Sujet : Belgique médiévale, manuscrits anciens, manuscrits médiévaux, ducs de Bourgogne, musée, polyphonies, compositeurs franco-flamands. Période : Moyen Âge tardif à Renaissance Evénement : réouverture du KBR Lieu : KBR Museum, Mont des Arts 28, Bruxelles. Date : du 23 mai au 25 mai 2025.
Bonjour à tous,
‘agenda des événements sur le thème médiéval nous entraînera, cette fin de mois, vers Bruxelles, en direction du KBR Museum. L’ancienne Bibliothèque Royale de Belgique avait fermé ses portes, en janvier 2024, pour entreprendre de vastes travaux de rénovation.
A plus d’un an de là, l’institution belge s’apprête, de nouveau, à accueillir des visiteurs venus de toute l’Europe. Du vendredi 23 mai au dimanche 25, le KBR fêtera dignement cette réouverture avec le plein de surprises. Nouvelles expositions, scénographie enrichie et immersion accrue, de nombreuses autres activités viendront encore complétées le programme.
Une Réouverture en Grand au KBR Museum
La prestigieuse bibliothèque nationale belge a la particularité de conserver, en son sein, des dizaines de milliers de documents historiques.
Au cœur de ce fonds, le KBR Museum détient une superbe collection de manuscrits médiévaux : la librairie des ducs de Bourgogne. Ce véritable trésor date du temps où la Flandre était encore sous la coupe des seigneurs bourguignons. Cette riche collection donnera, à nouveau, le ton de cette réouverture. Du point de vue historique, le Moyen Âge tardif et le XVe siècle y seront donc particulièrement à l’honneur.
Exposition des Manuscrits des Ducs de Bourgogne
A la mort de Charles le Hardi (1433-1477) dit Charles le Téméraire, 4eme duc de Bourgogne de la maison de Valois, on recensait 1000 manuscrits dans la bibliothèque des puissants bourguignons. La bibliothèque bruxelloise en conserve, aujourd’hui, près de 300, autant dire un joyau patrimonial, fait de nombreuses pièces uniques.
Les conservateurs du KBR soignent de très près cette collection de riches manuscrits médiévaux enluminés et le musée ne se prive pas de les exposer pour le plus grand plaisir du public. On se souvient de certaines pièces rares comme la Rijmbijbel de Jacob van Maerlant ou l’étonnant codex noir desBasses Danses de Marguerite d’Autriche.
Tous ces manuscrits historiques sont extrêmement fragiles et ne peuvent rester exposés, de manière permanente. Pour ne pas les altérer, les expositions tournent régulièrement, en donnant aux visiteurs de nouvelles excuses pour revenir au musée. Dès sa réouverture, le KBR Museum continuera, bien sûr, d’exposer les plus belles pièces de cette collection aux yeux des visiteurs.
Une Immersion sonore à la découverte des Maîtres de la polyphonie
Dans ses expositions comme ses activités, le KBR porte une attention particulière aux arts franco-flamands du XVe siècle. Peintres, sculpteurs et enlumineurs médiévaux y trouvent une place de choix. Ces derniers sont particulièrement choyés : secret de créations des pigments, techniques calligraphiques, étude des supports et parchemins, etc… Les érudits du musée proposent régulièrement des ateliers permettant de mettre la main à la pâte.
Grande nouveauté, en 2025, le KBR complète son approche multifacette des arts du XVe siècle avec une nouvelle expérience immersive. Le musée enrichit, en effet, sa scénographie d’un nouveau parcours sonore à la découverte des maîtres de la polyphonie franco-flamande du XVe siècle.
Dès la journée du 23 mai, de nouvelles visités guidées ne manqueront pas de souligner cette nouvelle dimension du musée. L’immersion sonore débutera même dès l’ascenseur panoramique, pour s’étendre sur les terrasses du musée tout récemment rénovées.
Concerts, ateliers, conférences : au cœur de la musique polyphonique
En plus des visites guidées, des concerts viendront animer ces journées de réouverture, dès le 23 mai. Le vendredi soir, un concert des Voix de Bruxelles sera suivi de sonorités plus électro sur le thème « Polyphonic Grooves ».
Les journées du 24 et du 25 seront, elles aussi, particulièrement animées musicalement entre conférences, ateliers et concerts sur le thème de la musique polyphonique du Moyen Âge tardif et de la Renaissance.
