Archives de catégorie : Romans et livres

Romans récents ou livres anciens, le moyen-âge s’édite et se réédite : fiches de lecture, extraits, impressions, une balade dans l’univers du livre autour du monde médiéval,

Fleur de poésie françoyse: un quatrain de la fin du moyen-âge et des débuts de la renaissance

poesie_medievaleSujet :  poésie ancienne, huitains, poésies courtes, épigrammes, ouvrage ancien.
Période :  moyen-âge tardif, début renaissance
Auteurs    : collectif (édition originale de 1542)
Titre    :  La fleur de poésie Françoyse, annoté par A Van BEVER, 1909

Bonjour à tous,

A_lettrine_moyen_age_passionujourd’hui, nous postons un quatrain issu de l’ouvrage   la fleur de poésie françoyse.  Nous sommes à la toute fin du moyen-âge dans un siècle de transition qui est aussi celui de l’aube de la renaissance et comme toutes les épigrammes et poésies courtes de ce petit recueil du fleur_de_poesie_francoyse_poesie_debut_renaissance_moyen-age_tardifmilieu du XVIe siècle, ces vers ne sont pas signés et sont demeurés anonymes. Sont-ils de Melin de Sainct Gelays, de Clément Marot ?  Difficile de l’affirmer. Peut-être sont-ils plutôt d’un de leurs « disciples » ?

Nous l’avons dit dans nos articles précédents sur le sujet, dans le courant du XVIe siècle, cette poésie de cour légère qui se tourne vers le mot d’esprit et le divertissement plait et trouve ses émules.

deco_frise

« Je suis à moy et à moy me tiendray,
Aultre que moy n’aura sur moy puissance,
Tout à part moy joyeulx me maintiendray,
Sans que de moy aulcun ayt jouissance. »

Quatrain.  Anonyme – XVe, XVIe siècle 
La Fleur de poésie françoyse (1542)

deco_frise

R_lettrine_moyen_age_passionesitué dans le contexte général de l’ouvrage, qui, plus que tout autre thème, chante les peines, les joies et les déboires d’amour sous toutes leurs formes, y compris les plus grivoises, ce quatrain qui nous conte la liberté d’une indépendance retrouvée, se réfère sans doute plus à la fin d’une histoire de coeur qu’à l’affranchissement de toute forme de pouvoir, au sens large.

Dommage ! Ainsi  isolés, ces quatre vers pourraient presque prendre ce sens plus profond et philosophique d’une liberté que rien, ni personne ne saurait contraindre ou soumettre. Cela serait étonnant pour l’époque et même presque jusqu’à aujourd’hui, et, il faut bien l’avouer, ne serait pas tout à fait pour nous déplaire, mais il semble qu’ils faillent plutôt les restreindre au registre amoureux. Même ainsi cela dit, ils conservent une puissance indéniable et une belle force libératoire.

poesie_ancienne_quatrain_XV_moyen-age_tardif_debut_renaissance_fleur_de_poesie_francoise

Voir d’autres articles sur la fleur de poésie françoyse et les recueils de poésies courtes du moyen-âge tardif ou des débuts de la renaissance.

En vous souhaitant une très belle journée
Fred

Pour moyenagepassion.com
A la découverte du moyen-âge sous toutes ses formes.

Sauveur ou destructeur ? Figure « archétypale » de l’adversité et du recommencement ? « L’invention » du Barbare par Bruno Dumézil

histoire_invasions_identites_barbares_bruno_dumezilSujet : invasions barbares, empire romain, histoire, identités barbares, figure archétypale, figure mythologique, livre, histoire.
Période : fin de l’antiquité, haut moyen-âge,
Média  : émission de Radio, France Culture
Programme : Concordance des temps, déc 2016
Titre : Les barbares, vraiment différents ?
Conférencier : Bruno Dumézil, maître de conférences à Paris-Ouest-Nanterre-La Défense

Bonjour à tous,

A_lettrine_moyen_age_passion l’aube du moyen-âge, y-a-t’il eu véritablement des mouvements et des afflux massifs de « tribus », de populations ou d’armées venues pénétrer les frontières de l’empire romain pour le détruire? N’est-ce là qu’une « invention » dramatisée des historiens et des hommes du passé, une « construction »  pour mettre un visage sur la décadence et la fin d’une civilisation ? Le « barbare », coupable idéal et désigné. Comme s’il n’était pas concevable que Rome se soit effondrée sur elle-même, sous la pression de ses propres fêlures et de ses faiblesses endémiques?

invasion_invention_barbares_chute_rome_identites_barbares_figure_historique_bruno_dumezil_histoirePour faire suite à une première conférence de  Bruno Dumézil que nous avions postée, il y a quelques semaines, au sujet de la chute de l’empire romain et la réalité historique des invasions barbares, nous retrouvons ici l’historien dans une émission radiophonique proposée en décembre 2016 par France Culture et produite par Jean-Noël Jeanneney (lien vers le podcast ici).

Bruno Dumézil y interroge, à nouveau, son sujet de prédilection, la réalité d’invasions ayant précipité la chute de Rome, mais plus précisément encore, il se pose ici la question de l’existence factuelle d’une « identité » barbare. Plus qu’une réalité, il s’y dessine un assemblage conceptuel, une construction ou peut-être pourrait-on dire un barbare « archétypal » : figure terrifiante de l’altérité, le sauvage, le non civilisé hirsute, guerrier sans pitié annonciateur de la fin des temps et paradoxalement aussi d’un possible renouveau.

Brunon Dumézil, à la poursuite des  identités « barbares »

F_lettrine_moyen_age_passion-copiaigure punitive, dramatique et dramatisée, venue mettre en péril les civilisations, était-il déjà aux origines du monde ? Se tenait-il déjà, depuis l’aube des temps, à la source même des éternels recommencements ?

Brandi comme l’étendard de la peur par l’homme « civilisé » « sophistiqué », afin d’unir ses propres contraires ou de protéger ses frontières et son monde, le barbare est encore celui qui ne parle pas et qui n’use pas des mêmes mots. De fait, il reste même le muet de l’Histoire, cet « autre » qui ne parle que le langage du feu et du sang et que l’on ne peut ni raisonner, ni convaincre, sauf à s’unir pour y mettre toutes ses forces et ses armes. Figure primale ? Visage d’un ancêtre commun, d’un premier homme dormant dans nos inconscients collectifs et qui se livre_histoire_barbares_invasion_identite_historien_bruno_dumeziltiendrait à l’embuscade des fêlures de nos civilisations et de leurs fragilités ? Existe-t’il vraiment ou n’est-il qu’une ombre ? Laissons Bruno Dumézil nous parler de ce barbare « construit » ou pour le dire autrement, de cette « invention » du barbare.

Pour creuser le sujet, nous vous mettons à nouveau ici le lien Les barbares, édité chez P.U.F.

En vous souhaitant une excellente journée et une bonne écoute.

Frédéric F.

Pour moyenagepassion.com
A la découverte du moyen-âge sous toutes ses formes

Récréation et passe-temps des tristes: gauloiseries, grivoiseries et poésies marotiques du XVIe siècle

humour_poesie_ancienne_moyen-age_tardif_renaissance_ecole_marotique_recreation_passetemps_triste_ouvrage_ancien_clement_marotSujet : poésies courtes, épigrammes, école marotique, ouvrage ancien, humour, grivoiseries, gauloiserie, Clément MAROT.
Période :    hiver du moyen-âge, renaissance
Auteurs : collectif (1575, puis 1595)
Titre    : La  récréation et passe temps des tristes, recueil d’épigrammes et de petits contes en vers (1862)

deco_frise

« Gardez bien de toucher ce livre
(Mesdames) il parle d’amour :
C’est aux hommes que je le livre
Que l’on tient plus constants toujours
Laissez-le aller vers eux son cours
A eux et non à vous est dû
Mais vous le lirez nuit et jour
Puisque je vous l’ai défendu »
La récréation et passe temps des tristes

deco_frise

Bonjour à tous (et à toutes!),

S_lettrine_moyen_age_passioni vous nous suivez régulièrement, vous savez combien nous apprécions ici la poésie de Clément MAROT et plus particulièrement ses pièces courtes, pleines d’esprit, d’humour et de causticité.poesie_fin_moyen-age_renaissance_clement_marot_ecole_marotique_humour_grivoiserie_gauloiseries

Dans la lignée de l’école marotique qui faisait des adeptes dans le courant du XVIe siècle, nous vous parlions, dans un article précédent, d’un petit ouvrage « collectif » de 1542 : la fleur de poésie françoyse. Souvent compulsés à l’initiative des imprimeurs, ces carnets de poésie rassemblaient, pour l’essentiel, des formes courtes et des épigrammes et se souciaient peu des auteurs (qu’ils ne citaient, souvent, pas). Il y était d’abord question de « récréation » et, finalement, d’une poésie « légère » dont l’unique ambition était d’être un « remède » à l’ennui autant qu’une invitation au divertissement et à l’humour.

Aujourd’hui, nous vous présentons un autre ouvrage de la même veine. Son titre est éloquent et en résume tout entier l’objectif : « LA RECREATION ET PASSETEMPS DES TRISTES, Traictant de choses plaisantes et récréatives touchant l’amour et les dames, pour resjouir toutes personnes mélancholiques ». Nous émaillons aussi cet article de quelques extraits choisis pour vous permettre de vous en faire une idée. 

deco_frise

Autre d’un amoureux voulant mener jouer s’amie

« Allons aux champs sur la verdure,
Passer le temps joyeusement
Cependant que le beau temps dure,
Il n’est que vivre plaisamment
Allons y donc hastivement
Allons chanter, gaudir et rire,
Mieux faut s’esbatre gayement
Q’employer sa langue à mesdire »
La  récréation et passetemps des tristes

deco_frise

poesie_ancienne_clement_marot_fin_moyen_age_renaissance_passetemps_recreation_triste_ouvrage_ancien_XVIe_grivoiserie

Dans une première réédition du XVIIIe, ces « récréations » avaient été attribuées au poète Guillaume des Autels, mais l’éditeur de 1862 sur laquelle nous nous basons ici venait contredire ce fait. L’ouvrage se situe, en effet, dans la filiation de l’école marotique et certaines de ses pièces ne peuvent même appartenir qu’à Clément MAROT, Mellin SAINT-GELAIS et encore d’autres auteurs qui s’inscrivaient sous l’influence du poète originaire de Cahors pour exercer leur verve et leur esprit.

Il y a, dans ce petit manuel qui a traversé presque cinq siècles, quelques pièces sérieuses qui flirtent avec l’amour courtois, mais il contient surtout d’autres épigrammes largement plus grivois et osés. Au bout du compte, on y trouve bien plus de gauloiseries que dans la fleur de poésie françoyse, même si l’ouvrage reprend quelques pièces qui s’y trouvaient présentes, ainsi que d’autres poésies en provenance d’autres « carnets » de poésie du même type et qui datent tous du XVIe siècle.  Comme sa courte préface en vers l’indique, cette récréation et passetemps des tristes a pour thème de prédilection les choses de l’amour. Les « dames » y sont visées par endroits avec un humour souvent plus potache que satirique, mais elles ne sont  pas les seules dans la ligne de mire. Maris et amants, bon ou mauvais, y passent aussi et d’autres sujets y sont abordés. On trouve encore quelques jolies perles poétiques « inclassables ».

deco_frise

Du loquet de l’huis de s’amie

« N’a pas longtemps fut faite une dispute
Sur instrumens, et faict de la musique.
Les uns loüoyent le hautbois ou la fluste,
D’autres le luth, comme chose angéliques :
Lors un d’entr’eux, le moins mélancolique
Leur dit : Messieurs, voulez-vous que je die,
Quel instrument a plus de mélodie,
C’est à mon gré, le loquet d’une porte :
Car quand il faut que la mignonne sorte
De bon matin, ferme l’huis doucement :
L’oyant sortir, le mignon se conforte
Est-il au monde un plus doux instrument ? »
La récréation et passetemps des tristes

deco_frise

Si l’on devait y mettre un peu de subjectivité, (pour ce que cela vaut, c’est à dire pas grand chose), nous pourrions avancer que toutes les poésies que l’on trouve dans cette Récréation et Passetemps des Tristes n’ont pas l’élégance, ni la grâce de la poésie d’un MAROT, même si elles tentent d’en emprunter les formes. A n’en pas douter, il y a ici, certains émules moins talentueux que lui, qui s’essayent à son genre ce qui, cela s’entend, ne diminue pas pour autant l’intérêt de l’ouvrage pour qui s’interroge sur l’Histoire de la langue française et de sa poésie, mais encore de son humour.litterature_poesie_ancienne_clement_marot_fin_moyen_age_renaissance_passetemps_recreation_triste_ouvrage_ancien_XVIe_gauloiserie_grivoiserie

Ajoutons encore que la deuxième édition de 1595, qui sert de base au livre présenté ici, a  été censurée de certaines pièces dont les moines et l’Eglise faisaient les frais et dont l’imprimeur de 1862 nous indique dans sa préface, de manière toute directe,  « qu’elles sentaient l’hérésie ». La satire s’y trouve donc quelque peu patinée. De fait les grivoiseries, même si on ne peut résumer uniquement l’ouvrage à cela non plus, y prennent largement le pas.

deco_frise

A une glorieuse tenant sa gravité par trop grande

« Vous estes belle en bonne foy
Ceux qui dient que non, sont bestes,
Vous estes riche, je le voy,
Qu’est-il besoin d’en faire enquestes?
Vous estes bien des plus honnestes,
Et qui le nie est bien rebelle :
Mais quand vous vous loüez, vous n’estes,
Honneste, ne riche, ne belle. »
La  récréation et passetemps des tristes

deco_frise

Du point de vue du contexte historique, au moment de l’impression de cet ouvrage, les temps sont déjà ceux de la pléiade et de ses poètes qui, dans une ambition tout académique, chercheront à élever la langue française tout autant qu’à l’enrichir. Soucieux de trancher d’avec la poésie médiévale, leurs recherches et leur ambition déclarée se tiendront alors bien loin des formes de cette poésie marotique légère et de sa frivolité. Avec la réédition 1595 de l’original de 1575, Nous sommes déjà près d’un demi-siècle après la mort de MAROT. Son oeuvre sera bientôt reléguée aux archives et il faudra pratiquement attendre le XVIIIe siècle pour qu’il soit redécouvert.

Epigrammes et école marotique : une poésie et des formes qui plaisent à la cour

Au XVIe, cette poésie marotique est applaudie et appréciée à la cour pour son esprit. Badine, elle s’épanche en rimes vives et incisives qui semblent tout vouloir sacrifier à la grâce du bon mot et à son élégance, et qui peuvent aller, comme ici, jusqu’à la grivoiserie ou même la gauloiserie.

Et litterature_poesie_ancienne_ecole_marotique_fin_moyen_age_debut_renaissance_passetemps_recreation_triste_ouvrage_ancien_XVIe_gauloiserie_grivoiseriequand d’impertinente et caustique, elle devient nominative et plus directe-ment assassine, on pourrait presque être tenté déjà, à quelques formes près, d’y voir préfigurer les jeux de cour cruels d’un Versailles décadent comme ceux dont Patrice LECONTE nous faisait le tableau dans son film « Ridicule ». Quelques siècles avant sa cour de Louis XVI, on entrevoit alors déjà dans cet « esprit » et ses « bons mots » quelquefois tranchants de MAROT, la verve du perfide abbé VILECOURT (l’excellent et regretté Bernard GIRAUDEAU) et sa bouche en O, pour être tombé  en disgrâce pour un vers de trop.

deco_frise

D’un Vieil Amoureux

« Je suis amant en l’extresme saison,
Pres de ma mort, je chante comme un cigne,
En attendant d’icelle guarison
Que mon blanc chef prendra pour mauvais signe
La rose, et lis, neige, la lune insigne
Et le jour ont telle couleur eslite.
Doncques, Amour, mes armes je ne quitte
Ains bon espoir j’ay en ma dame seulle,
Vieillard je suis mais grand flamme m’incite
Car le bois sec plus que tout autre brusle. »
La  récréation et passetemps des tristes

deco_frise

Favori un jour, exilé ou miséreux le suivant. Dans les méandres des jeux d’influences nobiliaires et les couloirs froids des châteaux, comme ailleurs, on sait que le verbe peut tuer. Sous ces nouveaux dehors légers et moqueurs que Marot, comme Mellin Saint-Gelais  pratiquaient si bien, sont-ils, ces jeux de cour, les mêmes que ce dont Eustache Deschamps nous contait déjà les travers? L’ombre poesie_ancienne_clement_marot_fin_moyen_age_renaissance_passetemps_recreation_triste_ouvrage_ancien_XVIe_grivois_humourde Rutebeuf  et de sa paix planent encore ici sur le poète de cour, médiéval ou renaissant, dépendant de son « protecteur », de ses grâces comme de ses largesses. Le drôle doit être transgressif par nature mais la ligne est fine de la moquerie, à l’impertinence, de la satire à « l’hérésie », et l’on s’y brûle quelquefois. On se souvient des combats meurtriers de plume du temps du poète de Cahors, et, plus tard encore de ses successeurs à la cour : Mellin SAINT-GELAIS moquant la pédanterie de Ronsard et ce dernier préférant, semble-t-il, « marcher » sur la tête d’un Marot  plutôt que se jucher sur ses épaules. Pour la postérité du français renaissant, il bâtira, en partie sur le terreau de son dédain, d’autres projets pour la poésie et pour la langue. 

Flaubert  écrira quelques siècles plus tard  « Le mauvais goût du temps de RONSARD, c’était MAROT« . Si le public du XVIe siècle goûte suffisamment ces formes poétiques qui se complaisent dans la frivolité ou la « récréation », pour qu’on imprime des manuels à son usage, elles ne rallieront pas, loin de là, tous ceux qui s’exercent à l’art de la rime durant ce même siècle, Ronsard  en tête.

deco_frise

Un amant est toujours honteux

« Amour un jour desbanda les deux yeux,
Pour contempler ses serviteurs fidèles,
Si m’aperceut pensif et soucieux
Sans dire mot entre deux damoiselles.
Lors promptement il esbranla les aisles,
Et vint vers moy, en me disant ainsi : 
O pauvre amant que fais-tu tan icy.
Que ta chaleurs n’est point encore esteinte ?
Je lui responds en lui criant mercy
Qu’un vray amant n’est point sans honte ou crainte. »
La récréation et passetemps des tristes

deco_frise

Les formes courtes de l’école Marotique et
Les « agréables riens » de la poésie du XVIe

Au cours de cet hiver du moyen-âge, dans cette longue aventure humaine de l’art poétique français et au delà de ses apports stylistiques, on sent bien que la forme marotique des XVe, XVIe siècles porte en elle les germes d’une nouveauté. Les racines encore plantées dans le monde médiéval et la tête déjà renaissante, ces thèmes ne sont pourtant pas si nouveaux : l’amour peut y litterature_poesie_ancienne_medievale_ecole_marotique_fin_moyen_age_debut_renaissance_passetemps_recreation_triste_ouvrage_ancien_XVIe_gauloiserie_grivoiserieêtre courtois, la belle Margot et avec elle la pastourelle et ses attraits rupestres y sont encensés (ou moqués), mais on y trouve encore les jeux adultérins, grivois ou transgressifs dont se régalait déjà un certain moyen-âge ou ces odes au buveur qui pourraient être goliardiques si elles étaient encore latines. Bien sûr, les religieux de peu de morale et autres frères « Frappart » que l’on moque y ont aussi leur place. Dans cet héritage thématique « moyenâgeux », cette poésie goûte encore l’usage de quelques vieux mots et quelques archaïsmes que MAROT affectionnait, qu’il remit au goût du jour et qui donne un tour si particulier à ses vers.

deco_frise

D’un Avocat et de sa Femme

« Un avocat dict à sa femme
Sus mamie, que jouerons-nous?
Si je gaigne ( ce dict la Dame)
Vous me le ferez quatre coups :
Quatre coups ? c’est couché trop gros,
Comment seroit jeu sans pitié.
Non, non maistre, tenez-les tous,
(Dict le clerc) J’en suis de moitié. »
La récréation et passetemps des tristes

deco_frise

A l’évidence, sur sa « modernité » renaissante, les codes de son humour, de ses « badineries » ou de sa satire sont déjà plus directement « saisissables » par nous que ne le sont ceux des poesie_ancienne_clement_marot_fin_moyen_age_renaissance_passetemps_recreation_triste_ouvrage_ancien_XVIe_gauloiserie_humourfabliaux des XIIe et XIIIe siècles. Et tout cela n’est pas qu’affaire de meilleure compréhension entre le vocabulaire du « français moyen » renaissant et celui d’un Oil balbutiant. Cette poésie marotique n’a plus la Rudesse ou la lourdeur du Boeuf, pas d’avantage que la nature souvent absconse des proverbes aux vilains.  La langue a changé mais les codes de l’humour aussi.

Pour le reste, si cette poésie, avec son goût pour l’épigramme, renoue avec les formes classiques des grecs du IVe siècle avant notre ère ou encore celles d’un MARTIAL, le tour qu’elle lui donne est plus résolument satirique ou « spirituel ». Il y souffle un esprit léger et frais et elle cherche, dans le cadre étroit et contraint des formes courtes, à affûter la pointe de sa plume. De fait, c’est aussi une école de précision (les rhétoriciens et leurs jeux de mot comme les pratiquaient le père de MAROT ont peut-être été de quelque influence sur ce fils prodigue). Et même si elle cède par instants aux gauloiseries (on la dira même immorale), quand de grivoise, elle deviendrait presque graveleuse, sa recherche d’élégance et de justesse dans le verbe vient à la rescousse de ses rimes comme un dernier rempart dressé : on peut bien être impertinent, pourvu que l’on est de l’esprit.

deco_frise

D’un bon biberon

« Blanc et clairet sont les couleurs
De ce bon vin que j’ayme fort,
Dont souffriray maintes douleurs
Si de luy n’ay souvent confort.
D’en user, bien fay mon effort,
Pour en avoir meilleure grace,
Si je n’en boy, me voila mort,
Car de boire eau, je me pourchasse. »
La récréation et passetemps des tristes

deco_frise

Alors, élégance stylistique « renaissante », émergence d’un esprit nouveau, d’une définition nouvelle du bon mot ? Sommes-nous ici face aux signes d’un rapport à la langue en mutation ou simplement face à un esprit original dont certains feront, bien plus tard, l’annonciateur d’un Voltaire, d’un  Jean de La Fontaine ou  même encore d’un Musset ? (voir Pierre JOURDA – MAROT – Universalis). Quoiqu’il en soit, après Marot, l’épigramme restera une arme de choix dans la besace des poètes et des auteurs, au service de leurs règlements de comptes.

Ayant dit tout cela, il faut encore ajouter que Marot  ne saurait se résumer à ses épigrammes pas d’avantage qu’à son impertinence ou ses traits assassins. Il a aussi contribué par ses poésies à la littérature religieuse, a légué de beaux vers sur des thèmes plus profonds et fut encore traducteur de nombreuses œuvres classiques.


D’une Dame aisée à courroucer

« M’amie et moy apres joyeux esbats,
Nous courrouçons si tressoudainement
Et reprenons apres noise et debats,
Soudaine paix, et doux esbatement,
Que je crains plus ses beaux yeux doucement
Tournez vers moy, et ses ris gracieux,
Que ses sourcils et regards furieux :
Car j’ay espoir de joye et paix nouvelle
Apres courroux, apres esbats joyeux
Je crains toujours une guerre mortelle. »
La récréation et passetemps des tristes

deco_frise

En vous souhaitant une très belle journée
Fred

Pour moyenagepassion.com
A la découverte du moyen-âge sous toutes ses formes

François Villon du temps de sa jeunesse folle et un extrait commenté du grand Testament

françois_villon_poesie_francais_moyen_ageSujet : poésie, littérature médiévale, réaliste, satirique, ballade, auteur médiéval, , chanson
Période : moyen-âge tardif
Titre :  « Le Grand Testament » Extrait
Auteur :  François Villon (1431- ?1463)
Interprétes ; Alain Souchon
Chanson : je plains le temps de ma jeunesse

Bonjour à tous,

N_lettrine_moyen_age_passionous faisons, aujourd’hui, un nouveau détour du côté de la poésie réaliste de François Villon avec un bel extrait de son célèbre Grand Testament. C’est un passage bien connu dont on ne cite souvent que les derniers vers et nous voulions ici les mettre un peu mieux en perspective dans leur contexte, en les accompagnant de françois_villon_grand_testament_poesie_medievale_realiste_moyen-age_tardifquelques éclairages sur les parties pouvant demeurer obscures.

Voici donc notre Villon regardant en arrière vers le temps de sa jeunesse folle, si lointaine et déjà envolée. Joyeuse insouciance de l’adolescence, changée bientôt en regrets. Misère et galères, de déboires en déboires, la faim au ventre et la panse vide. Mais le temps s’est enfui ne laissant derrière lui que le goût de nostalgie et le constat des erreurs et  l’heure est au bilan, dans cette prison froide. Souvenir d’une vie d’inconfort, d’amours laissées en chemin, et pourtant leur survit tout de même la dignité d’avoir su ne pas abuser de ses amitiés ou si peu.

Ironie de l’histoire ou exemplarité de la rédemption?, celui dont on n’a tant voulu faire le premier « poète maudit » ou le « mauvais garçon » du moyen-âge tardif s’est fait pour des générations d’écoliers quelque peu « moraliste », puisque ses vers ont longtemps été repris par l’école républicaine  pour rappeler aux têtes blondes qui auraient pu le perdre de vue, l’intérêt d’y user leurs fonds de culottes.

francois_villon_grand_testament_extrait_poesie_medievale_moyen-age_tardif_jeunesse_temps

Le grand testament de Villon – extrait

XXIII

Je plaings le temps de ma jeunesse,
Auquel j’ay, plus qu’autre, gallé * (mené joyeuse vie)
Jusque à rentrée de vieillesse,
Car son partement m’a celé*. (ce temps est parti en cachette)
Il ne s’en est à pied allé,
N’a cheval; las! et comment donc?
Soudainement s’en est voilé,
Et ne m’a laissé quelque don.

XXIII.

Allé s’en est, et je demeure
Pauvre de sens et de sçavoir,
Triste, failly* (abattu), plus noir que meure*(mûre)
Je n’ay ne cens, rente , n’avoir ;
Des miens le moindre, je dy voir* (vrai)
De me desadvouer s’avance,
Oublyans naturel devoir,
Par faulte d’ung peu de chevance*. (provisions,possession)

XXIV.
Si ne crains-je avoir despendu* (dépensé),
Par friander, ne par lescher*, (friandise et gourmandise)
Ne par trop aymer riens vendu,
Qu’amys me sceussent reprocher.
Au moins qui leur couste trop cher.
Je le dys, et ne crains mesdire.
De ce ne me puis revencher*: (m’excuser)
Qui n’a meffait, ne le doit dire. 

XXV

Bien est-il vray que j’ay aymé
Et que aymeroye voulentiers ;
Mais triste cueur, ventre affamé
Qui n’est rassasié au tiers,
Me oste des amoureux sentiers.
Au fort, quelqu’un s’en recompense,
Qui est remply sur les chantiers*, (qui est bien rassasié)
Car de la panse* vient la danse. (du ventre plein)

XXVI

Hé Dieu ! se j’eusse estudié
Au temps de ma jeunesse folle,
Et à bonnes meurs dédié,
J’eusse maison et couche molle .
Mais quoy ? je fuyoye l’escolle ,
Comme faict le mauvays enfant…
En escrivant ceste parolle,
A peu que le cueur ne me fend.

Les oeuvres complètes de François Villon annotées et commentées par P.L. JACOB

U_lettrine_moyen_age_passionne fois n’est pas coutume, nous avons quelque peu levé le nez de nos dictionnaires anciens et autres recherches comparatives cette fois-ci. De fait, les notes que nous vous fournissons avec cet extrait sont, pour la plupart, tirées de la version des Oeuvres Complètes De Villon de Paul Lacroix, alias P.L. JACOB, grand érudit, écrivain et historien français du XIXe siècle. L’ouvrage date de 1854 mais est encore édité de nos jours. Il faut dire que cette version poesie_litterature_medievale_oeuvre_completes_annotees_documentees_francois_villon_Paul_Lacroix_PL_Jacob_moyen-age_tardifprésente l’avantage d’être extrêmement bien annotée et documentée, ce qui permet d’avancer rapidement sur les points d’achoppement que peut tout de même présenter, par endroits, le beau français moyen du XVe de Maître François Villon.

Pour le cas où l’acquisition de cet ouvrage vous intéresse, en voici les liens  :  Oeuvres Completes de Francois Villon

Alain Souchon chante Villon
et le temps de sa jeunesse folle

E_lettrine_moyen_age_passionn 2011, le chanteur Alain Souchon nous gratifiait d’un album intitulé « A cause d’Elles » dans lequel il reprenait dans une chanson la dernière strophe alain_souchon_chante_villon_poesie_medievale_jeunesse_testament_chansonde Villon que nous citons ici.

Treizième album studio de l’artiste poète, Souchon y reprenait des titres, poésies ou comptines  ayant bercé son enfance et ces vers de Villon s’y trouvaient.

Quelques cinquante ans avant lui, en 1959, le poète chanteur et troubadour québécois Felix Leclerc avait lui aussi repris cette même strophe en la mêlant à d’autres vers de François Villon dans une chanson ayant pour titre le testament, et dédiée à l’auteur médiéval.

Un  excellente journée à tous !

Frédéric EFFE.
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du moyen-âge sous toutes ses formes.