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POÉSIE MÉDIEVALE SATIRIQUE : LE PRINCE DE GEORGES CHASTELLAIN(3)

Georges Chastellain - Enluminure manuscrit médiéval Ms 11020-33

Sujet : poésie satirique, poésie médiévale, poète belge, poésie politique, auteur médiéval, Bourgogne médiévale, Belgique médiévale, moyen-français.
Période : Moyen Âge tardif, XVe siècle
Auteur : Georges Chastellain (1405 – 1475)
Manuscrit médiéval : Ms 11020-33, KBR museum
Ouvrage : Oeuvres de Georges Chastellain T7, Baron Kervyn de Lettenhove. Bruxelles (1865).

Bonjour à tous,

ujourd’hui, nous continuons d’explorer la poésie satirique de Georges Chastellain (Chastelain), appelée « Le Prince« . Aux siècles passés, ce texte politique de l’auteur médiéval avait laissé penser à quelques médiévistes qu’il était dirigé à l’encontre de tous les mauvais princes, en général. Il faut dire que Chastellain nous décrivait là tant de vices et de travers qu’on aurait pu avoir peine à croire qu’un seul prince puisse, à lui seul, les cumuler.

Comme le poète du XVe siècle ne citait, nominativement, aucun puissant dans sa diatribe, le doute était permis ; quelques flous de datation ajoutaient encore à la confusion. Selon les derniers recoupements, les spécialiste de littérature médiévale du XXe siècle ont, toutefois, tranché. Au sortir, il semble que c’est bien Louis XI qui était la cible des foudres de l’auteur médiéval. A la même période, cette poésie a connu quelques résonnances également en Bretagne puisqu’elle inspira à Jean Meschinot quelques ballades acidulées. Pour les rédiger, le poète breton réutilisa même directement les strophes de Chastelain en guise d’envoi de ses propre poésies.

Le prince de Georges Chastellain - extrait avec enluminure médiévale

Du point de vue des sources

Pour la transcription en graphie moderne de cette poésie du Moyen Âge tardif, nous nous appuyons sur les Oeuvres de Georges Chastellain par le Baron Kervyn de Lettenhove (1865). Pour une source manuscrite et historique plus ancienne, vous pouvez retrouver cette pièce dans le manuscrit Ms 11020-33 du KBR Museum (Bibliothèque royale de Belgique). Il fait partie de la prestigieuse collection des Manuscrits des ducs de Bourgogne du musée.


Le Prince, strophes XVII à XXIV
avec aides de traduction en français actuel

Nous reprenons notre exploration où nous l’avons laissée à la strophe XVII. Pour les deux premières parties de cette poésie satirique, nous vous invitons à vous reporter à nos articles précédents : Voir Le Prince de Georges Chastelain (1) et Le Prince de Georges Chastelain (2).

Même si le moyen français du XVe siècle se rapproche du nôtre, nous joignons de nombreuses clés de vocabulaire en français actuel pour une meilleure compréhension.

Prince qui hayt* (de haïr) remonstrance et doctrine,
Plus est venu d’excellente origine,
Tant plus lui tourne à grant grief et esclandre,
Et n’a dangier si grant dessus la terre
Que quant ne chault à prince en quoy il erre
* (se trompe);
Car ce seroit pis que le sang espandre.

Prince qui sourt
* (fait apparaître) nouvelletés estroites
Et rétrécit les amples voies droites ,
Celles que honneur doit maintenir non fraintes
* ( rompues, enfreintes).
Celuy esmeut cœurs d’hommes à murmure,
Les fait tourner à hayne et à froidure
Et contre luy former larmes et plaintes.

Prince qui hayt avoir puissant voisin
Et envis voit que parent ou cousin
Règne emprès lui en honneur et en gloire,
Que fait-il tel fors monstrer de sa vie
Qu’il est remply d’orgueil vain et d’envie
Et hayt tous ceux dont digne est la mémoire ?