Campement médiéval et danses renaissantes
Pour ajouter à l’ambiance, les amateurs de reconstitution historique pourront profiter d’un campement médiéval avec ateliers et animations variées, les 24 et 25. La troupe médiévale en charge de cette activité ne dérogera pas du thème historique et transportera ses spectateurs au cœur du duché Bourguignon du XVe siècle.
La journée du 25 mai poursuivra les activités sur le même rythme avec de nouveaux ateliers et performances vocales. Dans l’après-midi, des reconstituteurs et passionnés de danses renaissantes et historiques feront aussi revivre les danses de cour du XVe siècle.
Exposition numismatique sur l’Histoire de la Belgique
Terminons cette revue d’actualité du KBR en débordant un peu de la période médiévale. Jusqu’au 31 juillet 2025, les férus de numismatique et d’Histoire y trouveront aussi leur bonheur. Une grande exposition sur l’Histoire de la Belgique à travers ses monnaies leur permettra de découvrir des pièces et médailles rares sur une période allant des gaulois jusqu’au Moyen Âge et au delà.
Voilà mes amis. Toutes voiles dehors donc! Si vous êtes à quelques encablures de Bruxelles à la fin mai, vous serez où y jeter l’ancre !
En vous souhaitant une excellente journée.
Fred Pour moyenagepassion.com A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes
Sujet : poésie, auteur médiéval, moyen français, ballade, défiance, beaux-parleurs, poésie morale. Période : Moyen Âge tardif, XIVe siècle. Auteur : Eustache Deschamps (1346-1406) Titre : «Car homme n’est qui ait point de demain» Ouvrage : Œuvres complètes d’Eustache Deschamps, T VII, Marquis de Queux de Saint-Hilaire (1878)
Bonjour à tous,
ous revenons, aujourd’hui, à l’œuvre d’Eustache Deschamps avec une jolie ballade. Dans le pur style de ses poésies morales ou ses ballades de moralités, le poète champenois nous donnera ici une leçon de défiance.
L’Œuvre d’Eustache en quelques mots
Nous sommes au Moyen Âge tardif et Eustache Deschamps a largement servi la cour de princes et des rois. Il a connu la guerre, les voyages, la peste, la vie de cour, durant ses soixante ans de vie. En plus de ses fonctions successives d’écuyer, d’huissier d’armes pour le compte de Charles V et Charles VI, ou encore ses titres de bailli de Senlis et de châtelain de Fismes, l’officier de cour a aussi composé des poésies.
Elève de Machaut dont il se réclame, sa plume est même intarissable et il écrit littéralement sur tous les thèmes qui passent à sa portée. Rondeaux, chants royaux, lais et ballades, traités de poésies, l’œuvre d’Eustache est monumentale et n’a guère d’équivalent en son temps (peut-être des auteurs un peu plus tardifs comme Alain Chartier ou Georges Chastelain). Il faudra toutefois attendre le XIXe siècle pour commencer vraiment à la redécouvrir.
Mise à plat de l’œuvre et manuscrit Français 840
Les ballades de moralité d’Eustache sélectionnées par Georges-Adrien Crapelet ouvriront le bal et attireront l’attention en 1832. Des ajouts et publications de poésie inédites suivront en 1850, à l’initiative de Prosper Tarbé. Dans la foulée, le Marquis de Queux de Saint-Hilaire s’attellera à la retranscription de l’ensemble de l’oeuvre d’Eustache Deschamps, bientôt relayé en cela par Gaston Paris.
La Ballade du jour dans le manuscrit médiéval Français 840 de la BnF (à consulter sur Gallica)
Au cœur de ce travail, le manuscrit médiéval Français 840 de la BnF, un ouvrage contemporain d’Eustache où est venu s’empiler son legs impressionnant sur pas moins de 593 feuillets. Du milieu du XIXe au début du XXe siècle, l’œuvre complète d’Eustache Deschamps sera ainsi consignée dans onze volumes signés de la main de Queux de Saint Hilaire et de Gaston Paris.
