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Exposition : Le Moyen Âge du XIXe siècle, au Musée de Cluny

Sujet : événement, monde médiéval, musée, romantiques, XIXe siècle, art précieux, collections, exposition.
Période : Moyen Âge et XIXe siècle
Lieu : Musée National du Moyen Âge,
Musée de Cluny, Paris.
Dates : du 7 oct 2025 au 11 janvier 2026.
Adresse : 28 rue du Sommerard, Paris 5
Tél : 01 53 73 78 00 – 01 53 73 78 16

Bonjour à tous,

ur l’agenda des événements sur le thème du monde médiéval, voilà une belle exposition à laquelle vous confie le Musée de Cluny jusqu’à la mi-janvier 2026.

Affiche de l'Exposition : Le Moyen Âge du XIXe siècle au Musée de Cluny

L’idée en est aussi originale que la réalisation. L’institution se propose, en effet, de revisiter le Moyen Âge mais pas n’importe lequel, celui ressurgi de ses cendres au XIXe siècle sous l’impulsion des romantiques européens. L’événement est prestigieux puisque de nombreux autres musées français et européens y ont apporté leur contribution.

Au programme, un exposition d’objets rares en provenance du Moyen Âge mais aussi leur copies inspirées, ou même leurs faux, réalisés par les artisans orfèvres du XIXe siècle. L’exposition se double aussi de concerts et conférences sur ce même thème original du Moyen Âge au XIXe. En voici un digest.

Le Moyen Âge à l’ère des romantismes du XIXe siècle

Statuette ange reliquaire du Moyen Âge central, Musée des Beaux Arts de Limoges.
Statuette : Ange Reliquaire du Moyen Âge (XIIe, XIIIe siecle)

Emergé vers la fin du XVIIIe siècle en Allemagne et en Angleterre, puis en France, le mouvement romantique ne tarda pas à faire du monde médiéval un des supports privilégié de son inspiration. Entre peintures, compositions musicales, œuvres littéraires ou poétiques, les plus célèbres auteurs et artistes du XIXe siècle ont ainsi remis au goût du jour un Moyen Âge teinté d’onirisme ou même de néo-gothique.

Les inspirations médiévales du XIXe siècle ne se sont toutefois pas arrêtées aux arts et à la littérature. L’engouement pour ce Moyen Âge retrouvé après les Lumières a donné naissance à tout un monde d’objets rares et précieux dont les collectionneurs d’alors étaient friands. Ce sont justement ces pièces d’orfèvrerie qui font l’objet de cette exposition temporaire au musée de Cluny.

Entre copies, reproductions ou faux, l’événement part à la découverte de certaines des plus belles réalisations de l’art précieux du XIXe. Entre le Moyen Âge et siècle d’Hugo, les techniques d’orfèvrerie ont évolué et l’exposition questionne aussi cette dimension.

L’exposition « Le Moyen Âge du XIXe siècle. Créations et faux dans les arts précieux »

Une copié de cette même Statuette ange reliquaire datée du XIXe siècle, musée des arts décoratifs de Paris.
Et sa copie réalisée au XIXe avec d’autres techniques (galvanosplastie)

Afin de présenter au mieux ces objets et leur contexte, la scénographie de cette exposition propose un voyage en plusieurs temps. On passera ainsi de riches pièces d’art médiéval ayant inspiré les contemporains des romantiques, au rôle du marché et des collectionneurs, pour finalement découvrir de rares objets, pastiches ou copies du XIXe siècle. La dernière partie de l’expo se penche, quant à elle, sur les faux et faussaires et tout un monde de pratiques peu scrupuleuses autour de ce retour inattendu du médiéval.

Comme nous le disions plus haut, la sélection présentée ici est unique et comporte des objets rares en provenance des collections du musée de Cluny, mais également d’un bon nombre d’institutions en France ou à l’étranger. La BnF, Orsay, le Louvre, la cathédrale de Nancy, le Palazzo Madama de Turin, le Musée des Arts déco de Paris et bien d’autres références prestigieuses en font partie.

En vous rendant sur place, vous aurez, bien sûr, l’occasion de découvrir l’ensemble du musée du Moyen Âge parisien. Si vous ne le connaissez pas encore, n’hésitez pas à faire une session de rattrapage. Au cœur de Paris, ce prestigieux établissement public brille autant par son cadre monumental que par la richesse de ses collections médiévales (voir notre article sur sa réouverture).

Programmation musicale et Concerts

Deux courts concerts en soirée vous proposeront de prolonger le thème de l’exposition sous un angle musical.

Un vent néo-médiéval, le Concert Impromptu

Date : jeudi 06 novembre 2025 – 19:00 Durée : 1h

Dans la veine de l’exposition, le quintet le Concert Impromptu présentera des pièces musicales du 19e siècle trempées d’inspiration médiévale.

Musiciens : Violaine Dufès (hautbois, direction artistique), Yves Charpentier (flûte), Jean-Christophe Murer (clarinette), Émilien Drouin (cor & cor des Alpes), Camille Donnat Bart (basson & guitare électrique).

Danse macabre et Airs d’amour pour Trio

Date : samedi 13 décembre 2025 – 19:00 Durée : 1h

Au programme de ce concert, la célèbre danse macabre de Camille St Saens revisitée par les compositeurs romantiques du XIXe siècle : Jules Massenet, Édouard Lalo et Charles Gounod y seront à l’honneur, servis par un trio de virtuoses.

Musiciens : Johanne Cassar (soprano), Jérémie Maillard (violoncelle), Florence Bourdon (harpe).


Conférences & colloques autour de l’exposition

Poussielgue-Rusand et le néo-gothique, 1847-1870

Dates : Jeudi 13 novembre 2025 de 12h30 à 13h30

Au milieu du XIXe siècle, Placide Poussielgue-Rusand hérite d’un commerce de fabrication de bronzes d’église et l’étend à l’orfèvrerie religieuse. Son entreprise connaîtra une destinée florissante et ses pièces le verront récompenser aux expositions universelles. La conférence reviendra sur son itinéraire et ses ouvrages les plus précieux.

Intervenante : Anne Dion-Tenenbaum, conservatrice générale du Patrimoine au département des Objets d’art du Louvre.

Le Moyen Âge au 19e siècle entre France et Italie

Dates : Jeudi 4 décembre 2025 de 18h30 à 20h

Le thème de cette conférence sera abordé à travers des exemples concernant les arts précieux et les manuscrits enluminés.

Intervenante : Simonetta Castronovo, Conservatrice du Palazzo Madama et du Musée Civico d’Arte Antica de Turin.

Colloque : Les arts du Moyen Âge & de la Renaissance
du 19e siècle

Deux musiciens médiévaux gravés sur ivoire, gravure du XIXe siècle, musée de Cluny.
Deux musiciens médiévaux sur ivoire, 19e siècle, Musée de Cluny.

Dates : Lundi 8 décembre 2025 de 9h à 19h au musée de Cluny, Mardi 9 décembre 2025 de 9h à 19h à l’Institut national d’histoire de l’art (INHA), Mercredi 10 décembre 2025 au Louvre-Lens.

Ce colloque se tiendra sur 3 jours en décembre. Pour le programme détaillé, les conditions d’inscriptions et les intervenants, voir le site du musée.

Retrouvez toutes les infos sur ces événements et sur l’expo sur le site officiel du musée du Moyen Âge.


Retrouvez nos autres articles sur le Moyen Âge revisité par les romantiques du XIXe siècle :

En vous remerciant de votre lecture.

Frédéric Effe
Pour Moyenagepassion.com
A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes.

Excalibur, Découverte de l’épée par Arthur, Alfred Tennyson

Sujet  : légendes arthuriennes, roman arthurien, poésie, citations, Excalibur, légendes du Moyen Âge,  roi Arthur, matière de Bretagne.
Période  : Moyen Âge central, haut Moyen Âge, XIXe siècle.
Ouvrage : Les Idylles du Roi, L’arrivée d’Arthur,
Auteur : Alfred Lord Tennyson (1809-1892)

Bonjour à tous,

epuis leur apparition au cœur du Moyen Âge central, les légendes arthuriennes n’ont cessé de fasciner le public. De Geoffrey de Monmouth à Chrétien de Troyes, en allant jusqu’à Robert de Boron ou Thomas Mallory et d’autres encore, le monde médiéval a vibré à l’évocation de la chanson de Roland, tout autant qu’aux récits de la matière de Bretagne. La présence de nombreux manuscrits médiévaux est encore là pour en attester (1).

Indémodables légendes Arthuriennes

Loin de se réduire au Moyen Âge, le cycle arthurien a continué de se perpétuer dans notre monde moderne. Jusqu’à des dates récentes, les hauts faits d’Arthur et d’Excalibur, son épée magique, ont inspiré les cinéastes et auteurs. Films, jeux vidéos, romans, études et essais, continuent d’alimenter la légende du roi breton et de ses chevaliers.

Du film Excalibur de John Boorman aux variations franco-françaises d’Alexandre Astier sur Kaamelott , chacun ajoute sa petite pierre à l’édifice et les richesses de l’épopée arthurienne reste une source d’inspiration inépuisable.

Les études en médiévalisme ne sont pas non plus en reste. Les conférences et les ouvrages fleurissent pour tenter d’éclairer la renommée toujours actuelle d’Arthur sous un jour nouveau (voir La Modernité d’Arthur par Justine Breton et William Blanc). Autre fait étonnant en provenance du monde de la recherche, jusqu’à dernièrement, les manuscrits médiévaux ont même révélé des nouveaux pans des légendes arthuriennes. On pense, en particulier, aux travaux de Emanuele Arioli et son chevalier Ségurant.

La poésie arthurienne d’Alfred Tennyson

Aujourd’hui, nos pas nous entraînent un peu en arrière. Nous repartons en effet, à l’époque victorienne et dans l’Angleterre du XIXe siècle, terre vivace des légendes arthuriennes. Ce siècle est aussi celui des romantiques. De Victor Hugo à des prédécesseurs plus précoces comme Gottfried August  Bürger (1747-1794), on redécouvre alors le monde médiéval, avec sa magie et ses dimensions épiques et ses promesses de mystères. Notre auteur du jour, Alfred Tennyson, se rattache lui aussi à ce courant.

"Arthur découvre Excalibur sur le lac", extrait/citation de "The Coming of Arthur" d'Alfred Tennyson, accompagné d'une gravure de Maclise Daniel (1806-1870) datée elle aussi du XIXe siècle
Arthur et Excalibur, extrait du Coming of Arthur avec gravure de Maclise Daniel (1806-1870)

Célèbre poète anglais de l’ère victorienne, on doit à Alfred Lord Tennyson une œuvre assez fournie dont un certain nombre de poésies dédiées à la matière de Bretagne. Entre 1859 à 1885, il revisita notamment en vers, le roman arthurien en se basant largement sur La Morte d’Arthur de Thomas Malory (1405-1471).

A travers 12 poésies, Tennyson s’attacha ainsi à retracer les exploits du roi Arthur, de son arrivée au pouvoir, à la formation de son royaume et jusqu’à sa tragique disparition. Ces poésies arthuriennes sont quelquefois réunies dans « Idylls of the King » (les idylles du roi) mais on peut aussi trouver d’autres textes regroupés dans des ouvrages à part.

L’extrait du jour est tiré de la première poésie de la série intitulée « The coming of Arthur » (l’arrivée d’Arthur). Elle conte l’épisode dans lequel le roi breton, en compagnie de Merlin, vogue en barque sur le lac en direction d’Excalibur pour s’en saisir. Dans La Morte d’Arthur de Malory, l’épée, surgie des profondeurs des eaux, est offerte à Arthur par la dame du lac en gage d’un futur service.

Traductions françaises d’Alfred Tennyson

La poésie d’Alfred Tennyson ne semble pas avoir connu une grande destinée en langue française. Pour la traduction de l’extrait du jour, nous nous sommes basé sur une édition anglaise de Sophie Chantal Hart, éditée chez Longman english classics en 1915. L’ouvrage contient The Coming of Arthur, The Holy Grail et The Passing of Arthur ( L’Arrivée d’Arthur, Le Sacré Graal et La Mort d’Arthur).

On pourra retrouver quelques-unes des poésies d’Alfred Tennyson en version française dans l’ouvrage In Memoriam, édité chez Classic Reprint en 2019. Pour les anglophones parmi vous, Gallica propose également une belle version illustrée par Gustave Doré des Idylls of the King, datée de 1868 (à consulter en ligne ici).


La découverte d’Excalibur par Arthur
dans la langue originale d’Alfred Tennyson

« There likewise I beheld Excalibur
Before him at his crowning borne, the sword
That rose from out the bosom of the lake.
And Arthur row’d across and took it —rich
With jewels, elfin Urim, on tlie hilt.
Bewildering heart and eye —the blade so bright
That men are blinded by it —on one side,
Graven in the oldest tongue of all this world,
« Take me, » but turn the blade and ye shall see,
And written in the speech ye speak yourself,
« Cast me away ! » And sad was Arthur’s face
Taking it, but old Merlin counsell’d him,
« Take thou and strike ! the time to cast away
Is yet far-off. » So this great brand the king
Took, and by this will beat his foemen down. »


The Coming of Arthur, Alfred Lord Tennyson (1809-1892)

