Archives de catégorie : Musiques, Poésies et Chansons médiévales
Vous trouverez ici une large sélection de textes du Moyen âge : poésies, fabliaux, contes, chansons d’auteurs, de trouvères ou de troubadours. Toutes les œuvres médiévales sont fournis avec leurs traductions du vieux français ou d’autres langues anciennes (ou plus modernes) vers le français moderne : Galaïco-portugais, Occitan, Anglais, Espagnol, …
Du point du vue des thématiques, vous trouverez regroupés des Chansons d’Amour courtois, des Chants de Croisade, des Chants plus liturgiques comme les Cantigas de Santa Maria d’Alphonse X de Castille, mais aussi d’autres formes versifiées du moyen-âge qui n’étaient pas forcément destinées à être chantées : Ballades médiévales, Poésies satiriques et morales,… Nous présentons aussi des éléments de biographie sur leurs auteurs quand ils nous sont connus ainsi que des informations sur les sources historiques et manuscrites d’époque.
En prenant un peu le temps d’explorer, vous pourrez croiser quelques beaux textes issus de rares manuscrits anciens que nos recherches nous permettent de débusquer. Il y a actuellement dans cette catégorie prés de 450 articles exclusifs sur des chansons, poésies et musiques médiévales.
Sujet : musiques anciennes, inspiration médiévale, folk, ethnomusicologie, musiques traditionnelles, vielle à roue, danse médiévale, Titre : Reverse dance,Medieval Dance. Compositeur/ Interprête : Andrey Vinogradov Album : Music For Hurdy-Gurdy, 2016. Média : chaîne youtube officielle de l’artiste
Bonjour à tous,
ujourd’hui, nous effectuons un retour en musique aux inspirations médiévales du compositeur et joueur de vielle à roue Andrey Vinogradov. Cette fois, c’est une pièce dansée que nous propose le maître de musique russe. Conforme à son style, mais aussi aux sonorités de cet instrument unique, sa composition s’étire du côté de répétitions envoûtantes. Elle a pour titre « Reverse dance » et nous espérons que vous l’apprécierez autant que nous l’apprécions nous-même.
L’album d’Andrey Vinogradov
Pour rappel, l’album de ce talentueux musicien est toujours disponible à la vente en ligne, au format CD ou même MP3 dématérialisé. Pour plus d’informations, vous pouvez vous reporter au lien suivant Music for Hurdy-Gurdy by Andrey Vinogradov
Sujet : poésie médiévale, poésie réaliste, trouvère, vieux français, langue d’oil, adaptation, traduction, jeux de dés, grièche Période : Moyen Âge central, XIIIe siècle Auteur : Rutebeuf (1230-1285?) Titre : Ci encoumence li diz de la Griesche D’Yver
Bonjour à tous,
ous repartons, aujourd’hui, pour le XIIIe siècle avec une nouvelle complainte du « Pauvre Rutebeuf« . Pauvreté, misère et, cette fois, jeux d’argent, on reconnaîtra sans peine, dans les lignes du trouvère, la source directe d’inspiration de certains vers de la chanson de Léo Ferré,à son sujet. A la fin des années 50, l’indomptable anarchiste avait, en effet, remis le poète médiéval et ses infortunes au goût du jour. La chanson fut maintes fois reprise, et même jusqu’à l’étranger ; elle redonna une popularité toute fraîche, et un peu inattendue, à l’auteur du Moyen Âge central (voir article).
Sur la Grièche d’Hiver
Ci encoumence li diz de la Griesche D’Yver (ou, plus La Grièche d’Hiver) est un texte d’anthologie de Rutebeuf, sans doute un de ses plus connus. Dans une certaine mesure, on peut se demander si cette poésie ne pourrait même être une clef pour expliquer les misères dont le trouvère ne cesse de nous parler. Affligé, sans le sou, il se montre en déroute dans nombre de ses textes, même si, entre ses lignes, on détecte, tout de même, la marque d’une classe sociale qui n’est pas celle des plus déshérités : il y parle d’un cheval, de servante, etc… Si tout cela ne respire pas non plus la grande noblesse, il en ressort les signes d’une certaine bourgeoisie ou petite noblesse.