Actualité de l’œuvre d’Eustache Deschamps
Depuis sa remise à plat, de nombreux médiévistes férus de cette partie du Moyen Âge se sont penchés sur le legs d’Eustache. Les approches sont nombreuses, les angles souvent thématiques. L’œuvre du champenois s’y prête particulièrement : épidémies, tournois, duels, gastronomie, mœurs de cour, politique, guerre de cent ans, …. Les écrits du prolifique champenois font encore des historiens en quête d’une meilleure compréhension des mœurs du XIVe siècle.
D’un point de vue stylistique et poétique, si tout n’est pas égal, il reste encore de belles perles à dénicher dans le large travail d’Eustache. Sa franchise peut quelquefois surprendre ou amuser. Sa morale vise souvent juste et nous permet, en tout cas, de nous replonger au cœur du Moyen Âge chrétien et ses valeurs. Des traits d’humour émergent ça et là et la courtoisie est aussi présente dans son œuvre même si, de notre point de vue, ce n’est pas là que son talent s’exprime le mieux.
Dans tous les cas et indépendamment de l’approche privilégiée ou même des réserves que l’on peut émettre sur l’ensemble du legs d’Eustache d’un point de vue stylistique, on ne peut enlever à l’auteur champenois son opiniâtreté et sa persévérance à tout vouloir mettre en vers et consigner.
Une ballade contre les beaux-parleurs
« On ne doit pas croire à tout homme », le refrain ne peut être plus clair. Avis aux apparences et aux beaux-parleurs ! Le thème de la défiance est au cœur de la ballade médiévale du jour. Et pour mieux appuyer la trahison, le serpent venimeux et perfide (forcément toujours un peu biblique et, déjà présent dans une fable d’Eustache), est appelé à la rescousse.
Jeux de cours, trahisons, fausses promesses, on pourrait être tenté de remettre cette poésie en contexte, à la lumière des longues années de services d’Eustache auprès de la cour et des puissants. Durant sa longue carrière, la franchise et certaines de ses poésies critiques lui ont inévitablement valu des ennemis. Les vers du jour pourraient en être un autre signe. Dans le même temps, cette ballade a la qualité de tout texte, fable et toutes bonnes poésies morales : une certaine intemporalité. Aujourd’hui encore, la verve d’Eustache nous reste accessible et sa ballade a plutôt bien traversé le temps.
« On ne doit pas croire a tout homme, » dans le français ancien d’Eustache Deschamps
Le moyen français d’Eustache peut présenter quelques difficultés sur certains textes. Cela nous semble moins le cas de celui-ci. Pour vous aider dans sa compréhension, nous vous proposons tout de même quelques clés de vocabulaire.
Gar toy de l’oiseleur qui prant Les oiseaulx pour chant contrefait, A sa roix soutive (dans l’ingénieux filet) qu’il tent, Par soutil langaige deffait. Gar toy de femme qui te fait Doulz semblant, et ami te nomme C’est pour toy jouer d’un faulx trait (d’un mauvais trait, coup) : On ne doit pas croire a tout homme.
Avise au venimeux serpent Qui en la douce herbe se trait Et s’i caiche soutivement (habilement), Si que quant aucuns s’i retrait L’erbe cueillant, lors mort de fait (il les mort ensuite); De son venin point et assomme Le cueillant, qui lors crie et brait ; On ne doit pas croire a tout homme.
Ne le parler d’aucune gent Qui semble doulz com miel ou lait, Ou l’en treuve venin souvent Quant aucun ont a eulx attrait. Ainsi doulz parler se deffait En fiel mortel soubz douce pomme; Donc pour eschiver ce meffait, On ne doit pas croire a tout homme.
L’ENVOY
Princes, saiges est qui aprant, Qui parle pou et qui entent, Qui se taist et qui en soy somme (mesure, pèse) Le parler d’autruy saigement ; Pour eschiver paine et tourment, On ne doit pas croire a tout homme.
NB : sur l’image d’en-tête, vous retrouverez la ballade d’Eustache dans le français 840 de la BnF. Pour l’illustration, nous avons opté pour une magnifique enluminure du serpent biblique. Elle est tirée du manuscrit Français 1537 intitulé « Chants royaux sur la Conception, couronnés au puy de Rouen de 1519 à 1528. » Ce manuscrit daté du XVI e siècle est lui aussi conservé au département des manuscrits de la BnF.
En vous souhaitant une belle journée Fred Pour moyenagepassion.com A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.
Sujet : poésie médiévale, paix, ballade médiévale, prince poète, Azincourt, guerre de cent ans. Période : Moyen Âge tardif, XVe siècle Auteur : Charles d’Orléans(1394-1465) Manuscrit ancien : MS français 25458 Ouvrage : Poésies de Charles d’Orléans, d’après les manuscrits des bibliothèques du Roi et de l’Arsenal, J. Marie Guichard (1842)
Bonjour à tous,
actualité nous fournit, aujourd’hui, l’occasion de faire tribut à un prince poète talentueux du Moyen Âge tardif dont nous avons jusque là peu parlé : Charles D’Orléans. Né d’une branche royale fort instruite, élevé dans le goût des lettres, il peut nous paraître un peu paradoxal que sa vocation poétique et littéraire ait pu être sublimée par le sort, un sort qu’il provoqua, d’une certaine manière, par sa désobéissance et son courage.
Un jeune prince guerrier et impétueux
Contre la volonté du roi de France et malgré son jeune âge, le jeune Duc d’Orléans voulut, en effet, aller en découdre contre les armées anglaises, dans le nord de France et plus précisément à Azincourt. Au moment de cette bataille, il n’a que 21 ans mais il a déjà largement aiguisé ses talents de meneur d’hommes. Depuis ses quatorze ans, de nombreuses tensions l’ont, en effet, opposé aux Bourguignons et à Jean Ier de Bourgogne, dit Jean Sans Peur, assassin de son père Louis d’Orléans (le frère du roi). Ce sont même les tensions entre les deux maisons qui inclinèrent le roi de France à ordonner à Charles d’Orleans, comme à son rival bourguignon de ne pas partir, en personne, à la poursuite des armées d’un Henri V bien décidé à revendiquer le trône de France.
Hélas ! à Azincourt et malgré toute sa confiance, Charles d’Orléans se retrouva bien vite au cœur de la déroute : des milliers d’hommes restèrent sur le carreau, arrêtés par les traits des archers longs anglais. Embourbés, la chevalerie et l’ost français furent ensuite massacrés et achevés tels des bestiaux, dans une boucherie entrée en lettres de sang dans les livres d’Histoire médiévale.
On captura donc le prince qu’on découvrit blessé au milieu d’un amas de cadavres et il fut amené en Angleterre pour y rester prisonnier, durant de longues décennies. Vingt-cinq ans d’enfermement dans une prison plus dorée que celle qu’avait connu François Villon, mais vingt-cinq ans tout de même. Autant dire une vie ou presque à laquelle venait s’ajouter rien moins qu’un drame historique : le fleuron de l’Aristocratie française décimé, des dommages sans précédent sur le destin de la France et un tournant critique dans la guerre de cent ans. Le prix fut donc lourd à payer et l’impétuosité du jeune prince s’en trouva fortement refroidie.
Une œuvre entrée dans la postérité
Au sortir, ces vingt-cinq ans de captivité et d’exil permirent à Charles d’Orléans d’affuter ses talents de plume et de laisser une œuvre abondante : de nombreuses ballades, plus de cent, quelques cent-trente chansons, des complaintes et encore près de quatre cent rondeaux. Traversée par la mélancolie et l’éloignement, on trouve dans la riche poésie de Charles d’Orléans, de nombreux vers courtois, des pièces plus contemplatives, des réflexions sur le temps et les âges de la vie, mais aussi des vues sur des sujets plus politiques ou encore des appels à la paix. Ce sont ces derniers qui retiendront, aujourd’hui, notre attention.
De longues années après Azincourt et de retour à Blois, , Charles d’Orléans continua de s’entourer de fins lettrés et de gens de plume. Il organisa même des concours de poésies qui sont, eux-aussi, restés célèbres. Ainsi, le destin de ce prince propulsé, très jeune, dans la politique et l’exercice de pouvoir après le meurtre de son père, finit par s’infléchir, de manière étonnante, pour le convertir en grand homme de lettres et poète médiéval, entré largement dans la postérité.
La guerre avec les enfants des autres
Au programme de notre sélection du jour donc, trois ballades dans lesquelles Charles d’Orléans exhortait ses contemporains à la paix. A l’heure où certaines bourgeoisies de Province, de Paris ou d’Europe (politiques, technocratiques, comme journalistiques) se rêvent en nouvelle aristocratie, comme dans la fable de la grenouille et du bœuf, on semble pourtant à des lieues des réalités guerrières médiévales.
