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Le château de flint : témoin de la conquête du pays de Galles dans l’Angleterre médiévale du XIIIe siècle

mondes_3D_virtuels_rue_médiévale_unity_3D_jeux_videosSujet : château-fort, reconstitution 3D, vidéo, architecture médiévale, angleterre médiévale, Pays de Galles monument historique, patrimoine anglais.
Période : Moyen-âge central, XIIIIe siècle
Lieu : Château de Flint ( Flintshire, pays de Galles, frontières anglaises)

Bonjour à tous,

D_lettrine_moyen_age_passionepuis la conquête de l’Angleterre par les normands, dans la deuxième partie du XIe siècle, de nombreuses provinces et villes du Pays de Galles étaient tombées aux mains de ces derniers. Guillaume le conquérant en avaient fait des « marches » à la main d’hommes de confiance et ces fiefs, bien que soumis en dernier ressort à la couronne anglaise, étaient pratiquement indépendants.

Dès la fin de ce même siècle, les provinces demeurées galloises ne tardèrent toutefois pas à se soulever pour partir à la reconquête de leurs territoires perdus. Les échauffourées durèrent ainsi pendant près d’un siècle et demi, sans que les rois anglais en fassent véritablement une priorité.

Le château-fort de Flint premier pont de conquête du Pays de Galles par Edouard 1er dans l'Angleterre médiévale du XIIIe siècle
Le château-fort de Flint  pont de conquête du Pays de Galles par Edouard 1er dans l’Angleterre médiévale du XIIIe siècle

De Llywelyn le dernier à Edouard 1er
La conquète du pays de Galles

A_lettrine_moyen_age_passionu milieu du XIIIe siècle, en 1258, Llywelyn ap Gruffydd, (Llywelyn le Dernier), noble gallois conquérant se fit couronner Prince de galles. Souverain sur l’ensemble des provinces galloises y compris celles reprises aux anglais, il obtint même la reconnaissance de son titre par le roi Henri III, sous réserve de se plier à quelques conditions et d’accepter aussi de se déclarer le vassal de la couronne anglaise.

chateau-fort_flint_architecture_medievale_reconstitution_3D_angleterre_conquete_pays_galles__moyen_age_XIIIeUn traité fut signé en 1267 à Montgomery mais les ambitions politiques et conquérantes du Gallois ne s’arrêtèrent pas là. Il conclut, en effet, bientôt  des alliances et même un mariage avec  la famille de Simon de Montfort.  Ennemi juré des anglais, ce dernier avait mené la révolte des barons,  quelques années auparavant, et avait même,  à cette occasion, fait capturer le jeune prince Edouard. Pour la couronne d’Angleterre, la coupe était pleine et le fils d’Henri III, devenu roi depuis, décida  de soumettre, une fois pour toutes, les gallois. (ci-dessus, statue de Llywelyn ap Gruffydd, Conwy, Pays de Galles)

« L’anneau de fer » d’Edouard 1er

E_lettrine_moyen_age_passionn 1277, Edouard 1er d’Angleterre partit donc en campagne. Comme la prise et la défense de provinces au moyen d’un maillage de forteresses restait une stratégie militaire prisée dans le courant du XIIIe siècle, le souverain décida de faire édifier des châteaux forts sur le territoire du Pays de Galles et notamment au nord, région où la main mise des gallois était la plus forte. Il renforça également un certain nombre d’édifices déjà construits par son père Henri III.

chateu-fort_flint_pays_galles_histoire_medievale_edouard_1er_conquete_moyen-age_centralSi, ainsi qu’on l’a nommé, cet « anneau  de fer » d’Edouard 1er semble bien être un des plus grands projets de construction de l’Europe médiévale du XIIIe, sur un territoire aussi petit, il avait, en réalité, pour objectif de minimiser le coût exorbitant représenté par des campagnes militaires mobiles. Flint prit donc sa place dans ce schéma stratégique et militaire de conquête et fut l’un des premiers château-fort nouvellement construit par le souverain. Quelques années plus tard, en 1282, toujours dans l’optique d’asseoir les positions de la couronne anglaise en terres galloises, Edouard 1er vint y adjoindre d’autres places fortes : les châteaux de Beaumaris,  Conwy, Caernarfon  et Harlech, Les villes de   Caernarfon  et Conwy furent également fortifiées.