Les déboires d’un joueur invétéré ?
Alors pourquoi tant de misère ? Rutebeuf avait-il une autre activité en dehors de ses poésies ? On ne le sait pas, mais on peut supposer que son niveau de lettres et d’instruction aurait pu lui permettre d’en tenir une et d’occuper des fonctions de clerc, par exemple. A-t-il été pris par le jeu d’argent jusqu’à l’obsession, et les dés, dont il nous dit, ici, qu’ils le tentent et le poursuivent, auraient-ils causé sa ruine ? Le cas échéant, cela pourrait expliquer aussi cette défiance de son entourage à son encontre (amis, préteurs, …) qui transparaît, là aussi, dans un grand nombre de ses textes : « on lui tourne le dos, on se rit de lui, personne ne veut plus lui prêté :
J’ai vescu de l’autrui chatei Que hon m’a creü et prestei: Or me faut chacuns de creance, C’om me seit povre et endetei.
La Pauvreté Rutebeuf
Dans cette poésie, en manière de doléance à Saint-Louis, il n’hésitait pas à affirmer que sa pauvreté et son insolvabilité étaient notoires. Mais si l’on pose que le jeu d’argent peut lever un coin du voile, il faudrait, du coup, admettre que c’est le cas d’un tas d’autres choses que l’auteur médiéval énumère, par ailleurs, pour justifier sa condition : cet ami puissant et sa cour qui lui ont fermé leur porte (la Paix Rutebeuf), sa santé (la complainte de l’œil), la charge de sa famille, le monde et le siècle, son mauvais mariage, etc… Au fond, tout l’accable et il finit presque, invariablement, par tout nous présenter comme la cause de sa grande pauvreté. Alors, quel crédit accordé à tout cela ? Devant le peu d’informations le concernant, hors de son oeuvre même, on en est réduit à spéculer.
Rutebeuf au pied de la lettre
C’est un fait pourtant. On finit, souvent, par être tenté de prendre Rutebeuf au pied de la lettre, au sujet de toutes ses disgrâces. Léo Ferré y a lui-même souscrit en colportant l’image romantique du poète miséreux, dans le Paris médiéval du XIIIe siècle. Mais ce n’est pas tant par les faits avérés (il n’y en a pas) que par un effet d’accumulation que nous y sommes conduits : c’est le nombre de misères que Rutebeuf nous conte qui nous amène à supposer qu’il est réellement victime d’une pluie permanente d’infortunes.
Bien sûr, il y a, sans doute, un fond de vérité dans tout cela. Dans La Pauvreté Rutebeuf ou dans certains autres de ses envois (destinés à recueillir quelques subsides), ces vers ne trompent pas sur la nature dramatique de sa situation financière. Certaines descriptions sont aussi très factuelles et les détails ne manquent jamais, comme ici, dans la grièche où l’on sent qu’il connaît bien son sujet. Ses vers panachent donc, à l’évidence, vécu et littérature (caricature ?). Comme tous les auteurs, il se sert du matériau réel de sa vie pour créer son univers. C’est à tel point, d’ailleurs, qu’on dit même quelquefois de lui qu’il a été un des inaugurateur initiateur de ce « je » psychologique, affligé, affecté et ancré dans le quotidien, placé au centre de son oeuvre.
Le vrai du faux ?
Assez paradoxalement, cette même accumulation pourrait aussi nous conduire à nous questionner de manière inverse. Si les infortunes du trouvère parviennent encore à nous toucher à plus de 700 ans de son existence, sous ses dehors affichés de rustre un peu éploré et de victime permanente de tout, rien ne semble, en effet, jamais simple chez lui : à certains moments, peut-il s’agir d’un « procédé » ? Une façon de théâtraliser sa poésie ? Un tour stylistique ? Une manière qui lui serait propre de se rire du monde et de se rire de lui-même ? Quand il se glisse dans la peau d’un bonimenteur dans le Dit de l’Herberie, on ne doute pas, par exemple, qu’il ne fasse, là, une pitrerie. Quand il nous conte le Testament de l’âne ou le pet du vilain, son parti-pris humoristique est, là encore, évident.
