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Un autre Regard sur François Villon avec Michel de Meaulnes

françois_villon_poesie_medievale_rencontre_poetique_france_culture_michel_meaulnesSujet : François Villon, programme de radio, théâtre, poésie médiévale,
Période : moyen-âge tardif
Media : Emission de Radio, Audio
Titre : les vivants et les Dieux
Intervenants : Michel Cazenave, Michel de Meaulnes (Michel de Maulne)
Radio : France Culture (2003)

Bonjour à tous,

A_lettrine_moyen_age_passionujourd’hui, nous vous invitons à vous élever dans le monde mystérieux du langage des poètes, à la quête d’un tout autre éclairage sur François Villon, l’homme comme l’oeuvre. Il s’agit, en effet, de découvrir une rencontre au carrefour de la poésie, du théâtre et de la mystique à laquelle nous conviait Michel de Meaulnes, invité de Michel Cazenave dans le programme « Les Vivants et les Dieux » de France Culture en 2003.

A cette occasion, le comédien, metteur en scène français présentait un spectacle qu’il donnait sur François Villon mais, au delà, nous parlait de sa vision intérieure du grand maître de poésie médiévale, en ouvrant d’autres perspectives, loin du Villon « mauvais garçon » dont nous sommes coutumiers, La poésie y rejoignait alors et se fusionnait avec la mystique et on pourrait résumer ainsi l’approche que nous proposait Michel de Meaulnes : à un point de son itinéraire et notamment face aux tortures et aux souffrances qu’on lui avait infligé en prison (voir article sur le sujet), Villon, par ailleurs profondément chrétien, serait entré en état de grâce. Dans cet abandon total de l’ego du à la souffrance, il aurait ainsi touché du doigt le divin et, à partir de cet instant là, la lecture de son testament serait à mettre en perspective de ce nouvel éclairage. Bien au delà du simple mauvais garçon repenti, c’est à la poésie d’un homme habité par cette révélation que nous ferions face et c’est à cette profondeur que Michel de Meaulnes nous convie à lire Villon et à le comprendre.

Le testament d’un Villon éclairé
et presque « déjà mort »

Alors Villon révélé, Villon sanctifié, Villon illuminé? Au sortir de l’écoute de ce programme de France Culture, chacun sera libre, bien sûr, d’en décider, et il n’engage que l’artiste contemporain qui tente, à travers les siècles, de mieux se rapprocher de l’auteur médiéval pour en percer les mystères et en trouver des clés de lecture. Mais qu’on adhère ou pas à cette vision d’un Villon touché par la grâce au moment où il rédige son dernier opus poétique, c’est en tout cas, une lecture intéressante et nouvelle de son oeuvre qui nous est proposée ici. D’une certaine manière, elle pourrait même expliquer la fascination qu’exerce encore sur nous des textes de Villon comme l’épitaphe (ou ballade des pendus)   écrite par un homme qui se plaçait déjà de l’autre côté taisen_deshimaru_une_lecture_zen_et_poetique_de_francois_villondes rives de la vie, et qui priait pour son rachat et le nôtre depuis une éternité de souffrance allant bien au delà de la simple déchéance de ces corps pendus. Le détachement de cette prière de Villon adressée à ses « frères humains » pouvait-il être celui de la mystique et non pas seulement celui du condamné tremblant pour sa vie et redoutant la corde? Pourquoi pas? Au fond, Taisen Deshimaru (photo ci-contre), ce grand maître zen japonais venu en France  dans les années soixante-dix, afin d’y semer la graine du zen et dont Michel de Meaulnes a suivi les enseignements, disait lui-même souvent à ses disciples : « Faire zazen* (*zen assis, méditation assise) c’est comme s’asseoir dans son cercueil »;  être « éveillé » c’est finalement se situer déjà dans l’au-delà.

