Archives par mot-clé : trouvère

« Belle, com loiaus amans », une chanson courtoise de Jehannot de Lescurel

manuscrit-enluminure-medievale-roman-de-fauvel-francais-146-moyen-ageSujet :   musique médiévale, chanson médiévale, amour courtois, trouvère, compositeur médiéval,   Roman de Fauvel, Manuscrit médiéval,  français 146, vieux -français, langue d’oïl, ballade
Période :  Moyen Âge, XIIIe, XIVe siècle
Auteur : 
   Jehannot   de Lescurel

Bonjour à tous,

N_lettrine_moyen_age_passionous revenons, aujourd’hui, à la toute fin du XIIIe siècle, avec le trouvère et compositeur Jehannot de Lescurel. Dans le pure style de la lyrique médiévale courtoise, le poète se déclare, dans cette chanson, le plus loyal et serviable des amants. Il n’attend en retour et pour unique gage, que de pouvoir effleurer les lèvres de la belle et qu’elle lui concède un baiser.

Sources : le manuscrit médiéval français 146

chanson_medievale_courtoise_moyen-age_jeannot-lescurel-trouvere_sComme nous l’avions déjà indiqué, on retrouve les œuvres de Jehannot de Lescurel dans le manuscrit ancien Français 146 de la BnF. Daté des débuts du XIVe siècle (1318-1320) cet ouvrage joliment enluminé, est surtout connu pour contenir  le   Roman de Fauvel de Gervais du Bus et Raoul Chaillou de Pesstain  :  cette copie est même considérée comme une des plus fameuses à ce jour (source Bnf).

Cliquez pour agrandir
la chanson et sa notation musicale

Outre le Roman de Fauvel et les chansons et compositions de Jehannot de Lescurel, on peut également trouver, dans ce manuscrit médiéval, des poésies et dits de Geoffroy de Paris (Geoffroi), ainsi que sa chronique métrique : témoignage historique versifié de ce dernier, sur la couronne de France et notamment la politique de Philippe le Bel,  aux débuts du XIVe siècle.

chanson-medievale-jeannot-Lescurel-belle-comme-loiaux-amants-manuscrit-medieval-Français-146_s
Belle, com loiaus amans de Jehannot de Lescurel, Ms Français 146, BnF, dépt des manuscrits.

Belle, com loiaus amans
une ballade de Jeannot de Lescurel

Pour la traduction de cette pièce, à quelques variantes maison près, nous nous sommes largement appuyé sur une anthologie de la poésie française qui a comme point le départ le Moyen Âge, comme on en trouve quantité au XIXe siècle, avec les mises à jour croissantes de manuscrits et la systématisation de leur traduction.

Cette anthologie en plusieurs volumes à pour titre « Les Poètes Français, recueil des chefs-d’oeuvre de la poésie française (1861).  Sous la direction de Eugène Crépet (1827-1892), homme politique, bibliographe, romaniste, féru de poésie et de littérature, ami de Baudelaire, elle ouvre son premier tome sur le XIIe siècle et elle a encore comme particularité de mettre à contribution, dans ses notices littéraires, de nombreux auteurs et poètes célèbres du XIXe siècle. Entre autres noms, on retiendra ceux de Théophile Gautier, Charles Baudelaire et Théodore de Banville.


Belle, com loiaus amans
Vostres sui : car soiez moie.
Je vous servirai touz tans
N’autre amer je ne voudroie
Ne ne puis; se le povoie,
N’ i voudroie estre entendans.
Et pour ce , se Dex me voie !
Dame , bon gré vous saroie,
Se vostre bouche riant
Daignoit toucher à la moie.

Belle, comme loyal amant
Je suis vôtre, aussi soyez mienne.
Je vous servirai toujours
Et ne voudrais en aimer d’autre
Ni ne le pourrais ; si je le pouvais,
Je n’en serais pas désireux, (je ne voudrais m’y résoudre)
Aussi, Dieu m’en soit témoin î
Dame , bon gré, vous saurais 
Si votre bouche riante
Daignait toucher la mienne.

