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Un huitain anonyme du début du XVIe siècle avec la fleur de poésie françoyse

poesie_medievaleSujet : poésie ancienne, huitains, poésies courtes, épigrammes, ouvrage ancien.
Période : moyen-âge tardif, début renaissance
Auteurs : collectif (édition originale de 1542)
Titre : La fleur de poésie Françoyse, annoté par A Van BEVER, 1909

« Ung doulx baiser je prins subtillement
De celle à qui mon cueur s’est adonné,
Pensant par là trouver allégement
Au dur travail qu’en amours m’a donné,
Mais tout soubdain me trouvay estonné
Quant je congneuz (cuidant mon feu estaindre)
Que luy avoit nourriture donné
Et que mon mal n’en estoit de rien moindre. »
Anonyme – XVe, XVIe siècle – la fleur de poésie françoyse

Bonjour,

V_lettrine_moyen_age_passion copiaoici pour aujourd’hui un huitain léger, tiré d’un ouvrage édité pour la première fois en 1542 et 1543 et réédité au début du XXe siècle par Adolphe VAN BEVER, (1871-1927) biographe et érudit français, féru de poésie. Ce petit livre d’un peu plus de cent pages a pour titre : La fleur de poésie Françoyse:, Recueil joyeux contenant plusieurs Huictains, dixains, quatrains, chansons et autres dictez de divers matières.

C’est un carnet de poésie légère qui, on l’a compris, ne vise rien d’autre que l’amusement et le divertissement. Il s’ouvre d’ailleurs sur ces quelques vers au lecteur qui marquent bien l’ambition générale de l’ouvrage  :

« Lecteur, si tu as fantaisie
D’éviter dueil et desplaisir,
Vois cy la fleur de Poésie
Pleine de soûlas et plaisir,
Tu ne pourrois esbat choysir
Pour mieulx chasser oysiveté,
( Voire si tu en as désir)
Qu’à lire, et veoir nouvelletè. »

Les auteurs de ce collectif sont pour la plupart restés anonymes mais on y retrouve tout de même identifiés Clément MAROT (1496-1544) ou Melin de SAINCT-GELAYS (1491-1558) dont on sent bien d’ailleurs que leur poésie de cour légère et quelquefois primesautière a inspiré d’autres auteurs de ce carnet. Pour le dire autrement, ils donnent ici le La. Edité une première fois en 1542, l’ouvrage sera réédité un an plus tard avec quelques ajouts en 1543, soit un an avant la mort de Clément MAROT.

fleur_poesie_francaise_litterature_poesie_ancienne_medieval_renaissance

Il semble bien que cette fleur de la poésie françoyse soit l’un des plus anciens livrets d’épigrammes et poésies facétieuses de ce genre. D’autres lui succéderont et ces petits ouvrages se multiplieront durant les débuts du XVIe siècle. La poésie s’y fera légère et spontanée, (Adolphe VAN BEVER la qualifiera même de souriante et puérile) et les auteurs en profiteront quelquefois, sous couvert d’anonymat, pour faire passer quelques poésies audacieuses, satiriques ou polissonnes. L’auteur du huitain du jour (plutôt sage), est resté, quant à lui, anonyme.

fleur_de_poesie_francoyse_poesie_debut_renaissance_moyen-age_tardifOn trouve ce petit livre qui a plus de 500 ans encore à la vente chez Wentworth Press. En voici le lien à toutes fins utiles:

La Fleur de Poesie Francoyse; Recueil Joyeulx Contenant Plusiers Huictains, Dixains, Quatrains, Chansons Et Aultres Dictez de Diverses Matieres

En vous souhaitant une très belle journée
Fred

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Agenda: fêtes, festivals et réjouissances médiévales d’ici et d’ailleurs

agenda_sortie_historique_festivals_fetes_ripailles_week_end_theme_medieval_moyen-ageSujet : fêtes, festivités médiévales, festival, fascination moyen-âge, marché, compagnie médiévale, sortie historique, agenda.
Période  : moyen-âge central à tardif
Lieu : Compiegne, Saint Quentin Fallavier, Cusset, Les Pennes Mirabeau, Sedan.
Evénements: fêtes, réjouissances  et festivals médiévaux d’ici et d’ailleurs.
Dates : les samedi 20 & dimanche 21 mai 2017

