Sujet : musique médiévale, cantigas de Santa Maria, livre Vermeil de Montserrat, Espagne médiévale. Période : moyen-âge central à tardif Evénement : Concert médiéval espagnol Interprètes : Le Choeur Les Oréades & Les Ménestrels de Paris Lieu : Eglise Sainte-Rosalie (Paris 13) & Eglise Saint-Joseph-Artisan (Paris 10). Date : 8 & 21 janvier 2023.
Bonjour à tous,
our débuter cette année 2023 en musique, la formation vocale Le Choeur Les Oréades vous propose deux dates de concert, en janvier.
Ces deux événements se tiendront sur Paris et auront pour thème les musiques de l’Espagne médiévale. Vous pourrez donc y entendre des pièces empruntées au répertoire des Cantigas de Santa Maria d’Alphonse X de Castille, ainsi qu’au célèbre Livre Vermeil de Montserrat. Coté programmation, le premier concert sera donné le Dimanche 8 janvier, à 17h00, à l’église Sainte Rosalie, dans le 13e arrondissement de Paris et le second, le Samedi 21 janvier, à 20h00, à l’église Saint-Joseph-Artisan du 10e arrondissement. La participation est libre.
La formation Le Choeur Les Oréades
Pour dire un mot de l’ensemble, le chœur Les Oréades a été fondé en 2013 par la directrice Clara Brenier. Cette formation musicale parisienne a ceci d’original qu’elle se compose, tout à la fois, de musiciens professionnels et amateurs, pour un répertoire assez varié. Ce dernier ne se limite, en effet, pas au Moyen Âge et on peut les retrouver sur des musiques anciennes, médiévales ou renaissantes comme sur des partitions plus folkloriques ou même encore des variations plus Jazz ou contemporaines.
A l’occasion de ces deux concerts qui mettront à l’honneur les musiques espagnoles du Moyen Âge central, le Choeur Les Oérades sera accompagné des Ménestrels de Paris.
En vous souhaitant une belle journée.
Fred Pour moyenagepassion.com A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes
Sujet : musique ancienne, galaïco-portugais, culte marial, miracle, vierge de Montserrat, résurrection, Moyen Âge chrétien, Catalogne. Période : XIIIe siècle, Moyen Âge central Titre : Cantiga Santa Maria 311, O que diz que servir hóme aa Virgen… Auteur : Alphonse X de Castille (1221-1284) Interprète : Música Antigua Album : Cantigas de Catalunya (2007)
Bonjour à tous,
u cœur de l’Espagne médiévale et à la cour d’Alphonse X, on réunit les chants, les miracles et les louanges qui circulent alors sur les routes des pèlerinages des lieux dédiés à la vierge.
Demeurée célèbre, la compilation du XIIIe siècle présente des centaines de chants mariaux notés musicalement, qui ont traversé 700 ans d’histoire pour nous parvenir. Sur Moyenagepassion, nous avons entrepris, leur étude, depuis quelques années déjà, en nous efforçant de vous les présenter de manière commentée, avec leurs sources, des versions en musique par les plus grands ensembles du moment, mais aussi leurs traductions en français actuel. Après une petite pause, nous reprenons, aujourd’hui, le flambeau pour partir à la découverte de la Cantiga Santa Maria 311. Mais avant cela disons un mot du culte marial au Moyen-âge.
A propos des Cantigas et du culte marial
Bien au delà des frontières de la péninsule ibérique, les cantigas de Santa Maria d’Alphonse X ont ceci de précieux qu’elles témoignent d’un culte marial qui fut d’une très grande importance pour le monde chrétien occidental, à partir du Moyen Âge central.
Mère du « Dieu mort en croix« , on prête à la vierge le pouvoir d’intercéder auprès de lui pour le compte des hommes. Grande faiseuse de miracles pour qui la loue et la prie, elle a aussi la douceur et la compréhension d’une mère. De fait, parmi tous les auteurs médiévaux que nous avons pu étudier jusque là : De Rutebeuf à François Villon, en passant par différents trouvères et troubadours mais encore des poètes du Moyen Âge plus tardif, peu sont ceux qui n’aient pas écrit leur propre oraison à la vierge ou quelques louanges à son endroit. En littérature médiévale, l’amour qu’on lui voue empruntera même, aux XIIe et XIIIe siècles, chez certains auteurs religieux ou laïques, les voies de la lyrique courtoisie et de la fine Amor, donnant naissance à une poésie, toute en spiritualité et en retenue.