Li dons est nobles et grans;
Car, se par vou gré l’avoie,
Je seroie connoisanz
Que de vous amez seroie,
Et mieus vous en ameroie.
Pour ce , biaus cuers dous et fran
Par si qu’aviser m’en doie,
Dame, bon gré vous saroie ,
Se vostre bouche riant
Daignoit toucher à la moie.

Le don* (le présent) est noble et grand,
Car, si je l’obtenais de vous,
Je connaîtrais alors (je saurais alors avec certitude)
Que je suis aimé de vous, 
Et vous en aimerais davantage.
Ainsi , beau cœur doux et franc,
Puisqu’il vous faut m’éclairer sur cela,
Dame , je vous saurais bon gré
Si votre bouche riante
Daignait toucher la mienne.

Vostre vis est si plaisans
Que jà ne me soleroie
D’estre à vo plaisir baisans,
S’amez de vous me sentoie ;
A mieus souhaidier faudroie.
Pour ce que soie sentant
Quelle est d’amer la grant joie,
Dame , bon gré vous saroie,
Se vostre bouche riant
Daignoit toucher à la moie.

Votre visage est si ravissant
Que jamais je ne me lasserais
De le baiser à votre plaisir.
Si je me sentais aimé de vous ;
C’est le meilleur souhait que je puisse former.
Afin je puisse éprouver
Ce qu’est la grande joie d’aimer,
Dame, je vous saurais bon gré
Si votre bouche riante
Daignait toucher la mienne.


En vous souhaitant une  belle journée.

Frédéric EFFE.
Pour Moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes

Sources utiles

Chansons, ballades et rondeaux de Jehannot de Lescurel, poète du XIVe siècle, Anatole de Montaiglon, (1855), 

Les Poètes Français, recueil des chefs-d’œuvre de la poésie française, Tome 1,   sous la direction de Eugène Crépet  (1861)

Chanson de toile du XIIIe siècle : la belle Doette du Chansonnier de Saint-Germain des Prés

chanson-de-toile-belle-doette_trouveres-moyen-age_XIIIe-siecleSujet : musique  médiévale, chansons de toile, chanson d’Histoire, chanson médiévale, vieux français, trouvères, langue d’oïl.
Période : moyen-âge central, XIIIe siècle
Auteur : anonyme
Titre : La Bele Doette
Interprète :  Ensemble Sequentia
Album Trouvères (1987)

Bonjour à tous,

E_lettrine_moyen_age_passionn dehors des chants d’amour courtois, des chants de croisades ou encore des sirvantois que nous avons souvent abordés ici, le moyen-âge central, a donné le jour à bien d’autres créations musicales chantées. Aujourd’hui, nous nous arrêtons sur un genre un peu plus marginal en terme de quantité de productions. Il est connu sous le nom de chansons de toile ou chansons d’Histoire.

Les chansons de toile

Un peu dans l’esprit des Cantigas de Amigo de la péninsule ibérique médiévale, ces chansons mettent en scène une belle amoureuse, généralement de noble lignée, qui pense à son promis et l’attend. le-moyen-age_romantisme_anglais_Edmund-Blair-LeightonDurant les pièces qui se présentent comme de petits récits, on la trouve souvent affairée à l’ouvrage ( broderie, filage, …) et si on a longtemps admis, avec  Gaston Paris, que ces chansons avaient pu avoir vocation à être entonnées par les femmes ou leurs servantes durant leur travail, les médiévistes qui se sont penchés sur le sujet, depuis, n’ont pas tous partagé cet avis.

Stitching the Standard (piquant l’étendard) Toile de Edmund Blair Leighton (1911)  Moyen-âge & romantisme anglais. 

Datation

En suivant les pas du médiéviste  Edmond Faral, (les chansons de Toile ou chansons d’Histoire, Romania 276, 1946), il faut entendre l’appellation « chanson d’Histoire », dans le sens de récit, mais peut-être encore plus sûrement, dans le sens de chansons anciennes, ou évocatrices de temps lointains et passés.