Le surnom que le trouvère s’est choisi brouille aussi les cartes et on peut même se demander à quel point il donne le La de l’ensemble de son œuvre. Voilà, en effet, un « bœuf un peu rustre » qui, il nous l’affirme lui-même, pourra aussi « nous mentir » par instants, exagérer, caricaturer. Imaginez un instant, un comique qui, de nos jours, se ferait appeler, disons, « Gros lourdaud ». Une fois, un tel cadre posé, comment interpréteriez-vous ses paroles ou ses textes ? Rutebeuf est un grand adepte du double-sens. Sa poésie n’est pas exempte de ce que nous appellerions, aujourd’hui, une forme de deuxième de degré. Elle s’appuie, sans doute, sur un fond de vérité, mais où placer exactement le curseur entre réalité et exagération, entre sérieux et moquerie, entre jeu et je ? Rutebeuf est-il comique, par moments et totalement tragique à d’autres ? Est-il toujours un peu, à la fois, tragi-comique ? C’est une question difficile. Analyser toutes les subtilités de ses textes et la place faite à l’humour, dans le contexte du monde médiéval et de la langue d’oïl du XIIIe siècle, relève de la gageure.
Ayant dit cela, en recul sur son œuvre, sa Grièche d’hiver résonne, pour nous d’une grande dimension dramatique. Aujourd’hui, on aurait même sans doute du mal à y voir autre chose que le récit tragique d’un homme piégé par sa passion du jeu et criblé de dettes.
La grièche d’hiver de Rutebeuf
de la langue d’oïl au français moderne
Pour cette traduction, nous nous sommes largement appuyés sur le travail déjà effectué sur l’auteur médiéval par Michel Zink. : Œuvres complètes de Rutebeuf, 1990, Garnier. La traduction n’est pas une discipline fermée. Qu’il soit donc clair que nous n’avons pas, ici la prétention de plus de justesse que le grand académicien, loin s’en faut ! Il est plutôt question d’alimenter la réflexion sur le vieux français de Rutebeuf, en proposant d’autres alternatives. Dans un bon nombre de cas, nous avons d’ailleurs reporté les traductions du célèbre médiéviste entre parenthèse pour favoriser ce travail de comparaison et de réflexion.
Ci encoumence li diz de la Griesche D’Yver
Contre le tenz qu’aubres deffuelle, Qu’il ne remaint en branche fuelle Qui n’aut a terre, Por povretei qui moi aterre, Qui de toute part me muet guerre, Contre l’yver, Dont mout me sont changié li ver, Mon dit commence trop diver De povre estoire.
Povre sens et povre memoire M’a Diex donei, li rois de gloire, Et povre rente, Et froit au cul quant byze vente: Li vens me vient, li vens m’esvente Et trop souvent Plusors foies sent le vent. Bien le m’ot griesche en couvent Quanque me livre: Bien me paie, bien me delivre, Contre le sout me rent la livre De grand poverte.
Au temps que les arbres s’effeuillent Qu’il ne reste sur branche, feuille Qui n’aille à terre, Par la pauvreté qui m’atterre De tous côtés me fait la guerre, Au temps d’Hiver Qui affecte jusque mes vers Je commence mon triste dit, Par un lamentable récit.
Pauvre esprit et pauvre mémoire, M’a donné Dieu, le roi de gloire Et pauvre rente, Et froid au cul quand bise vente : Le vent me frappe, le vent m’évente Et sans relâche Et je le sens à chaque instant. La grièche m’avait bien promis tout ce que, depuis, elle me livre: elle me paie bien et bien me livre, Contre un sou elle me rend une livre de grande misère.
Povreteiz est sus moi reverte: Toz jors m’en est la porte overte, Toz jors i sui Ne nule fois ne m’en eschui. Par pluie muel, par chaut essui: Ci at riche home ! Je ne dor que le premier soume. De mon avoir ne sai la soume, Qu’il n’i at point. Diex me fait le tens si a point, Noire mouche en estei me point, En yver blanche.