Prince qui mal ne doubte, ne ne poise
* (de peser),
Mais mesmes quiert
* (cherche) sédition* (discorde) et noise* (querelle)
Et en ce faire il se baingne et délite
* (se complait),
Sy monstre au doigt que longue paix luy griesve
* (lui déplait)
Que d’autruy bien il se tourmente et criesve
Et de salut désire à estre quitte.

Prince qui point ne craint hommes offendre,
C’est le vray signe en quoy l’on peut entendre
Que la crémeur
* (cremor, crainte) de Dieu petit lui monte ;
Or advisons quel fin celui doit traire
* (endurer)
Qui attrait Dieu et homme à son contraire
Et au courroux de nul des deux n’aconte
*
(considèrer, tenir compte).

Prince qui porte et soustient les mauvais
Contre les bons, l’honneur de son palais,
Et en perverse et honteuse querelle,
Celuy conduit un criminel ouvraige,
Qui amatist
* (vaincre, réduire, flétrir), maint noble et haut couraige
Pour ce que l’œuvre en est desnaturelle
* (contre nature).

Prince mordant et aigre en sa parole
Et qui sans poix son langaige dévole
* (prononce)
Et de légier
* (facilement) le contourne à injure,
Celuy en peu ses mœurs donne à congnoistre.
On peut dire que le cœur de son cloistre
N’est pas bien sain, ne de bonne nature.


Prince addonné à meschantés soubtives,
A subtillier subtilletés chétives,
(1)
Qui doit penser à haute chose honneste
Tout en tel soing meschant en quoy il veille,
La puce enfin le prendra par l’oreille,
Et dont luy propre il mauldira sa teste.

(1) Le prince qui s’adonne à des méchancetés élaborées (subtiles), qu’il perfectionne en de méprisables subtilités, alors qu’il devrait penser à des choses élevées, honorables et honnêtes, au lieu de prendre soin d’être mauvais en toute chose dont il s’occupe, la puce viendra…


Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes

NB : le portrait de Georges Chastellain sur l’illustration et sur l’image d’en tête est tiré du Manuscrit médiéval : « la Chronique des ducs de Bourgogne de Georges Chastellain », référencé ms français 2689 et conservé au département des manuscrits de la BnF. Pour voir cette enluminure en entier, vous pouvez vous reporter à nos articles précédents sur Le Prince de Chastellain. En arrière plan, toujours sur l’image d’en-tête, nous avons utilisé la page du Manuscrit Ms 11020-33 du KBR Museum (Bibliothèque royale de Belgique) correspondant aux versets du jour. La Bibliothèque Royale de Belgique a eu la bonne idée de numériser ce manuscrit daté du XVe siècle et il peut être consulté sur le site du Musée.

une complainte du pays de France sous la plume d’Eustache Deschamps

Sujet  : poésie médiévale, auteur médiéval,  moyen-français, manuscrit ancien, poésie, Ballade, complainte, poésie politique, poésie satirique
Période  : Moyen Âge tardif,  XIVe siècle.
Auteur :  Eustache Deschamps  (1346-1406)
Titre  :  «De la Complainte du Pays de France»
Ouvrage  :  Poésies Morales et Historiques d’Eustache Deschamps,  G.A. Crapelet (1832)

Bonjour à tous,

ujourd’hui, nous vous proposons une nouvelle ballade d’Eustache Deschamps. Dans la veine de certaines de ses poésies politiques et satiriques, l’auteur médiéval y reviendra sur son siècle et sur la déchéance des valeurs auxquels il assiste. Cette fois, il se glissera dans la peau du « Pays de France » pour le faire parler, le temps d’une complainte sans concession.

Poésie Médiévale avec enluminure : complainte de Eustache Deschamps

Complainte sur une France en perdition

Le « Je » de cette ballade est donc celui d’une France qui a laissé disparaître son honneur et ses héros, au profit du mensonge et de la tricherie. Pour Eustache Deschamps, l’affaire est claire : la vaillance, la courtoisie, la bonté et la joie sont mortes et, avec elles, la chevalerie d’antan et ses valeurs. Devenue petite et mesquine, la France voit son nom moqué en tout lieu et personne n’ose plus s’en réclamer.