Factuellement, les chansons de toile nous sont connues à travers des manuscrits datés du XIIIe siècle. Quelques médiévistes du XIXe siècle ont pourtant été enclins à spéculer sur une antériorité de certaines de ces pièces, par rapport aux sources dans lesquelles on les trouve. Les arguments des experts, à l’appui de cette datation, ont porté sur les rimes, les métriques, certains archaïsmes stylistiques, mais encore une forme de similarité thématique avec les chansons de geste : ambiance, décorum seigneurial, noblesse, arrière plan épique, … Nous laisserons ces conjectures aux médiévistes et romanistes qui en sont friands pour retenir le constat très pragmatique du même Edmond Faral (op cité) : les chansons de toile ont émergé, dans les sources, au début et dans le courant du XIIIe siècle, pour s’étendre sur une cinquantaine d’années. Avant, on n’en trouve pas la trace factuelle ; peuvent-elles être datées de la toute fin du XIIe siècle ? A la rigueur, on pourrait admettre ce léger glissement (qui reste spéculatif) de leur émergence.

Dans le dernier tiers du XIIIe siècle, l’engouement pour le genre semble, en tout cas, se perdre, même si on trouvera ultérieurement des chansons qui pourront les évoquer sur le fond. Du reste, le mythe de la belle cousant ou filant, dans l’attente de son promis ou de son prince, fera long feu. L’image restera associée au Moyen-âge et séduira même quelques auteurs romantiques des XIXe, XXe siècles (voir la toile de Edmund Blair Leighton plus haut dans l’article).

chanson-de-toile-belle-doette-musiques-medievales_moyen-age-central_s
La belle Doette dans le Ms Français 20050, dit Chansonnier de Saint-Germain des Prés (XIIIe s)

Sources et manuscrits anciens

Concernant le nombre de chansons de toile médiévales ayant traversé le temps jusqu’à nous, on en recense une vingtaine. Dans leur majorité, elles sont publiées séparément, entières ou fragmentées, avec ou sans mélodie, dans deux célèbres manuscrits anciens :  le Ms français 844 ou Manuscrit du Roy ou encore le Ms français 20050 ou Chansonnier de Saint-Germain des Prés. D’autres sont incluses et citées dans des romans médiévaux (le roman de la violette, le lai d’Aristote, le roman de Guillaume de Dole).  La Belle Doette qui nous occupe aujourd’hui, est issue du français 20050 (consulter ici sur Gallica ). A l’image de nombre de ces pièces (13 sur les 20 recensées), elle est demeurée anonyme.

Pour clore sur ce très bref panorama et pour ceux qui désireraient creuser le sujet, on citera l’ouvrage de Michel Zink sur cette question : Belle: essai sur les chansons de toile (1978).

La belle Doette par l’Ensemble Sequentia

Trouvères  – Chansons d’amour courtoises du nord de la France, par l’Ensemble Sequentia

album_sequential_trouveres_musique_chanson_medievale_amour_courtois_moyen-age_centralEdité en 1987, cet excellent double album de l’Ensemble Sequentia, sous la direction de Benjamin Bagby demeure une référence du genre, avec plus de quarante pièces issues du répertoire des trouvères du moyen-âge central (voir article détaillé ici).  Ce titre est toujours disponible à la vente, au format CD ou dématérialisé MP3. Pour plus d’informations, voir le lien suivant : Trouveres (Höfische Liebeslieder Aus Nordfrankreich), Sequentia.


Bele Doette as fenestres se siet : paroles & traduction
de la langue d’oïl au français moderne

La version que nous vous proposons de cette Bele Doette est tirée de Morceaux choisis des auteurs français, poètes et prosateurs, de Louis Petit de Julleville (1901). Si sa traduction nous a servi de base, nous l’avons, tout de même, revisitée par endroits.

Bele Doette as fenestres se siet,
Lit en un livre, mais au cuer ne l’en tient;
De son ami Doon li ressovient,
Qu’en autres terres est alez tornoier.
E or en ai dol.

Belle Doette à la fenêtre assise,
Lit en un livre, mais son cœur est ailleurs,
De son ami Doon, lui ressouvient,
Qui, en d’autres terres, est allé au tournoi
Et, désormais, j’en porte le deuil.