Ausi sui con l’ozière franche Ou com li oiziaux seur la branche: En estei chante, En yver pleure et me gaimente, Et me despoille ausi com l’ante Au premier giel. En moi n’at ne venin ne fiel: Il ne me remaint rien souz ciel, Tout va sa voie. Li enviauz que je savoie M’ont avoié quanque j’avoie Et fors voiié, Et fors de voie desvoiié. Foux enviaus ai envoiié, Or m’en souvient.
La pauvreté m’est retombée dessus : Sa porte m’est toujours ouverte, Toujours j’en suis, Aucune fois n’en suis sorti. Par pluie me trempe, Au chaud, m’essuie: Ah ! Le riche homme que voici ! Je ne dors que mon premier somme. De mes biens, ne connais la somme Puisque je n’ai rien. Dieu me fait les saisons à point : Mouche noire en été me pique, Et en Hiver, c’est la blanche.
Ainsi, suis comme l’osier franche (sauvage) Ou comme l’oiseau sur la branche: L’été, je chante En hiver, pleure et me lamente, Et me dépouille comme une ente (un greffon, une jeune pousse) Au premier gel. Il n’y a en moi ni venin ni fiel: Il ne me reste rien sous le ciel, Tout suit son cours. Les mises dont j’étais coutumier Ont englouti tous mes avoirs Et fourvoyé Hors du chemin, m’ont dévoyé. J’ai parié des mises insensées, Je m’en souviens.
Or voi ge bien tot va, tot vient, Tout venir, tout aleir convient, Fors que bienfait. Li dei que li decier on fait M’ont de ma robe tot desfait, Li dei m’ocient, Li dei m’agaitent et espient, Li dei m’assaillent et desfient, Ce poize moi. Je n’en puis mais se je m’esmai: Ne voi venir avril ne mai, Veiz ci la glace.
Or sui entreiz en male trace. Li traïteur de pute estrace M’ont mis sens robe. Li siecles est si plains de lobe ! Qui auques a si fait le gobe; Et ge que fais, Qui de povretei sent le fais? Griesche ne me lait en pais, Mout me desroie, Mout m’assaut et mout me guerroie; Jamais de cest mal ne garroie Par teil marchié. Trop ai en mauvais leu marchié. Li dei m’ont pris et empeschié: Je les claim quite!
Mais à présent, je le vois bien : tout va, tout vient, Il faut bien que tout aille et vienne, Hormis les bienfaits. Les dés que l’artisan a faits M’ont dépouillé de mes habits, Les dés me tuent, Les dés me guettent, les dés m’épient, Les dés m’attaquent et me défient, Cela me pèse (j’en souffre). Je n’y puis rien mais m’en émeus (c’est l’angoisse, je n’y peux rien) : Ne vois venir avril ni mai, Voici déjà que vient le gel.
Or, me voilà sur la mauvaise pente. Les traîtres (trompeurs) de basse extraction (cette sale race ) M’ont laissé sans aucun habit. Ce monde est si plein de tromperies ! Dès qu’on possède un peu, on fait le vaniteux ; Et moi, qu’est-ce que je fais, Qui sens le fardeau de la pauvreté ? La grièche ne me laisse en paix, Elle ne cesse de m’égarer, de m’attaquer, me guerroyer ; Jamais je ne guérirai de ce mal
Au vue ma situation (à ce compte-là). Je me suis placé dans un trop mauvais pas. Les dés se sont saisis de moi : J’y renonce désormais ! (dico : crier « quitte » – faire grâce)
Foux est qu’a lor consoil abite : De sa dete pas ne s’aquite, Ansois s’encombre; De jor en jor acroit le nombre. En estei ne quiert il pas l’ombre Ne froide chambre, Que nu li sunt souvent li membre, Dou duel son voisin ne li membre Mais lou sien pleure. Griesche li at corru seure, Desnuei l’at en petit d’eure, Et nuns ne l’ainme.