Alors, Villon, était-il déjà « mort » quand il écrit le testament, ou pour le dire autrement, avait-t’il déjà « tué » en lui le mauvais garçon et même transcendé la repentance pour inscrire sa poésie dans un ailleurs qui est celui de la mystique? A travers ses épreuves et sous les affres des douleurs et des tortures, a-t’il pu connaître cet état « d’éveil » qui se présente dans le détachement total de l’ego et dont on peut trouver la trace chez les grands mystiques? On trouve chez ce grand poète médiéval tant de choses qu’il y a sans doute autant de visions de son legs qu’il y a d’yeux pour le lire, mais nous sommes en tout cas heureux que celle de Michel de Meaulnes trouve également sa place ici pour en nourrir nos réflexions. Cela nous fournit aussi l’occasion, si vous ne le connaissiez pas encore, de découvrir un grand homme contemporain de poésie et de culture.

Michel de Meaulnes,
homme de poésie de théâtre et de culture

Metteur en scène, comédien formé à l’Actor Studio, homme de théâtre et de poésie, depuis les années 70, Michel de Meaulnes a monté de nombreux spectacles, jouant ou mettant en scène des textes de grands auteurs de la littérature et de la poésie française et francophone. Fondateur  de la compagnie théâtrale l’ATHANOR en 1977, ses fonctions créatrices s’exercent aussi dans la gestion et la production, et par le passé, il a notamment occupé les fonctions de Directeur de la maison de la Poésie à Paris et dirigé le théâtre d’Epernay. On lui doit encore, en 2015, la fondation de Cap à l’Est, un festival de poésie qui se déroule en Slovaquie.

(Photographie de Michel de Meaulnes © Ivan Ladciansky)

En vous souhaitant une belle journée!
Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes.

Jean Froissart, l’amour courtois et l’odeur d’une rose

histoire_poesie_medievale_jean_froissart_chroniqueur_du_moyen-age_centralSujet : amour courtois, poésie médiévale, rondeau, auteur médiéval.
Période : moyen-âge central
Auteur : Jean Froissart (1337-1405)
Titre : Mon coeur s’ébat en respirant la rose
Tirée de : les poètes français d’Eugène Crépet (1861)

Bonjour à tous,

E_lettrine_moyen_age_passionn cette belle journée, nous vous présentons un peu d’amour courtois sous la plume de  Jean  Froissart, bien plus connu, il est vrai, comme un des premiers historiens « véritables » du XIVe siècle, à quelques réserves près, que comme un grand versificateur.

Même si la poésie de Froissart du bon chroniqueur de Saint-Louis n’est pas entrée dans l’Histoire autant que ses chroniques, on lui doit tout de même quelques jolies digressions sur le terrain de la rime. Rendons-lui en justice. Nous avions publié, il y a quelque temps déjà, sa ballade sur la marguerite et le retrouvons, aujourd’hui le nez dans une rose,  pour le dire trivialement, avec un rondeau.

Mon coeur s’ébat en respirant la rose
dans le français de Jean Froissart

Mon coer s’esbat en oudourant la rose
Trop mieulz me vault l’une que l’ autre chose.
Mon coer s’esbat en oudourant la rose.

L’ oudour m’est bon , mès dou regart je n’ ose
Juer trop fort, je le vous jur par m’ame;
Mon coer s’esbat en oudourant la rose
Et s’ esjoïst en regardant ma dame.

La traduction  en français moderne
d’Eugène Crépet

Mon cœur  s’ébat en respirant la rose
Et se réjouit en regardant ma dame.
Mieux vaut pour moi l’une que l’autre chose;
Mon cœur  s’ébat en respirant la rose.

L’odeur m’est bonne , mais du regard je n’ose
Jouer trop fort, (je)  vous le jure sur mon âme;
Mon cœur  s’ébat en respirant la rose
Et se réjouit en regardant ma dame.

hommage_phillipe_leotard_leo_ferre_rutebeuf_poete_medieval

Une excellente journée à tous dans la joie!
Fred
L’ardente passion, que nul frein ne retient, poursuit ce qu’elle veut et non ce qui convient. Publilius Syru s   Ier s. av. J.-C

Raisonances poètiques : Philippe Léotard chante Léo Ferré qui chante Rutebeuf

leo_ferre_rutebeuf_poesie_medievale_pauvrete_rutebeuf_hommage2Sujet : poésie médiévale mise en chanson, Rutebeuf, complainte
Titre : Pauvre Rutebeuf, la Complainte de l’Amitié
Auteur : Rutebeuf, Léo Ferré (1916-1993)
Interprète : Philippe Léotard

Bonjour à tous,

oilà quelques temps que nous n’avons rien publié autour de Rutebeuf et, une fois encore, c’est par l’intermédiaire de Léo Ferré que nous allons le faire en revenant sur cette chanson « Pauvre Rutebeuf » que l’on appelle encore la complainte de l’amitié et que le célèbre chanteur et rutebeuf_troubadour_medieval_musique_moyen_age_passionauteur anarchiste écrivit, dans les années cinquante, en hommage au poète du XIIIe siècle.

Aujourd’hui, nous postons aussi les vers originaux de la poésie de Rutebeuf qui inspirèrent Léo Ferré. Il est indéniable que ce dernier y mit sa plume et son talent autant que sa grande sensibilité, ne se contentant pas simplement de traduire le poète médiéval. De fait, sa version est très librement inspirée et emprunte même à d’autres extraits de Rutebeuf autant que s’y mêle un véritable travail d’écriture poétique. Mettre les deux versions en miroir permet de mesurer un peu mieux cette distance d’une poésie à l’autre.

Philippe Léotard, le coeur au bord du gouffre

« Tout le monde aimerait qu’il ne manque personne à sa solitude. Qu’ on se réjouisse ou qu’ on se lamente, quand on est seul, c’est tout de même aux yeux du monde ! »
Philippe Léotard –  Clinique de la raison close

C_lettrine_moyen_age_passionomme nous l’avions évoqué lors d’un article précédent, cette chanson de Léo Ferré à donné lieu à d’innombrables versions, mais nous voulons profiter de l’occasion du jour pour en partager une très spéciale. Elle nous vient du regretté Philippe Léotard, artiste écorché vif, acteur, chanteur, poète et écrivain anticonformiste de talent que la vie a fini par emporter, de boires en déboires, à l’âge de soixante et un ans. C’était il y a philippe_leotard_leo_ferre_rutebeuf_hommage_poetesmaintenant plus de quinze ans, presque jour pour jour, le 27 août 2001, aussi que cette pensée s’envole jusqu’à lui, et que cet article permette de le faire revivre le temps d’une chanson.

Au delà de la coïncidence des dates, cette version est encore très particulière à deux titres au moins. Dans sa forme, elle nous permet de nous délecter de la voix éraillée de Philippe Léotard et de la sensibilité unique de ce coeur qui semblait toujours être au bord du gouffre. Sur le fond, c’est aussi un hommage en cascade qui raisonne de la voix de trois véritables artistes et poètes, à travers les temps et les âges, du monde médiéval à nos jours.

La version originale de Rutebeuf

Li mal ne sevent seul venir;
Tout ce m’estoit a avenir,
        S’est avenu.
Que sont mi ami devenu
Que j’avoie si pres tenu
        Et tant amé ?
Je cuit qu’il sont trop cler semé;
Il ne furent pas bien femé,
        Si ont failli.
Itel ami m’ont mal bailli,
C’onques, tant com Diex m’assailli
        En maint costé,
N’en vi un seul en mon osté.
Je cuit li vens les a osté,
        L’amor est morte.
Ce sont ami que vens enporte,
Et il ventoit devant ma porte
        Ses enporta.
C’onques nus ne m’en conforta
Ne du sien riens ne m’aporta.
        Ice m’aprent
Qui auques a, privé le prent;
Més cil trop a tart se repent
        Qui trop a mis
De son avoir pour fere amis,
Qu’il nes trueve entiers ne demis
        A lui secorre.
Or lerai donc fortune corre
Si entendrai a moi rescorre
        Si jel puis fere.

La complainte de l’Amitié ou Pauvre
Rutebeuf de Léo Ferré


Que sont mes amis devenus
Que j’avais de si près tenus
Et tant aimés
Ils ont été trop clairsemés
Je crois le vent les a ôtés
L’amour est morte
Ce sont amis que vent me porte
Et il ventait devant ma porte
Les emporta

Avec le temps qu’arbre défeuille
Quand il ne reste en branche feuille
Qui n’aille à terre
Avec pauvreté qui m’atterre
Qui de partout me fait la guerre
Au temps d’hiver
Ne convient pas que vous raconte
Comment je me suis mis à honte
En quelle manière

Que sont mes amis devenus
Que j’avais de si près tenus
Et tant aimés
Ils ont été trop clairsemés
Je crois le vent les a ôtés
L’amour est morte
Le mal ne sait pas seul venir
Tout ce qui m’était à venir
M’est advenu

Pauvre sens et pauvre mémoire
M’a Dieu donné, le roi de gloire
Et pauvre rente
Et droit au cul quand bise vente
Le vent me vient, le vent m’évente
L’amour est morte
Ce sont amis que vent emporte
Et il ventait devant ma porte
Les emporta

En vous souhaitant une très belle journée! Pleut-il chez vous? Ici, les tropiques n’en finissent pas de s’épancher en belles pluies capricieuses.

Fred
Pour moyenagepassion.com
« L’ardente passion, que nul frein ne retient, poursuit ce qu’elle veut et non ce qui convient. » Publilius Syrus   Ier s. av. J.-C.

« Tien toudis vraie ta parole », une ballade d’Eustache Deschamps

poesie_medievale_satirique_eugene_deschamps_moyen_ageSujet : poésie médiévale, poésies morales et satiriques, ballade
Période : moyen-âge tardif
Auteur : Eustache Deschamps  (1346-1406)
Titre : Tien toudis vraie ta parole (Tiens toujours vraie ta parole).

Bonjour à tous,

N_lettrine_moyen_age_passion
ous vous proposons aujourd’hui une nouvelle poésie d’Eustache DESCHAMPS, auteur médiéval dont nous avons déjà parlé à de nombreuses reprises ici et
auquel nous vouons, à l’image de VILLON et RUTEBEUF, une affection particulière.

Cette poésie fait partie des ballades morales, politiques et satiriques qu’affectionne particulièrement Eustache DESCHAMPS. Il y est  question à nouveau de belles valeurs humaines: loyauté, noblesse du coeur,  honneur,  et, chose qui en général va de pair avec ses valeurs et sur laquelle il insiste ici : l’importance des mots prononcés et avec eux de la parole donnée.  Et même si l’envoi de cette ballade suggère que le poète du XIVe siècle la destine à son fils, aujourd’hui comme hier et par delà les siècles, il vient une fois de plus nous interpeller et nous toucher de sa plume, d’une sagesse et une éthique qui, pour être médiévales, n’ont pourtant pas pris une ride.

Eustache Deschamps Ballade poésie médiévale

La ballade « Tien toudis vraie ta parole »
dans le français d’Eustache Deschamps

Bien que datant de plus de six cents ans, cette poésie ne présente pas de difficultés particulières au niveau compréhension. Aussi, nous vous la livrons telle quelle avec simplement quelques annotations en fin de texte, pour les mots les plus délicats.   Pour cette fois, nous empruntons ces quelques traductions aux œuvres complètes  d’Eustache Deschamps, publiées par le Marquis de Queux de Saint-Hilaire et Gaston Raynaud à la fin du XIXe siècle (1878).


Entre les choses de jeunesse
Que l’en m’aprinst dès mon enfance
Mon maistre me blâma yvresse
Et à trop emplire ma pence.
De trop parler me fîst deffense
Et à mouvoir de chaude sole*
Et me dist par belle sentence :
Tien toudis* vraie ta parole.

Garde à qui tu feras promesse
La cause pourquoy, et t’avance
De l’acomplir; cuer de noblesse
Doit acomplir sa convenance ;
Qui ne le fait, il desavance
Son honeur; le saige parole
Et dit que mentir est offense :
Tien toudis vraie ta parole.

Convent tenir est la hautesse
De cuer, de homme de vaillance ;
Se va rendre en une forteresse
Prinsonnier, et n’a espérance
D’en retourner; et est pour ce
Qu’il le promist : fouis est et fole
Qui conchie* sa conscience :
Tien toudis vraie ta parole.

ENVOI

Beau filz, mieulx vault faire silence
Que promettre ; li homs s’afole
De mentir, par acoustumance :
Tien toudis vraie ta parole.


*  Et à mouvoir de chaude sole : à céder aux mouvements de colère
* toudis : toujours
* conchie : déshonore, salit

Une très belle journée à tous où que vous vous trouviez en ce monde!

Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes