Sujet : Kaamelott, médiéval-fantastique, légendes arthuriennes, cinéma, trilogie, affiche ciné, nouvelle date, sortie officielle. Période : haut Moyen Âge à central Auteur/réalisateur : Alexandre Astier Date de sortie : 21 juillet 2021
Bonjour à tous,
Après de long mois d’attente, la nouvelle date officielle a de la sortie du film Kaamelott, premier volet, au cinéma semble enfin pouvoir être maintenue. Depuis le deuxième confinement, les valses incessantes d’interdictions dues à la Covid, avaient enjoint les distributeurs, comme le public, à se montrer prudents. Ils n’avaient donc plus communiqué de nouvelles dates depuis celle fixée à novembre dernier et il avait fallu attendre mars pour que la date du 21 juillet soit lâchée.
Au vue de l’évolution de la situation, on y croit tous désormais, fermement. La date se rapproche et les fans devraient donc pouvoir découvrir le long métrage dans les salles ou même dans les ciné plages, au cœur de l’été. Optimiste lui aussi, Alexandre Astier en a profité pour gratifier ses followers d’une salve de très belles affiches du film sur son compte twitter. Chacune met en exergue, à chaque fois, une citation et un portrait d’acteur différent.
Elles ont au nombre de 20. Nous en partageons ici quelques unes pour vous mettre en bouche. Vous pourrez trouver les autres directement sur le compte twitter de l’auteur. Je vous l’accorde, on n’est bien loin des pastiches mirifiques sur lesquels nous nous étions fait les dents depuis de nombreuses années, mais nul n’est parfait.
De gauche à droite , Merlin (Jacques Chambon), Leodagan (Lionnel Astier) Guenièvre (Anne Girouard), Perceval (Franck Pitiot)
Glop, pas glop ?
Plus sérieusement, on notera, à nouveau, la manière de jouer avec les codes d’Alexandre Astier. Si l’on enlève les phrases d’en-tête de ces affiches, tous ces portraits, magnifiques au demeurant, et leur traité, frappent par leur nature dramatique. Celui de Bohort (Nicolas Gabion – que sur l’image en-tête d’article) est particulièrement édifiant à ce titre.
L’image est peut-être un peu hardie, mais, c’est un ressenti. Encore une fois en faisant abstraction des citations, on se croirait presque dans un roman social à la Hugo ou à la Zola, transposé au Moyen Âge : misère, airs usés, heures sombres. Pas de toute, comme chez tous les bons auteurs, l’exercice de la comédie reste chez Alexandre Astier une affaire extrêmement sérieuse qui ne peut s’installer que dans la tension et sûrement pas sans base et arrière-plan solides.
Cela dit, en référence à notre titre (que seuls quelques amateurs éclairés de Pifou sauront saisir) : il est difficile de préjuger si ce premier volet cinématographique sera plus proche du très dramatique Livre V de Kaamelott ou s’il renouera avec un vent de légèreté plus caractéristique des premiers opus de la série. On en doute un peu à la vue des éléments que l’auteur a, pour l’instant, dévoilés mais il faut s’attendre à tout avec lui, et surtout à être surpris. C’est notoire, Alexandre Astier aime s’adonner à l’art du contrepied, alors peut-être a-t-il décidé de jouer ce premier volet sur le fil ?
Le casting se complète
Au passage, ce large set d’affiches lève un peu plus le voile sur un casting qui n’a pas encore été dévoilé dans son entier. On avait déjà compris dans le teaser sortie début 2020 que Sting y apparaissait, au moins, en Guest. On y retrouvait aussi un certain nombre de rôles pivots des premières heures : Franck Pitiot (Perceval), JC Hembert (Karadoc), Joelle Sevilla (Dame Seli), Lionnel Astier (Leodagan), Caroline Ferrus (Dame Mevanwi), Loïc Varraut (Venec) mais aussi Alain Chabat, Antoine De Caunes, Christian Clavier,…
Au jeu du « cherchez l’acteur », on pourra désormais y ajouter Thomas Cousseau (l’inévitable Lancelot), Guillaume Briat (le roi Burgonde), François Rollin (le roi Loth), mais encore Géraldine Nakache, Clovis Cornillac, et même l’auteur/réalisateur lui-même. Bref beaucoup de beau monde.
En vous souhaitant une belle journée.
Frédéric EFFE Pour moyenagepassion.com A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes
Sujet : poésie médiévale, auteur médiéval, moyen-français, rondeau, manuscrit ancien, poésie morale. Période : Moyen Âge tardif, XIVe siècle. Auteur : Eustache Deschamps (1346-1406) Titre : «Ne porroit pas Franchise estre vendue» Ouvrage : Œuvres complètes d’Eustache Deschamps, Tome IV, Marquis de Queux de Saint-Hilaire, Gaston Raynaud (1893)
Bonjour à tous,
ujourd’hui, nous vous proposons une nouvelle incursion au Moyen Âge tardif avec une poésie courte d’Eustache Deschamps. Ce rondeau porte sur la franchise et s’inscrit dans la lignée des nombreuses poésies que nous légua cet auteur médiéval sur les valeurs et la morale. Il nous donnera l’occasion de réfléchir sur la notion de franchise telle qu’employée dans le moyen-français d’Eustache.
Eloge de la sincérité et du franc-parler ?
En ce qui concerne la franchise au sens étroit et moderne de sincérité, liberté de ton, Eustache Deschamps l’a souvent portée haut. Il s’est exprimé, à ce sujet, dans de nombreuses ballades et poésies.
« Chascuns doit faire son devoir Es estas(condition sociale) ou il est commis Et dire a son seigneur le voir(la vérité) Si que craimte, faveur n’amis, Dons n’amour ne lui soient mis Au devant pour dissimuler Raison, ne craingne le parler Des mauvais, soit humbles et doulz; Pour menaces ne doit trembler : On ne puet estre amé de tous. »
Il n’a pas fait que vanter les vertus de la sincérité, il a aussi souvent critiqué les travers inverses en prenant, très ouvertement à partie notamment, l’ambiance des cours royales dont il était familier et la fausseté des relations qui y régnait : menteries, flatteries, flagorneries, …
Cette « franchise » au sens de franc-parler, Eustache en a aussi fait les frais, en essuyant un certain nombre de déboires pour ne pas en avoir manqué. Pour n’en donner qu’un exemple, on citera cet épisode conté par Gaston Raynaud, dans le tome XI des Œuvres complètes (opus cité). On était en 1386, en Flandres. Le temps était gros. Retenue par quelques barons et conseillers frileux, la flotte française hésitait à s’embarquer pour l’Angleterre ; pressé d’en découdre avec l’angloys, Eustache fustigea, auprès du jeune roi Charles VI, certains de ses amis qui se trouvaient là, pour leur mollesse et leur lâcheté. Las, on ne prit pas la mer et le vent tourna bientôt en défaveur de notre auteur. Non seulement, on n’embarqua pas mais pire : « irrités de sa franchise et de ses satires, les jeunes hommes dont il s’est moqué pénètrent un jour dans sa tente, le battent et, menottes aux poings, le promènent dans le camp comme un larron ». (op cité Tome XI p 51 Vie de Deschamps). On ne peut manquer d’imaginer qu’il paya ce ton moralisateur et critique par certaines autres mises à distance, même s’il ne faut pas non plus les surestimer.
Tout cela étant dit, voyons, d’un peu plus près, le sens que peut recouvrir cette notion de « franchise » au temps médiévaux, mais surtout chez Eustache.
liberté, noblesse, affranchissement : les autres sens de « franchise »
Dans le Petit dictionnaire de l’ancien français de Hilaire Van Daele, on trouve « franchise » définie comme franchise, mais encore comme noblesse d’âme et générosité. Ces deux définitions sont également reprises dans le Godefroy court : noblesse de caractère, générosité (Lexique de l’Ancien français, Frédéric Godefroy, 1901).
Dans le Cotgrave, A dictionarie of the french and english tongues, compiled by Randle Cotgrave (1611), franchise rejoint d’abord l’idée de « freeness, libertie, freedom, exemption ». Viennent s’y adjoindre ensuite des notions comme « good breeding, free birth, tamenesss, kindliness, right kind » (bonne éducation, bon lignage, naissance libre, raison, gentillesse, noblesse de cœur, …) et enfin des notions proches de franchise au sens juridique (charte de franchise, affranchissement, lieu privilégié, …).
Pour finir, dans le très fouillé Dictionnaire historique de l’ancien langage françois ou Glossaire de la langue françoise de son origine jusqu’au siècle de Louis XIV, par la Curne de Sainte-Palaye, la franchise recouvre tout à la fois des notions de loyauté, crédit, liberté, privilège, exemption… A la définition de Franc : « noble, libre, sincère », donné par ce dernier dictionnaire viennent aussi se greffer tous les aspects juridiques de la franchise, pris dans le sens d’affranchissement (terre en franchise, asiles, droits dans les forêts, lettre de grâce…).
L’usage du mot franchise chez Eustache
Chez Eustache, On retrouvera un usage abondant de la notion de franchise. Il l’a mise mise à l’honneur dans plusieurs ballades : Noble chose est que de franchise avoir ou Rien ne vaut la franchise. Il en a même fait un lai : le lay de franchise. Pour mieux cerner l’usage qu’il fait de ce terme, voici quelques exemples pris dans son œuvre.
Dans la plupart des contextes, nous constaterons un sens différent de notre définition moderne de franc-parler ou de sincérité. Bien sûr, il ne s’agit pas non plus de la notion de « franchise » qui se réfère aux contrats commerciaux régissant l’exploitation ou la concession d’une marque et de ses produits. Si dans son approche de la notion, Eustache lui prête à l’évidence une noblesse « de fait », nous sommes plus proches de son sens dérivé de « franc », soit l’idée de liberté et d’indépendance.
« Les serfs jadis achaterent franchise Pour estre frans et pour vivre franchis. Car li homs serfs est en autrui servise Comme subgiez en servitute chis ; Mais quant frans est, il est moult enrrichis Et puet partout aler ou il lui plaist, Mais ce ne puet faire uns homs asservis, Pour ce est li homs eureus qui frans se paist. » E Deschamps – Balade contre le mariage, bonheur de l’indépendance
« Prince, en net lieu, en corps de souffisance Fait bon avoir sa chevance et franchise. Ces .III. dessus avoir en desplaisance. Tiers hoir ne jouist de chose mal acquise. » E Deschamps – Balade aveques quelz gens on doit eschiver mariage
« Laissez aler telz tribulacions, A telz estas n’acomptez .ii. festus; Cognoissez Dieu, fuiez decepcions ; Souffise vous que vous soiez vestus, Que vivre aiez; entendez aux vertus ; Aprenez art qui bien régner vous face ; Soiez joieus et aiez liée face; Sanz plus vouloir, tel estat vous souffise ; Lors vivrez frans, sanz paour et sanz chace : II n’est trésor qui puist valoir franchise. » E Deschamps – Balade Rien ne vaut la franchise.
Voie moyenne & liberté plutôt que servitude
Dans ces trois exemples, il est bien question de liberté et d’indépendance et il semble que ce soit encore ce sens qui l’emporte dans le rondeau du jour. Pour éclairer cet usage, on pourrait encore y ajouter la notion de Franc-vouloir : autrement dit franc arbitre, libre arbitre.
On notera que cette notion de franchise s’articule souvent chez Eustache avec la nécessité de conduire la voie moyenne. Autrement dit, l’indépendance n’a pas de prix et il faut mieux vivre libre et dans la modestie que servile ou servant, dans l’opulence. Voici un quatrième exemple pour illustrer cette idée :
Qui sert, il a moult de soing et de cure ; Se femme prant, d’acquerre art trestous vis; S’il est marchant trop a grief pointure. Et se il est gouverneur d’un pais, II est souvent de pluseurs envahis, Et s’il a foison de mise, Lors li sera mainte doleur amise Et lui faurra laissier de son avoir; Qui assez a franchement, lui souffise, Noble chose est que de franchise avoir. E Deschamps Noble chose est d’avoir la Franchise.
Comme vous l’aurez compris (et c’est un autre leçon de cet article), au delà des apparences et même quand leur langage nous semble immédiatement accessible, il ne faut pas sous-estimer le sens caché des textes médiévaux. La langage évolue à travers le temps et même quand les vocables sont les mêmes, il n’est pas toujours aisé d’en percer le sens véritable. C’est d’autant plus vrai face à un moyen-français qui nous semble parfois si proche mais qui nous est distant de plus de 600 ans.
Ne porroit pas Franchise estre vendue un rondeau d’Eustache Deschamps
NB : dans l’ouvrage du Marquis de Queux de Saint-Hilaire (op cité), le titre adopté pour ce rondeau est « Il faut garder la franchise. » On ne retrouve pas ce titre dans le Français 840. Les autres rondeaux n’en possèdent pas non plus. Il est donc plus sûrement le fait de l’auteur moderne que d’Eustache Deschamps.
Pour trestout l’or qui est et qui sera Ne porroit pas Franchise estre vendue ;
Cilz qui la pert ne la recouverra Pour trestout l’or qui est et qui sera.
Or la garde chascuns qui le porra, Car d ‘omme franc ne doit estre rendue : Pour trestout l’or qui est et qui sera Ne porroit pas Franchise estre vendue.
Sources médiévales et historiques
On pourra retrouver ce rondeau, aux côtés de nombreux autres, dans le tome IV des Œuvres complètes d’Eustache Deschamps (op cité)
Du point de vue des sources manuscrites, il est présent dans le Manuscrit médiéval Français 840 conservé à la BnF. Cet ouvrage daté du XVe siècle et dont nous vous avons déjà dit un mot, contient essentiellement les poésies « d’Eustache Deschamps dit Morel ». Elles sont suivies d’une poésie latine datée de la fin du XIVe siècle. On peut consulter le Français 840 en ligne sur Gallica. Ci-dessus, vous trouverez également le feuillet de ce manuscrit sur lequel on retrouve notre rondeau du jour.
En vous remerciant de votre lecture. Une très belle journée.
Frédéric EFFE Pour moyenagepassion.com A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes
NB : l’image en tête d’article présente, en arrière plan, la page du rondeau d’Eustache Deschamps tirée du Ms Français 840. Le premier plan est un clin d’œil aux valeurs chevaleresques : il s’agit du chevalier Gauvain. Nous l’avons tiré d’une miniature/enluminure du Manuscrit Français 115 de la BnF. Cet ouvrage de la fin du XVe siècle présente une version illuminée du Lancelot en Prose de Robert Boron. Il fait partie d’un ensemble de plusieurs tomes consacrées au Saint-Graal et au roman arthurien.
Sujet : chanson médiévale, musique médiévale, roi troubadour, roi poète, trouvère, vieux-français, langue d’oïl, jeu-parti, amour courtois. Période : Moyen Âge central, XIIIe siècle. Auteur : Thibaut IV de Champagne (1201-1253), Titre : « Dame, merci ! Une rien vos demant« Interprète : Ensemble Venance Fortunat Album : Trouvères à la cour de Champagne (1996)
Bonjour à tous,
ujourd’hui, nous vous entraînons au cœur du XIIIe siècle, à la cour de Champagne, cour médiévale très animée et célèbre pour la promotion qu’on y faisait des arts et notamment de la poésie et de la musique des trouvères.
Thibaut Ier, roi de Navarre et comte de Champagne est le digne héritier des premières générations de ces compositeurs poètes du nord de France qui s’étaient inspirés très directement des troubadours d’oc, à la cour de Champagne et ce, dès le milieu du XIIe siècle. Ce seigneur, roi et comte allait même se distinguer dans cet art, au point qu’on le nommera Thibaut le Chansonnier. Doté d’un grand talent de plume, il excellera dans tout ce répertoire poétique et musical médiéval et, notamment, dans le maniement des codes de la courtoisie.
Un jeu courtois pour deux voix amusées mais un brin désaccordées
« Le Roi de Navarre et la Roïne blanche » dans le Reg Lat 1522 du Vatican (à consulter ici).
La pièce du jour est de cette veine. On y questionnera, avec un brin de distance et d’humour, la jolie idée que l’Amour puisse ne pas survivre à des amants qui se seraient trop aimer. Elle est assez célèbre pour qui s’intéresse à cette période et de nombreux ensemble médiévaux l’ont déjà reprise (Alla Francesca, Ensemble Perceval, …). Plus légère que plaintive, il s’agit d’un jeu-parti entre le roi trouvère et une dame. Le poète y tiendra le rôle de l’amant dans un jeu amoureux et une relation qui, cette fois, semble un peu plus établie, quoique. Sur un ton plutôt badin, cette joute oratoire fournira l’occasion d’un jeu entre complicité et taquinerie entre les deux protagonistes. Cette histoire d’embonpoint ajoute encore un brin d’auto-dérision à ce jeu-parti, qui achève de lui donner une joli note d’humour.
Ecriture à deux mains et hypothèse de la reine Blanche
La chanson du jour dans le Ms 844 de la BnF
Dans ce jeu poétique à deux voix, certains auteurs ont voulu voir la reine Blanche de Castille comme interlocutrice de Thibaut de Champagne. C’est notamment le cas du copiste du manuscrit médiéval Vatican Reg lat 1522 (daté des débuts du XIVe siècle). Dans la partie de cet ouvrage intitulée « Chansons et dialogues de jeu parti d’amour » (connue aussi sous le nom de chansonnier français b), ce scribe a, en effet, donné comme titre à ce jeu- parti : « le roi de navarre et la roine blanche« . C’est, on suppose, une fantaisie de sa part. Peut-être le fit-il pour faire écho à une tradition orale ou pour pouvoir mettre un titre à toutes les poésies et jeu-partis qu’il reportait ici ? Quoi qu’il en soit, en dehors de cet ouvrage (largement postérieur à la rédaction de ce jeu-parti) aucun des copistes des autres manuscrits dans laquelle on trouve cette pièce n’ont repris ce titre, ni ne le mentionnent (y compris dans des manuscrits antérieurs au lat 1522).
Ajoutons que, de même que les médiévistes sont, en général, assez dubitatifs sur la réalité d’une aventure amoureuse entre le comte de Champagne et la reine de France, ils le sont autant sur l’hypothèse qui voudrait faire de cette dernière la co-auteure de cette pièce. On préfère donc y voir plutôt une autre complice, demeurée anonyme, ou d’autres fois encore, une dame imaginaire. À la lecture de cet échange, sa répartie toute en subtilité, nous semblerait plutôt plaider en faveur de l’existence d’une dame réelle et d’une écriture à deux mains.
Autres sources manuscrites médiévales
On peut également trouver cette chanson médiévale en forme de joute annotée musicalement dans le célèbre Ms Français 844, plus connu encore comme le chansonnier du roy ou manuscrit du roi. Nous vous avons déjà présenté, ici, de nombreuses pièces de ce précieux manuscrit médiéval conservé au Département des manuscrits de la BnF.