Ceux-là même qui briguent le pouvoir et les mandats et qu’on entend caqueter à longueur de journée, face caméra ou en plateau, n’ont plus guère le courage, ni le panache de ceux qu’ils prétendent singer. S’ils brillent par leur occupation du champ médiatique, sur les champs de bataille, n’en cherchez point, vous n’en verrez pas la queue d’un. La République des carriéristes et des va-t-en-guerre ne guerroie plus que par proxy, à travers ses fils ou, mieux encore, ceux des autres. Loin de la chevalerie médiévale, cette classe là envoie les enfants du peuple en découdre à sa place, et encore pour des raisons de moins en moins intelligibles.
Les plaidoyers de Charles pour la paix
En ces temps troublés, il nous a donc semblé bon de nous souvenir de ce prince guerrier exalté qui siégea au cœur de la plus cuisante défaite de la guerre de cent ans et qui y contribua, peut-être même en partie, par son inexpérience et son excès de confiance 1.
S’il serait injuste autant qu’inexact de vouloir seul l’en accabler ̶ les conditions autant que l’avance de l’archerie longue anglaise surprit la chevalerie française et l’ensemble de son commandement ̶ souvenons-nous surtout que, dans ses années de maturité, Charles d’Orléans ajouta aux anthologies de la poésie du Moyen Âge tardif, ses plus beaux appels à la paix : une paix pour lui, autant que pour les autres, un paix des hommes, une paix de Dieu.
Avait-il revécu maintes fois en pensée le terrible massacre que fut Azincourt ? Avait-il ressenti, a nouveau, le souffle glacé de la vanité sur son échine et le regret de ne pas avoir laissé l’armée anglaise retournée vers Calais ? L’option s’était présentée mais, confiants de leur nombre et pressés d’en découdre, les commandants de l’armée française ne l’ont pas choisi. Quant au choc de la défaite sur le prince, les chroniqueurs racontent que la sombre tragédie d’Azincourt le fit jeuner et se tenir coi au lendemain de la bataille alors qu’Henri V ramenait sa prise royale vers ses fiefs 2. A défaut de grands exploits guerriers, il nous reste sa poésie et ses leçons de paix. Retenons-les. Elles sont plus que jamais d’actualité.
deux ballades médiévales pour la paix de Charles d’Orléans dans le Ms Français 25458 de la BnF
Trois Ballades pour la Paix d’un prince en exil
Par Bon eur et Loyal vouloir
L’autre jour tenoit son conseil, En la chambre de ma pensée, Mon cueur, qui faisoit appareil De deffence contre l’armée De Fortune mal advisée, Qui guerrier vouloit Espoir; Se sagement n’est reboutée, Par Bon eur et Loyal vouloir.
Il n’est chose soubz le souleil, Qui tant doit estre désirée Que paix; c’est le don non pareil Dont Grace fait toujours livrée A sa gent qu’a recommandée; Fol est, qui ne la veult avoir, Quant elle est offerte et donnée, Par Bon eur et Loyal vouloir.
Pour Dieu, laissons dormir traveil, Ce monde n’a gueres durée, Et paine, tant qu’elle a sommeil, Souffrons que prengne reposée: Qui une foiz l’a esprouvée, La doit fuyr, de son povoir, Par tout doit estre deboutée, Par Bon eur et Loyal vouloir.
L’ENVOY.
Dieu nous doint bonne destinée, Et chascun face son devoir, Ainsi ne sera redoubtée Par Bon eur et Loyal vouloir.
De veoir France que mon cueur amer doit.
En regardant vers le pays de France, Ung jour m’avint, à Dovre sur la mer, Qu’il me souvint de la doulce plaisance Que souloie ou dit pays trouver; Si commencay de cueur à souspirer, Combien certes que grant bien me faisoit, De veoir France que mon cueur amer doit.
Je m’avisay que c’estoit nonsavance, De telz souspirs dedens mon cueur garder, Veu que je voy que la voye commence De bonne paix, qui tous biens peut donner; Pour ce, tournay en confort mon penser, Mais non pourtant, mon cueur ne se lassoit De veoir France que mon cueur amer doit.