Un escuiers az degrés de la sale
Est dessenduz, s’est destrossé sa male.
Bele Doette les degrez en avale,
Ne cuide pas oïr novele maie.
E or en ai dol.

Un écuyer, les marches de la salle
A descendu et a défait sa malle.
Belle Doette les marches en dévale,
Ne pense pas ouïr mauvaise nouvelle
Et, désormais, j’en porte le deuil.

Bele Doette tantost li demanda :
« Ou est mes sires que ne vi tel pieça ? »
Cil ot tel duel que de pitié plora.
Bêle Doette maintenant se pasma.
E or en ai dol.

Belle Doette aussitôt lui demanda :
« Où est mon seigneur, que je n’ai vu, depuis longtemps ? »
Lui (l’écuyer) en eut telle douleur que de pitié, il pleura,
Belle Doette, alors, se pâma.
Et, désormais, j’en porte le deuil.

Bele Doette s’est en estant drecie,
Voit l’escuier, vers lui s’est adrecie,
En son cuer est dolante et correcie,
Por son seignor dont ele ne voit mie.
E or en ai dol.

Belle Doette s’est alors relevée,
Regarde l’écuyer, vers lui s’est dirigée ;
En son cœur il n’y a que douleur et courroux,
Pour son seigneur qu’elle ne voit pas venir.
Et, désormais, j’en porte le deuil.

Bele Doette li prist a demander :
« Ou est mes sires cui je doi tant amer?
— En non Deu, dame, nel vos quier mais celer :
Morz est mes sires, ocis fu al joster.
E or en ai dol.

Belle Doette lui demanda alors :
« Où est mon Sire que je dois tant aimer ? »
— Au nom de Dieu, Dame, je ne veux le cacher,
Mort est mon seigneur, occis durant les joutes,
Et, désormais, j’en porte le deuil.

Bele Doette a pris son duel a faire.
« Tant mar i fustes, cuens Do, frans debonaire*.
Por vostre amor vestirai-je la haire,
Ne sor mon cors n’avra pelice vaire.
E or en ai dol :

Por vos devenrai nonne en l’eglyse Saint Pol. »

Belle Doette a alors pris son deuil
 » Tant de malheur, Comte Doon, noble et franc
Pour votre amour, je vêtirai la haire, (1)
Ni, sur mon corps, n’aurais fourrure de vair (2)
Et, désormais, j’en porte le deuil.

Pour vous me ferai nonne en l’Eglise Saint-Paul. »

(1) Haire (littré) : « Petite chemise de crin ou de poil de chèvre portée sur la peau par esprit de mortification et de pénitence. » 
Sens figuré : douleur, peine, tourment (Petit dictionnaire de l’ancien français. Hilaire van Daele.)

(2) Vair (littré) :  anciennement, fourrure de la peau d’une espèce d’écureuil,  du même nom, qui était colombine par-dessus et blanche par-dessous ; c’est ce qu’on nomme aujourd’hui petit gris. »


Sur le même sujet, voir : Une cantiga de amigo du troubadour Estêvão Coelho par l’Ensemble Manseliña

En vous souhaitant une très belle journée.

Frédéric EFFE.
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen-Age sous toutes ses formes.

« Fines Amouretes ai » la fine amor d’Adam de la Halle à la Nouvelle-Orléans

trouveres_troubadours_musique_poesie_medievale_musique_ancienneSujet : musique, chanson, poésie médiévale, vieux français,  trouvères d’Arras,  fin’amor rondeau. amour courtois, langue d’oïl.
Période :  Moyen Âge central, XIIIe siècle
Auteur :  Adam de la Halle (1235-1285)
Titre : Fines Amouretes ai
Interprète :   New Orleans Musica da Camera
Album  : Les Motés d’Arras (2003)

Bonjour à tous,

A_lettrine_moyen_age_passionujourd’hui, nous vous proposons une nouvelle chanson médiévale du trouvère Adam de la Halle. Ce rondeau polyphonique à trois voix qui se classe dans le registre de la lyrique courtoise et de la fin’amor nous fournira l’occasion de vous toucher un mot d’une célèbre formation de musiques médiévales outre-atlantique :  le New Orleans Musica da Camera.

Le New Orleans Musica da Camera
Un demi-siècle de musiques et de scène

musiques-medievales_trouveres-Arras_New_Orleans_Musica_da_Camera_Milton-ScheuermannFondé dans le courant de l’année 1966, l’ensemble New Orleans Musica da Camera compte parmi les formations de musiques anciennes américaines à la plus longue carrière. Ils ont, en effet, joué pendant près de 52 ans et donné près de 700 concerts. On doit sa création à l’architecte et passionné de early music Milton G. Scheuermann Jr.

Leur répertoire couvre une période qui s’étend du Moyen Âge central jusqu’au début de la période baroque. Au plus près de l’ethnomusicologie, l’ensemble privilégie les instruments anciens, en tentant de restituer au plus près les techniques d’époque.   Visiter le site web de la formation

Les Motés d’Arras, Song of Arras

Enregistré au début des années 2000, l’album Song of Arras ou Les Motés d’Arras du New Orleans Musica da Camera partait à la rencontre du XIIIe siècle et de la prolifique cité médiévale.

musique_medievale_trouveres_moyen-age-central_Adam-de-la-halle_New_Orleans_Musica_Da_CameraDe Jean Bodel, à Adam de la Halle en passant par Moniot d’Arras, Gauthier de Dargies, et quelques autres auteurs et compositions anonymes de la période médiévale, l’ensemble proposait ainsi quatorze  pièces en provenance du Moyen Âge central. Adam de la Halle y occupait la  place principale avec pas moins de cinq titres de son répertoire. On trouve encore cet excellent album à la vente et son éditeur a même eu la bonne idée de le proposer au format MP3, en plus du format CD : The Song of Arras – New Orleans Musica da Camera


Fines Amouretes ai,
un rondeau d’Adam de la Halle

Fines amouretes ai ,
Dieus ! si ne sai
Quant les verrai.

Or manderai mamiete
Qui est cointe* (coquette, élégante) et joliete
Et s’est si savérousete* (savoureuse, délicieuse)
C’astenir ne m’en porrai.

Fines amouretes ai , etc.

Et s’ele est de moi enchainte (1)
Tost devenra pale et teinte ;
S’il en est esclandèle* (blâmée) et plainte
Déshonnerée l’arai.

Fines amouretes ai, etc.
Miex vaut que je m’en astiengne,
Pour li joli* (plaisant, enjoué) me tiengne,
Et que de li me souviengne;
Car s’onnour le garderai.

Fines amouretes ai , etc.

(1) Littré :   XIIIe s.  « Enchainte suis d’Ugon, si qu’en leve mes gris (ma robe de gris) »Audefroi le Bastard, Romancero; – XIIe s. « Quant la dame se sent enceinte, Si est forment muée e teinte »Grégoire le Grand, p. 10  – 


Partition – Notation moderne

En vous souhaitant une très belle journée.

Frédéric EFFE.
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.

« Il me covient renvoisier », une chanson de Colin Muset entre courtoisie et invite aux ripailles

trouvere_poesie_medievale_chansons_lyrique-courtoise_moyen-ageSujet  : chanson médiévale, poésie médiévale, trouvère, fine amor, vieux-français,  lyrique courtoise, amant courtois. chansons bachiques, trouvère
Période :    moyen-âge central, XIIIe siècle.
Auteur   :    Colin Muset (1210-?)
Titre  : « Il me covient renvoisier.»
Ouvrage    :   Les chansons de Colin Muset, par Joseph Bédier & Jean Beck. Paris, Champion, 1938.

Bonjour à tous,

A_lettrine_moyen_age_passionujourd’hui, nous vous présentons une nouvelle chanson en langue d’oïl. En provenance du moyen-âge central et du XIIIe, elle est traditionnellement rattachée au trouvère Colin Muset, Du point de vue documentaire, elle a pour seule source historique le Chansonnier Cangé, ou Français 846 (consulter sur Gallica). Ce manuscrit médiéval, daté du dernier quart du XIIIe siècle, n’en attribue  pas, de manière claire, la paternité au trouvère, mais au vue des similitudes de cette pièce avec le style de ce dernier, ces biographes s’en sont chargés, en particulier Joseph Bédier dans son édition de 1938 sur l’oeuvre de Muset.