Le miracle de la Cantiga 311 : le pèlerin foudroyé et son ami mécréant
Enluminure de la Cantiga de Santa Maria 311 dans le chansonnier BNCF BR20 de la Bibliothèque de Florence (XIIIe-XIVe siècle).
A l’image de nombreuses Cantigas de Santa Maria, la CSM 311 conte l’histoire d’un miracle. Celui-ci porte plus particulièrement sur la vierge catalane de Montserrat et nous rapporte les infortunes d’un dévot habitué à la visiter, chaque année, en pèlerinage.
Ce corpus médiéval ne cesse de l’affirmer, la foi placée en la Sainte Marie peut tout et de bien des manières ; le miracle de la Cantiga 311 s’efforcera, une fois de plus, de l’établir. Il prendra même la forme du miracle ultime puisqu’il sera question ici de résurrection. Notons que ce n’est pas le seul de ce type dans le corpus des Cantigas d’Alphonse X ; nous avons eu l’occasion d’en étudier plusieurs de ce type (voir notre index de Cantigas de Santa Maria).
Ici, l’exemplarité de la dévotion sera pour les auditeurs, autant pour l’un des témoins directs de toute l’affaire. Bourgeois nanti, de peu de foi, ce dernier recevra, au passage, une double-leçon sur le mal fondé de ses doutes en les pouvoirs de la Sainte, autant que sur son avarice et son manque de largesse envers elle. A l’occasion de ce retour entre les lignes du chameau et du trou de l’aiguille, la boucle biblique sera donc bouclée (1).
Música Antigua et les cantigas d’Alphonse X
Pour nous accompagner en musique dans la découverte de ce chant marial, nous avons choisi de rester sur les routes d’Espagne, pour y profiter du talent et de l’œuvre majeure d’Eduardo Paniagua (voir son portrait détaillé ici). Avec son ensemble Música Antigua fondé en 94, ce musicien espagnol est, en effet, l’un des seuls à avoir couvert l’ensemble du répertoire des Cantigas de Santa Maria d’Alphonse X. Il en a tiré de nombreux albums thématiques.
Loin de toute sophistication vocale, la version qu’il nous propose ici reste plutôt « ancrée ». Pour le dire autrement, on n’est plus proche d’une version à la René Zosso que d’une envolée soprano. Mais, finalement, peut-être reste-t-on, de cette façon, plus proche des origines de ces chants (orchestration mise à part) si on les imagine chantés sur des routes de pèlerinages.
Cantigas de Catatunya, Abadía de Montserrat
Sorti dans le courant de l’année 2007, l’album dont est tiré le chant marial du jour est intitulée : Cantigas De Catalunya, Abadía de Montserrat (Chants de Catalogne, abbaye de Montserrat) Sur 1h15 d’écoute, on colle donc dans la logique thématique chère à Edouardo Paniagua, au moment d’aborder ce vaste corpus de plus de 400 pièces.
Comme son titre l’indique, cette production vous permettra, à travers huit pièces issues du répertoire d’Alphonse X, de découvrir uniquement des Cantigas qui portent sur le nord de l’Espagne et la Catalogne et dans lesquelles la vierge de Montserrat tient une place de choix. Du reste, pour ceux qui ne les connaissent pas, aujourd’hui encore, entourées d’impressionnantes concrétions rocheuses, à quelques encablures de Barcelone, l’abbaye de Montserrat et sa vierge noire continuent d’attirer de nombreux pèlerins et visiteurs, chaque année.
Membres ayant participé à cet album
César Carazo (chant, alto), Luis Antonio Muñoz (chant, fidule), Felipe Sánchez (luth, citole, vièle), Jaime Muñoz (cornemuse, flaviol, tarota, axabeba, tambour), David Mayoral (darbouka, dumbek, tambourin), Eduardo Paniagua (psaltérion, flûte à bec, cloche, darbouka, gong, rochet, hochets, hochet, goudron) et direction.
En chinant un peu, vous pourrez, sans doute, trouver cet album chez votre disquaire préféré. Sinon, sachez qu’il est toujours disponible à la vente en ligne sous forme dématérialisée. Voici un lien utile pour l’obtenir au format MP3.
La Cantiga de Santa Maria 311 et sa partition dans le codex des musiciens ( Códice de los Músicos, códice J.b.2) de la Bibliothèque de l’Escorial de Madrid
La cantiga de Santa Maria 311 et sa traduction en français actuel
Como Santa María de Monsarrat resuscitou un hóme que ía alá en romaría e morreu na carreira.
O que diz que servir hóme aa Virgen ren non é, aquest’ é de mal recado e hóme de maa fé.
Ca se en fazer serviço a un bon hóme pról ten, quanto mais na Virgen santa ond’ havemos todo ben; e quen aquesto non cree, sa creença non val ren, ca descre’ en Déus, séu Fillo, e en ela que Madr’ é. O que diz que servir hóme aa Virgen ren non é…
Comment Sainte-Marie de Montserrat ressuscita un homme qui se rendait là-bas en pèlerinage et mourut en chemin.
Celui qui dit que servir la vierge ne vaut pas la peine Celui là est un mauvais messager et un homme de mauvaise foi.
Car si rendre service à un homme bon a de la valeur Combien plus encore l’est de servir la vierge sainte dont nous recevons tous les bienfaits. Et celui qui ne croit pas en cela, sa foi ne vaut rien, Car il ne croit ni en Dieu, ni en son fils, ni en elle qui est sa mère Celui qui dit que servir la vierge n’est rien…
E de tal razôn miragre vos quéro óra mostrar, que d’ entender é mui bõo a quen i mentes parar, que a Virgen grorïosa de Monssarraz quis mostrar por un hóme que a sempre servía con mui gran fé. O que diz que servir hóme aa Virgen ren non é…
Et à ce propos, je veux vous exposer un miracle, Qui est fort édifiant pour qui y prête attention, Et que la vierge glorieuse de Montserrat voulut faire Pour un homme qui la servait toujours avec une grande foi. Celui qui dit que servir la vierge n’est rien…
El alí en romaría ía dous vezes ou tres no ano, e amizade havía con un borgês; e rogou-lli que na fésta qu’ é en meógo do mes d’ Agosto de sũu fossen, dizendo: “Logar sant’ é.” O que diz que servir hóme aa Virgen ren non é…
Il allait là-bas (à Montserrat) en pèlerinage deux ou trois fois l’an Et avait des amitiés avec un bourgeois ; Et il pria ce dernier de se rendre avec lui à la fête qui s’y donne En août, en lui disant : « C’est un lieu très saint. » Celui qui dit que servir la vierge ne vaut pas la peine…
Entôn ambos s’ acordaron por en romaría ir a Monssarraz. Mas primeiro, per quant’ end’ éu puid’ oír, passaron per Barçalona; e u quiséron saír da vila, começou lógo mal tempo, per bõa fé. O que diz que servir hóme aa Virgen ren non é…
Ainsi, ils s’accordèrent tous deux pour aller en pèlerinage A Montserrat. Mais avant cela, d’après ce que j’ai pu entendre, Ils passèrent par Barcelone ; et quand ils voulurent sortir De la ville, le temps commença à se gâter, de bonne foi (2) Celui qui dit que servir la vierge ne vaut pas la peine…
E fezo ventos mui grandes e começou de chover e alampos con torvões des i coriscos caer, assí que feriu un deles aquel hóme, que morrer o fez lógo mantenente; ca do corisc’ assí é
Et il souffla de très grands vents et il commença à pleuvoir Avec du tonnerre, de grandes turbulences et des éclairs qui tombaient De sorte qu’un de ses hommes fut blessé et mourut Peu de temps après, car il en va ainsi avec les éclairs
Que en quen fér lóg’ afoga ou talla ou queimar faz. Mais aquel hóm’ afogado foi, que pera Monssarraz ía sempre, com’ oístes; e séu compannôn assaz chorou por el e ar disse paravlas contra a fé,
Qui à l’un peuvent frapper, ou blesser ou faire se brûler. Cet homme qui se rendait toujours à Montserrat, Fut foudroyé, comme vous l’avez entendu ; et son compagnon Pleura beaucoup pour lui et prononça des paroles contre la foi,
dizendo: “Par Déus, amigo, muito empregásti mal quanto a Santa María servist’, e pois te non val nen te guardou desta mórte, per que o dém’ infernal levou ja de ti a alma; e, mal pecad’, assí é.” O que diz que servir hóme aa Virgen ren non é…
En disant : « Par Dieu, mon ami, tu t’employas bien mal En servant Sainte-Marie, et cela ne t’a rien valu, Ni ne t’a protégé de cette mort, car le démon de l’enfer a déjà emporté ton âme ; c’est bien triste pour toi, mais il en est ainsi. Celui qui dit que servir la vierge ne vaut pas la peine…
E outro día por ele ũa missa dizer fez, des i que o soterrassen, ca tal éra come pez tornado daquel corisco; e ar disse dessa vez paravras contra a Virgen onde naceu nóssa fé,
Le jour suivant, il fit dire un messe pour lui Et pour qu’on l’enterre, car ce dernier était noir Comme la poix par la faute de cet éclair, et il dit à nouveau Des mots contre la vierge en laquelle réside notre foi.
indo con el aa cóva chorand’ e dizend’ assí: “Mal empregásti téu tempo na Virgen, com’ aprendí, demais perdísti grand’ algo que lle désti; mais a mi nunca averrá aquesto, ca o méu na arca é.” O que diz que servir hóme aa Virgen ren non é…
Et se rendant avec le défunt en son caveau, il pleurait et disait : « Tu as bien mal employé ton temps dans la vierge, comme j’ai pu le voir, Et, plus encore, tu as perdu tout ce qui tu lui donnas en offrande ; Mais jamais cela ne m’arrivera, car ce qui est m’appartient reste bien à l’abri. » Celui qui dit que servir la vierge ne vaut pas la peine…
El aquest’ assí dizendo, resorgiu o mórt’ entôn e assentou-se no leito e diss’ aquesta razôn: “Mentes a guisa de mao, ca mia alm’ a perdiçôn fora, se non foss’ a Virgen, que chav’ é de nóssa fé,
Tandis qu’il parlait ainsi, le défunt ressuscita Et s’asseyant sur son lit funéraire, il parla de cette manière : « Tu mens comme un mauvais homme car mon âme aurait été en perdition, si cela ne fut grâce à la Vierge, qui est la clé de notre foi.
que me livrou de sas mãos u éra en poder séu; e porend’, enquant’ éu viva, sempre no coraçôn méu a terrei pera serví-la, e nunca me será gréu de ren que por ela faça, ca mui ben empregad’ é.” O que diz que servir hóme aa Virgen ren non é…
C’est elle qui me libéra des mains du démon quand j’étais en son pouvoir ; Et pour cela, tant quand je vivrai, je mettrai toujours mon cœur En quatre pour la servir, et jamais cela ne me sera pesant En rien, car tout ce que je fais pour elle, est fort bien employé. » Celui qui dit que servir la vierge ne vaut pas la peine…
Quand’ esto viron as gentes, déron todos gran loor aa Virgen grorïosa, Madre de Nóstro Sennor, que sempre seja loada enquanto o mundo for, ca é nóssa avogada, des i padrõa da fé. O que diz que servir hóme aa Virgen ren non é…
Quand les gens virent cela, ils firent de grandes louanges A la vierge glorieuse, Mère de notre Seigneur, Qu’elle soit toujours louée tant que je suis en ce monde Car elle est notre avocate et la mère patronne de notre foi, Celui qui dit que servir la vierge ne vaut pas la peine…
En vous souhaitant une belle journée. Fred Pour moyenagepassion.com A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.
Notes
(1) Matthieu 19.24. « Il est plus facile pour un chameau entre par un trou d’aiguille, que pour un riche d’entrer dans le royaume de Dieu. » (2)…, per bõa fé : petit doute sur cette formule placée à la fin de cette phrase et dont le sens, dans le contexte, serait à revérifier. Le temps se gâta pour la foi de nos pèlerins ? Le troubadour nous dit cela en toute bonne foi ?
NB : sur l’image d’en-tête, en arrière plan de la vierge noire de Montserrat, vous retrouverez la page du BNCF BR 20 et l’illustration de cette cantiga.
Sujet : musique médiévale, galaïco-portugais, culte marial, chant de louanges, nom de la vierge, chanson médiévale Période : XIIIe s, Moyen Âge central Auteur : Alphonse X de Castille (1221-1284) Titre : CSM 70, « En o nome de MARIA, cinque letras, no-mais, i há» Interprète : Universalia in Re Album : Cantigas de Santa Maria, Grandes Visiões (2012)
Bonjour à tous,
ujourd’hui, nous vous invitons à poursuivre notre exploration des musiques et chansons médiévales. Nous voguons, cette fois-ci, en direction des rives de l’Espagne du XIIIe siècle pour vous présenter un chant de louanges, la Cantiga de Santa Maria 70.
A partir du Moyen Âge central, le culte marial prend une forte importance dans le monde chrétien occidental et l’homme médiéval s’adresse, de plus en plus, directement à la vierge Marie ; femme et mère, douce et compréhensive, le croyant espère qu’elle pourra intercéder en sa faveur, auprès de son fils, le Christ, le « Dieu mort en croix », comme on le nomme souvent alors.
La Cantiga de Santa Maria 70 dans le superbe Codice Rico de la Bibliothèque Royale de l’Escurial à Madrid (Espagne)
Pèlerinages, miracles et dévotion
Si l’on prête de l’écoute, de la compassion et de la miséricorde à Marie, on lui reconnaît aussi d’immenses pouvoirs. Pour chercher le salut, le pardon et pour montrer sa dévotion, on fait même de nombreux pèlerinages vers les nombreuses églises ou cathédrales élevées en son honneur. Au Moyen Âge, les miracles qu’on lui prête sont aussi légion aux quatre coins d’Europe et même jusqu’en terre sainte (voir la cantiga 29 sur l’apparition de la vierge sur une pierre à Gethsémani). Ils courent le long des routes des pèlerinages et animent les chants de dévots. Au XIIIe siècle, le roi Alphonse X de Castille lancera une grande compilation d’une partie importante de ces récits dans ses Cantigas de Santa Maria. Ce vaste corpus de 417 chants et chansons sur le thème de la vierge demeure, encore aujourd’hui, une œuvre majeure témoignant du culte marial de la Castille médiévale et même d’au delà les frontières espagnoles.
A cette période, la dévotion à Marie soulève des montagnes en prenant la forme de pèlerinages, de témoignages de foi, de prières et de chants, mais la simple évocation de la sainte chrétienne peut même, quelquefois, suffire à produire des miracles. Dans le même esprit, les seules lettres de son prénom se drapent de vertus magiques et deviennent source de prodiges (voir cantiga 384, les clés du paradis pour l’écriture du nom de la vierge ). C’est le thème de la Cantiga Santa Maria du jour. Ce chant de louanges gravite en effet autour des cinq lettres de « Maria » et nous propose d’en décrypter le sens. Il y a quelque temps, nous avions déjà étudié, ici, une chanson très semblable du roi trouvère Thibaut IV , roi de Navarre et Comte de Champagne (voir du trez doux nom de la virge Marie). Celle de jour ne vient pas de sa cour mais de celle d’Alphonse le savant.
L’interprétation de la version de la Cantiga 70 par Universalia in Re
Universalia in Re et les musiques médiévales
Par les hasards de la programmation, l’interprétation que nous vous présentons, aujourd’hui, nous provient d’une formation musicale russe. Cela nous fournira l’occasion de dire qu’en ces temps de conflit, nous formons le vœu pour que la paix revienne et que des compromis soient rapidement trouvés entre ses deux nations historiquement très proches que sont la Russie et l’Ukraine. Nous espérons que les populations ukrainiennes, à l’est comme à l’ouest, se tiennent en sécurité mais également que toutes les parties tiers impliquées feront le nécessaire pour éviter l’escalade.
Cette parenthèse faite, revenons à l’ensemble de musique du jour. Il a pour nom Universalia in Re et est originaire de la ville de Nijni Novgorod. Dès sa création en 2001, ses fondateurs se sont concentrés sur la musique médiévale européenne des XIIIe et XIVe siècles. Par la suite, la formation a eu l’occasion de participer à de nombreux concerts et festivals de musique ancienne en Russie, en Ukraine, mais aussi en Pologne, en Estonie et en Suisse.
Cantigas de Santa Maria: Grandes Visiões
Sortie en 2012, l’album Grandes Visiões propose, sur une durée proche de 50 minutes, 8 cantigas de Santa Maria prises dans le répertoire d’Alphonse X. Le chant de louanges de la cantiga 70 que nous vous présentons aujourd’hui, ouvre l’album. On peut trouver ce dernier en ligne sous forme digitalisée, voici un lien utile pour l’obtenir : Cantigas de Santa Maria: Grandes Visiões. C’est le second album que Universalia in Re a consacré au Cantigas d’Alphonse X. le premier datait de 2005. A date et sauf erreur, cette production est aussi la dernière de l’ensemble médiéval.
La cantiga de Santa Maria 70 Paroles et traduction en français actuel
Esta é de loor de Santa María, das cinque lêteras que há no séu nome e o que quéren dizer.
En o nome de MARIA, cinque letras, no-mais, i há.
« EME » mostra Madr’ e Mayor, e mais Mansa, e mui Mellor de quant’ al fez Nostro Sennor nen que fazer poderia. En o nome de MARIA…
« A » demostra Avogada, Aposta e Aorada e Amiga, e Amada da mui Santa compannia. En o nome de MARIA…
« ERRE » mostra Ram’ e Rayz , e Reyn’ e emperadriz, Rosa do mundo e fiiz quena visse ben seria. En o nome de MARIA…
« I » nos mostra Jhesu Cristo, Justo, Juiz, e por isto foi por ela de nos visto, segun disso Ysaya. En o nome de MARIA…
« A » ar diz que Averemos, e que tod’ Acabaremos aquelo que nos queremos de Deus, pois ela nos guia. En o nome de MARIA…
Celle-ci (cette chanson) est un chant de louange à Sainte Marie, à propos des cinq lettres qu’il y a dans son nom et ce qu’elles signifient.
Dans le nom de Marie il y a cinq lettres, pas plus.
« M » nous montre la Mèreplus grande La plus dotée de Mansuétude, la Meilleure De tout ce que créa notre Seigneur Et de ce qu’il pourrait créer. Dans le nom de Marie…
« A » la montre Avocate, Apprêtée et Adorée, Amie et Aimée De très-sainte compagnie. Refrain
« R » la montre Rameaux (branches) et Racines Et Reine et impératrice, Rose du monde qui comblerait Celui qui la verrait. Refrain
« I » nous montre Jésus Christ Juste, Juge et c’est grâce à elle Qu’il nous fut révélé, Selon ce que dit Ésaïe. Refrain
« A » nous dit que nous Arriverons ÀAvoir et obtenir tout Ce que nous désirons De Dieu, puisqu’elle nous guide. Dans le nom de Marie Il y a cinq lettres, pas plus.
En vous souhaitant une belle journée. Fred Pour moyenagepassion.com A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.
NB : sur l’image d’en-tête, l’illustration et l’enluminure sont issues du Codice rico de la Bibliothèque royale du Monastère de l’Escurial, à Madrid. Ce manuscrit médiéval, également référencé Ms. T-I-1, peut désormais être consulté en ligne sur le site de la grande institution espagnole.
Sujet : musique médiévale, galaïco-portugais, culte marial, miracle, Cantiga Santa Maria 181. Période : XIIIe siècle, Moyen Âge central Auteur : Alphonse X de Castille, (1221-1284) Titre : « Pero que seja a gente d’outra lei e descreúda« Interprète : Raul Mallavibarrena, Rocio de Frutos, Musica Ficta et Ensemble Fontegara Album : Músicas Viajeras, Tres Culturas (2012)
Bonjour à tous,
ujourd’hui, nous nous laissons, de nouveau, entraîner en Espagne médiévale et à la cour d’Alphonse X, pour y découvrir un nouveau miracle du corpus des Cantigas de Santa Maria. Il s’agit, cette fois, de la Cantiga De Santa Maria 181.
Luttes entre dynasties berbères marocaines et dernier bastion Almohade
Cette fois ci, ce miracle médiéval sort totalement du cadre des pèlerins et dévots chrétiens puisque Marie viendra y intercéder en faveur d’un prince berbère et de ses troupes, contre un autre prince de même origine et de même confession. Dans le cadre du culte marial médiéval, le pouvoir de Marie n’a pas non plus de frontières. Pour preuve, l’histoire se déroule en terre marocaine et à Marrakech. Elle a pour cadre les luttes qui opposèrent, au XIIIe siècle, la dynastie berbère des Mérinides à celle des Almohades. Pour être plus précis, ce chant marial fait même très certainement référence au siège avorté de Marrakech en 1262.
Du point de vue des forces en présence, le prince qui tient la cité n’est pas mentionné dans la Cantiga 181 mais il s’agit vraisemblablement de Abû Hafs Umar al-Murtadâ, khalife almohade de Marrakech de 1248 à 1266. Il est illustré dans la miniature ci contre, tirée d’un des manuscrit médiéval des Cantigas de Santa Maria (manuscrit T ou Codex Rico Ms TI1 conservé à la bibliothèque de l’Escurial à Madrid). L’assiégeant, nommé Aboíuçaf dans la cantiga ne peut être que Abu Yusuf (Abû Yûsuf Yaqûb ben `Abd al-Haqq ), souverain et chef militaire de la dynastie mérinide qui convoitait alors la prise de la cité. Il échouera en 1262 même si sa persévérance lui permettra de parvenir à ses fins plus tard.
Ainsi, après l’échec du siège, il offrira son soutien à un chef rebelle almohade, cousin de ce même Khalife de Marrakech, afin qu’il renverse son parent. Y étant parvenu en 1266, le rebelle refusera de céder les clefs de la cité à Abu Yusuf et ce dernier devra attendre 1269 pour que la ville tombe définitivement dans ses mains, mettant fin à la régence marocaine de la dynastie almohade.
