lac de l’enfer,  qui t’attend sinon. »
Refrain…

Mas ante farás esto que te digo,
se sabor ás de seer méu amigo:
talla o que trages tigo
que te foi deitar
en poder do ẽemigo,
e vai-te degolar.”
Non é gran cousa se sabe | bon joízo dar…

Mais avant cela tu feras ce que je te dis, si tu as le désir d’être mon ami
coupe la partie de toi qui t’as fait tomber au pouvoir de l’ennemi et ensuite, tranche toi la gorge.
Refrain…

O romeu, que ssen dovida cuidava
que Santiag’ aquelo lle mandava,
quanto lle mandou tallava;
poi-lo foi tallar,
log’ enton se degolava,
cuidando ben obrar.
Non é gran cousa se sabe | bon joizo dar…

Le pèlerin, qui était persuadé que Santiago était celui qui lui avait  commandé de tout couper, trancha tout  et ensuite il s’ouvrit la gorge, en croyant bien faire.
Refrain…

Séus companneiros, poi-lo mórt’ acharon,
por non lles apõer que o mataron,
foron-s’; e lógo chegaron
a alma tomar
démões, que a levaron
mui tóste sen tardar.
Non é gran cousa se sabe | bon joizo dar…

Ses compagnons, par la suite, trouvèrent le mort et de peur qu’on les accuse de l’avoir tué, s‘enfuirent; et après cela, les démons arrivèrent pour prendre l’âme et l’emportèrent sans tarder.
Refrain…

E u passavan ant’ ha capela
de San Pedro, muit’ aposta e bela,
San James de Conpostela
dela foi travar,
dizend’: «Ai, falss’ alcavela,
non podedes levar
Non é gran cousa se sabe | bon joizo dar…

Et ainsi ils passèrent devant une chapelle de Saint Pierre, très belle et bien entretenue.  Et Saint-Jacques de Compostelle est venu vers eux, en disant:  » Ohé, faux trafiquants !, vous ne pouvez emporter
Refrain…

A alma do méu roméu que fillastes,
ca por razôn de mi o enganastes;
gran traïçôn i penssastes,
e, se Déus m’ampar,
pois falssament’ a gãastes,
non vos póde durar.”
Non é gran cousa se sabe | bon joizo dar…

L’âme de mon pèlerin que vous avez prise de force et qu’en vous servant de moi, vous avez trompé. Grande trahison vous fîtes là et si Dieu me protège, vous ne pouvez persister dans cette erreur, à votre guise,
Refrain…

Responderon os demões louçãos:
«Cuja est’ alma foi fez feitos vãos,
por que somos ben certãos
que non dev’ entrar
ante Deus, pois con sas mãos
se foi desperentar.»
Non é gran cousa se sabe | bon joizo dar…

Les démons répondirent : « Ceci est une âme dévoyée (rendue vide), car nous sommes bien certains qu’elle ne doit pas se présenter face à Dieu, puisque qu’elle s’est donnée la mort de ses propres mains ».
Refrain…

Santiago diss’: «Atanto façamos:
pois nos e vos est’ assi rezõamos,
ao joyzo vaamos
da que non á par,
e o que julgar façamos
logo sen alongar.»
Non é gran cousa se sabe | bon joizo dar…

Santiago dit : « Regardons les choses en face, puisque vous et moi ne pouvons nous accorder, faisons appel au jugement de celle qui est impartiale afin de nous fier ensuite à son jugement, sans plus tergiverser.
Refrain…

Log’ ante Santa Maria veron
e rezõaron quanto mais poderon.
Dela tal joiz’ ouveron:
que fosse tornar
a alma onde a trouxeron,
por se depois salvar.
Non é gran cousa se sabe | bon joizo dar..

Puis ils vinrent face à Sainte-Marie et argumentèrent autant qu’ils purent
Et celle-ci rendit tel jugement que l’âme  fut renvoyée  d’où elle venait pour qu’elle puisse ensuite, être sauvée.
Refrain ….

Este joízo lógo foi comprido,
e o roméu mórto foi resorgido,
de que foi pois Déus servido;
mas nunca cobrar
pod’ o de que foi falido,
con que fora pecar.

Ce jugement fut bientôt exécuté et le pèlerin mort fut ressuscité
après quoi il servit Dieu le reste de sa vie ;  Mais sans jamais retrouver ce par quoi il avait failli et avec quoi il avait péché.
Refrain …


Retrouvez l’index des Cantigas de Santa Maria traduites en français actuel et présentées par les plus grands ensembles de musique médiévale,

Une très belle journée à tous.
Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes.