Amour, courtoisie et bonne chère

Du point de vue du contenu, on trouve, dans cette chanson, des envolées d’enthousiasme et de joie très courtoises. La belle saison est là, le poète est guilleret et léger. Il pense à la demoiselle chère à son cœur même si, dans la pure tradition de cette lyrique colin_muset_chanson-poesie-medievale_Manuscrit_Chansonnier-Cangé_il-me-covient-renvoisier-spoétique, les médisants ne sont jamais loin pour diviser ou pour empêcher que le tableau ne soit trop simple pour l’amant courtois (voir sur le thème des médisants dans la lyrique courtoise).
.

« Il covient de renvoisier »
dans le Français  846

ou Chansonnier Cangé
BnF, dept des manuscrits

Pour le reste, Colin Muset  nous a conté souvent son goût de la bonne chère et des bons vins, au point d’en avoir presque fait l’une de ses marques de fabrique et, là encore, sa joie courtoise ne va pas lui nouer l’estomac et certainement pas lui couper l’appétit. Au contraire, elle lui fournit plutôt l’occasion d’une invite à festoyer et ripailler et notre trouvère (s’il s’agit bien de lui et non pas d’un imitateur d’époque) fait ici une pièce qui tient, à la fois, de la lyrique courtoise et des chansons à boire. C’est d’ailleurs dans cette dernière catégorie que Alfred Jeanroy et Arthur Långfors la classeront (sans l’attribuer au trouvère) dans leur ouvrage de 1921 : Chansons satiriques et bachiques  du XIIIe siècle. 

Au passage et se souvenant de certaines autres des compositions de Muset, et notamment de « Sire Cuens j’ai viélé« , on peut se demander si ce mélange de genres n’est pas aussi destiné à ses nobles hôtes et auditeurs : un peu comme une façon de leur tendre la perche, pour s’assurer qu’ils colin-muset_musique-medievale_chanson-poesie-moyen-age_partitionle gratifient d’un bon repas en retour de ses chansons et de son art.

(Ci-contre la partition musicale moderne de cette chanson médiévale par John E Stevens)

Concernant le vieux français du XIIIe siècle, il ne se laisse pas si facilement saisir aussi, à notre habitude nous vous donnons des clefs utiles de vocabulaire. Elles sont nombreuses, aussi nous espérons qu’elles ne compliqueront pas trop le plaisir de votre lecture.


« Il me covient renvoisier »
dans le vieux français d’oïl de Colin Muset

Il me covient renvoisier (m’égayer, folâtrer)
En cest estey
Et joer et solacier (me divertir)
Et deporter : (me réjouir)
J’ai trovey
Mon cuer plus que je ne sueil (souloir, avoir l’habitude) enamoré ;
Mais grever (me nuire)
Me cuident (croire) li mesdisant et dessevrer (compromettre ma liaison).
La tousete (jouvencelle) es blans muteaus (mollets),
Es chevous lons,
Celi donrai mes joiaus
Et mes granz dons.
Sejornons (reposons-nous, faisons halte),
Ensi s’en va mes avoiers (mon chemin) a grand bandon, (sans retenue)
Or maingons,
Solaçons et deportons !  Bon poissons,
Vins poignanz (piquants, de caractère ? ) et bon rapiaux (boisson médiévale à base de vin) et venoisons !

S’ele me done une baisier
En receley, (en secret, en cachette)
Je n’avroie pas si chier
Une cité ;
J’en prie Dey :
Lors avrai quanque je quier a point mené. (1)

(1) Dès lors j’aurais mené à bien tout ce que j’ai en tête, ce en quoi je crois.


En vous souhaitant une belle journée.
Fred

Pour moyenagepassion.com
A la découverte du moyen-âge sous toutes ses formes.