Traduction en français actuel de cet extrait

« Et là encore, j’ai vu Excalibur, devant lui, lors de son couronnement, l’épée qui s’élevait au milieu du lac. Et Arthur a navigué jusqu’à elle et l’a prise, sa poignée garnie de joyaux délicats (elfiques) brillants et parfaits (Urim hébreu). Splendide et déroutante à l’œil et au cœur, la lame si brillante qu’elle aveugle les hommes, avec sur un côté, gravés dans la plus vieille langue de tout ce monde, les mots : « Prends-moi », mais en retournant la lame, tu aurais pu voir, de l’autre côté, écrit en une langue que tu parles toi aussi : « Jette-moi au loin ! » Et le visage d’Arthur était triste en la prenant, mais le vieux Merlin lui a conseillé : « Prends là et frappe ! Le moment de t’en défaire est encore loin. » Ainsi, le roi s’est saisi de cette grande lame, avec laquelle, il allait abattre ses ennemis. »

La venue d’Arthur, Alfred Lord Tennyson (1809-1892).


En vous souhaitant une belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes

(1) voir la conférence codicologie et les romans arthuriens de Richard Trachsler.

NB : au côté du portrait d’Alfred Tennyson sur l’image d’en-tête, on peut retrouver le détail d’une illustration de N. C. Wyeth (1882-1945) de la même scène d’Arthur récupérant Excalibur sur le lac.

Le chevalier d’Aimé-Martin, imitation en français moderne du XIXe d’une poésie médiévale du XIIIe

poesie_medievale_fabliaux_chevalerie_chevalier_heros_valeurs_guerrieres_moyen-age_XIIIeSujet : poésie médiévale, littérature médiévale, chevalerie, héros, guerrier, fabliau, vieux français, imitation, adaptation moderne.
Période  : Moyen-âge central, XIIIe siècle, XIXe.
Auteur :  Aimé-Martin (1782,1847)
Titre : une branche d’Armes
Ouvrage : Jongleurs & Trouvères, d’après les manuscrits de la Bibliothèque du RoiAchille Jubinal, 1835.

Bonjour à tous,

P_lettrine_moyen_age_passion copiaour faire suite à l’article d’hier sur le texte une branche d’armes, « fabliau » atypique du XIIIe siècle,  nous publions, aujourd’hui, l’imitation qu’en fit un auteur contemporain de la fin du XVIIIe et des débuts du XIXe : Louis-Aimé Martin, alias Aimé-Martin, auteur et éminent professeur de belles lettres, de morale et d’histoire à l’école polytechnique, ami proche d’Alphonse de Lamartine.

 Le chevalier, par  Aimé-Martin

Honneur au chevalier qui s’arme pour la France !
Dans les champs de l’honneur il reçut la naissance;
Bercé dans un écu, dans un casque allaité,
Déchirant des lions le flanc ensanglanté,
Il marche sans repos où la gloire l’appelle.
A l’aspect du combat son visage étincelle.
L’amour arme son bras, et l’honneur le conduit.
Il paraît : tout frissonne ; il combat, tout s’enfuit.
Au sein de la tempête étendu sur la terre,
Il dort paisiblement au fracas du tonnerre;
Et lorsque la poussière, en épais tourbillons,
Cache des ennemis les sanglants bataillons,
Lui seul les voit encore et s’élance avec joie,
Semblable à l’aigle altier qui découvre sa proie,
Et qui, dans sa fureur, plongeant du haut des cieux,
La frappe, la saisit, la déchire à nos yeux.
Les montagnes, les bois et les mers orageuses,
Des Sarrasins vaincus les rives malheureuses,
Ont retenti souvent du bruit de ses exploits.
Il venge la faiblesse, il protège les rois.
Vingt troupes de guerriers devant lui dispersées,
Les coursiers effrayés, les armes fracassées
Comblent tous les désirs de son cœur belliqueux;
Et voilà ses plaisirs, ses fêtes et ses jeux.

Vieux-Français, Français moderne
Le difficile exercice de l’adaptation

Après avoir décrypté le texte médiéval dans notre article précédent, vous en reconnaîtrez sans peine la marque. Bien sûr, comme le veut l’exercice, l’imitation ne colle pas tout à fait à l’original. Outre le passage du vieux-français au français moderne, Aimé-Martin a décidé de donner un visage aux ennemis de notre chevalier qui n’en avaient pas dans la branche d’armes. Il en a fait également le protecteur des rois et des faibles, devoir dont la poésie du XIIIe avait aussi exempté notre guerrier. Et pour finir et au passage, il a ajouté une petite couche sur la défense de la nation qui n’était pas non plus au rang des préoccupations de notre poète médiéval, mais qui, on le sait, occupait bien plus les esprits des historiens et des auteurs du XIXe.

Pour le reste, autant le dire, l’exercice d’adapter véritablement le vieux-français des fabliaux en français moderne (entendons dans une vraie poésie remaniée, ambitieuse, etc…), est à peu près du niveau de la course à pied au milieu d’un champ de peaux de bananes. Les auteurs qui s’y sont essayés, l’ont fait souvent à leur frais et, ils ont, en général, trouvé en face d’eux, au moins un médiéviste, un romaniste ou un amateur de vieux-français et de poésie ancienne, pour leur signifier qu’ils auraient mieux fait de se passer du dérangement. De fait et sauf rares exceptions, en matière médiévale, la création ex nihilo semble bien mieux payante que l’imitation ou l’adaptation.

auteur_XIXe_louis_aime_martin_le_chevalier_poesie_inspiration_medievaleAimé-Martin (portrait ci-contre Collection Bibliothèque Municipale   de Lyon) eut donc, comme le veut la règle, au moins un détracteur et on relèvera, pour la note d’humour et sans rien enlever à la qualité de ses vers, la petite phrase exquise dont il s’est trouvé gratifiée par son critique, dans l’ouvrage La littérature français depuis la formation jusqu’à nos jours. lectures choisies par le Lieutenant-Colonel Staaff, (Volume 2, 1874). 

Après avoir cité la poésie de notre auteur « moderne », le texte médiéval était donc repris, dans son entier, par le Lieutenant-Colonel, dans une note qu’il concluait de la façon suivante : « Malgré la barbarie du langage, l’original est bien supérieur, comme feu et comme énergie, à la pâle imitation d’Aimé-Martin. » (sic) Avec le recul, la remarque  est d’autant plus drôle que le docte critique parlait alors de « barbarie du langage » à propos de la  poésie du XIIIe s et de son vieux français, ce qui dénote tout de même d’une dépréciation certaine. Pour autant, il n’apprécia guère, non plus, les effets de style de l’imitateur, qu’il exécuta en règle et pour l’occasion, dans la pénombre d’un pied de page.

« La poésie du passé »

A la décharge de Louis Aimé-Martin, le texte original possède, il est vrai, une force brute et évocatrice que nous avions déjà souligné, mais à laquelle il faut sans doute ajouter une sorte d’aura de mystère qui entoure presque de facto la langue du moyen-âge central. Pour être aux origines de notre langage et pour nombre de ceux qui en sont curieux ou friands, le vieux-français emporte indéniablement une sorte de charge émotionnelle intrinsèque qu’une adaptation perd presque fatalement en route. Pour éclairer tout cela, on pourra encore se reporter à quelques belles analyses  de Michel Zink.  Dans un article de 2008, l’académicien médiéviste nous parlait, en effet, d’un autre phénomène qui vient s’ajouter à cette fascination.  Sans doute un peu narcissique, c’est celui qui nous fait quelquefois aimer la poésie médiévale autant pour son mystère que pour le sentiment (souvent bien présomptueux) que nous retirons en prétendant la  décrypter, d’en être un peu les co-créateurs ou les révélateurs : une forme de jubilation (illusoire par endroits) digne d’un Champollion, l’impression d’un secret partagé qu’une adaptation moderne serait condamnée à  trahir et à éventer. (voir « Pourquoi lire la poésie du Passé ? » Michel Zink, le genre humain 2008, n47, au seuil, consultable en ligne ici).

Dans la veine des romantiques

Quoiqu’il en soit et pour faire justice tout de même à cette version d’Aimé-Martin  qui n’a finalement que le malheur d’être une version deux, elle connut tout de même ses heures de gloire dans le courant du XIXe siècle et on la trouvait reprise dans des éditions variées dont notamment une anthologie (fleur de poésie française des 17e, 18e, et 19e siècle, G Engelberts Gerrits).

Dans la mouvance des romantiques, ce proche de Lamartine a-t-il, avec ce texte, participé de l’élan qui se tournait alors vers les rives lointaines du moyen-âge et entraînait les auteurs français des XVIIIe et XIXe siècles, à y puiser leur inspiration pour le réinventer sous un jour nouveau ? Sans doute. A quelques pas de là, l’encre des plus belles pages ou poésies  d’Hugo sur le monde médiéval n’étaient pas encore sèches (voir Histoire de la Ballade médiévale du moyen-âge central au XIXe siècle).

En vous souhaitant une belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen-Age  sous toutes ses formes.