« Moult m’anue d’iver ke tant ait dureit », Colin Muset fine amant au renouveau saisonnier

trouvere_poesie_medievale_chansons_lyrique-courtoise_moyen-ageSujet : chanson médiévale, poésie médiévale, trouvère, auteur médiéval, vieux-français,  fine amant, lyrique courtoise, amour courtois.
Période : moyen-âge central, XIIIe siècle.
Auteur ; Colin Muset (1210-?)
Titre : « Moult m’anue d’iver ke tant ait dureit.»
Ouvrage : Les chansons de Colin Muset, par Joseph Bédier, avec la transcription des mélodies par Jean Beck. Paris, Champion, 1938.

Bonjour à tous,

P_lettrine_moyen_age_passion-copiaour avancer dans notre exploration du répertoire des trouvères du moyen-âge central, nous vous présentons, aujourd’hui, une nouvelle pièce de Colin Muset.

Si ce poète médiéval a mis dans nombre de ses chansons, une touche personnelle d’humour et même de truculence rafraîchissantes, il épouse, ici, de manière plus sage, les formes « classiques » de la lyrique courtoise : les saisons y reflètent les états émotionnels du poète et, contre l’hiver, l’arrivée du beau temps et du rossignol l’inspireront et le mettront en joie. Ce sera le moment idéal pour louer la dame chère à son cœur et qui n’a que des qualités, dont la moindre n’est pas de lui avoir cédé. Enfin, dans un « siècle » qui compte bien peu de courtoisie, nous dit-il, il est bien décidé à demeurer, de son côté, contre les fous, les vilains et autres rustres, un fine amant parfait.

Sources manuscrites

On ne retrouve cette pièce que dans un seul manuscrit d’époque : le Chansonnier français C, encore référencé Cod 389. Daté de la fin du XIIIe siècle, ce codex est conservé à la Burgerbibliothek de Berne et vous pouvez le consulter au lien suivant.

La notation musicale de cette chanson ne nous est, hélas, pas parvenue et il faut encore noter, à son sujet, que sa versification assez inusuelle la démarque clairement du reste de l’oeuvre de Colin Muset. De fait, contre le copiste du manuscrit de Berne, Gaston Paris avait émis quelques doutes sur son attribution. Dans son édition de 1938 (op cité), Joseph Bédier a, quant à lui, fait le choix de se fier au manuscrit et de la maintenir dans les compositions du trouvère. C’est un débat qui reste ouvert entre médiévistes et on en trouvera quelques subsides, notamment chez le spécialiste de littérature médiévale Alain Corbellari, dans son ouvrage Joseph Bédier: écrivain et philologue, paru chez Droz, en 1997.

poesie_medievale_amour_courtois_colin-muset_moyen-age_manuscrit_benr_389_chansonnier-C-s
Colin Muset, dans le Chansonnier Trouvère C de la Burgerbibliothek de Berne

Moult m’anue d’iver ke tant ait dureit
en vieux français avec clefs de vocabulaire

I
Moult m’anue d’iver ke tant ait dureit
Ke je ne voi rossignor en bruel ramei* (sur un buisson feuillu),
Et, dès ke je voi lou tens renoveleit,
Si me covient ke je soie en cest esteit
Plux mignos* (gracieux) et envoixiez *(enjoué) ke n’aie esteit.

Il
Bone dame belle et blonde l’a loweit* (loué, approuvé),
S’est bien drois* (juste) ke j’en faice sa volenteit,
Ke j’avoie tout le cuer desespereit.
Par son doulz comandement l’ay recovreit ;
Or ait mis en moult grant joie mon penseir.

III
Jai* (jamais) de joie faire ne serai eschis* (rétif, exempté),
Pues ke ma dame le veult, a simple vis,
Et g’i ai si por s’amor mon penseir mis
Ke ne poroie troveir, ce m’est avis,
Dame de si grant valor ne de tel prix.

IV
Medixant* (les médisants) ont tout le mont en mal poent mis,
Ke li siècles n’est maix cortois ne jolis,
Et nonporcant* (cependant) ki seroit loiauls amis,
K’il ne fust fols ne vilains ne mal apris,
Cil poroit avoir grant joie a son devis. (à sa disposition, à discrétion)

V
Sa biaulteis et sui vair ueil (yeux bleus) et ces doulz ris* (rires)
Me tiennent mignot et gai ; plux seus jolis
Ke je n’avoie ains esteit, ce vos plevis* (je vous le certifie).

*
*     *

C’est por la millor ki soit jusc’a Paris.

En vous souhaitant une belle journée.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com.
A la découverte du Moyen-Age sous toutes ses formes.

