Sujet : poésie, littérature renaissante, poète, poésies courtes, ballade, Noël, exercice de style. Période : début renaissance, XVIe siècle Auteur : Clément MAROT(1496-1544) Titre : « Du jour de Noël » Ouvrage : Oeuvres complètes de
Clément Marot, P. Jannet (1873) et divers.
Bonjour à tous,
ous publions aujourd’hui, une ballade de saison et de circonstance qui nous vient du XVIe siècle et de Clément Marot. Elle est dédiée aux fêtes de Noël et on y retrouve la légèreté à laquelle le poète nous a souvent habitué ici.
Peut-être est-ce une commande, comme le suppose le commentateur d’une édition des œuvres complètes du poète datant de 1731 (chez P. Gosse & J. Neaulme) qui nous dit encore, à juste titre, au sujet de cette poésie que « c’est un jeu d’esprit qui fait moins connaître le génie du poète que la fertilité de son imagination ».
En Bref, pas satirique, pas non plus totalement dévote, cette ballade reste plus proche d’un exercice de rhétorique ou de style. C’est une invitation légère à la fête et à l’amusement dans le pur esprit marotique et, en dehors de ses références bibliques nombreuses et certaines, il ne faut sans doute pas lui chercher plus de profondeur sur le fond. Au delà de sa thématique et sur sa forme, sa particularité reste que toutes ses rimes finissent en C et qu’on les retrouve aussi précédées des différentes voyelles de l’alphabet, au fil de la poésie : ac, ec, ic, oc, uc.
Ballade XI. Du jour de Noël
Or est Noël venu son petit trac*, (piste, chemin) Sus donc aux champs, bergieres de respec; Prenons chascun panetiere et bissac*, (besace) Fluste, flageol, cornemuse et rebec, Ores n’est pas temps de clorre le bec, Chantons, saultons, et dansons ric à ric*: ( avec application et rigueur) Puis allons veoir l’Enfant au povre nic, Tant exalté d’Helie, aussi d’Enoc*, (Elie, Henoch biblique) Et adoré de maint grand roy et duc; S’on nous dit nac, il faudra dire noc. Chantons Noël, tant au soir qu’au desjuc (1).
Colin Georget, et toy Margot du Clac. Escoute un peu et ne dors plus illec (ici, en ce lieu) : N’a pas longtemps, sommeillant près d’un lac, Me fut advis qu’en ce grand chemin sec Un jeune enfant se combatoit avec Un grand serpent et dangereux aspic; Mais l’enfanteau, en moins de dire pic, D’une grand’ croix luy donna si grand choc Qu’il l’abbatit et luy cassa le suc*(col, tête); Garde n’avoit de dire en ce defroc*(déroute, désastre) : Chantons Noël tant au soir qu’au desjuc.
Quand je l’ouy frapper, et tic et tac, Et luy donner si merveilleux eschec, L’ange me dit d’un joyeux estomac: Chante Noël, en françoys ou en grec, Et de chagrin ne donne plus un zec, (2) Car le serpent a esté prins au bric. Lors m’esveillay, et comme fantastic Tous mes troupeaux je laissay près un roc. Si m’en allay plus fier qu’un archiduc En Bethleem : Robin, Gauthier et Roch, Chantons Noël tant au soir qu’au desjuc.
ENVOY. Prince devot, souverain catholic, Sa maison n’est de pierre ne de bric, Car tous les vents y soufflent à grand floc; Et qu’ainsi soit, demandez à sainct Luc. Sus donc avant, pendons soucy au croc, Chantons Noël tant au soir qu’au desjuc.
(1) Desjuc : petit matin, moment où l’on se lève
(2) De zest : un rien, une chose sans valeur (glossaire d’un édition des oeuvres complètes de Marot, Edition Rapilly, Tome 3,1824 )
En vous souhaitant une belle journée.
Fred
Pour moyenagepassion.com A la découverte du moyen-âge sous toutes ses formes.