Bonjour à tous,

C_lettrine_moyen_age_passion‘est fou comme l’agenda des sorties sur le thème médiéval peut se charger au fur et à mesure de l’approche des beaux jours. Si vous vous trouvez dans le Pas-De-Calais, nous avons déjà dédié un article aux rencontres autour de l’Artisanat et des métiers du Moyen-âge que vous propose le Centre Historique Médiéval d’Azincourt, mais pour le reste, à vrai dire, on n’a même du mal à faire une sélection entre tous les événements proposés ici ou ailleurs ce week end.

Jugez plutôt, cette fin de semaine, ce sont plus de vingt-cinq villes qui vous proposent des fêtes, célébrations ou autres festivals autour du moyen-âge et, tout cela, sans compter toutes celles qui le font sans le médiatiser ou encore les lieux et sites, et autres châteaux historiques qui, chaque week end, sortent leurs plus beaux atours et font les plus grands efforts pour faire revivre leurs visiteurs au rythme de leur histoire médiévale. Alors, cette fois-ci encore, fetes_festivites_festival_moyen-age_agenda_medieval_mai_2017_pennes_mirabeau_Lou_Mirabeoucomme nous l’avons déjà fait, nous vous proposons un digest de quelques fêtes médiévales choisies, entre les lignes de cet article autour de l’engouement pour ce genre d’événement.

20  et  21 mai 2017 
Festival  Lou Mirabeou- Les-Pennes-Mirabeau  (Bouches-du-Rhône) avec l’Association La porte des Etoiles.    Consulter le programme  ici

Bénévoles, milieu associatif et passionnés:
les artisans actifs de la réussite

O_lettrine_moyen_age_passionutre les compagnies professionnelles spécialisées dans l’animation, l’évocation ou la reconstitution historique sur les mille ans que couvre le moyen-âge, outre les exposants qui ne manquent jamais de venir monter leurs échoppes garnies de produits anciens et artisanaux dans des marchés médiévaux qui rivalisent entre eux d’originalité et de couleurs, pour que toutes ces fêtes existent, fetes_festivites_festival_moyen-age_monde_medieval_agenda_sortie_mai_2017_compiegne_jeanne_arcqu’elles soient à l’impulsion des communes ou des collectivités locales, ou à l’initiative de passionnés d’histoire, il faut encore que s’y associent des myriades de bénévoles et de volontaires.

20 et 21 mai 2017, Compiègne la médiévale (Oise) célèbre Jeanne d’Arc avec Les Compagnons de Jehanne. Tout le Programme ici

Dans ce domaine, le milieu associatif fait des miracles et nous avons toujours une belle pensée pour ceux qui, dans les creux de leur temps libre, se tiennent dans l’attente des fêtes et autres célébrations historiques auxquelles ils viendront apporter leur petite pierre, leur belle énergie et leurs sourires pour que tout soit réussi. Ce sont souvent des heures de préparation et de temps fetes_medievale_reconstitution_evocation_historique_moyen-age_2017_chateau_saint_quentin_fallavierdonné gracieusement pour que vive l’esprit du moyen-âge. Sans leur passion vibrante pour l’histoire médiévale de leurs villes, de leurs villages ou de leurs châteaux, une grande partie de ces événements ne pourraient sans doute pas voir le jour.

Animation médiévale au Château de Saint Quentin Fallavier (Isère) avec la Cie Escossor. Programme  ici

Entre fascination, joie franche et ripailles,
le moyen-âge, thème festif et fédérateur

A_lettrine_moyen_age_passionlors oui, c’est indéniable, le moyen-âge fascine et sans doute plus que jamais. La France n’est pas seule à partager cet engouement, l’Allemagne, la Belgique, l’Espagne, et les pays d’Europe au sens large sont encore largement tournés vers leur passé médiéval et ont à coeur de le célébrer. Au delà de cet attrait, il faut bien faire le constat que c’est aussi un thème fédérateur. En un mot, festoyer autour de cette période semble toujours mettre tout le monde d’accord.

