Sujet : poésie médiévale, nouveau testament, mystère, valeurs chrétiennes médiévales, auteur médiéval, drame, théâtre médiéval, poésie morale Période : Moyen Âge tardif, XVe siècle. Œuvre : Le Mystère de la Passion (1486) Auteur : Jean Michel (1435 -1501)
Bonjour à tous,
até de 1458, le Mystère de la Passion de Arnould Gréban fut un Mystère chrétien très prisé du Moyen-âge tardif. On peut le trouver publié, en 1878, par deux célèbres médiévistes du XIXe siècle : Gaston Paris et Gaston Raynaud. Pourtant ce n’est pas cette pièce originale qui nous intéresse, aujourd’hui, mais sa version remaniée, quelques trente ans plus tard, vers la fin du XVe siècle.
Le Mystère de la Passion de Jean Michel
Publiée pour la première fois en 1486, la pièce en question porte le même nom que celle qui l’avait inspirée. Elle est signée de la main d’un grand dramaturge angevin du nom de Jean Michel. Si on doit, par ailleurs, à ce même auteur médiéval, l’écriture d’un autre mystère (celui de la Résurrection), sa réécriture du Mystère de la passion fut si heureuse et talentueuse qu’elle en vint même à éclipser l’œuvre originale de Arnould Gréban.
C’est donc de l’œuvre de Jean Michel que sont extraits les vers que nous partageons avec vous ici. La scène est inspirée du Nouveau Testament ; le vieux pêcheur Zébédée y donne à ses deux fils, Jacques et Jean, une leçon de vie profonde. On se souvient que, selon les évangiles, les deux jeunes gens deviendront bientôt deux grands apôtres du Christ. Ce dernier en fera, en effet, des « pécheurs d’hommes » dans une autre scène bien connue des écritures.
Dans un style d’une grande pureté, Jean Michel nous expose ici des valeurs qui sont au cœur du monde chrétien médiéval : humilité, contentement, simplicité. En prenant un peu de hauteur et au delà de la référence biblique et purement chrétienne, on pourra voir ici une leçon plus générale sur le sens de la vie.
Pour ceux que ce mystère de la passion, au complet, intéresserait, sa version papier semble, pour l’instant, assez difficile à trouver. Le plus simple serait, sans doute, de miser sur une réédition d’un ouvrage qui lui avait été consacré en 1959. Le titre en est : Le mystère de la Passion (Angers 1486), édité par Omer Jodogne. Pour l’instant, il ne semble pas disponible en ligne mais votre libraire préféré saura, peut-être, comment vous le procurer. Si ce n’est pas le cas, il vous faudra vous contenter de sa version numérique que vous pourrez emprunter pour quelques jours, sur le site archive.org. Vous trouverez, sinon, d’autres extraits de ce Mystère de la Passion selon Jean Michel (dont celui du jour), dans l’ouvrage Morceaux choisis des auteurs français, poètes et prosateurs, de Louis Petit de Julleville (1901).
Pour ce qui est de sa traduction, son moyen français ne pose pas de difficultés particulières, aussi nous ne vous donnons ici que quelques menues clefs de vocabulaire.
La leçon du pêcheur Zébédée et ses deux fils
Extrait du Mystère de la Passion de Jean Michel
Mes enfans, congnoissés que c’est De nostre povre vie humaine : En ce monde n’a point d’arrest, Le temps court ainsi qu’il nous maine; Et qui quiert* (veut) richesse mondaine la fault gaigner loyaulment, Ou encourir d’enfer la peine, A jamais perdurablement.
J’ay en povre simplicité Vescu sans avoir indigence; Je vy selon ma povreté ; Si j’ay petit, j’ay patience. Mes enfans, j’ay mis diligence A pecher et gaigner ma vie ; Assés a qui a suffisance. Des grans biens n’ay je point envye.
Jehan et Jaque, or aprenés A congnoistre vent et marée; Si tous deulx mon mestier tenés, Vous vivrez au jour la journée. Si vous avez bonne denrée, Vendés bien, et a juste pris, Et merciés Dieu la vesprée* (au soir) De tout ce que vous aurés pris.
En vous souhaitant une très belle journée.
Frédéric EFFE.
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Sujet : ballade médiévale, fine amor, amour courtois, loyal amant, poésie médiévale Période : XIVe siècle, Moyen Âge tardif Titre : Se je vous aim de fin loyal corage Auteur : Guillaume de Machaut (1300-1377)
Bonjour à tous,
u début du XIVe siècle, Guillaume de Machaut s’est signalé par la qualité de ses compositions musicales et poétiques dans le domaine liturgique, comme dans la sphère du profane. Au sein de cette dernière, il a donné libre cours à des sentiments et des émotions plus intimes et c’est sur ce terrain que nous le retrouvons, ici, avec une ballade courtoise.
Les aventures amoureuses d’un poète à l’automne de sa vie
L’identité questionnée de la demoiselle
Certains spécialistes de littérature médiévale ont été de l’avis qu’une partie des chansons d’amour ou des poésies du compositeur du Moyen Âge tardif, dont celle du jour, fut adressée à Agnès de Navarre (1334-1396). Fille du roi Philippe III de Navarre, la jeune princesse, de descendance capétienne, avait été l’élève de Machaut et des médiévistes Prosper Tarbé comme chef de file, ont déduit qu’elle avait pu devenir la muse du compositeur en matière de Fine Amor. La correspondance amoureuse de Machaut, notamment dans Le Livre du Voir- Dit ferait ainsi l’étalage de cette relation. D’autres experts du XIXe siècle, comme P Paris (Le livre du Voir Dit de Guillaume de Machaut, 1875) ont contesté cette hypothèse, en mettant en avant une jouvencelle du nom de Péronne d’Armentières.
La ballade du jour dans le Manuscrit Français 9221 (XIVe s) – Guillaume de Machaut, oeuvres narratives et lyriques, BnF dept des manuscrits.
Nous n’avons pas, ici, la prétention de mettre tous ces médiévistes d’accord. Indépendamment de l’identité de la jeune fille, nous nous contenterons simplement de retenir le fond des mésaventures amoureuses rapportées par Guillaume de Machaut. Elles mettent en scène un auteur médiéval, plus tout à fait dans la fleur de l’âge. Borgne, souffreteux, il a largement dépassé la cinquantaine et la damoiselle qui fait l’objet de ses transports n’a pas encore 20 ans.
Amour Vache ?
Si ce n’était anachronique et aussi un peu cruel, on pourrait être tenté de sourire de certains aspects de cette histoire. Dans Les poètes français, recueil des chefs d’oeuvre de la poésie française, 1861) Eugène Crépet évoque, par exemple, un Guillaume de Machaut sage et presque prude. Sous les avances de la jeune femme, le poète aurait fini par céder en devenant le loyal amant de cette dernière, au moins sur le plan des rimes et des correspondances. Face à lui, l’historien du XIXe siècle nous dépeint une muse plutôt exigeante. Nourrie par les flatteries du poète médiéval vieillissant, le jeune femme se montre insatiable, autant d’ailleurs, qu’immature à bien des égards.
Au vue de son âge, on ne peut guère l’en blâmer même si tout cela donne un peu l’impression que le vieil amant lettré se trouve, au passage, légèrement « chosifié ». La demoiselle avait, notamment, un peu trop le goût, selon ce dernier, d’étaler ses correspondances privées à la vue de tous. Ce dernier aurait, sans doute, préféré les voir couvertes d’un peu plus de mystère et de discrétion, mais, au delà, il pensait même faire l’objet de moqueries. Nous citons ici Machaut de seconde main en suivant encore les pas de Crépet :
« Uns riche home, qui est très-bien mes sires et mes amis, m’a dit et pour certain que vous monstres à chascun tout ce que je vous envoie, dont il semble à plusieurs que ce soit une moquerie… car il semble que ce soit pour vous couvrir, douce dame, et faire semblant d’un autre amer. »
La jeune femme nia. L’incident fut lavé. Le doute a traversé l’Histoire. Mais, comme on le verra dans cette ballade, la jeune femme finit par prendre un homme en épousailles et par rompre cette relation littéraire, de manière « littérale ». Au passage, ceux qui penchent en faveur d’Agnès de Navarre, (Crépet en est), mettent en avant Gaston Phébus, le lion des Pyrénées, dans le rôle de l’époux. Qu’il s’agisse ou non d’elle, la pièce du jour est un lointain témoin de cet idylle voué à l’échec.