Sujet : poésie, littérature médiévale, ballade, poète médiéval, bourgogne, poète bourguignon, bourgogne médiévale, poésie réaliste, poésie morale, fortune. Période : moyen-âge tardif, XVe Auteur : Michault (ou Michaut) Le Caron, dit Taillevent ( 1390/1395 – 1448/1458) Titre : O folz des folz…
Bonjour à tous,
oici un nouvel extrait de la poésie de Michault Caron dit Taillevent. Loin du jeune auteur qui se faisait attaquer dans le bois de Saint-Maxence et contait dans La Détrousse,non sans un certain humour, sa malencontreuse aventure devant la cour du duc de Bourgogne, c’est un poète plus résolument moraliste que nous retrouvons ici. Tirée d’un traité de Sagesse appelé le régime de fortune et fait en référence à Horace, cette ballade est assurément plus une oeuvre de la maturité.
Les exigences et les caprices de Fortune
« Ce n’est que vent de la gloire du monde, A ung hasart tout se change et se cesse. » Michault Le Caron, dit Taillevent
Michault Taillevent nous rappellera ici cette notion de « Fortune » dont nous avons déjà parlé et qui se trouve être si importante au Moyen-âge. C’est ce sort, personnifié par sa roue qui tourne inexorablement. Symbole de l’impermanence et de l’arbitraire, elle vient sanctionner, de manière inéluctable l’impuissance des hommes à rien pouvoir saisir, ni tenir.
La Roue de Fortune, miniature médiévale de Maître de Coëtivy (Colin d’Amiens 1400-1450) grand maître enlumineur du XVe siècle.
C’est un fait bien établi, dans la vision chrétienne médiévale comme actuelle d’ailleurs, notre passage en ce bas monde matériel n’est que transitoire et n’a de raison que préparer notre entrée dans l’immatériel, le royaume du divin. Ce devrait ou pourrait être, en soi, une raison suffisante pour ne point s’obséder d’y accumuler biens et richesses puisque le chrétien ne pourra pas, quoiqu’il advienne, les emporter avec lui de l’autre côté de la rive et ils pourraient même l’alourdir au jour de sa mort et de son jugement, mais si cela ne suffisait pas à lui faire comprendre la vanité de l’entreprise, les exigences du sort et les caprices de Fortune viennent s’y ajouter. Dans les représentations médiévales, tous les hommes sans exception, du plus démuni au plus grand prince, y sont, en effet, soumis.
Présente dès l’antiquité, dans le monde médiéval chrétien, Fortune si elle prend, par instants, les traits d’une déesse ambivalente et capricieuse, puise sa raison d’être ou ses origines dans la bible et l’Ecclésiaste :
« Puis, j’ai considéré tous les ouvrages que mes mains avaient faits, et la peine que j’avais prise à les exécuter; et voici, tout est vanité et poursuite du vent, et il n’y a aucun avantage à tirer de ce qu’on fait sous le soleil. »
Ecclésiaste, 2 – 11
C’est visiblement sous l’influence du philosophe Boèce (480-524) qu’elle sera, quelques siècles plus tard, représentée sous la forme d’une roue et connaîtra de belles heures dans l’iconographie et les miniatures du moyen-âge, à partir du XIe siècle.
« Notre nature, la voici, le jeu interminable auquel nous jouons, le voici :
tourner la Roue inlassablement, prendre plaisir à faire descendre ce qui
est en haut et à faire monter ce qui est en bas. » Boèce – Consolation de Philosophie
« O folz des folz », ballade contre l’ambition
et les illusions de l’Avoir
Quoiqu’il en soit, se fier à la hauteur de son trône ou de sa position et s’en gargariser quand, d’aventure, Fortune vous a placé tout en haut, ne serait que pure déraison pour les auteurs du moyen-âge central. Le lendemain, elle peut tout aussi bien vous faire choir.
Se glorifier de ses possessions de ses richesses, les poursuivre, s’en croire même le juste détenteur ou, pire, l’artisan ? Folie ! Pure Vanité ! Contre fortune, il faut garder raison. On peut conter sur l’auteur du moyen-âge tardif pour nous le rappeler. Nus comme au premier jour, nantis pour seuls habits de ceux que la nature nous a donnés et de ses dons, il nous enjoint à nous contenter de peu, en nous souvenant des leçons de fortune et en nous rappelant ses droits.
O folz des folz, et les folz mortelz hommes, Qui vous fiez tant es biens de fortune En celle terre et pays ou nous sommes, Y avez vous de chose propre aucune ? Vous n’y avez chose vostre nesune* (*aucune, pas même une) Fors les beaulx dons de grace et de nature. Se fortune donc, par cas d’aventure, Vous toult* (*ôte) les biens que vostres vous tenez, Tort ne vous fait, ainçois vous fait droicture*,(*justice) Car vous n’aviez riens quant vous fustes nez.