Alors chargay, en la nef d’esperance, Tous mes souhays en leur priant d’aler Oultre la mer, sans faire demourance, Et à France de me recommander; Or nous doint Dieu bonne paix sans tarder, Adonc auray loisir, mais qu’ainsi soit, De veoir France que mon cueur amer doit.
L’ENVOY.
Paix est tresor qu’on ne peut trop loer, Je hé guerre, point ne la doit prisier, Destourbé m’a longtemps, soit tort ou droit, De veoir France que mon cueur amer doit.
Priez pour paix, le vray tresor de joye.
Priez pour paix, doulce Vierge Marie, Royne des cieulx, et du monde maistresse, Faictes prier, par vostre courtoisie, Saints et sainctes, et prenez vostre adresse Vers vostre fils, requerrant sa haultesse Qu’il lui plaise son peuple regarder, Que de son sang a voulu rachater, En deboutant guerre qui tout desvoye; De prieres ne vous vueilliez lasser, Priez pour paix, le vray tresor de joye.
Priez, prelaz, et gens de saincte vie. Religieux, ne dormez en peresse, Priez, maistres, et tous suivans clergie, Car par guerre fault que l’estude cesse; Moustiers destruiz sont sans qu’on les redresse, Le service de Dieu vous fault laisser, Quant ne povez en repos demourer; Priez si fort que briefment Dieu vous oye, L’Eglise voult à ce vous ordonner; Priez pour paix, le vray tresor de joye.
Priez, princes qui avez seigneurie, Roys, ducs, contes, barons plains de noblesse, Gentils hommes avec chevalerie, Car meschans gens surmontent gentillesse; En leurs mains ont toute vostre richesse, Debatz les font en hault estat monter, Vous le povez chascun jour veoir au cler, Et sont riches de voz biens et monnoye, Dont vous deussiez le peuple supporter; Prier pour paix, le vray tresor de joye.
Priez, peuple qui souffrez tirannie, Car voz seigneurs sont en telle foiblesse, Qu’ilz ne pevent vous garder par maistrie, Ne vous aider en vostre grant destresse; Loyaux marchans, la selle si vous blesse, Fort sur le doz chascun vous vient presser, Et ne povez marchandise mener, Car vous n’avez seur passage, ne voye, Et maint peril vous convient il passer: Priez pour paix, le vray tresor de joye.
Priez, galans joyeulx en compaignie, Qui despendre desirez à largesse, Guerre vous tient la bourse degarnie; Priez, amans, qui voulez en liesse Servir amours, car guerre, par rudesse, Vous destourbe de voz dames hanter, Qui mainteffoiz fait leurs voloirs torner, Et quant tenez le bout de la courroye, Ung estrangier si le vous vient oster; Priez pour paix, le vray tresor de joye.
L’ENVOY.
Dieu tout puissant nous vueille conforter Toutes choses en terre, ciel et mer, Priez vers lui que brief en tout pourvoye, En lui seul est de tous maulx amender; Priez pour paix, le vray tresor de joye.
En vous souhaitant une belle journée Frédéric Effe Pour Moyenagepassion.com A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.
NOTES
NB : l’enluminure de l’image d’en-tête et de la première illustration est tirée du manuscrit médiéval MS Royal 16 F de la British Library. Outre qu’elle représente Charles captif, elle est aussi l’une des premières représentations connue de Londres (voir article sur le blog de la British Library). La seconde enluminure où l’on voit le prince en habits or et rouge provient du manuscrit MS 187 « Statutes, Ordonnances and armorial of the Order of the Golden Fleece« . Daté de la fin du XVe siècle, ce manuscrit originaire de Hollande est actuellement conservé au Musée Fitzwilliam de Cambridge.