On notera que l’union officielle de la demoiselle, n’arrête pas le loyal amant qui continue de briguer sa place, dans le cœur de cette dernière. Il est assez frappant de constater, qu’au Moyen Âge et avec les jeux courtois, deux mondes bien cloisonnés semblent coexister l’un à côté de l’autre : celui de la littérature et des sentiments (de papier) d’un côté, et celui de la réalité sociale et des engagements réels de l’autre. Nous aurons l’occasion de revenir en détail sur tout cela dans un prochain article mais cette ballade en est un des signes marquant.
Une Ballade de Guillaume de Machaut « Se je vous aim de fin loyal corage »
Traduction d’Eugène Crépet (opus cité)
Se je vous aim de fin loyal corage, Vous ay amé et ameray toudis. Se vous avez pris autre en mariage, Doy je pour ce de vous estre ensus mis Et de tous poins en oubli? Certes nennil; car puis que j’ ay en mi Cuer si loyal qu’il ne saroit meffaire, Vous ne devez vo cuer de moy retraire.
Dame, je vous aime d’un cœur loyal, Je vous ai aimée et je vous aimerai toujours. Vous en avez pris un autre en mariage. Dois-je pour cela être rejeté de vous Et condamné à un entier oubli ? Non certes; puisque j’ai en moi Cœur si loyal qu’il ne saurait méfaire, Vous ne devez de moi retirer votre cœur.
Ains me devez tenir en vo servage Comme vo serf qu’ avez pris et acquis, Qui ne vous quiert villenie n’outrage; Et vous devez amer, j’ en suis tous fis, Vo mari com vo mari Et votre ami com vostre dous ami. Et quant tout ce poez par honneur faire, Vous ne devez vo cuer de moy retraire.
Vous devez me retenir en votre servage Comme votre serf que vous avez pris et acquis, Qui ne vous réclame ni vilenie ni outrage ; Et vous devez aimer, je le dis avec assurance, Votre mari comme votre mari, Et votre ami comme votre doux ami. Et quand vous pouvez faire tout cela sans blesser l’honneur: Vous ne devez de moi retirer votre cœur.
Et s’ il avient que cuer aiez volage, Onques amans ne fu si fort trahis Com je saray. Mais vous estes si sage, Et s’ est vos cuers si gentieument norris Qu’il ne deingneroit einsi Moy decevoir pour amer. Et se di : Puisque seur tout aim votre dous viaire, Vous ne devez vo cuer de moy retraire.
Et s’il advient que votre cœur soit volage, Jamais amant n’a été si misérablement trahi Autant que je le serai. Mais vous êtes si sage, Et votre cœur est si noblement appris, Qu’il ne voudrait pas ainsi Me tromper parce que j’aime. Aussi, je le répète : Puisque par-dessus tout je chéris votre doux visage. Vous ne devez de moi retirer votre cœur.
En vous souhaitant une très belle journée.
Frédéric EFFE
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Sujet : poésie médiévale, ballade, auteurs médiévaux, poètes, amour courtois, humour, loyal amant, poésie satirique Période : moyen-âge tardif, XVe siècle Auteur : Blosseville Manuscrit ancien : MS français 9223 Ouvrage : Rondeaux et autres poésies du XVe siècle de Gaston Raynaud (1889)
Bonjour à tous,
ous faisons suite, aujourd’hui, à notre article au sujet du Manuscrit MS 9223 de la BnF pour en présenter un nouvel auteur. Pour rappel, cet ouvrage du moyen-âge tardif et du XVe siècle contient des œuvres de Charles d’Orléans, mais aussi des rondeaux et ballades de nobles, poètes ou écrivains qui gravitaient autour de la cour de Blois et s’essayaient, eux aussi, à la rime.
Blosseville, poète mystère ?
On trouve dans le Ms français 9223, un nombre important de textes attribués au poète du nom de Blosseville qui nous intéresse ici. Le site Arlima émet même l’hypothèse que ce dernier pourrait être le compilateur du manuscrit en question. Pourtant, jusqu’à ce jour, les informations permettant d’identifier cet auteur, de manière certaine, font défaut et, après diverses hypothèses, les médiévistes ne semblent pas être parvenus aux mêmes conclusions. Pour vous en faire une idée, voici une petite synthèse des conclusions de G Raynaud et de Pierre Champion à son sujet.
Quelques pistes de G Raynaud à P Champion
Dans son ouvrage sur le Ms 9223 (op cité en tête d’article), Gaston Raynaud suit, peu ou prou, les conclusions de l’Abbé de La Rue dans ses Essais historiques sur les bardes, les jongleurs et les trouvères normands et anglonormands (1834). Sous le nom de Blosseville se cacherait ainsi un certain Hugues de Saint-Maard, vicomte de blosseville. D’origine Normande, cet écuyer et poète, aurait été un fidèle serviteur de Charles d’Orléans ; il aurait même assisté aux démarches permettant de libérer ce dernier de sa longue captivité, en Angleterre.
De son côté, l’érudit et bibliographe Pierre Champion taclera cette hypothèse. Dans un article daté de 1922 (remarques sur un recueil de poésies du milieu du XVe siècle, Pierre Champion, Romania, 1922), il identifiera deux autres nobles pouvant correspondre au Blosseville du Manuscrit. Le premier est un chevalier, baron de Blosseville, du nom de Pierre de Saint-Maard. Accompagné de deux archers, il aurait servi le roi pour recouvrir l’impôt dans le pays de Caux.
Le second, Jean de Saint-Maard était écuyer, seigneur et vicomte de Blosseville. Pierre Champion penche nettement en sa faveur pour l’attribution des poésies du MS 9223. L’homme aurait été maître des eaux et forêts de Picardie et de Normandie en 1471. Puis, deux ans plus tard, il aurait été nommé conseiller et maître d’hôtel du roi. Selon Champion toujours, il est probable que ce noble ait fait partie du cercle de Pierre de Brézé, grand Sénéchal de Normandie (lui-même protecteur de Villon). Les deux hommes auraient même pu venir ensemble à Blois, autour de 1458.
Legs et oeuvres
S’il est, donc, impossible de trancher sur la véritable identité de ce Blosseville, l’homme a légué une trentaine de poésies courtes, entre ballades et rondeaux. On les retrouve, dans leur grande majorité, dans le MS Français 9223. Toutes les pièces ne sont pas d’égale facture, ou n’ont pas traversé le temps avec une égale résistance mais le talent et les qualités stylistiques de ce poète restent indéniables. L’une de ses pièces fut même, un temps, attribuée par erreur à Villon, c’est peu dire.
On trouve encore quelques pièces plus longues attribuées à un Blosseville dans d’autres manuscrits (on admet, en général, qu’il s’agit du même auteur). On citera notamment l’Echiquier d’Amour ou le très heureux Débat du vieil et du jeune dont nous aurons l’occasion de publier quelques extraits, plus loin dans le temps.
Le mirage du loyal amant, moqué par Blosseville
Dans la ballade du jour, Blosseville se livrait à un exercice empreint d’humour et d’ironie sur le thème du loyal amant. Pour se situer au Moyen-âge tardif et presque à l’aube de la renaissance, était-il si loin de la thématique médiévale courtoise originelle ? A y regarder de plus près, pas tant que cela. Au fond, la courtoisie n’avait-elle pas mis, en son centre, le parfait amant, pour mieux en souligner ou en déplorer l’absence ? Dans cette compétition ouverte à la recherche d’un idéal amoureux masculin, nombre de poètes du moyen-âge se sont, en effet, dit loyaux, tout en clamant haut et fort n’en voir aucun autre qu’eux-même, autour d’eux, qui puisse en mériter le titre. La fine amor est exigeante et le loyal amant est une denrée rare. Depuis l’intérieur même de l’exercice littéraire courtois, le premier principe est que bien peu sont ceux pouvant réellement y prétendre.
Du reste, sans forcément s’en réclamer directement, certains auteurs médiévaux ne sont pas non plus privés de se gausser du fossé entre « belles paroles » et réalité des pratiques amoureuses. Citons Chrétien de Troyes, qui, déjà au XIIe siècle, avait donné, avec humour et ironie, toute la mesure de cette distance.
« Or est amor torné en fables, Por ce que cil rien n’en sentent Dient qu’ils aiment, et si mentent ; Et cil fable et mensonge en font, Que s’en vantent, et rien n’y ont. Mais por parler de celz qui furent, Laissons celz qui en vie durent, Qu’encor valt miex, se m’est avis, Un cortois mort qu’un vilain vis. » Chrétien de Troyes – Yvain ou le Chevalier au Lion.
A peine émergé dans la littérature, l’idéal du loyal amant semble déjà prendre des allures de mythe, pour se perdre dans une période révolue que l’on lamente. A l’image de la « vraie » chevalerie et sous la plume des poètes, l’espèce est en voie de disparition permanente tout au long du moyen-âge central, mais, finalement, depuis sa genèse même.
Dans cette ballade de Blosseville, on ne peut s’empêcher de voir à l’oeuvre ce lointain héritage satirique qui, dés l’émergence de la fine amor et du loyal amant, en soulignait déjà de l’intérieur, la difficulté ou la rareté, et de l’extérieur, la fausseté quand ce n’est pas la fatuité. Ici, du reste, l’auteur du XVe siècle ne prétend même pas entrer dans la compétition. L’exercice résonne plutôt comme une pure poésie de cour légère et drôle, prompte à faire rire un auditoire averti. Blosseville s’y tient à distance de son thème et en observateur pour mieux le moquer. Il y dépeint un univers fantastique et presque surréaliste (avant l’heure) qui, encore aujourd’hui, fait mouche et nous arrache un sourire.
Une ballade médiévale de Blosseville
« Quant tous amans seront loyaux«
Vous verrez toutes les rivieres, Les boys et les forestz bruler, Les champs aussi et les bruyeres, Les poissons tous en l’air voler, La mer tharir, les chiens parler, Buglez* (jeune boeuf, veau) courir mieulx que chevaulx, Enfans d’un an bien tost aller, Quant tous amans seront loyaux.
Toutes langues seront ouvrieres, De bien savoir conseil celer; Partout seront d’or les minieres, Les chievres sauront bien filler, Dieu fera les mons avallers, Les gens ne feront plus de maulx, Rien ne verrez dissimuler, Quant tout amans seront loyaulx.
Dyamans dedans les carrieres, Verrez aulx oliphans tailler, Les aneaux en toutes manieres, Au drommadoires esmailler, Les cerfs pour courre reculler, Les ours porter les grans chasteaulx, Chacun verrez esmerveiller, Quant tous amans seront loyaulx.
Prince, vous verrez batailler Encontre les loups les aigneaux, Les flebes les fors detailler* (mettre en pièces), Quant tous amans seront loyaulx.
En vous souhaitant une très belle journée.
Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com A la découverte du Moyen-Âge sous toutes ses formes
Sujet : poésie médiévale, ballade, auteurs médiévaux, poètes, amour courtois, Période : moyen-âge tardif, XVe siècle Auteur : Jean Meschinot (1420 – 1491) Alain Chartier (1385-1430) Manuscrit ancien : MS français 9223 Ouvrage : Rondeaux et autres poésies du XVe siècle de Gaston Raynaud (1889) & œuvres de Maistre Alain Chartier de André du Chesne Tourangeau (1667)
Bonjour à tous,
e ses premières formes, au XIIe siècle, jusqu’au Moyen-âge tardif et même au delà, l’amour courtois et son héritage ont traversé le temps. Aujourd’hui, nous le retrouvons au cœur du XVe siècle, avec un ballade très inspirée de JeanMeschinot.
Le manuscrit médiéval Ms Français 9223
On peut retrouver la ballade du jour dans un ouvrage d’intérêt, daté de la fin du XVe siècle : le Ms français 9223 conservé au département des manuscrits de la BnF.
« Recueil de ballades, rondeaux et bergerettes »
Consultable sur Gallica, ce manuscrit contient 109 feuillets et 195 pièces d’une quarantaine auteurs : certains confirmés, poètes ou écrivains de profession, d’autres s’étant essayé à la poésie, le temps de quelques compositions. Témoin de l’activité poétique qui régnait alors, autour de Charles d’Orléans, on y retrouve les œuvres de ce dernier, aux côtésde celles de Marie de Clèves (sa troisième épouse), Meschinot, mais aussi de poètes moins renommés. Une partie au moins des auteurs présents dans le Ms fr 9223 fréquentait assez régulièrement la cour de Blois et les cercles de poésies du duc d’Orléans et de Valois.
Effervescence poétique & défilés d’auteurs à Blois
Pour qui s’intéresse à la littérature de la fin du moyen-âge (ou des débuts de la renaissance suivant les points de vue), cet ouvrage possède un véritable intérêt ; vue de loin, la poésie du XVe siècle peut, en effet, sembler se résumer à deux auteurs que l’on reconnait (non sans raison), parmi les plus grands de leur temps : Charles d’Orléans et François Villon. En s’approchant un peu de cette période, on se rend, pourtant, vite compte qu’elle a vu naître d’autres poètes de talent ; nous avons déjà eu l’occasion d’ajouter à notre liste des Meschinot, des Alain Chartier, ou même encore des Michault Taillevent. Or, s’il n’est pas le seul manuscrit de poésie du XVe, le MS français 9223 nous permet de découvrir une foule d’autres auteurs. Certes, ses poésies peuvent s’avérer d’inégale qualité, mais on y trouve tout de même quelques pépites. Au delà, le style de tous ses auteurs, les thèmes abordés et la langue en usage nous aident aussi à mieux remettre en contexte et en perspective les œuvres des deux grands poètes susnommés.
Ajoutons aussi que ce manuscrit permet encore de se délecter de nombreuses pièces ayant fait l’objet de concours de poésie dont Blois était le théâtre.
Sources modernes du manuscrit
Parmi les médiévistes français des XIXe et XXe siècles qui se sont penchés sur le MS Français 9223, on citera Gaston Raynaud. Le moyen le plus rapide d’accéder à tous ces textes est d’ailleurs son ouvrage : « Rondeaux et autres poésies du XVe siècle« , daté de 1889. Comme on le verra, Pierre Champion a aussi apporté sa précieuse contribution sur ce sujet.
Une Ballade courtoise de Meschinot
Attribution
Le MS français 9223 attribue explicitement notre ballade du jour à Jean Meschinot. A date, ceci ne semble pas faire l’objet de grandes polémique chez les médiévistes mais il semble que de nombreux éditeurs éditeurs aient pourtant continué longtemps de la considérer comme étant de Charles d’Orléans. De fait, cette erreur se reflète encore, de nos jours, sur de nombreuses pages en ligne.
Dans un article au sujet du manuscrit, Pierre Champion (qui confirme cette attribution, conformément à l’ouvrage mais aussi à G. Raynaud) nous apprend encore que le poète a pu rencontrer Charles d’Orléans et même séjourner à Blois autour de 1457-1458 (Voir Persée : remarques sur un recueil de poésies du milieu du XVe siècle, Pierre Champion, Romania 1922). Pour l’anecdote et toujours selon P. Champion, le poète suivait alors le connétable de Richemont et était payé 5 écus par rondeau. Au vue de sa plus grande longueur, il est à supposer que la ballade devait être encore plus lucrative.
Un tableau saisissant du mal d’amour
Jusque là, nous avons plutôt présenté Jean Meschinot sous son jour satirique et politique (voir article sur Les lunettes des Princes) mais, pour varier un peu, c’est à l’exercice de la courtoisie que le poète du moyen-âge tardif, s’adonnait dans cette ballade ; elle est, du reste, propre au Ms Fr 9223 et on ne la trouve pas dans les Lunettes des Princes.
D’un point de vue courtois, le propos n’est pas ici centré sur le « loyal amant » et la mise en valeur de ses qualités. Il glisse plutôt, tout entier, vers le thème de la distance et de la souffrance avec l’objet du désir : l’amour de loin. Le poète breton se présente comme un être désespéré ayant perdu le goût de tout. Au delà de la virtuosité et de la maîtrise des formes qui caractérisent Meschinot, on relèvera, dans cette ballade, une grande modernité. Dans un long exposé de ses sentiments et de son ressenti, le poète dresse un tableau « psychologique » très détaillé du mal d’amour, on serait presque tenté de dire de la « dépression » amoureuse.
A près de six siècles de là et par delà les menues difficultés que peuvent soulever certaines de ses tournures, le fond de ce texte nous parle encore. Il faut aussi dire que Meschinot est de la veine de ces auteurs médiévaux qui n’hésitent pas, dans certains de leurs textes, à pratiquer une poésie « à cœur ouvert », en mettant en scène et en vers leurs propres déboires et souffrances. D’une manière générale, c’est ce type de textes qui ont le mieux résisté au temps par l’universalité de leurs thèmes : la pauvreté d’un Rutebeuf, les errances, les misères et la peur de la corde d’un Villon, les amers constats d’un Michaut Taillevent face à la vieillesse et au temps passé, le désamour d’un Meschinot ou même encore sa tentative désespéré d’en finir avec la vie. Autant de « Je » au bord du gouffre, dans lesquels nous pouvons encore facilement nous projeter, parce qu’ils pourraient être des « nous », des « soi ».
Pour compléter cette présentation, on notera avec Gaston Raynaud, que le refrain de cette poésie est inspirée très directement d’une ballade d’Alain Chartier. Nous ne résistons pas à reproduire cette dernière (en pied d’article) pour l’intérêt historique de la chose, même si, pardon de le dire, son style est largement plus « ampoulé » que celle de Meschinot.
« Puis que de vous aproucher je ne puis »
dans le moyen-français de Jean Meschinot
Plus ne voy rien qui reconfort me donne, Plus dure ung jour que ne souloient (ne le faisaient) cent, Plus n’est saison qu’a nul bien m’abandonne, Plus voy plaisir, et mains mon coeur s’en sent, Plus qu’oncques mais mon vouloir bas descent, Plus me souvient de vous, et plus m’empire, Plus quiers esbas, c’est lors que plus soupire, Plus fait beau temps, et plus me vient d’ennuys, Plus ne m’atens fors tousjours d’avoir pire, Puis que de vous aproucher je ne puis.
Plus vivre ainsi ne m’est pas chose bonne, Plus vueil mourir, et raison s’i consent, Plus qu’a nully Amours de maulx m’ordonne, Plus n’a ma voix bon acort ne assent, Plus fait on jeux, mieulx desire estre absens, Plus force n’ay d’endurer tel martire, Plus n’est vivant home qui tel mal tire, Plus ne cougnoys bonnement ou je suis, Plus ne sçay bref que penser, faire ou dire, Puis que de vous aproucher je ne puis.
Plus suis dollent que nulle aultre personne, Plus n’ay d’espoir d’aulcun alegement, Plus ay desir, crainte d’aultre part sonne, Plus cuide aller vers vous, mains sçay comment, Plus suis espris, et plus ay de tourment, Plus pleure et plains, et plus pleurer desire, Plus chose n’est qui me puisse souffire, Plus n’ay repos, je hay les jours et nuys, Plus que jamais a douleur me fault duire (m’habituer, me conformer), Puis que de vous aproucher je ne puis.
Plus n’ay mestier de jouer ne de rire, Plus n’est le temps si non du tout despire, (dédaigner, mépriser) Plus cuide avoir de doulceur les apuys, Plus suis adonc desplaisant et plain d’ire, Puis que de vous aproucher je ne puis.
Frédéric EFFE
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La Ballade de Chartier ayant inspiré Meschinot
Se fortune m’a ce bien, pourchassé, Envers amours, qui tant m’ont soustenu, Que vostre vueil soit au mien enchassé Le plus heureux comme le chier tenu, Vostre loyal serviteur retenu, M’amour, mon bien où sont tous mes apuiz: Si me semble-il que riens n’ay obtenu, Puis que de vous approcher je ne puis.
Enuie m’a durement dechassé, Tant qu’à peine me suis-je revenu, De la langueur où dueil m’avoit chassé, Sans concevoir que soye devenu. Mais de mes maulx il vous est souvenu, Si m’est allé de mieux en mieux depuis: Combien, Dame, que ce m’est mal venu, Puis que de vous approcher je ne puis.
Sobre amer dueil en amours exaulcé, Mot, ung tandis, puis à coup descongneu, Comme l’arbre de terre deschaussé, Quon veult tirer, & qui est incogneu: Tout ung de moy, se je suis mescogneu, Mieux me vauldra gecter dedans ung puis, Et ne vivre tant que soye chenu, Puis que de vous approcher je ne puis.
Princesse, las ! selon ce contenu, Mourir m’en vois le chief sur le chapuis, Les yeulx bandez, à force detenu, Puis que de vous approcher je ne puis.
Alain Chartier – Les Oeuvres de Maistre Alain Chartier
par André Du Chesne Tourangeau (1667)