Cil qui devant cousin le claime Li dist en riant: « Ci faut traime Par lecherie. Foi que tu doiz sainte Marie, Car vai or en la draperie Dou drap acroire, Se li drapiers ne t’en wet croire, Si t’en revai droit à la foire Et vai au Change. Se tu jures saint Michiel l’ange Qu’il n’at sor toi ne lin ne lange Ou ait argent, Hon te verrat moult biau sergent, Bien t’aparsoveront la gent: Creuz seras. Quant d’ilecques te partiras, Argent ou faille enporteras. »
Or ai ma paie. Ensi chascuns vers moi s’espaie, Si n’en puis mais.
Explicit.
Fou est qui s’en remet à leurs conseils (qui s’obstine à les écouter): De sa dette, jamais ne s’acquitte, Pire, il en alourdit la charge; De jour en jour, en croît le nombre. En été, il ne cherche point l’ombre Ni chambre fraîche, Car ses membres sont souvent nus. La peine de son voisin, il ne s’en souvient plus, Mais il pleure sur la sienne. La grièche lui est tombée dessus, L’a dépouillé en un instant, Et nul ne l’aime.
Celui qui, avant, l’appelait « cousin » Dit en riant: « Tu es usé jusqu’à la corde (1) Par la luxure (débauche). Par la foi que tu dois à Sainte-Marie, Rends-toi donc chez le drapier Acheter du drap à crédit. Si le drapier ne veut te faire confiance, Va-t-en alors droit à la foire Et rends-toi au bureau de change ( voir les banquiers). Si tu jures par l’ange Saint Michel Que dans aucun repli de tes vêtements Il n’y a d’argent caché, On te trouvera bonne mine, Et les gens te verront d’un bon œil (tu ne passeras pas inaperçu) : On te fera confiance. Et quand tu en partiras, Tu auras ramassé de l’argent ou un morceau d’étoffe (une veste). »
Me voilà bien payé ! C’est ainsi que chacun s’acquitte envers moi, Je n’y puis rien .
(1)« Ci faut traime par lecherie »: une autre belle traduction de Michel Zink en « tu es usé jusqu’à la corde ». Littéralement, « ici, tout va de travers », « la trame du tissu va de travers par la faute de la luxure ».
En vous souhaitant une belle journée.
Fred
Pour moyenagepassion.com A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes
Sujet : chanson médiévale, amour courtois, vieux-français, langue d’oïl, musique médiévale, manuscrit ancien Période : XIIe s, XIIIe siècle, Moyen Âge central Titre :Cuer qui dort, il n’aime pas Auteur : auteur anonyme Manuscrit ancien : Codex de Montpellier H196 ou Chansonnier de Montpellier
Bonjour à tous,
ujourd’hui, nous vous proposons une chanson médiévale datée entre le XIIe et le XIIIe siècle (avant 1280). Tirée du Codex H196 de Montpellier , cette pièce d’amour courtois est demeurée anonyme. Pour les amateurs de mélodies anciennes, ce beau manuscrit médiéval dont nous avons déjà parlé, a l’avantage de nous proposer les notations musicales de ses textes.
A l’image de nombreuses pièces du Chansonnier de Montpellier, la chanson du jour est en langue d’oïl. Comme son vieux français présente quelques difficultés sur certains vocables, nous avons décidé de vous en livrer une courte traduction en français moderne. Du point de vue du contenu, nous nous situons tout à fait, dans la veine des valeurs courtoises du Moyen Âge central. Ici, le loyal amant fait le vœu de ne jamais s’endormir en amour. Il ne connaîtra même de vrai repos tant que la belle de son cœur ne lui aura pas ouvert ses doux bras.
Si le Chansonnier de Montpellier ou ses pièces vous intéressent, vous pourrez les retrouver dans l’ouvrage de Gaston Raynaud daté de 1881 : Recueil de Motets français des XIIe et XIIIe siècles.
Cœur qui dort n’aime pas
Cuer qui dort, il n’aime pas : Ja n’i dormirai, Toz jors penserai, Loiauement sans gas, A vos, simple et coie Dont j’atent joie Et solas ; N’i dormirai tant que soie Entre voz douz bras.