Marie du côté de ses amis mécréants
Pour revenir au miracle de la Cantiga de Santa Maria 181, il met donc en scène la Sainte en terre berbère et intercédant au cœur du conflit. Qu’il suffise de brandir sa bannière et de demander le soutien des chrétiens et de leur croix pour que, sitôt, Sainte Marie freine les ardeurs des guerriers les plus téméraires. Elle se rangera ici du côté de ceux qui, ayant foi en son pouvoir, invoquent sa protection, et qu’importe s’ils ne sont pas chrétiens et vivent sous une autre loi. Elle mettra en déroute les armées de l’assiégeant en soutenant le Khalife ayant eu la sagesse d’écouter ses conseillers.
On le voit, au Moyen Âge, le pouvoir du culte marial est infini et à chaque nouvelle cantiga, la sainte semble étendre sa capacité d’intercession sur les hommes et le monde toujours plus loin. Comment expliquer le fait que le Khalife berbère et musulman écoute ses conseillers, eux-mêmes réceptifs au pouvoir de la Sainte ? Marie (Maryam) est largement mentionnée dans le Coran (plus de trente fois). Elle est considérée comme une femme de grande vertu et le miracle de la nativité, tout comme la reconnaissance de Jésus (Īsā) y sont également repris. Rapprochement volontaire ou non de la part de Alphonse X, ce détail vient ajouter une certaine touche de crédibilité au miracle.
Aboíuçaf dans les cantigas de Santa Maria
Une autre cantiga de Santa Maria, la 169, mentionne le même Aboíuçaf (Aboyuçaf). Cette fois, le thème de ce miracle marial sera les vaines tentatives pour tenter de détruire une église chrétienne dédiée à la Vierge dans la région de Murcia, district alors aux mains des musulmans. Finalement, l’Eglise ne sera pas détruite malgré un accord de principe concédé du bout des lèvres par Alphonse X. Pressé de mettre à bas le lieu de culte marial par ses sujets, le seigneur musulman de Murcia y renoncera pourtant exhortant les empressés de craindre de s’en prendre à la sainte vierge. Plus tard, une autre tentative pour détruire l’édifice, cette fois conduite par Aboíuçaf, échouera également.
La cantiga de Santa Maria 181 sous la direction de Raul Mallavibarrena
Raúl Mallavibarrena à la découverte des trois cultures de l’Espagne médiévale
Nous avions déjà eu l’occasion de vous toucher un mot ici des deux formations médiévales Musica Ficta et Ensemble Fontegara, ainsi que de leur fondateur et directeur Raúl Mallavibarrena, également directeur de la maison d’édition musicale Enchiriadis (voir article précédent à leur sujet).
Au début des années 2010, ce dernier s’adjoignait la collaboration de la chanteuse soprano Rocío de Frutos, mais aussi de la célèbre flutiste Tamar Lalo pour un album intitulé Músicas Viajeras : Tres Culturas. Comme son titre l’indique, il s’agissait là d’un voyage musical autour des fameuses trois cultures de l’Espagne médiévale, souvent mises en exergue par une nombre important d’ensembles médiévaux ibériques modernes.
Avec 15 pièces « itinérantes », ce riche album ne s’arrête pas aux Cantigas de Santa Maria d’Alphonse X. De fait, il n’en présente même que deux ; la cantiga 156 et celle du jour, la 181. Pour le reste, il offre plutôt une sélection qui alterne divers ensembles ou solistes et leur permette de mettre en avant leur Moyen Âge des trois cultures. La version CD est épuisée à date de cet article mais mais vous pouvez trouver la version numérisée de cet album en ligne. Voici un lien utile pour cela : Músicas Viajeras : Tres Culturas
Musiciens ayant participé à cet album
Tamar Lalo (flûtes) Sara Ruiz (viole de gambe) Manuel Vilas (harpe) , Rocío de Frutos (Soprano), Musica Ficta, Ensemble Fontegara, Raúl Mallavibarrena (direction).
La cantigas de Santa Maria 181 En galaïco-portugais et en français actuel
Esta é como Aboíuçaf foi desbaratado en Marrócos pela sina de Santa María.
Pero que seja a gente d’outra lei e descreuda, os que a Virgen mais aman, a esses ela ajuda.
Celle-ci raconte comment Abu Youssouf fut vaincu à Marrakech par la bannière de Sainte Marie.
Pour autant que les gens soient D’une autre loi et incroyants (mécréants) À ceux qui aiment le plus à la vierge, À ceux-là, elle vient en secours.
Fremosa miragre desto fez a Virgen groriosa na cidade de Marrocos, que é mui gran’ e fremosa, a un rei que era ende sennor, que perigoosa guerra con outro avia, per que gran mester ajuda. Pero que seja a gente…
Un merveilleux miracle à ce sujet, Fit la vierge glorieuse En la cité de Marrakech, Qui est très grande et belle, Et dans laquelle, il y avait un roi Qui était son seigneur, mais qui était engagé Dans une guerre dangereuse Contre un autre roi. Ce pourquoi, il avait besoin d’une grande aide. Refrain
Avia de quen lla désse: ca assi corn’ el cercado jazia dentr’ en Marrocos ca o outro ja passado era per un grande rio que Morabe é chamado con muitos de cavaleiros e mui gran gente miuda. Pero que seja a gente…
De la part de qui pouvait lui donner ; Ainsi, alors qu’il était reclus A l’intérieur de Marrakech, Son ennemi était déjà passé Par un grand fleuve, Qu’on nomme Morabe, Avec un grand nombre de chevaliers Et de nombreux gens à pied (fantassins). Refrain
E corrian pelas portas da vila, e quant’ achavan que fosse fora dos muros todo per força fillavan. E porend’ os de Marrocos al Rei tal conssello davan que saisse da cidade con bõa gent’ esleuda. Pero que seja a gente…
Et ceux-là couraient en direction des portes De la ville et tout ce qu’ils trouvaient qui fut hors des murs, Ils le dérobaient. Si bien que ceux de Marrakech, Donnèrent au roi ce conseil : Qu’il sorte de la ville, Avec des personnes de qualitéet bien choisies Refrain
D’armas e que mantenente cono outro rei lidasse e logo fora da vila a sina sacar mandasse da Virgen Santa Maria, e que per ren non dultasse que os logo non vencesse, pois la ouvesse tenduda. Pero que seja a gente…
En armes, et qu’instamment Il se présente face à l’autre roi. Et qu’une fois sortis de la ville, Ils brandissent l’étendard De la vierge Sainte Marie, Afin qu’en aucune façon, ses ennemis ne doutent Qu’ils seraient vaincus sur le champ, Aussitôt que la bannière serait dressée. Refrain
Demais, que sair fesesse dos crishõos o concello conas cruzes da eigreja. E el creeu seu consello; e poi-la sina sacaron daquela que é espello dos angeos e dos santos, e dos mouros foi viuda. Pero que seja a gente…
En plus de cela, le roi devrait encore faire sortir la communauté chrétienne Portant les croix de l’Eglise. Ce dernier tint compte du conseil. Et après qu’ils déployèrent l’étendard de celle qui est le miroir Des anges et des saints, Il fut vu par les maures. Refrain
Que eran da outra parte, atal espant’ en colleron que, pero gran poder era, logo todos se venceron, e as tendas que trouxeran e o al todo perderon, e morreu y muita gente dessa fea e barvuda. Pero que seja a gente…
Qui se tenaient de l’autre côté, Et ces derniers furent pris d’une telle terreur Que, malgré leur grand pouvoir, Ils se déclarèrent tous vaincus. Et les tentes qu’ils avaient apportées, Et tout le reste, ils le perdirent, Et, là-bas, moururent beaucoup de ses gens Barbus et disgracieux. Refrain
E per Morabe passaron que ante passad’ ouveran, en sen que perdud’ avian todo quant’ ali trouxeran, atan gran medo da sina e das cruzes y preseran, que fogindo non avia niun redea teuda. Pero que seja a gente…
Et ils repassèrent par le Morabe Qu’ils avaient passé auparavant Et malgré qu’ils aient perdu Tout ce qu’ils avaient emmené avec eux Ils avaient eu si peur de l’étendard Et des croix Que, dans leur fuite, Pas un d’entre eux ne tenait ses rênes en main. Refrain
E assi Santa Maria ajudou a seus amigos, pero que d’outra lei eran, a britar seus eemigos que, macar que eran muitos, nonos preçaron dous figos, e assi foi ssa mercee de todos mui connoçuda. Pero que seja a gente…
Et c’est ainsi que sainte Marie Aida ses amis, Bien qu’ils fussent d’une autre loi, À briser leurs ennemis Qui, bien qu’ils fussent très nombreux, Ne valurent pas deux figues, Et ainsi sa grande miséricorde Fut bien connue de tous. Refrain
Frédéric EFFE Pour moyenagepassion.com A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.
NB : la miniature médiévale ayant servi à l’image d’en-tête est également tirée du Codex Rico, Ms TI1. Ce manuscrit médiéval daté du courant du XIIIe siècle est conservé à la bibliothèque de l’Escurial de Madrid. On y voit clairement les forces en présence et la bannière de la Sainte évoquées dans la cantiga.