La guerre de conquête dura de 1277 à 1283 et vit tomber le pays de galles aux mains des anglais. Edouard 1er  hérita ainsi, par la force, du titre de Prince de Galles. La majorité des fiefs passa à la main royale, d’autres furent concédés à des vassaux de la couronne. Pour que la fin de l’indépendance du Pays de Galles soit effective sur le portrait_edouard_1er_angleterre_conquete_XIIIe_pays_de_galle_moyen-agepapier il fallut toutefois attendre encore trois siècles et les « Laws in Wales Acts » qui, en 1536 et 1543, entérinèrent son intégration à l’Angleterre.

(Ci-contre portrait d’Edouard 1er, abbaye de Westminster, datant du règne de ce dernier  (1272- 1307).

Après la conquête du pays de Galles, Edouard 1er se tourna vers l’Ecosse. Il eut, cette fois, un peu moins de réussite puisque le conflit s’éternisa jusqu’à la fin de son règne. On se souvient  d’ailleurs du rôle joué par William Wallace, (le Braveheart de Mel Gibson) dans la résistance opposée par les écossais à la couronne anglaise.

Reconstitution 3D de la chaîne youtube DEXTRAVISUAL

Le château de Flint, premier témoin
de la guerre de Galles d’Edouard 1er

L_lettrine_moyen_age_passiona construction du château de Flint dura près de 8 ans. Pour l’édifier, il fallut faire intervenir près de 3000 hommes dont 1845 en charge de creuser les digues et fondations, 320 maçons, et encore 790 charpentiers et ouvriers de toutes sortes pour travailler les bois de construction (The medieval castle in England and Wales : A political and social History, Norman JG Pounds).

Bordé de tours aux quatre coins, dont l’une était un grand donjon, le château de Flint est un modèle typique de l’architecture philippienne dans ses évolutions. On se souvient, en effet, que le donjon d’abord situé au centre des édifices fortifiés fut ensuite plutôt construit sur un de leurs angles. Le fait que le donjon soit totalement détaché de la structure semble n’être une variante de cette architecture, inaugurée d’ailleurs par Philippe-Auguste lui-chateau_flint_pays_galles_angleterre_medievale_conquete_edouard_1er_moyen-age_XIIIe_sieclemême, à l’occasion de la construction de la forteresse de Dourdan, dans l’Essonne (autour de 1220-1222)

Ci-contre, un carte de 1610 qui font état de fortifications additionnelles en bois. 

Quoiqu’il en soit, le bien fondé de la position stratégique du château-fort de Flint fut avéré puisqu’il fut assiégé à plusieurs reprises par les gallois durant les guerres de conquêtes anglaises. Il dut même essuyer une première attaque durant sa construction.

A la fin du XIVe siècle,  en 1399, la forteresse revint sur le devant de la scène puisque le roi Richard II s’y trouva capturé par Henry Bolingbroke dans une lutte de succession qui verra ce dernier triompher et se faire couronner Henri IVShakespeare immortalisa la scène de l’enlèvement du roi dans son Richard II, en prenant comme Décorum le château de Flint. Quelques années plus tard, au début du XVe les gallois du comté de Flint se soulèveront contre Henri IV et la légitimité de son règne et la forteresse autant que la ville connaîtront encore quelques années houleuses.

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J.M.W. Turner, le château de Flint (1838)

Au XVIIe siècle, durant la guerre civile anglaise, le château de Flint fut tenu par les royalistes jusqu’à sa prise, après un siège de plus de trois mois, par les parlementaires, qui ordonnèrent ensuite qu’il fut rasé. Comme de nombreuses forteresses anglaises qui subirent le même sort que lui, l’édifice médiéval ne se réduit plus, aujourd’hui, qu’à quelques ruines. Déclaré monument public, il y a près près d’un siècle, il a été depuis confié à la protection d’une organisation de sauvegarde du patrimoine dépendant du gouvernement gallois.

Il fallait bien l’aide de l’infographie 3D pour nous permettre de nous en faire une belle idée, aussi nous remercions encore la chaîne youtube Dextravisual pour ce beau travail.

En vous souhaitant une excellente  journée.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
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Danse médiévale : une Ductia anonyme du XIIIe siècle avec The Dufay Collective

danse_musique_medievale_estampie_royale_manuscrit_du_roy_roi_XIIIe_moyen-age_centralSujet : musique médiévale, danse médiévale, Ductia, chanson de l’Angleterre Médiévale
Période :  moyen-âge central, XIIIe siècle,
Titre : Ductia
Auteur : anonyme
Interprète : The Dufay Collective
Album :  Miri it is. Songs And Instrumental Music From Medieval England (1995)
Editeur : Chandos

Bonjour à tous,

A_lettrine_moyen_age_passionujourd’hui, nous vous proposons un peu de danse médiévale légère avec une Ductia en provenance de l’Angleterre du XIIIe siècle. Nous devons son interprétation à l’ensemble  The Dufay Collective et elle est issue de leur troisième album,  sorti en 1995, et ayant pour titre « Miri it is. Songs And Instrumental Music From Medieval England« .

Estampie, Ductia et Nota, on se souvient que ces danses du moyen-âge central, nées autour des XIIIe, XIVe siècles, peut-être en France, ont trouvé rapidement un terrain d’élection sur le sol de l’Italie et de l’Angleterre médiévales.

 Danse médiévale : un Ductia du XIIIe siècle par le Dufay Collective

Miri it is. Songs And Instrumental Music From Medieval England

C_lettrine_moyen_age_passionomme son titre l’indique, on retrouvait dans cet album du Dufay Collective,  la chanson « Miri it is while sumer ilast » (dont nous vous avons déjà parlé ici), mais encore dix-neuf autres titres, entre chansons et danses, pris dans un répertoire à la fois profane et religieux.

john_potter_tenor_artiste_anglais_chanson_angleterre_medievale_moyen-ageA l’occasion de cette production, le jeune et talentueux ensemble anglais invitait le ténor John Potter (portrait ci-contre) à se joindre à lui sur l’ensemble des pièces vocales. En plus d’être une voix célèbre  en Angleterre et même au delà pour avoir participé à de nombreux ensembles médiévaux et classiques, ce dernier est également un auteur et un universitaire  reconnu pour sa grande expertise en musicologie, sur un répertoire qui va des musiques médiévales et anciennes, au classique et même à des pièces plus modernes. Sur le terrain vocal, cet artiste dont la carrière impressionnante a débuté dans les années 70, a déjà plus de cent albums à son actif. On y trouve même du Led Zeppelin ! La pièce du jour étant instrumentale, nous aurons très certainement l’occasion de revenir sur son travail artistique dans le futur.

Dans l’attente, cet album du Dufay Collective est toujours disponible à la vente en ligne. On le trouve au format CD mais aussi dématérialisé (MP3) ce qui offre l’avantage de pouvoir écouter un échantillon de toutes les pièces et éventuellement de les acquérir séparément. Si vous êtes intéressés ou pour en savoir plus, vous pourrez toutes les trouverer sur ce lien (ou en cliquant sur l’image de l’album):  « Songs And Instrumental Music From Medieval England, format CD ou dématérialisé ».

En vous souhaitant une belle  journée et une bonne écoute.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
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Colin Muset, portrait et une chanson médiévale sur les déboires du trouvère du XIIIe siècle

poesie_litterature_medievale_realiste_satirique_moral_moyen-ageSujet : musique, chanson médiévale, poésie médiévale, humour,  trouvère, biographie, ménestrel, jongleur, auteur médiéval, vieux-français
Période : moyen-âge central, XIIIe siècle.
Auteur ; Colin Muset (1210-?)
Titre :  « Sire Cuens, j’ai viélé »
Interprètes : Les productions Perceval (livre MM Le moyen-âge la renaissance, Editions J. M. Fuzeau, 1989

Bonjour à tous,

N_lettrine_moyen_age_passionous partons aujourd’hui aux abords du XIIIe siècle pour parler d’un trouvère célèbre du nom de Colin Muset: portrait, détails sur l’homme et sur l’oeuvre donc et, bien sûr, présentation d’une de ses chansons pour compléter le tableau.

Eléments (flous) de biographie

A l’image de nombreux autres trouvères ou troubadours de son temps, quand ils n’étaient pas eux-même des seigneurs suffisamment notables pour entrer dans l’histoire,  on sait peu de chose de la vie de Colin Muset. Originaire de Lorraine ou de Champagne, il serait né au début du XIIIe siècle, autour de 1210. On ne connait pas non plus la date de son trépas mais on sait qu’entre les deux, il aurait été poète, musicien et joueur de Viole (vièle à archet).