L’Ensemble médiéval Vox in Rama dans les pas de Saint-Antoine l’égyptien

ordre_des_antonins_freres-hospitaliers_moyen-age_central_mal-des-ardents_mystique-chretienneSujet : musique médiévale, mystique chrétienne, Saint-Antoine l’égyptien,  
Période : M
oyen Âge central à tardif
Auteurs : Guillaume Dufay
(et divers)
Ensemble : Vox in Rama
Concert :  Chants de dévotion à Saint-Antoine
,  église Saint-Antoine des Quinze-Vingts,
57 Rue TraversièreParis 12e.
Date : le Samedi 6 avril 2019 à 20h30

Bonjour à tous,

A_lettrine_moyen_age_passionprès avoir fait vibrer son public, au son de la musique, des visions et de la médecine de la mystique rhénane Hildegarde de Bingen, l’Ensemble Vox-in-Rama et son directeur artistique Frédéric Rantières ont décidé, cette année, de nous entraîner sur les traces de Saint-Antoine l’égyptien et des musiques et chants donnés en son honneur,  du Moyen Âge tardif aux siècles suivants.

Fruit d’un long travail de recherche et de restitution, auquel le bel ensemble médiéval nous a désormais habitué, le programme proposera des extraits de la messe composée par Guillaume Dufay en l’honneur du Saint, enrichis de chants tel qu’on pouvait les entendre durant ce même XVe sièclechants-chretiens-medievaux_saint-antoine_vox-in-rama_moyen-age_central_s, à l’occasion des fêtes de Saint-Antoine.

Dans l’esprit du spectacle vivant et pour favoriser une immersion complète, ce concert, unique en son genre, mêlera encore, aux voix et à la musique, la présentation d’iconographies et de textes anciens autour du Saint et de sa vie.

A noter que ce programme se présente comme l’avant-première d’un album qui sera enregistré, en octobre prochain, à l’église abbatiale de Saint-Antoine l’Abbaye. Effectuée en partenariat avec l’Association Française des Amis des Antonins, l’opération a même donné lieu à un appel à souscription, limité dans le temps, qui propose, dores et déjà, sous forme de pré-commande, l’acquisition du CD à tarif préférentiel, :  pour plus d’informations à ce sujet, cliquez ici

Saint-Antoine l’Egyptien, père du monachisme et de l’érémitisme chrétien

Grand mystique des premiers siècles de l’ère chrétienne, Saint-Antoine est considéré comme le père fondateur du monachisme et de l’érémitisme chrétien.

Né en Egypte, autour de l’an 251, il serait mort plus d’un siècle plus tard, en 356, à l’âge vénérable de 105 ans. Bien qu’issu d’une famille plutôt aisée, celui que l’on connait encore sous le nom d’Antoine le Grand ou Antoine l’Ermite, fait partie de ces saints qui ont fait le vœu de suivre le chemin christique, à la lettre.

L’histoire conte, en effet, qu’à peine âgé de 20 ans, après avoir entendu lire des passages de l’évangile, il fit saint-antoine-egyptien_ordre-des-antonins_musique-medievale_mystique-chretienne_Moyen-agedon de toutes ses possessions aux déshérités, avant de faire le choix de se retirer dans l’érémitisme. Suite à cela, il consacra, de longues années de sa vie à une quête mystique de la vérité chrétienne,  dans la solitude et dans l »ascèse.

Tenté maintes fois par le diable dans ses retraites, assailli par d’incessantes visions démoniaques, son hagiographie est pavé d’exemplarité et de récits de résistance contre les assauts du Malin. A travers toutes ses luttes, le Saint s’y révèle comme un véritable soldat du Christ et on le trouvera encore auteur de nombreux miracles. Ses combats ne se limitèrent pas au domaine spirituel puisque, en 311, âgé de 60 ans, il se rendit à Alexandrie pour assister les chrétiens oppressés par la 10e persécution de Maximin.

En lisant le récit de sa vie, on apprend encore que, durant ses longues années d’isolement volontaire. s’il répondait aux visiteurs ou quêteurs qui venaient le questionner, quand ceux-ci se faisaient trop pressants ou que l’exigence de son chemin intérieur lui commandait, il n’hésitait pas à reprendre la route pour s’enfoncer plus loin dans le désert, et y retrouver le calme et la solitude qui lui étaient chers. Du reste, il le fit même après s’être entouré de disciples et avoir crée de nombreux monastères et on ne se surprend pas qu’il est hérité, entre autres titres, de celui de père et protecteur des Ermites.

C’est le récit de la vie de Saint-Antoine par Saint Athanase (296-373), lui même contemporain du religieux, qui contribua à faire connaître ce grand mystique et à le rendre populaire dans tout l’orient et l’occident chrétiens des premiers siècles, bien avant le Moyen Âge central.

L’ordre médiéval des Antonins
contre le mal des ardents

Vers la fin du XIe siècle, en 1070, Guigues Disdier et Jocelin de Châteauneuf, deux nobles dauphinois de retour de Constantinople,  firent porter en leur petit village de la Motte-aux-bois, dans le département de l’Isère actuel, les reliques de Saint-Antoine. On contait alors qu’elles avaient le pouvoir de guérir notamment l’ergotisme, connu sous le nom de « Mal des ardents », « feu sacré » ou même « feu de l’enfer ».