L’ombre des vielles pierres, les ripailles et les banquets,  les troubadours et leurs instruments anciens, les facéties des saltimbanques ou des comédiens fardés, les tournois et les joutes fete_festival_medieval_fantastique_reconstitution_evocation_moyen-age_2017_cusset_les_flamboyantesentre preux chevaliers, dans tout cela nous projetons ou nous reconnaissons un sens véritable de la fête, et peut-être encore une forme « d’insouciance » et de joie franche que nous prêtons au moyen-âge.

Les 19, 20 et 21 mai 2017
Cusset (Allier) et l’Auvergne seront plongés dans le médiéval fantastique
Tout le programme ici

A l’évidence, l’antiquité n’exerce pas sur nous cette force d’attraction, ni même les « évocations » gauloises ou gallo-romaines qui, le moins qu’on puisse dire, ne sont pas légions (bon ça va, je ne le referai plus), bien que peut-être, dans nos imaginaires, il reste dans ce sens de la fête médiévale quelque chose de vaguement « Gaulois ». La Renaissance et le siècle des lumières, pas d’avantage que les suivants, ne semblent non plus avoir sur nous cet ascendant et  de toutes les fêtes historiques qui se donnent, chaque semaine, dans les villes et villages de France, le moyen-âge l’emporte de loin. Il reste, à l’évidence, la période  historique (réelle ou reconstruite) propice à faire rêver le plus grand nombre. La preuve, pour ce week end en approche, il ne nous reste que l’embarras du choix. Alors, ripaillez, festoyez et riez aux heures médiévales, du nord au sud et de l’ouest à l’est des terres de France, tout est là, à portée de main ou à quelques lieues de chez vous, si le coeur vous en dit !

fetes_medievales_historiques_reconstitution_evocation_moyen-age_Sedan_tournoi_2017 fetes_historiques_reconstitution_evocation_moyen-age_histoire_2017_sully_sur_loire
22e  Festival Médiéval de Sedan.
Tournoi, marché, spectacles et
animations autour du château.
Consultez le programme ici
Les grandes fêtes historiques de
Sully-Sur-Loire. plus de 1000
participants, comédiens & figurants,
Consultez le Programme ici

En vous souhaitant une très belle journée et un excellente fin de semaine, quelque soit votre programme.

Fred
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Conférence médiévale: invasions barbares et chute de l’empire romain

histoire_medievale_invasion_barbare_chute_de_rome_conference_haut_moyen_ageSujet : invasions barbares, empire romain, histoire médiévale, analyse historique et économique de la chute de Rome.
Période : fin de l’antiquité, haut Moyen Âge.
Média  : vidéo-conférence
Titre : Les invasions barbares
Conférencier : Bruno Dumézil, maître de conférences à Paris-Ouest-Nanterre-La Défense
Lieu : Aix-en-Provence (2015)

Bonjour à tous,

L_lettrine_moyen_age_passion’empire romain est-il, comme on l’a longtemps avancé, uniquement tombé du fait des invasions répétées de barbares ? En réalité, la réponse à cette question est un peu plus complexe qu’un simple oui ou non.

Illustration d'Angus Mc Bride. Visigoths mettant à mal l'empire romain
Illustration d’Angus Mc Bride. Visigoths mettant à mal l’empire romain

D’ailleurs ainsi formulé, le problème est sans doute mal posé et peut-être faudrait-il privilégier des questions comme: quelles raisons endémiques, historiques, économiques, financières et politiques peuvent expliquer un affaiblissement de l’empire romain ayant fragilisé ses frontières ? Y avait-il dans ses fondements économiques même et/ou dans sa mécanique d’expansion et de conquête, les conditions d’une fragilité structurelle qui allait se révéler avec le temps ? Devant la taille qu’il avait atteint, jusqu’à quel point l’intégration des « barbares » et la délégation de pouvoir à leurs chefs les plus puissants pouvaient-elles être évitées ?

Rome allait-elle ainsi nourrir en son sein de futurs rois, aptes à se retourner contre son propre pouvoir et si oui pour quels motifs ? Analyser les causes de  l’affaiblissement, puis de la chute, de l’empire romain dans une perspective globale prenant à la fois en compte les données endogènes et exogènes, voilà donc l’ambitieux sujet de la conférence auquel nous convie  Bruno Dumézil.

