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La Grièche d’hiver, une poésie d’anthologie de Rutebeuf sur ses misères au jeu

pauvre_rutebeuf_poesie_medievale_occitan_joan_pau_verdierSujet  : poésie médiévale, poésie réaliste,  trouvère, vieux français, langue d’oil, adaptation, traduction, jeux   de dés,  grièche
Période  : Moyen Âge central, XIIIe siècle
Auteur :   Rutebeuf (1230-1285?)
Titre  : Ci encoumence li diz de la Griesche D’Yver

Bonjour à tous,

N_lettrine_moyen_age_passionous repartons, aujourd’hui, pour le XIIIe siècle avec une nouvelle complainte du « Pauvre Rutebeuf« . Pauvreté, misère et, cette fois, jeux d’argent, on reconnaîtra sans peine, dans  les lignes du trouvère,  la source directe d’inspiration de certains vers de la chanson de Léo Ferré, à son sujet. A la fin des années 50, l’indomptable anarchiste avait, en effet, remis le poète médiéval et ses infortunes au goût du jour.  La chanson fut maintes fois reprise, et même jusqu’à l’étranger ; elle redonna une popularité toute fraîche, et un peu inattendue, à l’auteur du Moyen Âge central (voir article).

Sur la Grièche d’Hiver

Ci encoumence li diz de la Griesche D’Yver (ou, plus  La Grièche d’Hiver) est un texte d’anthologie de Rutebeuf, sans doute un de ses plus connus. Dans une certaine mesure, on peut se demander si cette poésie ne pourrait même être une clef pour expliquer les misères dont  le trouvère ne cesse de nous parler. Affligé, sans le sou, il se montre en déroute dans nombre de ses textes, même si, entre ses lignes, on détecte, tout de même, la marque d’une classe sociale qui n’est pas celle des plus déshérités  : il y parle d’un cheval, de servante, etc… Si tout cela ne respire pas non plus la grande noblesse, il en ressort les signes    d’une certaine bourgeoisie ou petite noblesse.

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Les déboires d’un joueur invétéré ?

Alors pourquoi tant de misère ? Rutebeuf avait-il une autre activité en dehors de ses poésies ? On ne le sait pas, mais on peut supposer que son niveau de lettres et d’instruction aurait pu lui permettre d’en tenir une et d’occuper des fonctions de clerc, par exemple. deco_rutebeuf_auteur_poesie_medievale_moyen-age_XIIIe_siecle  A-t-il été pris par le jeu d’argent jusqu’à l’obsession, et les dés, dont il nous dit, ici, qu’ils le tentent et le poursuivent, auraient-ils causé sa ruine ? Le cas échéant, cela pourrait expliquer aussi cette  défiance de son entourage à son encontre (amis, préteurs, …)  qui transparaît, là aussi, dans un grand nombre de ses textes : « on lui tourne le dos,  on se rit de lui, personne ne veut plus lui prêté :

J’ai vescu de l’autrui chatei
Que hon m’a creü et prestei:
Or me faut chacuns de creance,
C’om me seit povre et endetei.

La  Pauvreté Rutebeuf

Dans cette poésie, en manière de doléance à Saint-Louis, il n’hésitait pas à affirmer que sa pauvreté et son insolvabilité étaient notoires. Mais si l’on pose que le jeu d’argent peut lever un coin du voile, il faudrait, du coup, admettre que c’est le cas d’un tas d’autres choses que l’auteur médiéval énumère, par ailleurs, pour justifier sa condition : cet ami puissant et sa cour qui lui  ont fermé leur porte (la Paix Rutebeuf), sa santé (la complainte de l’œil), la charge de sa famille, le monde et le siècle, son mauvais mariage, etc… Au fond, tout l’accable et il finit presque, invariablement, par tout nous présenter comme la cause de sa grande pauvreté. Alors, quel crédit accordé à tout cela ?  Devant le peu d’informations le concernant, hors de son oeuvre même, on en est réduit à spéculer.

 Rutebeuf au pied  de la lettre

C’est un fait pourtant. On finit, souvent, par être tenté de prendre Rutebeuf au pied de la lettre, au sujet de toutes ses  disgrâces. Léo Ferré y a lui-même souscrit en colportant l’image romantique du poète miséreux, dans le Paris médiéval du XIIIe siècle. Mais  ce n’est pas tant par les faits avérés (il n’y en a pas) que par un effet d’accumulation que nous y sommes conduits :  c’est   deco_rutebeuf_auteur_poesie_medievale_moyen-age_XIIIe_sieclele nombre de misères que Rutebeuf nous conte qui nous amène à supposer qu’il est réellement victime d’une pluie permanente d’infortunes.

Bien sûr, il y a, sans doute, un fond de vérité dans tout cela. Dans La Pauvreté  Rutebeuf  ou dans certains autres de ses envois (destinés à recueillir quelques subsides),  ces vers ne trompent pas sur la nature dramatique de sa situation financière. Certaines descriptions sont aussi très factuelles et les détails ne manquent jamais, comme ici, dans la grièche où l’on sent qu’il connaît bien son sujet. Ses vers panachent donc, à l’évidence, vécu et  littérature (caricature ?). Comme tous les auteurs, il se sert du matériau réel de sa vie pour créer son univers. C’est à tel point, d’ailleurs, qu’on dit même quelquefois de lui qu’il a été un des inaugurateur initiateur de ce « je » psychologique, affligé, affecté et ancré dans le quotidien, placé au centre de son oeuvre.

Le vrai du faux ?

Assez paradoxalement, cette même accumulation pourrait aussi nous conduire à nous questionner de manière inverse. Si les infortunes du trouvère parviennent encore à nous toucher à plus de 700 ans de son existence, sous ses dehors affichés de rustre un peu éploré et de victime permanente de tout, rien ne semble, en effet, jamais simple chez lui  :  à certains moments, peut-il s’agir d’un  « procédé »   ? Une façon de théâtraliser sa poésie ? Un tour stylistique ? Une manière qui lui serait propre  de se rire du monde et de se rire de lui-même ?  Quand il se glisse dans la peau d’un bonimenteur dans le Dit de l’Herberie, on ne doute pas, par exemple, qu’il  ne fasse, là, une pitrerie. Quand il nous conte le Testament de l’âne ou le pet du vilain,  son parti-pris humoristique est, là  encore, évident.

deco_rutebeuf_auteur_poesie_medievale_moyen-age_XIIIe_siecleLe surnom que le trouvère s’est choisi brouille aussi les cartes et on peut même se demander à quel point  il donne le La de l’ensemble de  son œuvre. Voilà, en effet, un  « bœuf un peu rustre » qui, il nous l’affirme lui-même, pourra aussi « nous mentir » par instants, exagérer, caricaturer. Imaginez un instant, un comique qui, de nos jours, se ferait appeler, disons, « Gros lourdaud ».  Une fois, un tel cadre posé, comment interpréteriez-vous ses paroles ou ses textes ?  Rutebeuf est  un grand adepte du double-sens. Sa poésie n’est pas exempte  de ce que nous appellerions, aujourd’hui, une forme de deuxième de degré. Elle s’appuie, sans doute, sur un fond de vérité, mais où placer exactement le curseur entre réalité et exagération, entre sérieux et moquerie, entre jeu et je ? Rutebeuf est-il comique, par moments et totalement tragique à d’autres ? Est-il toujours un peu, à la fois, tragi-comique ? C’est une question difficile. Analyser toutes les subtilités de ses textes et la place faite à l’humour, dans le contexte du monde médiéval et de la langue d’oïl du XIIIe siècle, relève de la gageure.

Ayant dit cela, en recul sur son œuvre, sa Grièche d’hiver résonne, pour nous  d’une grande dimension  dramatique. Aujourd’hui, on aurait même  sans doute du mal à y voir autre chose que le récit tragique d’un homme piégé par sa passion du jeu et criblé de dettes.


La grièche d’hiver de Rutebeuf
de la langue  d’oïl au français moderne

Pour cette traduction, nous nous sommes largement appuyés sur le travail déjà effectué sur l’auteur médiéval par Michel Zink.  :  Œuvres complètes de Rutebeuf, 1990, Garnier.  La traduction n’est pas une discipline fermée. Qu’il soit donc clair que  nous n’avons pas, ici la prétention de plus de justesse que le grand académicien, loin s’en faut ! Il est plutôt question d’alimenter la réflexion sur le vieux français de Rutebeuf, en proposant d’autres alternatives. Dans un bon nombre de cas, nous avons d’ailleurs reporté les traductions du célèbre médiéviste entre parenthèse pour  favoriser ce travail de comparaison et de réflexion.

Ci encoumence li diz de la Griesche D’Yver

Contre le tenz qu’aubres deffuelle,
Qu’il ne remaint en branche fuelle
Qui n’aut a terre,
Por povretei qui moi aterre,
Qui de toute part me muet guerre,
Contre l’yver,
Dont mout me sont changié li ver,
Mon dit commence trop diver
De povre estoire.

Povre sens et povre memoire
M’a Diex donei, li rois de gloire,
Et povre rente,
Et froit au cul quant byze vente:
Li vens me vient, li vens m’esvente
Et trop souvent
Plusors foies sent le vent.
Bien le m’ot griesche en couvent
Quanque me livre:
Bien me paie, bien me delivre,
Contre le sout me rent la livre
De grand poverte.

Au temps que les arbres s’effeuillent
Qu’il ne reste sur branche, feuille
Qui n’aille à terre,
Par la pauvreté qui m’atterre
De tous côtés me fait la guerre,
Au temps d’Hiver
Qui affecte jusque mes vers
Je commence mon triste dit,
Par un lamentable récit.

Pauvre esprit et pauvre mémoire,
M’a donné Dieu, le roi de gloire
Et pauvre rente,
Et froid au cul quand bise vente :
Le vent me frappe, le vent m’évente
Et sans relâche
Et je le sens à chaque instant.
La grièche m’avait bien promis
tout ce que, depuis, elle me livre:
elle me paie bien et bien me livre,
Contre un sou elle me rend une livre
de grande  misère.

Povreteiz est sus moi reverte:
Toz jors m’en est la porte overte,
Toz jors i sui
Ne nule fois ne m’en eschui.
Par pluie muel, par chaut essui:
Ci at riche home !
Je ne dor que le premier soume.
De mon avoir ne sai la soume,
Qu’il n’i at point.
Diex me fait le tens si a point,
Noire mouche en estei me point,
En yver blanche.

Ausi sui con l’ozière franche
Ou com li oiziaux seur la branche:
En estei chante,
En yver pleure et me gaimente,
Et me despoille ausi com l’ante
Au premier giel.
En moi n’at ne venin ne fiel:
Il ne me remaint rien souz ciel,
Tout va sa voie.
Li enviauz que je savoie
M’ont avoié quanque j’avoie
Et fors voiié,
Et fors de voie desvoiié.
Foux enviaus ai envoiié,
Or m’en souvient.

La pauvreté m’est retombée dessus :
Sa porte m’est toujours ouverte,
Toujours j’en suis,
Aucune fois n’en suis sorti.
Par pluie me trempe, Au chaud, m’essuie:
Ah !  Le riche homme  que voici !
Je ne dors que mon premier somme.
De mes biens, ne connais la somme
Puisque   je n’ai rien.
Dieu me fait les saisons  à point :
Mouche noire en été me pique,
Et en Hiver, c’est la blanche.

Ainsi, suis comme l’osier franche (sauvage)
Ou comme l’oiseau sur la branche:
L’été, je chante
En hiver, pleure et me lamente,
Et me dépouille comme une ente (un greffon, une jeune pousse)
Au premier gel.
Il n’y a en moi ni venin ni fiel:
Il ne me reste rien sous le ciel,
Tout suit son cours.
Les mises dont j’étais coutumier
Ont englouti tous mes avoirs
Et  fourvoyé
Hors du chemin, m’ont dévoyé.
J’ai parié des mises insensées,
Je m’en souviens.

Or voi ge bien tot va, tot vient,
Tout venir, tout aleir convient,
Fors que bienfait.
Li dei que li decier on fait
M’ont de ma robe tot desfait,
Li dei m’ocient,
Li dei m’agaitent et espient,
Li dei m’assaillent et desfient,
Ce poize moi.
Je n’en puis mais se je m’esmai:
Ne voi venir avril ne mai,
Veiz ci la glace.

Or sui entreiz en male trace.
Li traïteur de pute estrace
M’ont mis sens robe.
Li siecles est si plains de lobe !
Qui auques a si fait le gobe;
Et ge que fais,
Qui de povretei sent le fais?
Griesche ne me lait en pais,
Mout me desroie,
Mout m’assaut et mout me guerroie;
Jamais de cest mal ne garroie
Par teil marchié.
Trop ai en mauvais leu marchié.
Li dei m’ont pris et empeschié:
Je les claim quite!

Mais à présent, je le vois bien : tout va, tout vient,
Il faut bien que tout aille et vienne,
Hormis les bienfaits.
Les dés que l’artisan a faits
M’ont dépouillé de mes habits,
Les dés me tuent,
Les dés me guettent, les dés m’épient,
Les dés m’attaquent et me défient,
Cela me pèse (j’en souffre).
Je n’y puis rien mais m’en émeus (c’est l’angoisse, je n’y peux rien) :
Ne vois venir avril ni mai,
Voici  déjà que vient le gel.

Or, me voilà sur la mauvaise pente.
Les traîtres  (trompeurs) de basse extraction (cette sale race )
M’ont laissé sans aucun habit.
Ce monde est si plein de  tromperies !
Dès qu’on possède  un peu, on fait le vaniteux ;
Et moi, qu’est-ce que je fais,
Qui sens le fardeau de la pauvreté ?
La grièche ne me laisse en paix,
Elle ne cesse de m’égarer,
de m’attaquer, me guerroyer ;
Jamais je ne guérirai de ce mal
Au vue  ma situation
    (à ce compte-là).

Je me suis placé dans un trop mauvais pas.
Les dés se sont saisis de moi :
J’y  renonce désormais ! (dico : crier « quitte » – faire grâce)

Foux est qu’a lor consoil abite :
De sa dete pas ne s’aquite,
Ansois s’encombre;
De jor en jor acroit le nombre.
En estei ne quiert il pas l’ombre
Ne froide chambre,
Que nu li sunt souvent li membre,
Dou duel son voisin ne li membre
Mais lou sien pleure.
Griesche li at corru seure,
Desnuei l’at en petit d’eure,
Et nuns ne l’ainme.

Cil qui devant cousin le claime
Li dist en riant: « Ci faut traime
Par lecherie.
Foi que tu doiz sainte Marie,
Car vai or en la draperie
Dou drap acroire,
Se li drapiers ne t’en wet croire,
Si t’en revai droit à la foire
Et vai au Change.
Se tu jures saint Michiel l’ange
Qu’il n’at sor toi ne lin ne lange
Ou ait argent,
Hon te verrat moult biau sergent,
Bien t’aparsoveront la gent:
Creuz seras.
Quant d’ilecques te partiras,
Argent ou faille enporteras. »

Or ai ma paie.
Ensi chascuns vers moi s’espaie,
Si n’en puis mais.

Explicit.

Fou est qui s’en remet à leurs conseils (qui s’obstine à les écouter):
De sa dette, jamais ne s’acquitte,
Pire,  il en alourdit la charge;
De jour en jour, en croît le nombre.
En été, il ne cherche point l’ombre
Ni chambre fraîche,
Car ses membres sont souvent nus.
La peine de son voisin, il ne s’en souvient plus,
Mais il pleure sur la sienne.
 La grièche    lui est tombée dessus,
L’a dépouillé en un instant,
Et nul ne l’aime.

Celui qui,  avant, l’appelait  « cousin »
Dit en riant: « Tu es usé jusqu’à la corde (1)
Par la luxure  (débauche).
Par la foi que tu dois à Sainte-Marie,
Rends-toi donc chez le drapier
Acheter du drap à crédit.
Si le drapier ne veut te faire confiance,
Va-t-en alors droit à la foire
Et  rends-toi au bureau de change ( voir les banquiers).
Si tu jures par l’ange Saint Michel
Que dans aucun repli de tes vêtements
Il n’y a d’argent caché,
On te trouvera bonne mine,
Et les gens te verront d’un bon œil     (tu ne passeras pas inaperçu) :
On te fera confiance.
Et quand tu en partiras,
Tu auras ramassé de l’argent ou un morceau d’étoffe (une veste). »

Me voilà bien payé !
C’est ainsi que chacun s’acquitte envers moi,
Je n’y puis rien .


(1) « Ci faut traime par lecherie »: une autre belle traduction de Michel Zink en  « tu es usé jusqu’à la corde ». Littéralement, « ici, tout va de travers », « la trame du tissu va  de travers par la faute de la   luxure ».

En vous souhaitant une belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes

« Coeur qui dort n’aime pas », une chanson d’amour courtois du Codex de Montpellier

trouveres_troubadours_musique_poesie_medievale_musique_ancienneSujet :  chanson médiévale, amour courtois, vieux-français, langue d’oïl,  musique médiévale, manuscrit ancien
Période :   XIIe s,  XIIIe siècle, Moyen Âge central
Titre : 
Cuer qui dort, il n’aime pas
Auteur :    
auteur anonyme
Manuscrit ancien :   Codex de Montpellier   H196 ou     Chansonnier de Montpellier

Bonjour à tous,

A_lettrine_moyen_age_passionujourd’hui, nous vous proposons une chanson médiévale   datée entre le XIIe et   le XIIIe siècle (avant 1280). Tirée du Codex  H196 de Montpellier , cette pièce d’amour courtois est demeurée anonyme. Pour les amateurs de mélodies anciennes, ce beau manuscrit médiéval dont nous avons déjà parlé, a l’avantage de nous proposer les notations musicales de ses textes.

amour-courtois-chanson-medievale-rondeau-chansonnier-montpellier-moyen-age-sA l’image de nombreuses pièces du Chansonnier de Montpellier, la chanson du jour est en langue d’oïl. Comme son vieux français présente quelques difficultés sur certains vocables, nous avons décidé de vous en livrer une courte traduction en français moderne.   Du point de vue du contenu, nous nous situons tout à fait, dans la veine des valeurs courtoises du Moyen Âge central. Ici, le loyal amant fait le vœu de ne jamais s’endormir en amour.  Il ne connaîtra même de vrai repos tant que la belle de son cœur ne lui aura pas ouvert ses doux bras.

Si le Chansonnier de Montpellier ou ses pièces vous intéressent, vous pourrez les retrouver dans  l’ouvrage de Gaston Raynaud daté de 1881 :   Recueil de Motets français des XIIe et XIIIe siècles.


Cœur  qui dort n’aime pas

Cuer qui dort, il n’aime pas :
Ja n’i dormirai,
Toz jors penserai,
Loiauement sans gas,
A vos, simple et coie
Dont j’atent joie
Et solas ;
N’i dormirai tant que soie
Entre voz douz bras.

Cœur  qui dort n’aime pas :
Jamais je ne dormirai en cela (en amour),
Toujours je penserai,
Loyalement et sans vanterie (sans moquerie, sérieusement)
A vous, modeste (ingénu, loyal) et tranquille
Dont j’attends joie
Et réconfort ;
Et je ne dormirai tant que je serais
Entre vos doux bras.


Retrouvez ici d’autres pièces d’amour courtois tirés du Codex de Montpellier : Ne m’oubliez mie  –  Puisque Belle dame m’aime

Au sujet de la courtoisie au Moyen Âge, vous pouvez également consulter :  Monde littéraire,  monde médiéval, réflexions sur l’amour courtois au Moyen Âge.

En vous souhaitant une  excellente journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.

Culte marial : le miracle du marchand sauvé des eaux dans la Cantiga de Santa Maria 193

musique_espagne_medievale_cantigas_santa_maria_alphonse_de_castille_moyen-age_centralSujet : musique médiévale,  Cantigas de Santa Maria, galaïco-portugais, culte marial, miracles, Sainte-Marie, vierge,    sauvetage, croisades, Saint-Louis, De Joinville
Période : Moyen Âge central, XIIIe siècle
Auteur : Alphonse X  (1221-1284)
Titre : Cantiga  193 « Sobelos fondos do mar »
Ensemble : Sequentia
Album : Songs for King Alfonso X of Castille and León   (1991)

Bonjour à tous,

D_lettrine_moyen_age_passionans la continuité de notre étude du culte marial dans l’Europe médiévale du Moyen Âge central, voici un nouveau récit de miracle tiré du corpus du roi Alphonse X de Castille. Il s’agit cette fois de la Cantiga de Santa Maria  193 dont nous vous fournirons, à l’habitude une traduction en français actuel.

La vierge et son manteau contre les  éléments

culte-marial-medieval-miracle-saint-vierge-Moyen-age-chretien-cantigas-193Au Moyen Âge, il n’est guère d’éléments terrestres qui puissent arrêter les miracles de la vierge.  Des profondeurs des mers jusqu’aux plus hauts sommets, elle peut, en effet, intercéder en faveur de ceux qui la prient et ont foi en elle, et lever tous les obstacles.

Le récit de la Cantiga 193 porte sur un sauvetage en mer miraculeux. L’histoire  se déroule durant ce qui semble être la première croisade de Saint-Louis.

Le poète nous conte qu’un marchand fortuné se tenait alors sur un navire de la large flotte. L’homme était visiblement en mauvaise compagnie puisqu’il fut jeté par dessus bord par l’équipage qui voulut lui dérober ses biens pour les dépenser à la  guerre.

Quoi qu’il en soit, la vierge intervint et déploya un voile blanc (un drap, un tissu, ailleurs il sera question de son manteau) entre l’homme et les eaux afin qu’il ne périsse point noyé. Quelque temps plus tard, survint une autre nef qui tira le marchand d’affaire. Suite au miracle, ce dernier décida qu’il se joindrait à la guerre et tous louèrent la très sainte mère du Christ pour son intervention.

La  Cantiga de Santa Maria  193 par l’ensemble Sequentia


Les Cantigas de Santa Maria par  Sequentia

En  1991, l’ensemble Sequentia de Benjamin Bagby et Barbara Thornton  fit, à son tour, un tribut aux célèbres cantigas de Santa Maria d’Alphonse X. Enregistré en Suisse, l’album sortit l’année d’après sous le label Deutsche Harmonia Mundi.

culte-marial_ensemble-medieval_sequentia_cantigas_de_santa-maria_alphonse-X_moyen-ageSous le titre « Vox Iberica III, El Sabio » : Songs for King Alfonso X of Castille and León (1221-1284) », cette production d’une durée d’écoute de 78 minutes, propose 18 pièces dont 13 cantigas de Santa Maria. Les autres pièces présentées sont d’auteurs anonymes à l’exception d’une chanson de Guiraut de Riquier (« Humils, forfaitz, repres e penedens »). Pour plus de détails sur cet album voir aussi  :  un chant de Louanges de Cantigas par Sequentia

Vous pouvez vous procurer cet album chez votre meilleur disquaire. A défaut, il est aussi disponible en ligne, au lien suivant : Sequentia performs    Vox Iberica III by El Sabio.

Aux origines de la Cantiga de Santa Maria 193  :
un récit de Sire de Joinville ?

On trouve la trace de miracles semblables à celui de la Cantiga de Santa Maria 193 dans des sources diverses. La plupart d’entre eux portent toutefois sur le sauvetage de plusieurs pèlerins de la noyade par l’intervention de la Sainte (Les Collections De Miracles De La Vierge en Gallo et Ibéro-Roman au XIII Siècle, Paule V. Bétérous, 1993).

Autour de 1248-1250, un récit de Sire de Joinville a pu également inspirer le souverain d’Espagne. L’histoire conte, en effet, un miracle présentant de troublantes correspondances avec celui remis en musique par le roi espagnol. Une différence subsiste toutefois, dans le récit de Joinville, il est question d’une chute malencontreuse à la mer, et pas d’une tentative d’homicide. Dans Les mémoires de Saint-Louis de Sire de Joinville, c’est également une des nefs royales qui secourut l’homme.  Voici  ce récit dans le détail, telle que traduit par  Natalis de Wailly, en 1874  :

jehan_de_joinville_chroniqueur_poete_ecrivain_historien_medievale« 650. Une autre aventure nous advint en mer; car monseigneur Dragonet, riche homme de Provence, dormait le matin dans sa nef, qui était bien une lieue en avant de la nôtre, et il appela un sien écuyer et lui dit : « Va boucher cette ouverture, car le soleil me frappe au visage.»

Celui-ci vit qu’il ne pouvait boucher l’ouverture s’il ne sortait de la nef: il sortit de la nef. Tandis qu’il allait boucher l’ouverture, le pied lui faillit, et il tomba dans l’eau, et cette nef n’avait pas de chaloupe, car la nef était petite : bientôt la nef fut loin. Nous qui étions sur la nef du roi, nous le vîmes, et nous pensions que c’était un paquet ou une barrique, parce que celui qui était tombé à l’eau ne songeait pas à s’aider.

651 . Une des galères du roi le recueillit et l’apporta en notre nef, là où il nous conta comment cela lui était advenu. Je lui demandai comment il se faisait qu’il ne songeait pas à s’aider pour se sauver, ni en nageant ni d’autre manière. Il me répondit qu’il n’était nulle nécessité ni besoin qu’il songeât à s’aider ; car sitôt qu’il commença à tomber, il se recommanda à Notre-Dame de Vauvert, et elle le soutint par les épaules dès qu’il tomba, jusques à tant que la galère du roi le recueillît. En l’honneur de ce miracle, je l’ai fait peindre à Joinville en ma chapelle, et sur les verrières de Blécourt. « 

 Jean Sire de Joinville Histoire de Saint Louis,
credo et lettre a Louis X
,  Natalis de Wailly (1874)

Contre ce récit miraculeux de Jehan de Joinville, et sous réserve que le roi d’Espagne s’en soit inspiré, on notera que la version de ce dernier ne met pas tellement à l’honneur les qualités de l’ost du roi de France et, encore moins, certains membres de sa flotte.


Le miracle de la Cantiga de Santa Maria 193
traduit du galaïco-portugais vers le français

Como Santa Maria guardou de morte u mercadeiro que deitaron no mar.

Comment Sainte-Marie sauva de la mort un marchand qu’on avait jeté à la mer.

Sobelos fondos do mar e nas alturas da terra
á poder Santa Maria, Madre do que tod’ ensserra.

Sur les profondeurs des mers et les plus hautes montagnes,
Elle a tout pouvoir Sainte Marie, Mère de celui qui règne sur toute chose,

E daquest’ un gran miragre vos direi e verdadeiro,
que fezo Santa Maria, Madre do Rei josticeiro,
quand’ o Rei Lois de França a Tunez passou primeiro
con gran gente per navio por fazer a mouros guerra.

Sobelos fondos do mar e nas alturas da terra…

Et, à ce propos, je vous conterai un grand et véritable miracle
Que fit Sainte-Marie, Mère du Roi de  Justice   (Dieu, Jésus),
Quand le roi Louis de France navigua  vers la Tunisie
Avec une grande armée pour faire la guerre contre les Maures.

En ha nave da oste, u gran gente maa ya,
un mercador y andava que mui grand’ aver tragia;
e porque soo entrara ontr’ aquela conpania,
penssaron que o matassen pera despender na guerra

Sobelos fondos do mar e nas alturas da terra…

Sur l’un des navires de son ost, où on comptait beaucoup de gens vils,
voyageait un marchand qui avait avec lui une grande fortune.
Et comme il s’était embarqué seul avec une telle compagnie
Ceux-ci eurent l’idée de le tuer pour dépenser à la guerre

O aver que el levava. E [tal] conssello preseron
que eno mar o deitassen, e un canto lle poseron
odeito aa garganta e dentro con ele deron.
Mais acorreu-ll[e] a Virgen que nunca errou nen erra,

Sobelos fondos do mar e nas alturas da terra…

 toutes les richesses qu’il avait avec lui. Ils s’accordèrent
pour le jeter à la mer,   et il lui   
attachèrent
une pierre autour de son cou,   et le jetèrent à l’eau.
Mais la Vierge, qui n’a jamais commis de péchés et n’en commettra jamais, vint le secourir.

Que aly u o deitaron tan tost’ ela foi chegada
e guardou-o de tal guisa, que sol non lli noziu nada
o mar nen chegou a ele, esto foi cousa provada;
ca o que en ela fia, en ssa mercee non erra.

Sobelos fondos do mar e nas alturas da terra…

Ainsi, elle vint aussitôt à l’endroit où ils l’avaient noyé
et le protégea de sorte que la mer ne lui fit aucun mal
et ne le toucha même pas. C’est là une chose admise,
que, dans sa miséricorde, elle n’abandonne jamais ceux qui ont foi en elle.

E ele ali jazendo u o a Virgen guardava,
a cabo de tercer dia outra nav’ y aportava;
e un ome parou mentes da nav’ e vyu com’ estava
aquel ome so a agua, e diz: «Mal aja tal guerra

Sobelos fondos do mar e nas alturas da terra…

Et l’homme resta couché là où la vierge le protégeait
Et trois jours plus tard, un autre navire s’est approché
Et un homme a arrêté le navire et en voyant comment se trouvait
cet homme sous l’eau, il a dit : «Maudit soit une telle guerre

U assi os omes matan en com’ a este mataron.»
E dando mui grandes vozes, os da nave ss’ y juntaron,
e mostrou-lles aquel ome; e logo por el entraron
e sacárono en vivo, en paz e sen outra guerra.

Sobelos fondos do mar e nas alturas da terra…

Dans laquelle les hommes tuent comme ils tuèrent celui-ci.»
Et comme il poussait de grands cris, ceux du navire le rejoignirent
Et il leur montra cet homme ; et ensuite, ils entrèrent (sous les eaux)
et l’en sortirent vivant, en paix et sans autres difficultés.

E poi-lo om’ a cabeça ouve da agua ben fora,
catou logo os da nave e falou-lles essa ora
e disse-lles: «Ai, amigos, tirade-me sen demora
daqui u me deitou gente maa que ameud’ erra.»

Sobelos fondos do mar e nas alturas da terra…

Et quand l’homme eut la tête bien hors de l’eau,
Il vit alors ceux du navire et leur fit cette supplique,
et leur dit : « Ah, mes amis, tirez-moi sans tarder
de là où m’ont jeté ces mauvaises gens qui aiment faire du tord (pêcher)« .

Quando os da nav’ oyron falar, espanto prenderon,
ca tian que mort’ era; mais pois lo ben connoceron
e lles el ouve contado como o no mar meteron,
disseron: «Mal aja gente que contra Deus tan muit’ erra.»

Sobelos fondos do mar e nas alturas da terra…

Quand ceux du navire l’entendirent parler, ils furent pris de terreur
car ils pensaient qu’il était mort ; mais ils le connaissaient bien
et en l’entendant conter comment on l’avait jeté à l’eau,
ils dirent :  » Bien mauvaises gens qui contre Dieu agissent à si grand tort »

E depois lles ar contava como sempre as vigias
el jajava da Virgen e guardava os seus dias;
e porend’ o guardou ela e feze-lle no mar vias
que o non tangess’ a agua e lle non fezesse guerra.

Sobelos fondos do mar e nas alturas da terra…

Et ensuite il leur a conté comment toujours il gardait
Le  jeûne pour la Vierge et célébrait ses fêtes :
Et c’est pour cela qu’elle le protégeait  et le faisait sur les voies maritimes
Pour qu’il ne tombe pas à l’eau et qu’on ne lui fasse pas la guerre.

«E porque entendeu ela que prendera eu engano,
log’ entre mi e as aguas pos com’ en guisa de pano
branco, que me guardou senpre, per que non recebi dano;
poren por servir a ela seerei en esta guerra.»

Sobelos fondos do mar e nas alturas da terra…

Et parce qu’elle a compris qu’on m’avait trompé
Alors, entre moi et les eaux, elle a posé, comme un drap (tissu)
Blanc, qui m’a protégé sans cesse, afin que je ne sois pas blessé;
Aussi,    pour la servir, je participerais à cette guerre.

Quando os da nav’ oyron esto, mui grandes loores
deron a Santa Maria, que é Sennor das sennores;
e pois foron eno porto, acharon os traedores
e fezeron justiça-los como quen atan muit’ erra.

Sobelos fondos do mar e nas alturas da terra…

Quand ceux des navires entendirent cela, de très grandes louanges
Ils firent à Sainte Marie, qui est la dame d’entre les dames :
Et puis ils allèrent au port, livrer les traîtres
Et leur firent justice comme on le fait à ceux qui agissent mal.

Poi-la jostiça fezeron, o mercador entregado
foi de quanto lle fillaran quando foi no mar deitado;
e el dali adeante sempre serviu de grado
a Virgen Santa Maria sen faliment’ e sen erra.

Sobelos fondos do mar e nas alturas da terra…

Lorsque le châtiment fut appliqué, le marchand retrouva
tout ce qu’ils lui avaient pris avant de le jeter à la mer.
Et lui, à partir de ce jour, servit toujours de bon gré
La Sainte-Vierge sans faille et sans péchés.


Retrouvez ici l’index de toutes les Cantigas de Santa Maria traduites et commentées, et leur interprétation par les plus grands ensembles de musique médiévale.

En vous souhaitant une belle  journée.

Frédéric EFFE.
Pour Moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.

Moniot D’Arras : « ce fut en mai » ou la pastourelle d’un loyal amant en peine

trouvere_chevalier_croise_poesie_chanson_musique_medievale_moyen-age_centralSujet  : poésie médiévale, trouvère, chanson médiévale, musique ancienne, pastourelle,  amour courtois
Titre : «Ce fut en mai »
Auteur   : Moniot d’Arras, Pierre Moniot   (12 ?)
Période    : XIIIe siècle, Moyen Âge  central
Interprète    :   Martin Best Medieval Ensemble
Album : Songs of Chivalry (1983)

Bonjour à tous,

A_lettrine_moyen_age_passionu XIIIe siècle, Moniot d’Arras, connu également sous le nom de Pierre Moniot ou Moniot, composa  plus d’une vingtaine de chansons dont un bon nombre sur le thème de l’amour courtois. Bien qu’on ne connaisse pas précisément les dates de sa vie et de sa mort,  ce poète du Moyen Âge central est contemporain de cette génération demeurée célèbre de trouvères dans laquelle on compte des grands noms comme Colin Muset, Adam de la Halle ou encore Thibaut de Champagne, pour ne citer qu’eux. Il  était même  actif un peu avant eux.

Œuvre  et chansons  de Moniot d’Arras

A en juger par   les adresses de ses poésies, Moniot a entretenu une certaine familiarité avec quelques nobles de son temps : Renaud de Dammartin, comte de Boulogne, Gérard III, vidame d’Amiens, Jehan de Braine, etc… Il a aussi été suffisamment populaire pour qu’une de ses chansons soit, en partie, citée dans le Roman de la Violette   de Gerbert de Montreuil (autour de 1230).

La plupart des  pièces laissées par Moniot d’Arras sont de nature courtoise et profane. Sur la foi des manuscrits, on lui avait tout d’abord attribué près de 40 chansons, mais l’on doit au médiéviste Petersen Dyggve d’avoir mis un peu d’ordre dans ce corpus ( Moniot d’Arras et Moniot de Paris, trouvères du XIIIe siècle, 1938). Dans ce même ouvrage, ce spécialiste finlandais de littérature romane médiévale  en  a  également profité pour établir des lignes plus claires entre notre trouvère et une autre Moniot avec lequel on l’avait quelquefois confondu :   Moniot de Paris.

Le chansonnier provençal d’Estense

moniot-arras-trouvere-manuscrit-medieval-chansonnier-provence-estense-bibliotheque-modene-sLa chanson que nous vous présentons aujourd’hui est l’une des plus célèbres du trouvère artésien même si son attribution a pu être aussi questionné. Elle se présente sous la forme d’une pastourelle  et a pour titre « L’autrier en mai »  ou encore « Ce fut en mai« .  Du point de vue des sources, on peut la retrouver dans un manuscrit ancien conservé à la Bibliothèque d’Estense  de Modène, en Italie.

Sous la référence  aR44, ce codex de 346 feuillets  est aussi connu sous le nom de Chansonnier provençal d’Estense. Depuis sa création, vers la fin du XIIIe siècle, il est passé entre plusieurs mains et  a  même fait l’objet d’ajouts, au fil du temps. Il est conservé à la Bibliothèque italienne de l’Université d’Estense depuis le XVIe siècle. Dans sa version actuelle, il contient la recopie de nombreuses pièces  et chansons  occitanes, mais également de textes en langue d’oïl et  en vieux français comme celui  du jour.

Ce fut en  Mai de Moniot d’Arras par  Martin Best Medieval Ensemble

Martin Best, un chanteur et musicien anglais,   sur la scène  médievale

martin-best-passion-musiques-ancienne-medievales-portraitDes années 70 aux années 90, le chanteur compositeur, luthiste et multi-instrumentiste  britannique   Martin Best  a conquis un large public  sur la scène des musiques anciennes et traditionnelles. Sur la partie de son répertoire qui touche le Moyen Âge. il a exploré un vaste territoire poétique et musical qui va  de la  Suède,  à l’Angleterre, l’Espagne, la   Provence et  la  France   médiévales.   En près de 30 ans de carrière, il a  ainsi produit  25 albums, certains signés de son nom, d’autres sous les noms de ses formations Martin Best Consort  ou encore Martin Best Medieval Ensemble  

En dehors de la scène musicale,  Martin Best  est aussi connu pour sa longue collaboration avec la troupe théâtrale Royal Shakespeare Company en tant qu’acteur et chanteur. Au carrefour de la musique et du théâtre, il a  même produit en 1979, un album sur les musiques et chansons autour de l’oeuvre de William Shakespeare.

L’album Songs of Chivalry  :
chansons du temps  de la chevalerie

musique-medievale-album-Martin-best-medieval-ensemble-trouveres-troubadours-moyen-ageEn 1983, avec  le    Martin Best Medieval Ensemble, l’artiste présentait l’album Songs of Chivalry. On pouvait y découvrir  19  pièces de choix, issues du répertoire français.

La sélection mêlait troubadours occitans et trouvères de langue d’oïl sur le thème de la chevalerie. Entre courtoisie, chansons de croisades, et même quelques pièces instrumentales, de grands auteurs de la France médiévale s’y trouvaient représentés : Guillaume IX d’Aquitaine, Marcabru, Thibaut de  Champagne,  Blondel de Nesle, Bernart de Ventadorn, Jaufre Rudel, Beatriz de Dia et quelques autres noms encore, dont  Moniot d’Arras et la pastourelle du jour.

Edition & disponibilité

A ce jour, l’album est toujours disponible à la vente en ligne au format  CD ou au format Mp3. Vous pourrez le  retrouver au lien suivant : Songs of Chivalry.

Notons  encore que les travaux du Martin Best    Médiéval Ensemble   sur le thème des troubadours firent l’objet  d’un coffret de 6 CDs  sorti en 1999, sous le titre Music from the Age of Chivalry. Pour l’instant,  il semble qu’il n’ait pas été réédité et il demeure  un peu difficile à trouver.

partition-musique-chanson-medievale-moniot-d-arras-trouvere-moyen-age-XIIIe-siecle


« Ce fut en mai » ou « l’autrier en mai »
de Moniot d’Arras

Ce fut en mai
Au douz tens gai
Que la saisons est bele,
Main* (de bon matin) me levai,
Joer m’alai
Lez une fontenele.
En un vergier
Clos d’aiglentier
Oi* (de ouir) une viele;
La vi dancier
Un chevalier
Et une damoisele.

Cors orent gent
Et avenant
Et molt très bien dançoient;
En acolant
Et en baisant
Molt biau se deduisoient* (se divertir, s’amuser).
Au chief du tor*   (finalement),
En un destor,
Dui et dui s’en aloient ;
Le jeu d’amor
Desus la flor
A lor plaisir faisoient.

J’alai avant.
Molt redoutant
Que mus d’aus* (aucun d’entre eux) ne me voie,
Maz* (triste) et pensant
Et desirrant
D’avoir ausi grant joie.
Lors vi lever
Un de lor per* (des deux)
De si loing com j’estoie
Por apeler
Et demander
Qui sui ni que queroie* (qui j’étais & ce que je voulais).

J’alai vers aus,
Dis lor mes maus,
Que une dame amoie,
A cui loiaus
Sanz estre faus
Tot mon vivant seroie,
Por cui plus trai
Peine et esmai* (trouble, découragement)
Que dire ne porroie.
Et bien le sai,
Que je morrai,
S’ele ne mi ravoie* (revient).

Tot belement
Et doucement
Chascuns d’aus me ravoie* (fig; consoler?).
Et dient tant
Que Dieus briement* (bientôt)
M’envoit de celi joie
Por qui je sent
Paine et torment :
Et je lor en rendoie
Merci molt grant
Et en plorant
A Dé les comandoie* (je prie congé d’eux).


En vous souhaitant une  belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.