« Dans la crainte d’une querelle intestine sur le champ de bataille, Charles VI avait demandé aux deux princes rivaux, Jean Ier de Bourgogne et Charles d’Orléans, de dépêcher un contingent d’hommes d’armes tout en leur interdisant d’être tous deux présents. Le jeune et fougueux duc d’Orléans, tout juste âgé de vingt et un an, entendait bien tenir sa place, et désobéit aux instructions royales. Et c’est en la qualité de commandant en chef qu’il se retrouva à l’avant-garde de l’ost royal à Azincourt ». La poésie d’exil de Charles d’Orléans et le désir de paix en temps de guerre,Le désir de paix dans la littérature médiévale Carole Bauguion (2023). ↩︎
Vie de Charles d’Orléans (1394-1465), Pierre Champion, Paris, (1911) ↩︎
Sujet : musique médiévale, chanson médiévale, maître de musique, chanson, culte marial, amour courtois, chant polyphonique, rondeau. Titre : Rose, lys, printemps, verdure,… Auteur : Guillaume de Machaut (1300-1377) Période : XIVe siècle, Moyen Âge tardif Interprètes : Gothic Voices Album : The Mirror of Narcissus—songs by Guillaume de Machaut (1983)
Bonjour à tous,
ans le courant du XIVe siècle, Guillaume de Machaut s’impose avec une œuvre musicale et polyphonique de haute tenue. Ce poète et maître de musique a, du reste, connu une belle postérité puisqu’il est encore beaucoup joué et apprécié sur la scène actuelle des musiques médiévales.
Le dernier compositeur poète de son temps
Le legs impressionnant de Guillaume de Machaut comprend quelques pièces liturgiques, mais la partie dédiée à l’amour reste la plus abondante. Ce maître de musique champenois a, en effet, beaucoup écrit sur la nature du sentiment amoureux et même sur ses propres déboires.
Clerc et chanoine de Reims, l’homme reste un des grands représentant de l’Ars Nova. A la fois poète et compositeur, il est aussi considéré comme un des derniers de son temps, à maîtriser les deux arts à la fois. Longtemps après lui, la musique suivra, en effet, son propre chemin. En se complexifiant, elle deviendra un domaine réservé de compositeur. Les poètes, de leur côté, auront le champ libre pour jouer avec les mots. A noter encore que Guillaume de Machaut a fixé quelques formes telle que la ballade, et qu’il a inspiré, au passage des auteurs comme Eustache Deschamps, ce dernier en a même fait son maître.
Un Rondeau pour la Fleur des Fleurs.
A première vue, le rondeau du jour pourrait sembler être une pièce dans la pure tradition de la lyrique courtoise. Le poète y déclare sa flamme à la plus belle des belles qu’on pourrait fort bien imaginer être sa mie. En se penchant d’un peu plus près sur les références de ce rondeau, on ne peut toutefois éviter d’y voir une allusion au culte marial et à la vierge.
Rose, liz, printemps, verdure, cette fleur plus belle et pure que toutes les autres serait elle plus spirituelle que terrestre ? Le rondeau de Machaut partage en tout cas de claires références avec des sources chrétiennes comme les matines sur l’assomption de Marie. Ici comme dans autres écrits chrétiens ou liturgique, on associe clairement la vierge aux roses et aux lys et ces matines anciennes mentionnent même ce printemps et ces fragrances qu’on retrouve directement dans le rondeau de Guillaume de Machaut 1.
Au Moyen Âge central et tardif, les rapprochements entre la lyrique amoureuse et le véritable amour qu’on voue à Marie ne sont pas rares. Avec l’émergence du culte marial médiéval, les formes courtoises s’y sont même , souvent, mêlées. On retrouve ainsi, chez des auteurs médiévaux laïques mais aussi chez des religieux, des odes à la mère du Christ qui prennent les dehors d’un amour courtois. Si ce dernier est souvent défait de sa dimension charnelle, il n’en demeure pas moins intense (voir la Retrowange Novelle de Jacques de Cambrai ou même encore la Plus belle que Flor du Chansonnier de Montpellier).
Au Sources manuscrites de ce rondeau
Les manuscrits dédiés à Guillaume de Machaut qui ne sont parvenus sont nombreux. Pour une version de ce rondeau annoté musicalement, nous avons pioché dans le manuscrit Français 22546 de la BnF où il côtoie d’autres pièces de Guillaume de Machaut. Cet ouvrage daté du XIVe siècle et le deuxième volume des « Nouveaux Dis amoureus » consacrés à l’œuvre de Machaut. Le premier volume est référencé Français 22545 à la BnF (jusque là rien de déroutant). Ces deux manuscrits médiévaux sont consultables sur Gallica, le site digital de la Bibliothèque Nationale.
Pour sa version en musique de ce rondeau, nous vous proposons l’interprétation de la formation musicale Gothic Voices.