Bruno Dumézil & la passion du haut Moyen Âge

« – Tu veux me dire que l’Empire romain aurait été détruit par des Romains déguisés en Barbares pour payer moins d’impôts ? »
Les Barbares expliqués à mon fils . Bruno Dumézil

Agrégé d’Histoire, formé à l’école normale supérieure; Bruno Dumézil est un jeune et néanmoins brillant historien médiéviste français, plus particulièrement spécialisé dans le haut moyen-âge. On lui doit de nombreux ouvrages sur cette période et quand il n’écrit pas sur ce sujet, il enseigne à l’Université de Paris Ouest Nanterre.

Dans cette conférence sur les « invasions » barbares, il se propose, comme nous le disions plus haut,  de nous donner de sérieux éléments de réflexion sur les causes de la chute de Rome mais il se penche aussi sur l’existence factuelle d’une « réelle » identité barbare. Au passage, la vision un peu schématique qu’une certaine Histoire avait pu nous enseigner sur les « grandes » invasions barbares s’en trouve totalement rééclairée et dans cette relecture le profil du « barbare » se trouve, du même coup, sérieusement redéfini.

De fait, nous nous retrouvons bien moins face à la vision « classique » d’un « choc » de civilisation que devant le constat d’une intégration romaine des populations et des guerriers en provenance des nations et tribus dites barbares, bien longtemps avant l’effondrement de l’Empire.

En bref, à l’image de la complexité du monde et des interrelations entre cultures et sociétés humaines, rien n’est jamais simple, ni aussi tranché en Histoire, et c’est encore un grand enseignement à tirer de cette excellente conférence. Soyez donc les bienvenus pour un voyage d’une heure trente  à l’aube du moyen-âge et à l’encontre des idées reçues.

Une sélection de quelques ouvrages
de Bruno Dumézil sur le haut moyen-âge

Pour prolonger le plaisir de cette conférence et creuser de manière plus détaillée l’approche du Bruno Dumézil, sur ces questions, voici quelques liens utiles qui vous permettront, si vous le désirez, d’acquérir ses ouvrages.

Les Barbares, Bruno Dumézil la société médiévale en Occident, Bruno Dumézil
Les Barbares expliqués à mon fils les Temps Barbares, Bruno Dumézil

En vous souhaitant une très bonne écoute, ainsi qu’une excellente journée.

Fred
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Littérature médiévale : notes sur la ballade des povres housseurs « attribuée » (un peu vite?) à François Villon

françois_villon_poesie_francais_moyen_ageSujet : poésie, littérature médiévale, réaliste, satirique, ballade, auteur médiéval, analyse littéraire, corpus.
Période : moyen-âge tardif
Titre :  « Ballade des povres housseurs »
Auteur :  « Corpus » François Villon
(1431- ?1463)

Bonjour à tous,

E_lettrine_moyen_age_passionxtraite du Jardin de plaisance et fleur de rhétorique, anthologie de poésie parue pour la première fois en 1502, la ballade que nous vous présentons aujourd’hui s’est vue bientôt attribuée à François Villon  par M. Prompsault, en 1832, qui lui donna d’ailleurs aussi son titre et l’intégrera à son édition des oeuvres du poète médiéval. Il faut dire que la poésie en question côtoie de près d’autres balades de Villon dans cet ouvrage.

Rien n’établit pourtant, de manière certaine, la paternité de ce texte à Villon et il y a eu, pour cet auteur comme tant d’autres un effet de corpus et d’assimilation assez commun au moyen-âge et qui, à l’évidence persiste encore en ces débuts de renaissance où la notion « d’auteur » était en cours de formation ou de définition. Du reste, l’anthologie sus-mentionnée ne signe aucun des textes qu’elle mentionne du nom de leurs auteurs.

Le jardin des plaisances, gravure, reproduction fac similé de l'édition de 1501
Le jardin des plaisances, gravure, reproduction fac similé de l’édition de 1501

La Ballade des povres housseurs

On parle des champs labourer,
De porter chaulme contre vent,
Et aussi de se marier
A femme qui tance souvent;
De moyne de povre couvent,
De gens qui vont souvent sur mer;
De ceulx qui vont les bleds semer,
Et de celluy qui l’asne maine;
Mais, à trestout considérer,
Povres housseurs ont assez peine.

A petis enfans gouverner,
Dieu sçait se c’est esbatement !
De gens d’armes doit-on parler?
De faire leur commandement?
De servir Malchus chauldement?
De servir dames et aymer?
De guerrier et bouhourder (1)
Et de jouster à la quintaine (2)?
Mais, à trestout considérer,
Povres housseurs ont assez peine.

Ce n’est que jeu de bled soyer,
Et de prez iaukher, vrayement;
Ne d’orge battre, ne vanner,
Ne de plaider en Parlement;
A danger emprunter argent;
A maignans leurs poisles mener;
Et à charretiers desjeuner,
Et de jeusner la quarantaine;
Mais, à trestout considérer,
Povres housseurs ont assez peine.

1. Bouhourder : guerroyer & jouter. On retrouve  ici l’origine du mot Béhourd.
2. Quintaine : mannequin d’entraînement pour les chevaliers.

Qui sont ou que sont ces pauvres housseurs?

A la première lecture, le texte semble plutôt compassionnel. Il s’adresse à des « housseurs » que l’on devine pauvres et miséreux. Qui sont-ils vraiment ?  L’interprétation a varié relativement d’un éditeur de Villon  dans le courant du XIXe siècle.

Si l’on fait appel aux dictionnaires anciens sur le terme de housse, housseau, houseau autant que de housser ou holcier, il faut dire qu’il y a de quoi s’y perdre; les définitions sont à tiroirs. Alors, en suivant le fil des éditeurs des oeuvres de Villon, ces housseurs sont-ils comme le pensait J.-H.-R. Prompsault en 1835, des porteurs de bottes ou de housseaux, ces jambières protectrices, dont le bas s’adapte sur la chaussure ? On ne voit pas bien en quoi cela pourrait les rendre si misérables. Sont-ils alors plutôt comme Antoine Campeaux le soutiendra en 1873, des écoliers portant des housses (manteaux à capuchons) ou encore, bien loin de cette hypothèse, des batteurs de tapis « qui avoient assez de peine ou qui travaillent beaucoup, à une époque où tous les appartements étoient tendus de tapis de haute lice« , comme l’avancera encore Paul L Jacob, dans une édition des oeuvres de Villon datée de 1854 ?

Randle Cotgrave, un anglophone du XVIIe
au secours du français Classique

En réalité, il semble qu’aucun de ces éditeurs ou auteurs n’aient vu juste. Celui qui emportera l’adhésion du plus grand nombre, en tout cas, sera un lexicologue anglais du nom de Randle Cotgrave,  dans son dictionnaire français anglais du tout début du XVIIe siècle : A Dictionarie of the French and English Tongues Londres, 1611. Il faut dire que l’ouvrage réalisé avec beaucoup de soin et d’application, fait encore référence tant pour les anglophones ou les personnes désireuses d’apprendre l’anglais que pour les amateurs avides de percer les mystères des textes classiques.

Ainsi, Cotgrave traduira housseur par balayeur ou ramoneur. Certains  dictionnaires plus récents d’ancien français suivront d’ailleurs son exemple (c’est le cas notamment du Dictionnaire Godefroy version courte de 1901 ) et « housser » s’y verra encore rapproché, entre autre définition, à l’action de « frotter, nettoyer, balayer ». On trouvera encore houssoir défini comme un balai ou encore un balai de plume pour épousseter.

Ramoneur, gravure d’Abraham Bosse (1602-1676)

Dans certains dictionnaires, quand il s’agit de ramoner on parlera plus spécifiquement de « housseurs de cheminée » dans d’autres cas, le housseur tout court pourra désigner l’un ou l’autre indifféremment. Une farce du début du XVIe, nommée  la farce du ramoneur utilisera d’ailleurs le terme de « housseur » à plusieurs reprises pour désigner le ramoneur et sur la foi de cet farce, la  revue critique d’histoire et de littérature du XIXe tranchera d’ailleurs en faveur des ramoneurs plutôt que  des balayeurs, pour ce qui est de cette ballade.

Balayeur ou Ramoneur ?
Un peu plus qu’une légère nuance.