Pour la version en graphie moderne de ce jeu-parti, nous nous sommes appuyé sur l’ouvrage Chansons de Thibault IV, comte de Champagne et de Brie, Roi de Navarre, Prosper Tarbé, (1851, Imp P. Regnier, Reims). Vous pourrez aussi la retrouver dans « Thibaut de Champagne, textes et mélodies » , Honoré Champion (avril 2018), ouvrage très complet sur l’œuvre du seigneur et trouvère médiéval. Aujourd’hui, pour découvrir ce jeu-parti en musique, nous vous proposons son interprétation par l’ensemble Venance Fortunat.
L’ensemble Venance Fortunat sur les pas des trouvères à la cour de champagne
Nous avons déjà eu l’occasion de vous présenter l’ensemble Venance Fortunat (voir article précédent). Formée en 1975, à l’initiative de sa directrice Anne-Marie Deschamps, cette formation musicale a eu l’occasion de rendre de nombreux hommages au répertoire médiéval, au long d’une carrière de plus de vingt ans.
C’est en 1996 qu’est sorti l’album dont est extrait la chanson du jour. Avec pour titre Trouvères à la cour de Champagne, il proposait pas moins de 19 titres sur ce thème pour une durée d’un peu plus de 60 minutes. On y retrouve de nombreux auteurs tels que Chrétien de Troyes, Gace Brûlé, Conon de Béthune, Raoul de Soissons ou Gautier de Coinci. Thibaut de Champagne y est également à l’honneur avec trois titres. D’autres pièces anonymes viennent compléter ce tour d’horizon des trouvères des XIIe et XIIIe siècles, dont quelques jolis motets du chansonnier de Montpellier (manuscrit H 196).
Musiciens & chanteurs présents sur cet album : Catherine Ravenne (alto), Dominique Thibaudat (soprano), Gabriel Lacascade (bariton), Bruno Renhold (tenor), Philippe Desandré (basse), Guylaine Petit (harpe)
« Dame, merci! Une rien vos demant« Jeu parti de Thibaut de Champagne
NB : à l’habitude, cette traduction maison n’a pas la prétention de la perfection. Elle est le fruit de recherches personnelles croisées entre traductions comparées et études de vocabulaire. Nous ne prétendons pas faire toute la lumière sur ce texte. Mieux même, nous espérons qu’après sa transcription de la langue d’oïl de Thibaut vers le français moderne, il conserve, tout de même, une certaine part de mystère.
Dame, merci! Une rien vos demant, Dites m’en voir, sé Dieu vous beneïe: Quant vous morrez et je – mès c’iert avant, Car après vous ne vivroie je mie -, Que devenra Amors, cele esbahie ? Que tant avés sens, valour, et j’aim tant Que je croi bien qu’après nous iert faillie.
Dame, de grâce ! Je ne vous demande qu’une chose, Dites-moi la vérité, Dieu vous bénisse : Quand vous mourrez et moi aussi – mais je partirai avant, Car après vous je ne pourrai plus vivre – Que deviendra Amour, alors tout éperdu ? Car vous avez tant de raison et de vertu, et je vous aime tant Que je crois bien qu’après nous, l’amour disparaîtra.
Par Dieu ! Thiebaut, selon mon escïent Amors n’iert ja pour nule mort perie, Ne je ne sai sé vous m’alez gabant, Que trop maigres n’estes vos encor mie. Quant nos mourons, Diex nous dont bone vie !, Bien sai qu’Amors damage i aura grant, Mais tos jors iert valors d’Amor joïe.
Par Dieu, Thibaut, selon moi, Amour n’a jamais péri pour quelque mort qui soit, Je ne sais pas, non plus, si vous êtes en train de vous moquer de moi. Car je ne vous vois pas encore si maigre que cela (syn : malportant). Quand nous mourrons – que Dieu nous donne longue vie ! – Je suis sûre qu’Amour en aura grand peine, Mais sa valeur restera toujours aussi entière et parfaite.
Dame, certes ne devés pas cuidier, Mais bien savoir que trop vous ai amée. De la joie m’en aim g’ plus et tieng chier : Et por ce ai ma graisse recovree ; Qu’ainz Deus ne fist se tres bele riens née Com vous. Mais ce me fait trop esmaier, Quant nous morrons, qu’Amors sera finée.
Dame, certes, vous ne devez pas croire, Mais bien être certaine que je vous aime trop. Et cette joie (amour) même, fait que je m’aime et m’estime davantage, Et voilà pourquoi je me suis engraissé à nouveau ; Car Dieu ne fit jamais naître chose si belle Que vous ; mais cela me donne trop d’émoi à l’idée Que quand nous mourrons, l’Amour viendra aussi à sa fin.
Taisiés Thiebaut ! Nus ne doit conmencier Raison qui soit de tous droits desevrée, Vous le dites pour moi amoloier Encontre vous, que tant avez guillée. Je ne di pas, certes que je vous hée, Mais, sé d’Amors me convenoit jugier, Ele en seroit servie et honourée.
Taisez-vous Thibaut ! Nul ne doit se lancer Dans un propos qui soit dénué de toute légitimité, Vous dites tout cela pour m’attendrir À votre endroit, après m’avoir tant trompée (raillée). Je ne dis pas, certes, que je vous hais, Mais si je devais prononcer un jugement par Amour, Je ferais en sorte que ce dernier en soit servi et honoré.
Dame, Diex doint que vos jugiez a droit Et conoissiés les maus, qui me font plaindre ! Que je sai bien, quels que li jugement soit, Sé je en muir, Amors convendra faindre, Sé vous, dame, ne la faites remaindre Dedans son leus arrière où ele estoit ; Q’à vostre sens ne porroit nus ataindre.
Dame, Dieu fasse que votre jugement soit juste et que vous connaissiez les maux dont je me plains. Puisque je sais bien que quel que soit le jugement, Si j’en meurs, l’Amour en sera affecté, Àmoins que vous, dame, ne le fassiez revenir Dans le lieu où il se tenait auparavant, Car nul autre ne pourra, en cela, atteindre votre sagesse (habilité).
Thiebaut, s’Amors vous fet pour moi destraindre, Ne vous grief pas, que s’amer m’estouvoit, J’ai bien un cuer qui ne se savroit faindre.
Thibaut, si Amour vous fait tourmenter pour moi, N’en éprouvez pas trop de peine, car s’il me fallait aimer, J’ai bien un cœur qui ne saurait le dissimuler (mon cœur ne reculerait pas).
En vous souhaitant une fort belle journée. Fred Pour moyenagepassion.com A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.
NB : sur l’image d’en-tête, l’enluminure d’arrière-plan provient du Manuscrit médiéval Français 12625 dit Chansonnier dit de Noailles de la BnF (à consulter ici) . À droite, le portrait recolorisé de Thibaut de Champagne provient d’une peinture sur toile de Francisco Mendoza (XIXe siècle). Elle est exposée dans le salon du trône du Palacio de la Diputación Foral de Navarra, à Pamplone (Espagne).
Sujet : poésie satirique, poésie médiévale, poète breton, rondeau satirique, poésie politique, auteur médiéval, Bretagne Médiévale. Période : Moyen Âge tardif, XVe siècle Auteur : Jean (Jehan) Meschinot (1420 – 1491) Manuscrit médiéval : MS français 24314 BnF Ouvrage : “Jean MESCHINOT, sa vie et ses œuvres, ses satires contre louis XI”. Arthur de la Borderie (1865).
Bonjour à tous,
ans la Bretagne du Moyen Âge tardif, Jean Meschinot pratique, avec style, une poésie incisive et engagée. On connaît ses Lunettes des Princes, ses ballades à l’encontre de Louis XI avec leurs envois inspirés du Prince de Georges Chastellain. Aujourd’hui, nous retrouvons notre poète breton dans un rondeau satirique qui dépeint bien le contexte agité de cette la fin de XVe siècle en terre bretonne.
Source et contexte historiques
On peut trouver cette pièce de Meschinot à la toute fin du MS français 24314. Ce manuscrit de 146 feuillets, daté du siècle de l’auteur, est actuellement conservé à la BnF. Son contenu est entièrement consacré à l’œuvre du poète breton.
Dans Jean MESCHINOT, sa vie et ses œuvres, ses satires contre louis XI (1865). Arthur de la Borderie situera cette poésie courte et caustique durant la crise qui opposa Pierre Landais à Guillaume Chauvin. Pour dire un mot du contexte, Chauvin fut un noble et haut fonctionnaire marquant de son temps. Chancelier de Bretagne, il fut notamment celui qui représenta, en 1468, le duc de Bretagne François II, à la signature du Traité d’Ancenis. Suite aux soulèvements de La Ligue du Bien public, ce pacte devait entériner l’allégeance de la Bretagne face à Louis XI et la cessation de ses alliances d’avec la couronne d’Angleterre et Charles le Téméraire. Ce traité ne fut que temporaire et n’empêcha pas le duc de Bretagne de se soulever, à nouveau, quelques années plus tard.
Landais contre la France et les barons
Pierre landais, fut, quant à lui, un personnage tout puissant de la fin du XVe siècle. Conseiller du duc de Bretagne dont il semblait avoir toute la confiance, il finit même par hériter, pendant un temps, des pleins pouvoirs sur le duché. À l’aube des années 1480, Landais eut à manœuvrer dans un contexte tendu ; il fut pris entre les actions de la couronne de France pour s’assurer du ralliement de la Bretagne (ce dont il entendait bien préserver le duché) et, de l’autre côté, les luttes intestines et les pressions de certains nobles locaux acquis à la cause de Louis XI et qui voyaient ce rattachement d’un bon œil. Ce différent opposa notamment Landais à Chauvin qu’il fit jeter en prison en 1481. Trois ans plus tard, ce dernier mourut dans son cachot. Ce fut la goutte de trop. Les nobles se soulevèrent contre Landais qui fut lâché de toute part, condamné et pendu. Si le duc fut, lui-même, impuissant à sauver son protégé, il semble que la mort de ce dernier apaisa les querelles qui opposaient les nobles bretons entre eux.
Landais, symbole pour certains, intrigant ambitieux pour d’autres. La lutte des deux hommes continua d’évoquer les tiraillements entre une Bretagne, de la fin du XVe siècle, prompte à se rallier et une autre continuant de se rêver plus indépendante. Quant à notre poète du jour, s’il a été un ardent défenseur du duché quand les assauts venaient de la couronne de France, Borderie ajoute qu’en dehors de ce rondeau, Meschinot se montrait, en général, plutôt distant à l’encontre des jeux de cour bretons, et même assez défiant au moment de prendre parti dans ce genre de luttes internes.
« Ceux qui dussent parler sont muts« un rondeau satirique de Jean Meschinot
Ceux qui dussent parler sont muts ; Les loyaux sont pour sots tenus… Vertus vont jus(*), péché hault monte, Ce vous est honte, Seigneurs grans, moyens et menus, Flatteurs sont grans gens devenus Et à hault estais parvenus, Entretenus, Tant que rien n’est qui les surmonte… Tout se mécompte, Quant les bons ne sont soustenus. Ceux qui dussent parler sont muts.
(*) Les vertus touchent terre, disparaissent
En vous souhaitant une très belle journée.
Frédéric EFFE Pour moyenagepassion.com A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes
NB : pour l’image d’en-tête nous avons assemblé le rondeau de Meschinot issu du manuscrit médiéval Ms Français 24314 de la BnF avec une gravure du XIXe siècle. Cette dernière représente Pierre Landais conduit à sa pendaison, à Nantes, sur la carrée de Blesse, gibet qu’il avait lui même fait édifier quelque temps avant. Elle est tirée de La Bretagne (1864) de Jules Janin ; illustrée par MM. Hte Bellangé, Gigoux, Gudin, Isabey, Morel-Fatio, J. Noel, A. Rouargue, Saint-Germain, Fortin et Daubigny (consulter sur Gallica).