Cœur qui dort n’aime pas : Jamais je ne dormirai en cela (en amour), Toujours je penserai, Loyalement et sans vanterie (sans moquerie, sérieusement) A vous, modeste (ingénu, loyal) et tranquille Dont j’attends joie Et réconfort ; Et je ne dormirai tant que je serais Entre vos doux bras.
Sujet : poésie morale, poète satirique, poésie médiévale, politique, lois, dits moraux, poésie courte, français moyen Période : Moyen Âge tardif, XVe siècle Auteur : Henri Baude (1430-1490) Ouvrage : Les vers de Maître Henri Baude, poète du XVe siècle, M. Jules Quicherat (1856),
Bonjour à tous,
n continuant notre exploration de la littérature médiévale, voici quelques vers bien tournés de Henri Baude, poète du Moyen Âge tardif. Ils sont extraits de ses Dictz moraulx pour mettre en tapisserie. Ces petites historiettes, qui ne constituent qu’une partie de son oeuvre, mettaient en scène des personnages variés. Elles étaient destinées à être brodées ou même encore des peintes sur du verre ou d’autres objets décoratifs.
Le bon homme et la toile d’araignée
Ung bon homme regardant dans ung bois ouquel a entre deux arbres une grant toille d’éraigne. Ung homme de court luy dit :
— Bon homme, diz-moy, si tu daignes, Que regarde-tu en ce bois?
LE BON HOMME.
Je pence aux toilles des éreignes Qui sont semblables à noz droiz : Grosses mousches en tous endroiz Passent; les petites sont prises.
LE FOL.
Les petitz sont subjectz aux loix. Et les grans en font à leurs guises.
Dictz moraulx pour mettre en tapisserie Henri Baude
Henri Baude, esquisse de biographie
Suivant ses biographes ( Jules Quicherat et Pierre Champion ), Henri Baude est né autour de 1430, à Moulins. Il est donc contemporain de François Villon même s’il a vécu bien plus longtemps que ce dernier.
Les mésaventures d’un petit fonctionnaire, poète satirique à ses heures
L’histoire n’est pas très précise sur son éducation mais on retrouve Buade à l’âge adulte, commis à la cour. Au moment de la praguerie, il a tout d’abord suivi le dauphin Louis XI, alors prince, dans le conflit qui l’opposait à son père Charles VII. Finalement, le fonctionnaire royal changera d’avis et reviendra vers la couronne officielle. Cela peut, peut-être, expliquer sa nomination en 1458, comme « élu » attaché à la cour du roi. La fonction consistait à répartir l’impôt, mais aussi à collecter et traiter les réclamations sur ce même thème. Henri Baude était en charge au bas Limousin mais comme il disposait d’un commis, il passait le plus clair de son temps à Paris. Installé à la capitale, il pouvait, tout à loisir, suivre de près les affaires qui concernaient sa charge et ses plaignants et houspiller les juges quand ils traînaient trop à les traiter.
Comme il était aussi doté d’un véritable talent de plume et d’humour, Baude ne se priva pas de les exercer. Il faisait même alors partie d’une confrérie de juristes et clercs qui occupaient une partie de leurs loisirs à se moquer entre eux ou à se rire de certains nobles et notables. Plus tard, son goût de la satire et du bon mot allait d’ailleurs lui valoir quelques sérieux déboires.
Henri Baude au Châtelet
En réalité, le poète connut deux fois la prison. Dans les deux cas, le temps avait passé et Louis XI, le prince que Baude avait suivi, puis lâché, était devenu roi. La première affaire n’est pas très claire sur le fond, même s’il subsiste un certain nombre de documents juridiques à son sujet. Baude semble avoir servi de bouc-émissaire à un noble qui le fit embastillé manu militari, après l’avoir sérieusement fait molester. Le poète fonctionnaire parvint toutefois à se faire libérer et à avoir gain de cause, en obtenant même, au passage, des dédommagements.