Ne laissez plus le dormir a grans sommes En vostre lict, par nuit obscure et brune, Pour acquester richesses a grans sommes, Ne convoitez chose dessoubz la lune, Ne de Paris jusques a Pampelune, Fors ce qu’il fault, sans plus, a creature Pour recouvrer sa simple nourriture ; Souffise vous d’estre bien renommez, Et d’emporter bon loz en sepulture : Car vous n’aviez riens quant vous fustes nez.
Les joyeulx fruitz des arbres, et les pommes, Au temps que fut toute chose commune, Le beau miel, les glandes et les gommes Souffisoient bien a chascun et chascune, Et pour ce fut sans noise*(* bruit,querelle) et sans rancune. Soyez contens des chaulx et des froidures, Et me prenez Fortune doulce et seure. Pour voz pertes, griefve dueil* n’en menez,(*deuil douloureux) Fors a raison, a point, et a mesure, Car vous n’aviez riens quant vous fustes nez.
Se fortune vous fait aucune* (*quelque)injure, C’est de son droit, ja ne l’en reprenez, Et perdissiez jusques a la vesture : Car vous n’aviez riens quant vous fustes nez.
Michault Le Caron, dit Taillevent – Le régime de Fortune
En vous souhaitant une très belle journée.
Frédéric EFFE
Pour Moyenagepassion.com A la découverte du moyen-âge sous toutes ses formes.
Sujet : poésie médiévale, morale, réaliste, satirique, réaliste, ballade, moyen français Période : moyen-âge tardif, XIVe siècle Auteur : Eustache Deschamps (1346-1406) Titre : « Ballade a double entendement, sur le temps présent» Média : lecture audio Bonjour à tous,
ujourd’hui, pour faire écho à la Ballade à double entendement d’Eustache Deschamps que nous avions publié il y a quelque temps, nous vous en proposons une lecture audio dans le texte et en moyen-français, tout en profitant pour toucher un mot de l’auteur.
On notera encore ici que, loin des difficultés de compréhension, que peuvent soulever la poésie d’un Rutebeuf ou certains autres textes (poésies, fabliaux, etc) des XIIe et XIIIe siècles, la langue d’Eustache Deschamps reste largement plus accessible à l’oreille. Bien entendu, il faut se défier de quelques faux-amis ou raccourcis de sens et il est encore vrai que certains textes sont plus ardus que d’autres. Cette ballade à double entendement est, quant à elle, plutôt facile d’accès. Pour plus d’informations la concernant et également pour sa version textuelle, vous pouvez valablement vous reporter à l’article précédent, à son sujet : Une ballade sarcastique et grinçante d’Eustache Deschamps sur son temps
Note sur la prononciation
Vous noterez que je ne souscris toujours pas au « Oé » contre le « Oi », nonobstant le fait qu’on me l’ait fait remarquer à quelques reprises. En réalité et si l’on en croit certains auteurs ou traités de prononciation du vieux français ou ancien, le « Oé » semble postérieur au XVe siècle. On l’associe donc, semble-t-il faussement, aux siècles couvrant le moyen-âge, alors qu’il serait plus renaissant.
Tout cela étant dit, le « Oi » n’est certainement pas non plus correct. Diphtonguer en « Ohi », « Ouhi » ou « Oui » il le serait sans doute plus, mais prononcer tel quel (« Oi ») et, à ma défense, il a l’avantage de favoriser la compréhension. On se rapproche un peu ici de la conception de Michel Zink et de cet idée de ne pas ajouter trop d’obstacles à la compréhension des textes médiévaux lus. Autre argument, sans doute plus personnel, le R roulé associé au « Oé » à tous les coins de phrase, a tendance à me donner la sensation de drainer les textes tout entiers du côté de la ruralité et de certaines formes dialectales qu’elle a longtemps conservé. Non que j’ai quoi que ce soit contre le patois, vous connaissez ici mon amour des langues mais disons que sans la conjonction des deux, le texte me semble ainsi ressortir plus « moderne » ou moins connoté pour le dire autrement.
Tout cela étant dit, au long du chemin et pour ceux qui ont l’air d’y tenir, je finirai bien par faire quelques lectures avec de Oé en fait de Oi. A l’inverse, un autre exercice intéressant auquel je pense, serait de lire certains textes médiévaux avec la prononciation contemporaine pour justement ôter tout voile et les rapprocher encore d’autant de nous, en gommant totalement tout « archaïsme » de prononciation. Certains textes du XIVe ou XVe siècle s’y prêtent particulièrement bien.
En vous souhaitant une belle journée.
Fred
Pour moyenagepassion.com A la découverte du moyen-âge sous toutes ses formes
Sujet : poésie médiévale, morale, réaliste, satirique, réaliste, ballade, moyen français Période : moyen-âge tardif, XIVe siècle Auteur : Eustache Deschamps (1346-1406) Titre : « Ballade a double entendement, sur le temps présent» Ouvrage : Poésies morales et historiques d’Eustache Deschamps , G A Crapelet (1832)
Bonjour à tous,
oilà, pour aujourd’hui, une nouvelle ballade d’Eustache Deschamps et sa poésie morale, satirique, réaliste et politique. Témoin de son temps, critique de ses contemporains – princes, nobles, gens de cour et puissants mais pas uniquement – le poète du XIVe siècle faisait ici, non sans ironie et avec un humour plutôt grinçant, l’apologie de son temps. Et comme il s’agit là, en fait, d’une ballade à double entendement, il ne manque pas de nous rappeler, à chaque fin de strophe, qu’il pense tout le contraire de ce qu’il avance ou, à tout le moins, qu’il en pense bien plus : « je ne di pas quanque je pence », autrement dit, je ne dis pas « autant que » ou « tout ce que » je pense.
C’est donc bien, à son habitude, une nouvelle satire en creux de son époque qu’Eustache Deschampsnous proposait là. Notons que ce n’était pour lui qu’un exercice de style et d’humour et pas un faux-fuyant, puisqu’il a largement démontré, par ailleurs, qu’il n’hésitait pas à être plus direct et frontal dans ses attaques. Comme nous l’avons déjà dit ici, le fait de ne pas dépendre de sa plume pour survivre et s’alimenter lui a sans doute permis une liberté de ton qui, pour notre grand plaisir et intérêt, il faut bien le dire, le distingue d’un certain nombre d’autres poètes de cour. Concernant cette dernière, même s’il l’a longtemps pratiquée, le poète médiéval avait fini par lui tourner le dos et on se souvient de certaines de ses poésies critiques sur la vie curiale, qui prennent parfois des allures de diatribes.
Quoiqu’il en soit, pour l’heure et dans cette ballade à double sens, ce sont les valeurs générales de son temps qu’il interpelle ou plutôt leur absence : cupidité, déloyauté, ambition, égoïsme, vice, haine mutuelle, sans oublier bien sûr, au passage, une petite pichenette de rigueur sur la tête des gens de cour, tout y est entre les lignes.
Ballade à double entendement,
sur le temps présent d’Eustache Deschamps
L’en me demande chascun jour Qu’il me semble du temps que voy, Et je respons : C’est tout honour, Loyauté, vérité et foy, Largesce, prouesce et arroy (1), Charité et biens , qui s’advance Pour le commun ; mais , par ma loy, Je ne di pas quanque je pence.
Chascuns doubte* (redoute) son Creatour, L’un à l’autre ne fait annoy*, (d’ennui) Sans vices sont li grant seignour, Au peuple ne font nul desroy* (tort, mal, tourment), Et appaisiez se sont li roy; Cure n’ont d’or ne de finance, Guerre fault* (manque, fait défaut) : c’est vrày, or me croy, Je ne di pas quanque je pence.
Li grant, li moyen, ly menour, Ne sont pas chascun à par soy, Mais sont conjoint en une amour; Sanz rebeller bien le congnoy; Et se le contraire vous noy (2), Et mon dit n’a vraie sentence, Je vous pri, pardonnez-le-moy : Je ne di pas quanque je pence.
Envoi
Prince, à court ont li bon séjour; Honourez y sont nuit et jour, Et li hault cuer plain de vaillance; Mais ly menteur et ly flateour N’y osent plus faire demour* (séjour) : Je ne di pas quanque je pence.
(1) arroy, aroi : dans ce contexte, contenance, discipline, bonnes manières? (2) Et si on le nie ou si on vous dit le contraire
En vous souhaitant une excellente journée.
Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com. A la découverte du moyen-âge sous toutes ses formes.