“Accordez aussi aux fous une qualité qui n’est pas à dédaigner: seuls, ils sont francs et véridiques.”
Erasme de Rotterdam, (1461-1536)- L’Eloge de la folie.
Philosophe, humaniste, écrivain de la toute fin du moyen-âge ou du début de la renaissance.
Bonjour à tous,
e fais juste une petite précision pour éclairer cette citation de Erasme qui peut être mal comprise quand on la prend hors contexte. Le fou dont il est question ici est le bouffon, le fou du prince. Plus loin le philosophe ajoutera d’ailleurs :
« On me dira que les oreilles princières ont précisément horreur de
la vérité et que, si elles fuient les sages, c’est par crainte d’ouïr parmi eux une voix plus sincère que complaisante. Je le reconnais, la vérité n’est pas aimée des rois. Et pourtant, mes fous réussissent cette chose étonnante de la leur faire accepter, et même de leur causer du plaisir en les injuriant ouvertement. Le même mot, qui, dans la bouche d’un sage, lui vaudra la mort, prononcé par un fou réjouira prodigieusement le maître. C’est donc que la vérité a bien quelque pouvoir de plaire, si elle ne contient rien d’offensant, mais les Dieux l’ont réservée aux fous. »
En ces temps imbéciles où un rien nous offense si souvent et, en accord avec Erasme, ajoutons encore ceci : bienheureux le royaume ou les terres de ce monde où le fou peut encore se rire même des princes et où il n’a crainte que la vérité ne sorte par sa bouche.
Une belle journée à tous.
Fred
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Sujet : citations médiévales, extrait poésie, sagesse médiévale, poésie morale, satirique et critique. Auteur : Jean de Meung, Jean Clopinel (1250-1305) Période : moyen-âge central, XIIIe siècle. Extrait de : le codicille Manuscrit ancien : le roman de la Rose, Arsenal 5209, Bnf.
Bonjour à tous,
ous partageons, aujourd’hui, un peu de la poésie de Jean de Meung (Clopinel), en forme de citation morale. Les vers sont extraits du codicille dont nous avons déjà parlé ici. C’est un texte que l’auteur médiéval adresse à ses contemporains en forme d’exhortation morale. Même si on l’a souvent référencé ou confondu avec un autre écrit du poète qui s’appelle le testament, il semble pertinent de les différencier pour s’y retrouver un peu mieux.
“Qui autruy veult blasmer, il doit estre sans blasme; Et qui veult en blasmer, il doit avoir du blasme*: Bien dire sans bien faire, est comme feu de chausme Qu’on esteient de legier* au pied ou à la paulme.”
Jean de Meung (1250-1305) Le Codicille
Adaptation/français moderne :
“Qui autrui veut blâmer, il doit être sans blâme; Et qui veut embaumer, il doit avoir du du baume: Bien dire sans bien faire, est comme feu de chaume Qu’on éteint aisément du pied ou de la paume.”
Les vers de Jean de Meun dans le manuscrit ancien et médiéval: ms Arsenal 5209 (Bnf Paris)
On retrouve notamment ce codicille dans le manuscrit ancien du XIVe siècle, ms arsenal 5209 de la Bnf. consultable en ligne ici.
eplacés dans leur contexte, ces quatre pieds de vers s’adressent aux puissants, seigneurs, gens « savants » ou religieux face au peuple et aux petites gens. Il y est question de l’importance de leur probité, autant que de nécessaire cohérence entre leurs actes et leurs paroles. Au delà de simplement dénoncer la langue de bois, Jean de Meung les enjoint à être conscients de leur exemplarité s’ils prétendent recevoir en retour respect, crédibilité et même « amours » de ceux qu’ils gouvernent ou vers lesquels ils prêchent. Plus loin, il parlera même de « suivre la voye droite ». Nous sommes donc bien dans une dimension de morale, de justice, et de justesse.
Voilà tout un programme pour qui veut se livrer à l’exercice du pouvoir ou prétendre guider ses contemporains vers quelque lumière que ce soit et voilà des mots qui, à travers le temps, n’ont pas pris une ride et que l’on peut valablement reprendre aujourd’hui.
Un excellent début de semaine à tous!
Fred
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l’approche des fêtes, il est temps de publier quelques éléments sur noël sous l’angle de la poésie médiévale. Nous vous partageons donc ici, plusieurs extraits, et entre autre, la célèbre ballade des proverbes de François Villon puisqu’il en inclue un de circonstances sur Noël.
Cette allusion de Villon à Noël, même si elle scande sa ballade, ne peut pas tellement être considérée comme une poésie dédiée à la célébration de la nativité, mais il faut dire que si on chante Noël en latin dans les cantiques et les églises durant ce long moyen-âge, les poètes médiévaux qui nous sont connus, se sont, quant à eux, assez peu exercés sur le sujet, et s’ils l’ont fait, peu de leurs textes nous sont parvenus, à ce jour.
Perceval, le roman de Graal, Chrétien de Troyes Enluminure du XIIe siècle
Les fêtes de Noël,
de Chrétien de Troyes à Clément Marot
Dans Perceval, le roman de Graal, le célèbre Chrétien de Troyes mentionnera la célébration de la nativité, en simple forme d’allusion à un long repas, comme ceux que l’on fait alors autour des fêtes de Noël.
« Mes sire Gauvains coste a coste Fist delez lui mangier son oste, Et li mangiers ne fut pas corz, Qu’il dura plus que uns des jorz Antor Natevité ne dure »
Messires Gauvin à ses côtés, Qui avait fait de lui son hôte, Et le repas ne fut pas bref Qui dura plus qu’un des jours Autour de Nativité dure
Chrétien de Troyes, Perceval, le conte de Graal, (XIIIe siècle)
On trouvera encore, dans le Fabliau de Cocagne (Cocaigne) du XIIIe siècle, une courte mention du sujet. Le Fabliau traite pourtant d’un pays imaginaire où tout se trouve en abondance, et où tous les jours sont fériés et propices à la fête:
« Quatre semaines font un mois , Et quatre Pasques a en l’an Et quatre festes Saint-Julian. Quatre toz saints , quatre Noex , Et quatre festes chandeleurs. »
Fabliau de Cocagne, XIIIe siècle.
Bien plus tard, dans l’hiver du moyen-âge et au début de la renaissance, Clément Marot de Cahors écrira quelques textes sur le sujet, dont une chanson que voici :
« Une pastourelle gentile Et un berger, en un verger, Lautrehier en jouant à la bille S’enlredisoient, pour abréger : Roger Berger, Légère Bergère, C’est trop à la bille joué : Chantons Noé, Noé, Noé. Te souvient il plus du Prophète Qui nous dit cas’ de si hault faicl, Que d’une pucelle parfaicte Naistroit un enfant tout parfaict ? L’effect Est faict : La belle Pucelle A un filz du ciel advoué : Chantons Noé, Noé, Noé. » Clément Marot Chanson XXV, un jour de Noël.
Ballade des proverbes de François Villon
Pour l’instant, place donc à la Ballade des proverbes de François Villon, dont on a dit que le poète médiéval l’adressa en 1458, à son mécène d’élection, Charles D’Orléans, afin de se réconcilier avec lui. Si c’est le cas, cela ne suffira pas à lui ré-ouvrir les portes de la cour, ni à lui regagner les faveurs du Prince.
Si elle ne nous dit pas grand chose des fêtes de Noël, mais nous le disions plus haut, les poètes médiévaux semblent les avoir peu chantées, cette ballade reste un précieux héritage sur les proverbes du XVe siècle. Comme il s’agit d’une véritable compilation d’adages, plus ou moins remaniés par le verbe de Villon, il demeure difficile d’y retrouver un fil conducteur, autre que le plaisir que prend ici l’auteur à jouer avec les mots:
Tant gratte chèvre que mal gît, Tant va le pot à l’eau qu’il brise, Tant chauffe-on le fer qu’il rougit, Tant le maille-on qu’il se débrise, Tant vaut l’homme comme on le prise, Tant s’élogne-il qu’il n’en souvient, Tant mauvais est qu’on le déprise, Tant crie-l’on Noël qu’il vient.
Tant parle-on qu’on se contredit, Tant vaut bon bruit que grâce acquise, Tant promet-on qu’on s’en dédit, Tant prie-on que chose est acquise, Tant plus est chère et plus est quise, Tant la quiert-on qu’on y parvient, Tant plus commune et moins requise, Tant crie-l’on Noël qu’il vient.
Tant aime-on chien qu’on le nourrit, Tant court chanson qu’elle est apprise, Tant garde-on fruit qu’il se pourrit, Tant bat-on place qu’elle est prise, Tant tarde-on que faut l’entreprise, Tant se hâte-on que mal advient, Tant embrasse-on que chet la prise, Tant crie-l’on Noël qu’il vient.
Tant raille-on que plus on n’en rit, Tant dépent-on qu’on n’a chemise, Tant est-on franc que tout y frit, Tant vaut « Tiens ! » que chose promise, Tant aime-on Dieu qu’on fuit l’Eglise, Tant donne-on qu’emprunter convient, Tant tourne vent qu’il chet en bise, Tant crie-l’on Noël qu’il vient.
Prince, tant vit fol qu’il s’avise, Tant va-il qu’après il revient, Tant le mate-on qu’il se ravise, Tant crie-l’on Noël qu’il vient.
François Villon, 1458
En vous souhaitant une belle journée à tous et de joyeuses fêtes de fin d’année.
Fred
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Sujet : poésie médiévale, poésie réaliste, satirique, trouvère, Vieux français, langue d’oil, ribauds, misère, hiver. Période : moyen-âge central, XIIIe siècle Auteur ; Rutebeuf (1230-1285?) Titre : le diz des ribaux de grève. Média : lecture audio, par André Brunot.
Bonjour à tous,
our commencer cette semaine sous le signe médiéval, nous vous proposons une lecture audio celle de la célèbre poésie de Rutebeuf: le Diz des Ribauds de Grève. Il y est encore question de misère et d’hiver, mais cette fois-ci, ce n’est pas de sa propre infortune dont Rutebeuf nous parle mais de celle des miséreux qui se tiennent alors sur la place de Grève, à Paris.
Comme nous le soulignions dans la lecture audio du « Dit de l’oeil », même si l’on est pas certain de l’origine de Rutebeuf que l’on a peut-être un peu vite désigné comme champenois, ce dont on reste sûr c’est qu’il a passé la majeure partie de sa vie à Paris, en tout cas au moins celle durant laquelle il a rédigé ses oeuvres connues de nous. Et puisqu’elle est le théâtre de cette poésie qu’il nous a léguée, nous en profiterons aussi ici pour dire un mot de la place de Grève de Paris à l’époque médiévale.
Avant d’entrer un peu plus dans ce détail et de vous proposer cette lecture pleine de force qui fait honneur à la poésie de Rutebeuf, nous voulons également dire un mot du comédien auquel nous la devons.
Tribut à André Brunot
Sociétaire de la comédie française, André Brunot (1879-1973) fut un comédien célèbre en son temps, même s’il n’a pas eu le succès d’un Jouvet. Premier prix de comédie au conservatoire de Paris en 1903, il mena une longue carrière sur les planches et au théâtre et sa carrière cinématographique lui permit de tourner près de trente films.
La lecture audio qu’il nous fait de la poésie de Rutebeuf sur les Ribauds de Grève est tirée d’une excellente anthologie poétique audio en 3 volumes, que nous proposait la bibliothèque Nationale de France en 1958, et ayant pour titre : « Trésor de la poésie lyrique française ». Le premier volume était dédié au moyen-âge et c’est de là que provient la pièce du jour.
Le dit des ribauds de Grève de Rutebeuf,
lecture poétique audio
La place de Grève du temps de Rutebeuf
A l’époque médiévale, sur cette place des bords de Seine, rebaptisée depuis place de l’Hotel de Ville, se réunissaient les travailleurs, autant que les oisifs et les miséreux en quête de pitance ou de travail (le terme de « faire la Grève » viendrait de là).
Il est difficile de savoir si Rutebeuf s’adresse publiquement et directement aux gueux et aux miséreux dans cette poésie, mais plus qu’une des pirouettes caustiques auquel il nous a habitué, elle dénote d’une véritable empathie de sa part, à l’égard de ces malheureux sans le sou à l’approche des rigueurs de l’Hiver. Il y rapproche, sans aucun doute, toute proportion gardée, ses propres misères.
La place de Grève, à la fin du XVIe (1583) Theodor Josef Hubert Hoffbauer (1839-1922)
« C’était (la place de Grève au XIIIe siècle) un lieu de déchargement des lourdes marchandises venues par eau. Des débardeurs, des « ribauds » s’y affairaient. Notre soif de couleur locale et même, nos idées toutes faites sur la ville médiévale ont de quoi se satisfaire. Tout le folklore « troubadour et mâchicoulis » est là, depuis ces « escoliers » toujours prêts à se quereller mais bons garçons au demeurant, jusqu’à ces foules de religieux dont les divers ordres, profitant de la piété du Saint roi Louis IX, avaient proliféré, sans oublier les hordes de pauvre – tels les « Trois-cents Aveugles », tels les lépreux du « Champ-pourri » qui mendiaient dans les rues, ou les « musardes » (les prostitués) que guettaient fort les regards naïfs de jeunes paysans débarqués depuis peu, avec leur porte-
monnaie fraîchement rempli. »
A la recherche d’une « voie de Paradis » dans le Paris de RUTEBEUF, Françoise Barteau. Historienne médiéviste. « Tiré de Errances et parcours parisiens de Rutebeuf à Crevel », Univerisité de la Sorbonne, 1986
Les exécutions en place de Grève
On admet, généralement, que la première exécution qui eut lieu sur la place Place de Grève date de 1310. On la doit à deux évêques, celui de Paris, assisté de celui de Cambrai alors « Docteur et inquisiteur de la Foi en France »*. Elle prit la forme d’un bûcher et on y brûla pour hérésie, la mystique chrétienne et poétesse flamande Marguerite Porete (ou Perrette). Pour faire bonne mesure, on en profita pour livrer également ses écrits aux flammes, soit son ouvrage: « Le Miroer (miroir) des âmes simples et anéanties ». Tout fut conduit avec l’aval du bon roéPhilippe le Bel, mais il faut dire qu’il était bien lancé (pour ne pas dire bien chaud), puisque c’est cette même semaine qu’il fit aussi brûler les premiers templiers.
Quoiqu’il en soit, ce fut là, la première d’une longue série d’exécutions publiques en place de Grève, qui ne s’acheva que plus de cinq siècles plus tard, en 1822. Aux vues des dates, Rutebeuf n’a pas connu cette vocation de la place dont il nous décrit les Ribauds puisqu’il a disparu autour de 1285.
Exécution en place de Grève, 1757, gravure sur bois, anonyme.tiré d’un Almanach de colportage. Source : criminocorpus.org
Le Diz des Ribauds de grève dans le vieux français d’oil original et parisien de Rutebeuf
Ribaut, or estes vos a point : Li aubre despoillent lor branches, Et vos n’aveiz de robe point, Si en avrez froit a vos hanches. Queil vos fussent or li porpoint Et li seurquot forrei a manches. Vos aleiz en estai si joint, Et en yver aleiz si cranche, Vostre soleir n’ont mestier d’oint, Vos faites de vos talons planches. Les noires mouches vos ont point; Or vos repoinderont les blanches.
La traduction en français moderne
de Michel Zink de l’Académie française:
« Ribauds, vous voilà bien en point! Les arbres dépouillent leurs branches et d’habit vous n’en avez point, aussi aurez-vous froid aux hanches. Qu’il vous faudrait maintenant pourpoints, surcots fourrés avec des manches! L’été vous gambadez si bien, l’hiver vous traînez tant la jambe! Cirer vos souliers? Pas besoin: vos talons vous servent de planches. Les mouches noires vous ont piqués, A présent c’est le tour des blanches »
En vous souhaitant un excellent début de semaine et une belle journée!
Fred
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* Histoire et recherches des antiquités de la ville de Paris par Mr. Henri Sauval, Avocat du Parlement (1724)