Si l’on se fie au contenu de ses poésies, il allait de cour en cour pour proposer son art et pour subsister. Pour autant, nous ne sommes pas là face à un artiste miséreux puisque, à l’en croire toujours, il avait  une servante pour assister sa famille et il avait colin_muset_trouvere_XIIIe_poesie_chanson_musique_medievale_XIIIe_siecle_moyen-agemême encore une valet pour s’occuper de sa monture.

De fait, en son temps et sur la base des poésies du Ménestrel, Gaston Paris nous a dépeint Colin Muset comme un bon vivant, menant somme toute, une existence assez bourgeoise. Marié avec au moins un enfant, il aurait été sédentaire l’hiver et plus itinérant durant l’été. « Poète, amoureux et parasite » ainsi qu’il se voyait lui-même, sa poésie oscille entre légèreté, images bucoliques, amourettes et encore des aspirations à une vie confortable et jouisseuse, entourée de bons vins et de bonne chère.  On retrouvera sans peine quelques uns de ces traits dans la chanson que nous vous présentons aujourd’hui pour accompagner ce portrait et qui est une de ses plus célèbres.

Contemporain de Thibaut de Champagne, roi de Navarre, Colin Muset a-t-il fini par entrer au service et sous la protection de ce dernier ? Si on le trouve affirmé ça ou là, cela ne semble pas faire l’unanimité chez les nombreux auteurs  qui se sont penchés sur lui.

« Sire cuens, j’ai viélé », Ensemble Perceval

Le legs de Colin Muset : comptages, débats d’experts, corpus, etc…

Signe d’une certaine reconnaissance et popularité de cet artiste médiéval en son temps, on peut trouver les oeuvres de Colin Muset  dans de nombreux manuscrits anciens qui s’échelonnent entre le milieu du XIIIe et le début du XIVe siècle. Deux d’entre eux en contiennent le plus grand nombre, le MS  389 ou Le Chansonnier français de la Burgerbibliothek de Berne, et encore le   Chansonnier U connu encore sous le nom de Manuscrit de Saint-Germain des près (MS français 20050). Véritable mine d’or de la chanson française (et provençale) du moyen-âge central, ce dernier est en tout cas le plus ancien dans lequel on puisse trouver des pièces de Colin Muset aux côtés de 304 autres trouvères, 333 chansons et encore 29 compositions provenant de troubadours. La chanson du jour se trouve, quant à elle, dans quatre autres manuscrits  dont le manuscrit MS 5198 de l’Arsenal et encore dans le MS Français 845 dont est tirée l’image ci-dessous.

sire_cuens_manuscrit_ancien_colin_muset_chanson_poesie_medievale_trouveres_moyen-ageQuoiqu’il en soit, du XIXe siècle jusqu’à des dates encore très récentes (2007), entre poésies non signées, simplement émargées après coup par un « rubriqueur » ou un copiste, mais aussi entre approches déductives, comptage de pieds ou longues analyses stylistiques et métriques, le nombre exact de pièces attribuées à notre trouvère du jour a oscillé d’une douzaine à un peu plus d’une vingtaine. Les débats n’étant toujours pas clos sur le sujet,  au delà de la douzaine, on se retrouve en face d’un corpus aux contours flottant différemment en fonction des experts.

Au demeurant, cela reste une production plutôt chiche, si on la compare avec celle d’autres trouvères ou jongleurs contemporains du XIIIe siècle comme un Adam de la Halle ou un Rutebeuf. En dehors du fait que certaines de ses oeuvres se sont peut-être perdues, sans doute  Colin Muset chantait-il, en plus de ses propres pièces, des oeuvres empruntées à d’autres. Comme nous le montrent les manuscrits d’époque, il n’aurait eu, dans cette hypothèse, que l’embarras du choix dans le large répertoire des trouvères dont il était contemporain.

Sire Cuens, j’ai viélé

O_lettrine_moyen_age_passionn ne peut pas s’empêcher de trouver, dans cette chanson de Colin Muset sur les déboires de l’activité de trouvère,  quelques similitudes avec certaines complaintes de Rutebeuf, sur le fond au moins en tout cas. L’humour est à l’évidence présent, et il faut bien avouer que l’interprétation de la pièce du jour le renforce encore, mais au delà, le texte met en scène ce fameux « je » poétique dont nous avions déjà parlé avec Rutebeuf (voir article)  et que nous avions ré-abordé en parlant de la poésie de Michault Taillevent. (voir article sur le passe-temps de Michault).

Entre poésie goliardique, fabliaux et notes satiriques, le XIIIe se signe aussi par une forme d’émancipation de certains de ses auteurs d’avec la lyrique courtoise.  Colin Musset reste un de ceux là.

Benureau_Kaamelott_Alexandre_Astier_trouvere_moyen-age_colin_muset_complainte_chanson_medievale_XIIIe_siecle« L’ami Barde n’eut point ripaille
Parti sans pain et sans fruit
Quand chanta pour les funérailles
Du roi Loth mort dans son lit.
Niah, niah, niah, niah! »
Le Barde ( Didier Bénureau) –
Kaamelott,
Alexandre Astier

Sans parler du clin d’oeil fait par Alexandre Astier dans Kaamelott au sujet du barde mal reçu, que cette chanson de Colin Muset ne peut manquer d’évoquer pour ceux qui connaissent la série, on trouvera cette complainte sur les mauvais donneurs, reprise par d’autres chanteurs et artistes du moyen-âge. Il faut bien dire qu’un certain idéal de pauvreté, synonyme peut-être d’une forme authenticité pour certains artistes ou auteurs romantiques du XIXe n’a rien de médiéval. Les trouvères ou troubadours du moyen-âge ne se cachent pas, en effet, de vouloir gagner quelques deniers bien mérités et un bon traitement en échange de leur art.

Les paroles de « Sire Cuens, j’ai viélé »
dans le vieux-français de Colin Muset

Sire Cuens* (Comte), j’ai viélé
Devant vos, en vostre ostel :
Si ne m’avez rien doné,
Ne me gages acquités ;
C’est vilanie !
Foi que doi Sainte Marie,
Ensi ne vos sieuré je mie ;
M’aumoniere est mal garnie
Et, ma borse mal farcie !

Sire Cuens, car commandez
De moi vostre volenté ;
Sire, s’il vos vient à gré,
Un biau don car me donez
Par cortoisie !
Car talent ai, n’en dotez mie
De raler a ma mesnie* : (retourner en ma maison)
Quant g’i vois borse d’esgarnie,
Ma fame ne me rit mie,

Ainz me dit : « Sire Engelé,
En quel terre avez esté
Qui n’avez riens conquesté ?
Trop vos estes deporté 
Aval la vile !
Vez con vostre male plie :
El est bien de vant farsie !
Honi soit qui a envie
D’estre en vostre compaignie ! »

Quand je vieng a mon ostel.
Et ma fame a regardé
Derrier moi le sac enflé
Et ge, qui sui bien paré
De robe grise.
Sachiez qu’elle a tost jus mise
La quenoille ; sanz faintise
Ele me rit ; par franchise,
Ses deux braz au col me lie.

Ma fame va destrousser
Ma male sans demorer* (sans attendre) ;
Mon garçon va abuvrer
Mon cheval, et conreer* (en prendre soin, le nourrir) ;
Ma pucele* (servante, jeune fille) va tuer
Il chapons, por deporter* (célébrer)
A la janse aillie* (sauce à l’ail)
Ma fille m’aporte un pigne* (peigne)
En sa main par cortoisie…
Lors sui de mon ostel sire
A meolt grant joie, sanz ire,
Plus que nus ne porroit dire.

En vous souhaitant une belle journée.

Frédéric EFFE
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Rose des Roses, la Cantiga de Santa Maria 10 par Marina Lys, trobairitz passionnée

cantigas_santa_maria_10_rose_des_roses_culte_mariale_vierge_marie_moyen-ageSujet :  musique médiévale, Cantigas de Santa Maria, galaïco-portugais, culte marial, Sainte-Marie, rose, littérature courtoise, chant médiéval chrétien.
Epoque : Moyen Âge central, XIIIe siècle
Auteur :  Alphonse X  (1221-1284)
Titre :  Cantiga 10 rosas das rosas
Interprète : Marina Lys  (2015)


Bonjour à tous,

N_lettrine_moyen_age_passionous poursuivons ici notre présentation, adaptation et traduction des Cantigas de Santa Maria, qui nous viennent de l’Espagne médiévale du XIIIe siècle et du règne d’Alphonse X le Sage.

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Cantiga de Santa Maria et sa partition ancienne

Aujourd’hui, c’est une des plus célèbres de ces cantigas que nous abordons : la dixième. Elle est, comme toutes les autres, en galaïco-  portugais, elle a pour titre « Rosa das Rosas » (rose d’entre les roses) et c’est une chant allégorique entre la rose, fleur des fleurs de l’occident médiéval et la Sainte vierge. Nous sommes donc à nouveau au cœur du culte marial si prégnant au Moyen Âge central, et nous verrons en particulier ici comment cette place réservée à la sainte a pu hériter dans certains textes ou chants chrétiens d’alors, d’aspects  tout droit sortis de la littérature profane des XIIe, XIIIe siècles, et notamment de la lyrique courtoise des troubadours et de leur fin’amor (ou fine amor).

Pour parler de cette Cantiga, nous avons choisi une belle version de l’artiste, chanteuse et musicienne Marina Lys que cet article va aussi nous donner le grand plaisir de vous présenter.

La Cantiga Santa Maria 10 : Rosa das rosas par Marina Lys

Marina Lys, chanteuse, musicienne et belle égérie  sur la route des fêtes médiévales

Formée au conservatoire de musique d’Orly, Marina  Lys excelle autant dans le chant que dans les instruments à cordes ou à archet.

A ses premières passions pour la guitare, du registre Jazz manouche au classique,  son goût pour les musiques anciennes et médiévales l’a rapidement conduite à compléter sa formation pour y ajouter, sous la houlette d’artistes et professeurs reconnus dans ce domaine, le chant mais encore des instruments aussi variés que la vièle à archet, le luth, le luthare, le bouzouki irlandais, la flûte et même la harpe ou la harpe-lyre, à l’occasion.

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Marina Lys, une artiste passionnée de musiques anciennes et médiévales

Le travail artistique de Marina évolue des chants chrétiens anciens aux envoûtantes mélopées séfarades du Moyen Âge central, en passant par des registres plus variés et folkloriques (tziganes, celtiques ou nordiques) mais toujours inspirés par les musiques anciennes. Entre restitution historique, émotion et adaptations artistiques plus libres, elle déroule encore ses talents vocaux dans un répertoire qui couvre près de dix langues, de l’araméen, à l’hébreu, en passant par le latin, le serbe, le galaïco-portugais, le tzigane russe ou encore le suédois.

A la manière de bien des artistes, trouvères ou trobairitz des XIIe et XIIIe siècles, c’est, pour l’instant, de manière itinérante que Marina a décidé de faire partager sa passion pour les musiques anciennes, bien décidée à  les faire découvrir au plus large public. Aussi, c’est dans l’ambiance enjouée d’une belle fête médiévale, dans la fraîcheur  et l’atmosphère propice d’une église, ou encore dans un beau jardin,, au milieu d’un parterre jadys_marinas_lys_compagnies_animations_musiques_danses_inspirtations_medievalesde fleurs, que vous pourrez avoir le plaisir de la rencontrer et de découvrir son art.

Elle ne sera d’ailleurs pas toujours seule puisqu’elle a fondé en 2012 la troupe  musicale  « Jàdys » qui se dédie à un répertoire d’inspiration festif plus ouvert : musiques tzigano-médiévales et danses  et chants du monde, au programme. Trois ans après sa création, le travail artistique de la formation a d’ailleurs été salué par la Fédération Française des Fêtes et Spectacles Historiques et lui a valu d’être distinguée comme le meilleur groupe 2014-2015.

Voici de liens utiles pour plus d’informations sur son art et son actualité  : Facebook officiel Site web – FB de la compagnie Jàdys

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Rosa das rosas, les  paroles de la Cantiga 10  et leur traduction en français moderne

Questa è di lode a Santa Maria, come è bella e buona e ha gran potere.

Cette Cantiga est une louange à Sainte-Marie, à sa beauté et sa bonté et à son grand pouvoir.

Rosa das rosas e Fror das frores,
Dona das donas, Sennor das sennores.

Rose d’entre les roses, fleur d’entre les fleurs
Dame d’entre les dames, reine d’entre les reines 

Rosa de beldad’ e de parecer
e Fror d’alegria e de prazer,
Dona en mui piadosa ser
Sennor en toller coitas e doores.
Rosa das rosas e Fror das frores,
Dona das donas, Sennor das sennores.

Rose de beauté et belle apparence
Et fleur de joie et de plaisir.
Dame de grande piété (miséricorde)
Reine pour ôter peines et douleurs
Rose d’entre les roses, fleur d’entre les fleurs
Dame d’entre les dames, reine d’entre les reines 

Atal Sennor dev’ ome muit’ amar,
que de todo mal o pode guardar;
e pode-ll’ os peccados perdõar,
que faz no mundo per maos sabores.
Rosa das rosas e Fror das frores,
Dona das donas, Sennor das sennores.

Telle seigneuresse* (reine) doit-on bien aimer
Qui de tout le mal nous peut préserver
Et peut pardonner pour tous les péchés
Qu’on fait dans le monde  par mauvais goût ( à mauvais escient)
Rose d’entre les roses, fleur d’entre les fleurs
Dame d’entre les dames, reine d’entre les reines

Devemo-la muit’ amar e servir,
ca punna de nos guardar de falir;
des i dos erros nos faz repentir,
que nos fazemos come pecadores.
Rosa das rosas e Fror das frores,
Dona das donas, Sennor das sennores.

Nous devons l’aimer (beaucoup) et bien la servir
Car elle peut nous garder des fautes
Et  nous faire repentir des erreurs
Que nous commettons, nous, pécheurs,
Rose d’entre les roses, fleur d’entre les fleurs
Dame d’entre les dames, reine d’entre les reines

Esta dona que tenno por Sennore
de que quero seer trobador,
se eu per ren poss’ aver seu amor,
dou ao demo os outros amores.
Rosa das rosas e Fror das frores,
Dona das donas, Sennor das sennores.

Cette dame là que je tiens pour reine
et dont je veux être le troubadour
Si je pouvais obtenir (gracieusement) son amour
Je laisserai au démon tous les autres amours
Rose d’entre les roses, fleur d’entre les fleurs
Dame d’entre les dames, reine d’entre les reines

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Culte Marial et lyrique courtoise
Littérature profane, littérature religieuse

Avec cette Cantiga 10 et ses louanges à la Sainte-Vierge, nous nous situons dans le registre du grand chant « adapté » de la lyrique courtoise profane, appliqué au culte marial. Ici, le croyant s’assimile en effet lui-même au troubadour et les sentiments voués à la Sainte viennent pratiquement se calquer sur la lyrique courtoise, ou y être transposés. C’en est même au point que le poète se dit prêt à « jeter au diable »  toutes ses autres amours s’il gagnait l’amour de la Vierge.

cantiga_de_santa_maria_10_rosa_das_rosas_culte_mariale_partition_musique_chanson_medievale_XIIIe_siecle
La Partition moderne de la CSM 10 Rose des rose

A partir de son émergence à la fin du XIIe et dans le courant du siècle suivant, c’est une tendance que l’on retrouvera souvent dans le culte marial. Certains médiévistes feront même l’hypothèse que l’entrée de la lyrique courtoise au sein des chants liturgiques et de la littérature religieuse mariale a été une forme de réponse « politique » pour, en quelque sorte, reprendre à son compte les éléments de la littérature profane, tout en proposant une alternative pieuse et acceptable à la Fin’amor, qui, par ses transgressions et ses formes assez clairement adultérines n’était pas tout à fait du goût de l’église.  Quelques auteurs parlent de calquage littéral, ou même de « registre parasite » de la littérature courtoise profane, d’autres médiévistes restent un peu plus nuancés et mettent l’accent sur une forme adaptée et recomposée. Sans non plus verser dans la naïveté, peut-être n’y a-t-il pas eu là que des volontés d’instrumentalisation, mais aussi, par moments, quelques élans sensibles  de la part des auteurs religieux qui, inspirés par certains éléments de la lyrique courtoise et par certaines de ses valeurs chevaleresques aussi, se mettent au diapason d’une société qui à travers sa littérature et son art, est en train de repenser le sentiment amoureux au coeur même de ses valeurs  (1).

Retrouvez plus de Cantigas de Santa Maria traduites en français actuel, avec leurs partitions anciennes et leur interprétations par les plus grands ensembles de musique médiévale.

En vous souhaitant une belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.


(1) Hors de l’Espagne médiévale et des Cantigas de Santa Maria, on trouvera un exemple saisissant de ces questions de transposition de la lyrique courtoise au culte marial, dans l’œuvre du trouvère et moine bénédictin Gautier de Coinci et on pourra valablement se reporter, comme point de départ, à un article publié en 2010  par Jean-Louis Benoit  dans la revue Le Moyen : « La dame courtoise et la littérature dans Les Miracles de Nostre Dame de Gautier de Coinci »