Le Rondeau de Machaut par l’ensemble de musiques médiévales Gothic Voices
L’ensemble Gothic Voices dans les pas de Guillaume de Machaut
Nous avons déjà eu l’occasion de citer ici Gothic Voices. Cet ensemble médiéval a été fondé aux débuts des années 80 par Christopher Page, musicologue, universitaire et musicien anglais. Dès sa création, la discographie de la formation s’est centrée sur un répertoire médiéval qui s’étend principalement du XIIIe au XVe siècle. On y trouve de nombreuses pièces de compositeurs Français et Anglais mais aussi quelques incursions vers l’Espagne ou l’Italie médiévales. Pour n’en citer que quelques-uns, Dufay, Machaut, Binchois ou encore Landini font partie des auteurs représentés dans cette discographie.
Au long de sa riche carrière, la formation anglaise s’est penchée sur des pièces liturgiques et des messes comme sur des chansons ou des compositions plus profanes. Vous pourrez retrouver plus d’informations sur leurs programmes et leur discographie sur leur site officiel.
Le Miroir de Narcisse, chansons de Guillaume de Machaut
En 1983, Gothic Voices faisait paraître un album entièrement dédié au maître de musique médiéval sous le titre : The Mirror of Narcissus, songs by Guillaume de Machaut. L’ensemble vocal y gratifiait son public de 13 titres pour une durée d’écoute de 51 minutes. Le rondeau du jour en est extrait.
Le reste de cet album propose des ballades, des motets, des virelais et des rondeaux principalement courtois du compositeur et poète médiéval. La majorité des pièces est en moyen français, à l’exception du motet latin Inviolata genitrix Felix virgo.
Cet album étant paru il y a quelque temps, il peut être difficile de le trouver chez les disquaires. A défaut, vous pourrez vous le procurer au format Mp3 sur les plateformes légales. Voici un lien utile à cet effet : The Mirror of Narcissus, songs by Guillaume de Machaut,
Artistes ayant participé à cet album
Voix : Rogers Covey-Crump, Andrew King, Emma Kirkby, Peter McCrae, Margaret Philpot, Colin Scott Mason, Emily Van Evera. Direction : Christopher Page
Le rondeau de Guillaume de Machaut en moyen français
Rose, liz, printemps, verdure, Fleur, baume et tres douce odour, Belle, passes en doucour, Et tous les biens de Nature Avez dont je vous aour.
Rose, liz, printemps, verdure, Fleur, baume et tres douce odour, Et quant toute creature Seurmonte vostre valour, Bien puis dire et par honour:
Rose, liz, printemps, verdure, Fleur, baume et tres douce odour, Belle, passes en doucour.
Traduction en français actuel
Rose, lys, printemps, verdure, Fleur, baume et plus doux parfum. Belle dame, vous surpassez en douceur. Et tous les dons de la nature Sont vôtres, Par quoi je vous adore.
Rose, lys, printemps, verdure, Fleur, baume et le plus doux parfum. Et, puisque, au-delà de toute créature, Votre vertu les surpasse toutes, Je puis bien dire honorablement :
Rose, lys, printemps, verdure, Belle dame, vous surpassez en douceur, fleur, baume et le plus doux parfum.
En vous souhaitant une belle journée Frédéric Effe Pour Moyenagepassion.com A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.
Notes
« Vidi speciósam sicut columbam, ascendentem désuper rivos aquárum, cujus inaestimábilis odor erat nimis in vestimentis ejus; * Et sicut dies verni circúmdabant eam flores rosárum et lilia convallium. » « J’ai vu une femme belle comme une colombe, s’élevant au-dessus des fleuves d’eau, et un parfum inestimable qui pesait sur ses vêtements. *Et comme les jours du printemps, il y avait autour d’elle des fleurs de roses et des lys des vallées. » Bréviaire Romain et Matines sur l’assomption de Marie. Voir aussi L’Assomption de la Bienheureuse Vierge Marie, Jacques de Voragine La Légende dorée (1261-1266) : »Et aussitôt le corps de Marie fut entouré de roses et de lys, symbole des martyrs, des anges, des confesseurs et des vierges. Et ainsi l’âme de Marie fut emportée joyeusement au ciel, où elle s’assit sur le trône de gloire à la droite de son fils. »↩︎