Ce n’est pas la seule poésie qu’Eustache fera sur sa tristesse de vivre au cœur d’une France déchue et dévoyée que nul ne respecte plus. On citera, par exemple, sa ballade 159. Il y empruntait déjà la première personne pour incarner une France qui se mire, avec amertume et nostalgie, dans son glorieux passé. En voici un extrait :

« Je conquestay jadis maint riche fort
Et mains pais soubmis par ma doctrine.
Toutes terres doubtoient mon effort,
Je n’oy adonc ne voisin ne voisine
Qui ne me fust obedient, encline,
Et qui en tout ne doubtast ma puissance,
Lasse! et je voy que mon fait se décline
Qui jadis fui la lumière de France. »

Eustache Deschamps – Ballade CLIX, extrait.

Contexte historique et sources

Il est difficile de dater précisément cette complainte du pays de France, mais le vers « Et chascun veult par force estre mon hoir. » pourrait suggérer qu’elle se situe autour de la mort de Charles V et des tensions qui lui ont succédé au sein de la famille royale (voir Eustache Deschamps en son temps, Hélène Millet, Publications de la Sorbonne, 1997). Nous serions donc autour de 1380.

Si la poésie nous gratifie de peu d’éléments de contexte et pour cette raison même justement, la force des vers est demeurée et continue de nous parler. A 700 ans du poète, elle peut faire écho à certaines idées qui résonnent encore au sein de notre modernité et qu’on avait pu croire nouvelles. Sous la pression de circonstances totalement différentes, on pourrait même être tenté de les plaquer au contexte très actuel.

Du point de vue des sources historiques, on pourra se reporter au manuscrit médiéval français 840 que nous avons déjà, maintes fois, cité. Cet ouvrage, daté du XVe siècle, contient l’ensemble de l’œuvre d’Eustache Deschamps et se trouve conservé au département des manuscrits de la BnF (à consulter sur Gallica).


« De la Complainte du Pays de France« 
dans la langue d’Eustache Deschamps

Je plain et plour le temps que j’ay perdu,
Vaillance, honeur, sens et chevalerie,
Congnoissance, force , bonté et vertu ;
Largesce, amour, doulz maintien, courtoisie,
Humilité, déduit, joieuse vie,
Et le bon nom que je souloie avoir,
Le hardement, la noble baronnie ;
Quant l’un ne veult fors l’autre décevoir.

J’ay veu partout honourer mon escu,
Et en tous lieux doubter ma seignourie,
Comme puissant et richement vestu;
Terre conquis par ma bachelerie
(1).
Lasse ! or me voy aujourdui si périe,
Que nul ne fait envers moy son devoir;
Bien doy éstre déboutée et esbahie,
Quant l’un ne veult fors l’autre décevoir.

A Dieu ! hélas ! que m’est-il advenu?
Orgueil me suist, lascheté, villenie,
Trop convoiter, honte, que me fais-tu?
Dissimuler, barat
(2) et tricherie ;
Mon nom s’i pert, et tourne en moquerie ,
Et chascun veult par force estre mon hoir.
Je périray ; c’est ce pour quoi je crie,
Quant nulz ne veut fors l’autre décevoir.

(1) Bachelerie : jeunes chevaliers. Voir aussi Ballade du bachelier d’armes ou encore Une branche d’armes, fabliau sur l’initiation du jeune chevalier

(2) Barat : ruse, tromperie (Hilaire Van Daele, petit dictionnaire de l’ancien français).


En vous souhaitant une belle journée.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
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NB : l’enluminure utilisée pour l’illustration est l’image d’entête est tirée du manuscrit médiéval Ms17, le roman de la Rose (crédits photo IRHT). Le manuscrit n’est pas digitalisé mais nous avons trouvé cette enluminure sur ce très bon article de Robert Marcoux à propos de la tristesse au Moyen Âge.

Ballade Des vices qui peuvent perdre un prince

Sujet  : poésie médiévale, auteur médiéval,  moyen-français, manuscrit ancien, poésie, Ballade
Période  : Moyen Âge tardif,  XIVe siècle.
Auteur :  Eustache Deschamps  (1346-1406)
Titre  :  «Pour ce, fait bon telz vices remouvoir»
Ouvrage  :  Poésies Morales et Historiques d’Eustache Deschamps, G.A. Crapelet (1832)

Bonjour à tous,

ans le contexte mouvementé du XIVe siècle, Eustache Deschamps mène sa barque de petit noble et officier de cour en semant des rimes, dans son sillage. Au terme de son existence, il laissera la quantité impressionnante de plus de 80 000 vers de poésie.

Ballades, virelais, rondeaux, complaintes, chants royaux,… Toutes les formes poétiques y sont passées mais aussi tous les sujets : courtoisie, alimentation, voyages, politique, vie curiale, tournois, chevalerie, mœurs de son temps. En soixante ans, Eustache a été témoin, tout à la fois, des guerres, des pillages des campagnes, des épidémies de peste, des luttes de pouvoir, les abus des princes. Il a même été contemporain d’un roi devenu fou. Il a aussi connu l’amour, les désillusions, les affres de la maladie et de l’âge, des années d’opulence et d’autres moins heureuses et tout cela, il l’a couché sur le papier et mis en rime comme tout le reste.

Poésie satirique  : une ballade  médiévale d'Eustache Dechamps avec enluminure

Aux sources de l’œuvre d’Eustache

Dans la première moitié du XIXe siècle, l’écrivain et imprimeur Georges-Adrien Crapelet fera paraître une première sélection de poésies morales et politiques d’Eustache. Elle contribuera à attirer l’attention d’autres historiens et imprimeurs sur l’auteur médiéval. Quelques années plus tard, l’archéologue et historien Louis Hardouin Prosper Tarbé fera, à son tour, paraître deux tomes de nouvelles œuvres inédites d’Eustache. Enfin, dans la dernière partie de ce même siècle et jusqu’au début du XXe siècle, deux éminents médiévistes, le Marquis de Queux de Saint-Hilaire, puis Gaston Raynaud  se relaieront pour publier les œuvres complètes d’Eustache Deschamps. On y comptera pas moins de 11 tomes entre notes diverses, éléments de biographie et poésies. À lui tout seul, Eustache nous a presque légué une encyclopédie poétique.

Si tous ses vers n’ont pas accédé au panthéon de la rime et de la poésie, loin s’en faut, son legs est d’un grand intérêt à plus d’un titre. Les amateurs de poésie peuvent l’explorer tout à loisir pour y chercher quelques pépites ou parfaire leur connaissance de l’ancien français. Les spécialistes de littérature médiévale, les philologues, historiens du Moyen Âge et autres universitaires y puisent aussi abondamment pour alimenter leur connaissance des mœurs et usages de cette période et approcher aussi de près les mentalités médiévales. Du point de vue des sources historiques, le manuscrit médiéval Ms français 840, conservé à la BnF contient l’ensemble de l’œuvre d’Eustache Deschamps, soit le chiffre vertigineux de 1500 pièces.

Pour ce qui est de la ballade du jour, elle est dans la veine de ses poésies les plus politiques et morales sur les devoirs des Princes et même les vices dont ceux-ci doivent se tenir éloignés au risque de se faire honnir de leur peuple.


Des six choses qui perdent le Prince
une ballade d’Eustache Deschamps

Six choses sont qui font prince exillier,
Perdre s’onneur et haine encourir :
Trop longuement sa guerre conseillier,
Estre orgueilleus , son convent non tenir
(1),
Trop convoiter, ses subgiez asservir,
Paresce ès fais qu’om doit hastis avoir
(2) ;
Par ces six poins se puet prince honnir
(deshonorer) :
Pour ce, fait bon telz vices remouvoir
(écarter).

Par longs conseilz
(décision, délibération) puet terre périllier,
Et la puet lors l’ennemi conquérir,
Et par orgueil se fait prince laissier,
Et si acquiert déshoneur par mentir;
Par convoiter, se fait partout haïr;
Par asservir, ses subgiez esmouvoir;
Par paresce, du tout anientir :
Pour ce, fait bon telz vices remouvoir.

Conseil
se doit briefment expédier,
C’est ce qui fait la guerre secourir;
Humilité souffisance traittier
(3),
Franchise amer, vérité soustenir,
Diligence en tous cas maintenir ;
Car tous ces poins doit tous bons princes sçavoir,
Règnes en puet par les autres fenir :
Pour ce, fait bon telz vices remouvoir.

(1) Tenir son convent : tenir ses engagements.
(2) Paresse dans les choses qui doivent être accomplis rapidement.
(3) Traitier : traiter, parler de, s’occuper d’humilité de manière suffisante


En vous remerciant de votre lecture.
Une très belle journée.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
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NB : l’enluminure sur image d’en-tête ainsi que sur l’illustration représente un pèlerin médiéval croisant sur sa route Flatterie et orgueil. Elle provient du manuscrit ms 1130 : Les trois pèlerinages et le Pèlerinage de la Vie Humaine de Guillaume de Digulleville (moine et poète français du Moyen Âge central (1295-1360). Ce manuscrit de la deuxième moitié du XIVe peut être consulté en ligne ici. Il est conservé à la Bibliothèque Sainte-Geneviève de Paris

Poésie médievale satirique : Le prince de georges Chastellain(2)

Enluminure Chastellain

Sujet : poésie satirique, poésie médiévale, poète belge, rondeau satirique, poésie politique, auteur médiéval, Bourgogne médiévale, Belgique médiévale.
Période : Moyen Âge tardif, XVe siècle
Auteur : Georges Chastellain (1405 – 1475)
Manuscrit médiéval : Ms 11020-33, KBR museum
Ouvrage : Oeuvres de Georges Chastellain T7, Baron Kervyn de Lettenhove. Bruxelles (1865).

Bonjour à tous,

l y a quelque temps, nous avions publié les premières strophes de la poésie satirique Le Prince de Georges Chastellain. Aujourd’hui, nous vous proposons d’en découvrir une seconde partie et, donc, la suite.

Après plus d’un siècle de débat, les experts médiévistes semblent finalement être parvenu à un accord. Cette poésie sans concession de Chastellain était, sans guère de doute, destinée à Louis XI. Les positions politiques de notre auteur à l’égard du souverain français, mais aussi ses différents écrits au sujet de Louis XI, disséminés dans sa chronique, se recoupent. Avant cela, par sa nature générique et non explicitement ciblée, cette poésie avait laissé penser, à certains érudits, qu’elle pouvait être adressée à une sorte d’archétype du mauvais prince. Tenté de le nommer Les Princes plutôt que Le prince, on n’y voyait alors l’énoncé des plus terribles travers présents chez les pires dirigeants de l’histoire, une sorte de plaidoyer moral accusatoire sur l’exercice abusif et déviant du pouvoir politique à travers le temps et les âges.

Le Prince, extrait 2, Poésie du Moyen Âge tardif illustrée avec enluminure .

Mensonges, fausses promesses, avidité, avarice, cupidité, arbitraire, orgueil, cruauté, vanité, … Il faut dire que Le Prince de Chastellain cumule tant de griefs qu’on aurait presque du mal à croire qu’elle s’adressait à un seul homme. Le poète médiéval breton Jean Meschinot en fut tant inspiré qu’il reprit même les strophes de l’auteur médiéval pour en faire les envois de ballades accusatoires et vitriolées contre Louis XI.

On le sait les deux auteurs ne furent pas les seuls à s’en prendre au roi français en son temps et même longtemps après. Au XIXe siècle, on se souvient encore du Verger du roi Louis de Théodore de Banville (repris par Georges Brassens, au XXe s). La réputation que certains chroniqueurs avaient faite au souverain et son exercice tyrannique du pouvoir était si exécrable que certains historiens plus tardif se sont sentis l’obligation de rétablir un peu d’équilibre : œuvrant à la remettre en perspective dans son contexte ou mettant encore en exergue certaines parties plus positives du règne du souverain.

Pour en revenir à cette poésie politique et engagée de Chastellain, elle a conservé toutes ses qualités satiriques, même si elle n’est pas ce que la postérité a le plus retenu de son œuvre. L’auteur du Moyen Âge tardif a, en effet, plus brillé par le reste de ses écrits et notamment sa Chronique de Bourgogne. Pour les sources manuscrites de ce texte, ainsi que des éléments biographiques sur Chastellain, nous vous renvoyons à l’article suivant : Le prince, une poésie politique et satirique de Georges Chastellain. Vous y trouverez également la première partie de cette pièce corrosive.


Le Prince (strophe IX à XVI)
dans le moyen français de G. Chastellain

Prince tendant à faulseté couverte,
Pour prendre autruy et le mener à perte,
Soubs faux engin
(ruse, tromperie) comme une beste mue,
Le vray est dû de sa sifaite attente
(de tels actes, buts)
C’est de chéoir lui-mesmes en sa tente
(jdm ? tente, tenture, tentation)
Laquelle il a par dol faite et tissue.


Prince ennemy d’autruy félicité,
De propre sang, de propre affinité,
De propre paix qui le tient en son aise,
Qu’est icelluy, fors hayneux à soy-mesmes
Et que les voix de tous hommes et femmes
Vont maudissant pour sa vie mauvaise ?

Prince qui n’a amour envers nulluy
Et qui n’aconte
(considérer) à amistié d’autruy,
Ne doit penser fors, comme nul il n’ame,
Que nul aussi ne s’avance à l’amer ;
Mais seul par soy tout seul se doit clamer,
Qui de nulluy n’a grâce fors que blasme.

Prince qui croit que grâce universelle
Tient le régnant en gloire et en haute elle ,
Saige il prétend d’attraire amour publique
Dont il fait autre et prent voye ennemye,
Soit tout certain qu’à mal ne fauldra mye
Et que son heur ne lui tourne en l’oblique.

Prince qui n’a fidélité certaine,
Là est aux bons espérance loingtaine
D’avoir grand bien qui par luy leur adviengne ;
Il promet moult et met le vel
(voile) en face,
Mais quant qu’il dit, tout n’est que vent et glace,
Tout font au mot et n’y a riens qui tiengne.

Prince qui fait soy craindre de chascun,
Force est qu’il craigne un chascun en commun
Et qu’en nulluy n’ait foy où il s’asseure;
Car comme il fait le pourquoy à tout homme
Que chascun fel et félon le renomme,
Chascun aussy lui garde telle meure.

Prince qui tout enfonse et escrutine
(1)
Et tout applique à privée rapine
En quoy cent mille ont en façon de vivre,
Que vault celuy pour royaume ou empire,
Dont nul n’amende, ains chascun en empire,
Fors que tout tourne en son sac marc
(poid d’or ou d’argent) et livre ?

Prince prodigue et large oultre mesure,
Aux bons servants fait grand honte et laidure,
Car il leur tolt ou leur tient la main close.
Aux fols il donne sans gré et sans déserte,
Laissant les bons en povreté apperte
(manifeste, ouverte)
Et sy n’en fait ni estime
(évaluation), ni glose (explication)
.

(1) Escrutiner : godefroy court, examiner, enfermer dans un coffre.

En vous souhaitant une très belle journée.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes

NB : l’image d’en tête est extraite du Manuscrit médiéval : « la Chronique des ducs de Bourgogne de Georges Chastellain », référence ms français 2689 et conservé au département des manuscrits de la BnF. On peut y voir Chastellain à gauche, son ouvrage à la main. Sur le trône, Charles le Téméraire, nouvellement nommé duc de Bourgogne, y tient le deuil de Philippe le Bon.  Pour l’illustration sur la poésie des princes, nous avons utilisé à nouveau une miniature du très beau Compost et Calendrier des Bergers ( Rés SA 3390) conservé à la Bibliothèque d’Angers. Celle du jour représente le supplice des orgueilleux en enfer.