Ce terrible fléau, dû à un parasite, l’ergot de seigle, sévit un nombre incomptable de fois,  durant le Moyen Âge, en empoisonnant cette céréale dont on usait, à grand renfort, pour faire le pain. De ses formes convulsives ou hallucinatoires à ses formes bien plus virulentes et gangreneuses, les symptômes de ce mal demeuraient aussi douloureux que terrifiants et on devait aller, dans les cas les plus critiques, jusqu’à l’amputation, quand il n’emportait pas simplement ses victimes.

De la communauté charitable à l’ordre religieux

Dans les vingt ans qui suivirent l’arrivée des reliques du Saint, le village dauphinois se changea en terre de pèlerinage et vit affluer nombre de ceux que le mal des ardents mettait à la torture. L’endroit avait été rebaptisé Saint-Antoine-en-Viennois et allait devenir Saint-Antoine l’Abbaye.

Un prieuré y fut fondé par les bénédictins pour protéger les reliques et pour faire les offices et la guérison miraculeuse d’un noble du nom de Guérin de Valloire,  en 1089, entraîna bientôt la création par ce dernier d’un communauté charitable et d’un établissement d’accueil et de soins aux malades.

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Ci contre La tentation de Saint-Antoine,  Matthias Grunewald (fin XVe, début XVIe), Musée d’Unterlinden de Colmar.  détail. en bas à gauche malade frappé du feu de Saint-Antoine)

A plus d’un siècle de là, en 1218, la communauté fut reconnue comme monastique par l’Eglise romaine et, 80 ans plus tard, au Concile de Clermont, elle devint l’Ordre hospitalier des chanoines réguliers de St Antoine de Viennois ; l‘Ordre des Antonins était né.

Ce même XIIIe siècle vit  émerger quelques conflits entre l’ordre naissant qui ne cessait d’accueillir de nouveaux frères et les bénédictins, en charge des reliques, et c’est le pape lui-même qui mit fin aux tensions, en se rangeant au parti des frères dévots à Saint-Antoine.

Du dauphinois aux confins de l’Europe médiévale

De fait, les années qui suivirent marquèrent une période de développement, sans précédent, de l’ordre des Antonins. Il finira par s’étendre, bien au delà des frontières dauphinoises, pour être reconnu jusqu’aux confins de l’Europe médiévale.

Dans la première moitié du XIVe siècle, plusieurs centaines d’établissements de soins avaient ainsi essaimé sur les routes des pèlerinages de Compostelle à la Terre Sainte et partout où le mal des Ardents sévissait, les frères antonins semblaient être présents pour lui barrer la route. L’ordre monastique qui pratiquait même ma chirurgie et l’amputation quand la gangrène l’imposait, donna même le jour à quelques médecins de grand renom.

Déclin et disparition

A partir du XVe siècle pourtant, le recul du mal des ardents, autant que l’émergence d’autres ordres hospitaliers signèrent le début du déclin de l’ordre. A titre indicatif en 1478, on dénombrait encore 220 commanderies, prieurés et hôpitaux, dans toute l’Europe. A la découverte au XVIe siècle du parasite fauteur de troubles, les frères de Saint-Antoine continuèrent de soigner, mais sans pour autant parvenir à freiner la marche vers leur inéluctable disparition.

Cette dernière perdurera tout au long du XVIIe pour voir finalement l’ordre des Antonins s’éteindre, en 1776, date à laquelle il sera rattaché à celui des Chevaliers de Malte. Si on ne le retrouve plus sur les terres d’occident après cette date, il est encore présent de nos jours, dans quelques zones du Moyen-Orient.

saint-antoine-le=-grand_musique-medievale_plain-chant_moyen-agePour revenir à cette belle incursion que nous propose Vox-in-Rama au carrefour de la musicologie, des chants sacrés et du monachisme médiéval, en célébration de Saint-Antoine et de son ordre occidental,  le concert sera donné le Samedi 6 avril 2019 à 20h30, en l’église Saint-Antoine des Quinze-Vingts, dans  le 12e arrondissement de Paris. .

En vous souhaitant une belle journée.

Fred
Pour Moyenagepassion.com
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Sources Complémentaires

La vie de Saint-Antoine par Saint Athanase, traduction de Charles de Rémondange, 1874, sur Gallica.fr

Vie de Saint Antoine le grand patriarche des Cénobites,
par l’Abbé Verger,1890, sur Gallica.fr

Notice historique sur la vie de Saint-Antoine l’égyptien,
Commune de Saint-Antoine le Château