De balayer à ramoner, la nuance est légère me direz-vous ? Elle ne l’est, en réalité, qu’en apparence pour plusieurs raisons. La première est évidente, il ne s’agit pas tout à fait du même métier.

La corporation ou le « métier » de balayeur nous est décrit relativement précisément dans le Tableau de Paris, ouvrage de la fin du XVIIIe, publié par Louis-Sébastien Mercier. La « profession » y est dépeinte de manière tout à fait poignante. A l’évidence les pauvres miséreux qui se chargent de nettoyer les rues au petit matin en retirent à peine de quoi survivre. et sont en plus brimés dans leur tâche par ceux qui les encadrent. En voici un extrait pour vous permettre d’en juger :

« S‘il vous arrive jamais de passer en hiver dans les rues de Paris, deux heures avant le lever du jour, vous entendrez de toutes parts le bruit monotone et régulier des balais sur le pavé, et vous rencontrerez à chaque pas, par groupe de cinq ou six, de pauvres hères, silencieusement occupés à nettoyer les ruisseaux et à curer les égouts. Vêtus de guenilles qui tombent en lambeaux, presque toujours mouillés jusqu’aux os par le brouillard ou la pluie, ils ont pourtant la tête recouverte d’un orgueilleux chapeau de toile cirée, orné d’une grande plaque de cuivre, insigne dérisoire que l’administration semble leur imposer, comme la marque de leur esclavage, et l’emblème d’une misère qui gagne tout juste assez pour avoir longtemps encore à souffrir de l’épuisement et de la faim. »
Le Tableau de Paris –  Louis-Sébastien Mercier

ballade_pauvres_housseurs_litterature_medievale_poesie_moyen-age_tardifOn peut supposer qu’au siècle contemporain de cette ballade des pauvres housseurs, la condition sociale des balayeurs n’était guère meilleure qu’un siècle et demi plus tard et ce texte pourrait donc tout à fait leur convenir. Cela dit, me direz-vous, même si les deux métiers diffèrent, on ne peut non plus préjuger que le sort des ramoneurs ait été de son côté beaucoup plus enviable aux mêmes périodes. L’image du « petit ramoneur » et de ses misères, jusque encore le milieu du XXe siècle, a elle-même alimenté de nombreux contes et nourri les imaginaires.

En réalité, une autre nuance de taille se niche encore entre les deux professions, au niveau de l’analyse littéraire et textuelle. Elle réside dans le double sens du vocabulaire autour du ramonage, que notre époque a d’ailleurs conservé mais dont le métier du balayeur n’a pas hérité: l’action de « ramoner » au sens figuré, soit de trousser une dame ou de la contenter était déjà source de beaucoup d’amusement au XVe et XVIe siècles.

Ballade compassionnelle
ou ballade triviale et polissonne?

De fait, si le sens de housseur était bien ici ramoneur et non pas balayeur, au vue de la popularité de cette analogie déjà dans le courant du XVe siècle, dont la farce sus-mentionnée use abondamment, la ballade du jour prendrait d’emblée des dehors bien plus grivois. Arthur Piaget archiviste et historien suisse de la fin du XIXe n’en doutait pas, quant à lui, un seul instant, puisque il écrivit même dans la Revue Romania de 1892 de cette ballade « qu’elle roulait sur une équivoque obscène » (Remarques sur Villon, à propos de l’édition de M. A. Longnon, Persée).  Même si cela ne pouvait suffire  à établir que François Villon en avait été l’auteur, ceci explique d’autant plus qu’on ait  pu la lui prêter, lui dont l’humour « grivois » et à double-sens n’étaient jamais en reste.

Alors comment trancher ? Au siècle de la farce du ramoneur, il se pourrait bien que cette ballade aux dehors joliment compassionnels qui tirerait presque une larme au premier regard si l’on n’allait chercher plus loin, soit un prétexte voilé à la farce et la grivoiserie. Le doute reste encore permis et chacun se fera son idée avec tous les éléments en sa possession. Bien que ne cachant pas, ici, nos penchants pour une certaine littérature médiévale satirique,  il faut bien avouer que la peinture sociale d’un petit peuple oublié de Paris nous paraissait  largement plus séduisante par sa profondeur.

En vous souhaitant une excellente journée !
Fred
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