Dans la deuxième affaire, c’est une poésie satirique qui le fit mettre en prison, sur ordonnance royale. Le texte précis s’est perdu, mais on peut en déduire la teneur entre les lignes du poète et des sources juridiques. Baude avait fait, semble-t-il, une courte « moralité » pour moquer les manœuvres et les jeux de pouvoir à la cour et autour de Louis XI. Bien qu’allusive, de nombreux courtisans de l’entourage du souverain s’étaient sentis directement visés, ce qui valut à notre homme d’être à nouveau emprisonné. Voila ce que l’on trouve rapporter dans l’audience de 1486 : « Aucuns, soubz umbre de jouer ou faire jouer certaines moralitez et farces, ont publiquement dit ou fait dire plusieurs parolles cedicieuses, sonnans commocion, principalement touchant a nous et a notre estât. »
Pour avoir le détail des deux affaires, on pourra se reporter aux écrits de Pierre Champion sur le sujet : Histoire poétique du quinzième siècle, t 2, Honoré Champion (1923) et Maître Henri Baude devant le Parlement de Paris, Romania, n°141 (1907). A son habitude, le grand historien, passionné de Moyen Âge, y épluche les archives avec minutie et fait un travail d’orfèvre pour remonter l’identité des acteurs impliqués et leur interrelations.
Dans tout les cas, on peut se demander si Henri Baude ne paya pas, indirectement, le prix de son soutien un peu trop épisodique au prince Louis XI, sous la praguerie. Si, après son couronnement, le monarque n’avait pas démis le fonctionnaire de sa charge, il ne semblait pas, non plus, lui montrer de soutien particulier, et encore moins d’empathie. Il ressort, en tout cas, de ce dernier séjour en prison, que Baude en sortit échaudé et rendu plus méfiant sur l’usage qu’il faisait de sa liberté d’expression. Au Moyen Âge, la poésie satirique est rarement compatible avec les exigences de cour et les susceptibilités qu’on y croise. Le dit moral de l’auteur, publié ici, résonne un peu comme une sorte d’écho à ses diverses mésaventures.
Les œuvres de Baude
Elles sont assez fournies et de nature principalement morale ou satirique. On retrouve le plus grand nombre d’entre elles dans l’ouvrage que le médiéviste Jules Quicherat a consacré à Baude au milieu du XIXe siècle. Ce dernier confesse, toutefois, en avoir censuré quelques unes dont la nature lui paraissait trop verte et trop grossière pour présenter un réel intérêt. A 160 ans de là, on aurait aimé pouvoir en juger nous-mêmes.
Dans les œuvres de Baude, on a souvent mis en avant son Testament de la mule Barbeau . Dans cette satire humoristique, l’auteur se met dans la peau d’un pauvre animal, vieilli et éreinté, ayant servi de nombreux nobles et puissants au cours de sa vie. Aux côtés de ce testament, on trouve encore nombre de poésies d’intérêt dans lesquelles l’auteur médiéval montre de belles aptitudes de plume. Ce talent semble, du reste, avoir été reconnu du temps de Baude et son biographe lui prête d’avoir inspiré certains de ses contemporains. On a même pu, alors, le comparer à Villon. Un peu plus tard, Clément Marot aurait aussi été sujet à cette influence sans s’en réclamer. Le poète de Cahors aurait, en effet, « pillé » (le mot est de Quicherat) certaines des pièces de Baude sans le citer.
Du point de vue des sources, les écrits de Baude se trouvent réparties dans plusieurs manuscrits médiévaux mais on notera, avec intérêt, l’ouvrage dont est tiré cette poésie courte du jour et son illustration (voir en haut de l’article).
Daté du XVIe siècle, le manuscrit Français 24461 (ancienne cote La Vallière 44) est, en effet, un manuscrit de 142 feuillets très joliment illustré (Consulter le Ms Français 24461 sur le site de la Bnf ). En plus des diz moraux pour tapisserie et peinture sur verre de Baude, il contient d’autres auteurs et classiques. On y trouve, notamment, Les triomphes de Pétrarque.
En vous souhaitant une excellente journée.
Fred
pour moyenagepassion.com A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes