Sujet : poésie médiévale mise en chanson, Rutebeuf, complainte Titre : Pauvre Rutebeuf, la Complainte de l’Amitié Auteur : Rutebeuf, Léo Ferré (1916-1993) Interprète : Philippe Léotard
Bonjour à tous,
oilà quelques temps que nous n’avons rien publié autour de Rutebeuf et, une fois encore, c’est par l’intermédiaire de Léo Ferré que nous allons le faire en revenant sur cette chanson « Pauvre Rutebeuf » que l’on appelle encore la complainte de l’amitié et que le célèbre chanteur et auteur anarchiste écrivit, dans les années cinquante, en hommage au poète du XIIIe siècle.
Aujourd’hui, nous postons aussi les vers originaux de la poésie de Rutebeuf qui inspirèrent Léo Ferré. Il est indéniable que ce dernier y mit sa plume et son talent autant que sa grande sensibilité, ne se contentant pas simplement de traduire le poète médiéval. De fait, sa version est très librement inspirée et emprunte même à d’autres extraits de Rutebeuf autant que s’y mêle un véritable travail d’écriture poétique. Mettre les deux versions en miroir permet de mesurer un peu mieux cette distance d’une poésie à l’autre.
Philippe Léotard, le coeur au bord du gouffre
« Tout le monde aimerait qu’il ne manque personne à sa solitude. Qu’ on se réjouisse ou qu’ on se lamente, quand on est seul, c’est tout de même aux yeux du monde ! »
Philippe Léotard – Clinique de la raison close
omme nous l’avions évoqué lors d’un article précédent, cette chanson de Léo Ferré à donné lieu à d’innombrables versions, mais nous voulons profiter de l’occasion du jour pour en partager une très spéciale. Elle nous vient du regretté Philippe Léotard, artiste écorché vif, acteur, chanteur, poète et écrivain anticonformiste de talent que la vie a fini par emporter, de boires en déboires, à l’âge de soixante et un ans. C’était il y a maintenant plus de quinze ans, presque jour pour jour, le 27 août 2001, aussi que cette pensée s’envole jusqu’à lui, et que cet article permette de le faire revivre le temps d’une chanson.
Au delà de la coïncidence des dates, cette version est encore très particulière à deux titres au moins. Dans sa forme, elle nous permet de nous délecter de la voix éraillée de Philippe Léotard et de la sensibilité unique de ce coeur qui semblait toujours être au bord du gouffre. Sur le fond, c’est aussi un hommage en cascade qui raisonne de la voix de trois véritables artistes et poètes, à travers les temps et les âges, du monde médiéval à nos jours.
La version originale de Rutebeuf
Li mal ne sevent seul venir; Tout ce m’estoit a avenir, S’est avenu. Que sont mi ami devenu Que j’avoie si pres tenu Et tant amé ? Je cuit qu’il sont trop cler semé; Il ne furent pas bien femé, Si ont failli. Itel ami m’ont mal bailli, C’onques, tant com Diex m’assailli En maint costé, N’en vi un seul en mon osté. Je cuit li vens les a osté, L’amor est morte. Ce sont ami que vens enporte, Et il ventoit devant ma porte Ses enporta. C’onques nus ne m’en conforta Ne du sien riens ne m’aporta. Ice m’aprent Qui auques a, privé le prent; Més cil trop a tart se repent Qui trop a mis De son avoir pour fere amis, Qu’il nes trueve entiers ne demis A lui secorre. Or lerai donc fortune corre Si entendrai a moi rescorre Si jel puis fere.
La complainte de l’Amitié ou Pauvre
Rutebeuf de Léo Ferré
Que sont mes amis devenus Que j’avais de si près tenus Et tant aimés Ils ont été trop clairsemés Je crois le vent les a ôtés L’amour est morte Ce sont amis que vent me porte Et il ventait devant ma porte Les emporta
Avec le temps qu’arbre défeuille
Quand il ne reste en branche feuille
Qui n’aille à terre
Avec pauvreté qui m’atterre
Qui de partout me fait la guerre
Au temps d’hiver
Ne convient pas que vous raconte
Comment je me suis mis à honte
En quelle manière
Que sont mes amis devenus
Que j’avais de si près tenus
Et tant aimés
Ils ont été trop clairsemés
Je crois le vent les a ôtés
L’amour est morte
Le mal ne sait pas seul venir
Tout ce qui m’était à venir
M’est advenu
Pauvre sens et pauvre mémoire
M’a Dieu donné, le roi de gloire
Et pauvre rente
Et droit au cul quand bise vente
Le vent me vient, le vent m’évente
L’amour est morte
Ce sont amis que vent emporte
Et il ventait devant ma porte
Les emporta
En vous souhaitant une très belle journée! Pleut-il chez vous? Ici, les tropiques n’en finissent pas de s’épancher en belles pluies capricieuses.
Fred
Pour moyenagepassion.com « L’ardente passion, que nul frein ne retient, poursuit ce qu’elle veut et non ce qui convient. »Publilius Syrus Ier s. av. J.-C.
Sujet : troubadours modernes, musique traditionnelle, folk, musique ancienne , musique « aux faux airs » médiéval, chansons. Auteur-compositeur : David Anderson Titre original : Copshawholme fair, retitré « the market song » par FAUN Période : XIXe siècle, 1830 Interprètes : FAUN Album : Eden (2011)
Bonjour à tous,
‘est avec un peu de musique folk aux sonorités médiévales que nous partageons avec vous ce dimanche de la mi-août passée, en espérant que votre fin de semaine se déroule sous les meilleurs auspices et dans la joie.
FAUN et le folk néo-médiéval et celtique allemand
Pour ce moment musical d’inspiration médiévale, nous retrouvons encore ici le groupe de musique de folk néo-médiéval allemand FAUN auquel nous avions déjà dédié un article. Cette fois- ci, c’est un morceau vocal et une chanson qu’ils nous interprètent. Elle nous entraîne au marché ou à la foire de Copshawholme, dans un petit village écossais du nom de Newcastleton.
Il est toujours amusant de voir les glissements et la façon dont notre imaginaire moderne définit comme médiéval, ce qui ne lui appartient déjà plus. Originellement, cette chanson a été, en effet, écrite dans le courant du XIXe siècle, en 1830 et publiée pour la première fois en 1868, par un poète et compositeur local du village de Newcastletown: David ANDERSON. Elle ne provient donc pas du tout du Moyen Âge même si elle pourrait en avoir de faux airs et elle appartient plutôt au genre traditionnel et populaire en provenance de Grande Bretagne et plus spécifiquement d’Ecosse.
Comme nous l’avons déjà fait à quelques reprises ici et sans jouer les démystificateurs mais plutôt pour le constater, au mieux pour en sourire, nous postons donc dans la rubrique musique médiévale une chanson qui n’a rien de médiévale. C’est un peu paradoxal et si cela permet de rétablir un peu les choses, cela nous permet surtout de remarquer une fois de plus combien le Moyen Âge qui existe dans notre imaginaire semble doter d’une élasticité particulière. Au fond, c’est sans doute tout à l’honneur de cette longue période de temps et de l’attraction qu’elle exerce sur nous si nous voulons, si souvent, y faire entrer bien plus qu’elle ne contient déjà.
Quoiqu’il en soit et pour en revenir à la composition originale de David ANDERSON, comme de nombreux titres repris de nos jours par des bandes médiévales ou folk, cette chanson avait déjà été enregistrée dans les années 70, notamment, par le groupe folk anglais Steeleye Span et on lui compte encore de nombreuses autres versions plus anciennes ou plus récentes, dont une autre excellente et dans un tout autre style, datant de 2011. On la doit au groupe anglais Bellowhead et nous ne résistons pas à vous la faire partager aussi.
Vous noterez qu’à mélodie et paroles égales, l‘interprétation est ici bien plus résolument proche du folk irlandais des Pogues que du style easy-listening médiéval de FAUN. (ci contre la photo du chanteur Jon BODEN du groupe Bellowhead)
Une autre version de la même chanson par le groupe Bellowhead
De la foire de Copshawholme au festival de musique folk et traditionnelle
Pour ce qui est du décor, depuis la création du nouveau village de Castletown en 1790, un marché agricole s’y tenait. On y exposait des produits de la terre, on y dansait et festoyait, mais on y recrutait aussi de la main d’œuvre pour les labours. David ANDERSON, l’auteur compositeur de cette chanson, qui fait partie de cette vague de poètes qui encensait alors la vie en marge des villes et la nature, a immortalisé cette foire, la faisant ainsi entrer dans la légende. L’événement se tint au village jusqu’à 1914, mais depuis les années 70, le lieu accueille à nouveau un festival de musique traditionnelle et de folk qui porte le nom de l’ancienne foire de la chanson : « CopshawHolme », qui se trouve être également l’autre nom donné au village de Newcastletown.
Les paroles de « Copshawholme fair » de David Anderson, reprise sous le titre « The Market Song » par Faun
Une fois n’est pas coutume, comme la chanson originale est en anglais, c’est dans cette langue que nous vous livrons les paroles. Du point de vue du sens général et pour vous en faire une idée, l’histoire raconte tout ce que l’on trouve à la foire de CopshawHolme où entre danses, musiques, marchands, produits de toutes sortes et bonne compagnie – puisque les jeunes demoiselles peuvent même y trouver chaussure à leur pied -, tout le monde y trouve son compte et son bonheur.
On a fine evening fair in the month of april O’er the hill came the sun with a smile, And the folks they were throngin’ the roads everywhere, Makin’ haste to be in at Copshawholme Fair. I’ve seen ’em a-comin’ in from the mountains and glens, Those rosy-faced lasses and strappin’ young men, With a joy in their heart and unburdened o’ care, A-meetin’ old friends at Copshawholme Fair.
Who ever joined our gathering and danced under the garlands green will never be the same again Now rest your head and stay a while and dwell with us the summers night and you’ll never be the same again
There are lads for the lasses, there’s toys for the bairns, There are jugglers and tumblers and folks with no arms, There’s a ballad-singer here and a fiddler there, There are nut-men and spice-men at Copshawholme Fair. There are peddlers and potters and gingerbread stands, There are peepshows and popping-darts and the green caravans, There’s fruit from all nations exhibited there, With kale plants from Orange at Copshawholme Fair.
You came a long way, you travelled for so long. Now rest your head before the summers gone, Meet us in the sunny fields, meet us in the greenwood deep step in our faerie ring and you’ll never be the same again.
When the hirin’s o’er, off they all sprang Into the ballroom for to join in the throng, And « I Never Vill Lie With My Mammy Nae Mair » The fiddles play briskly at Copshawholme Fair.
Une belle journée à tous.
Fred
Pour Moyenagepassion.com « L’ardente passion, que nul frein ne retient, poursuit ce qu’elle veut et non ce qui convient. »Publiliue Syrus Ier s. av. J.-C
Sujet : musique et poésie médiévale, chanson, trouvère, roi poète, roi troubadour, amour courtois. Auteur : Thibaut de Champagne, Thibaut de Navarre, Thibaut le chansonnier Titre : Ausi conme unicorne sui Période : Moyen Âge central
Interprète :FAUN Album : Totem (2007)
Bonjour à tous,
‘est toujours un plaisir que de pouvoir poster ici quelques textes ou quelques éléments d’histoire supplémentaires concernant le roi poète et trouvère Thibaut le chansonnier, roi de Navarre et comte de Champagne (1201-1253).*
Pour nous changer un peu de ses deux derniers textes qui gravitaient autour du thème des croisades, c’est ici une ode à l’amour courtois que nous vous proposons. Elle prend la forme d’un animal de légende très présent dans les bestiaires et l’imagerie du Moyen Âge: la licorne.
La licorne ou le monocéros,
créature mythique des bestiaires médiévaux
La licorne dans les bestiaires du Moyen Âge, ici tirée du Historiae Animalium de Conrad Gessner, XVIe siècle (1551)
Même si on la connait depuis l’antiquité, on retrouve la mythique licorne de la légende à laquelle se réfère Thibaut de Champagne dans notre poésie du jour, à partir du haut Moyen Âge et plus exactement du IVe siècle. On la nomme alors Monocéros ou unicorne et elle est décrite comme une créature puissante et sauvage, que, dit-on, seule une vierge peut aider à capturer. L’animal en voyant la pure jeune fille, viendrait, en effet, trouver refuge en son sein et la belle n’aurait alors qu’à lui laisser téter son lait pour que la bête devenue docile et soumise puisse être capturée ou abattue.
ci contre illustration de chasse à la licorne, XIIIe siècle, Bestiaire de Rochester (1230)
Voilà donc, ici, une poésie de notre bon roé de Navarre, Thibaut de Champagne, captif de son amour et toute à sa fascination pour l’objet de son désir, laissé sans plus de défense que cette fameuse licorne de la légende, devant une vierge.
Le chansonnier Cangé : manuscrit ancien de poésie françoise du XIIIe siècle
On retrouve cette chanson de Thibaut de Champagne dans le manuscrit 846 de la Bibliothèque Nationale de France: le Chansonnier Cangé. Cet ouvrage est, comme son nom l’indique, un recueil de chansons de troubadours de la fin du XIIIe siècle.
Il vaut la peine, ici, d’en dire un mot parce qu’outre le fait que l’original nous vient du XIIIe siècle, la version que nous connaissons de ce manuscrit est le fruit du travail d’un passionné collectionneur de la poésie et de la musique des troubadours d’alors; il a pour nom Jean-Baptiste Châtre de Cangé et est contemporain du XVIIIe siècle.
Il acquit, en effet, le manuscrit en question en 1724 et comme il possédait également d’autres recueils de chansons, se mit même à annoter les pages du manuscrit, comparant entre elles les chansons des troubadours et de trouvères et recoupant les différentes versions. Il en résulte que ce manuscrit ancien, annoté de la main de ce collectionneur, porte désormais son nom et reste, au demeurant, un précieux témoin du monde médiéval et de l’art des troubadours et trouvères du XIIIe siècle.
Outre le fait qu’il recèle des trésors de la poésie française du Moyen Âge central, les annotations musicales originales qui accompagnent ces chansons sont aussi particulièrement remarquables. Le Chansonnier Cangé reste, en effet, un des rares ouvrages faisant état d’une écriture musicale qui comprend les temps et la rythmique. Si vous vous souvenez, nous avions mentionné dans un article précédent sur l’art des troubadours, que la plupart du temps, les compositeurs utilisaient une autre forme d’écriture musicale et n’annotaient pas les rythmes, laissant en quelque sorte la libre interprétation de ces aspects au troubadour ou au trouvère.
Sur le fond, le Chansonnier Cangé contient plus de 351 chansons et forme une véritable anthologie de la poésie des troubadours sur le thème de l’amour courtois. On y retrouve en plus de Thibaut de Champagne qui y est à l’honneur avec 64 de ses chansons, suivi de près par Gace Brûlé avec 46 chansons, d’autres noms célèbres tels que Adam de la Halle, Richard Coeur de Lion et d’autres encore, mais aussi un certain nombre de chansons et compositions d’auteur étant demeurés anonymes.
Faun, « folk celtique néo-médiéval païen » en provenance d’Allemagne
Il existe des versions bien plus lyriques de cette pièce de Thibaut de Champagne que celle que nous vous proposons d’aujourd’hui, cette dernière appartenant à un registre plus résolument folk médiéval. Elle est interprétée par FAUN, une formation relativement récente de musiciens et d’artistes allemands qui a fait ses premières armes en 2002. Le groupe se définit lui-même comme proposant une musique qui « fusionne les sons anciens et médiévaux, le folk celtique et nordique avec la musique moderne », d’où le nom de « folk néo-médiéval celtique » qu’on lui donne souvent et qui sonne un peu tout de même comme une appellation marketing clinquante pour inscrire leur travail dans un genre. Si je voulais faire court et sans déprécier du tout leurs talents, je dirais que FAUN est un peu à la musique médiévale ce que le Rondo Veneziano était à la musique classique. On n’est dans l’easy listening celtique à consonances médiévales (ce qui n’exclut pas bien sûr la qualité, mais qui reste une manière de montrer que, quand je m’y mets, je peux moi-aussi inventer des mots qui claquent bien). Bref, vous l’avez compris, leur travail les situe dans un Moyen Âge plus résolument allégorique et imaginaire que classique.
Au delà du fait qu’il est toujours intéressant de voir comment le monde médiéval s’invite dans l’actualité de notre XXIe siècle, on trouve du reste chez FAUN des choses très agréables à écouter. A en juger, nous ne sommes pas les seuls à partager ce goût, puisqu’ils furent nominés à trois reprises pour les « Echo », le music awards allemand. Le groupe est aussi très actif et productif puisqu’on leur doit déjà, à ce jour, 8 CDs et quelques tournées d’envergure mondiale : USA, Brésil et j’en passe. Le néo médiéval folk celtique païen semble donc aussi entré dans la World Music. Pour ce qui est du morceau d’aujourd’hui, qui est un classique médiéval revisité par leurs soins, la performance vocale de la chanteuse reste très convaincante et que les choix mélodiques sont aussi très agréables, mais je vous laisse vous en faire une idée.
Tout cela étant dit, voilà le texte de cette chanson de Thibaut de Navarre, en vieux français du XIIIe siècle que nous nous fendrons sans doute d’adapter en français moderne sous peu.
Les paroles de la chanson de Thibaut de Champagne en vieux français
Ausi conme unicorne sui Qui s’esbahist en regardant, Quant la pucelle va mirant. Tant est liee de son ennui, Pasmee chiet en son giron; Lors l’ocit on en traïson. Et moi ont mort d’autel senblant Amors et ma dame, por voir : Mon cuer ont, n’en puis point ravoir.
Dame, quant je devant vous fui Et je vous vi premierement, Mes cuers aloit si tressaillant Qu’il vous remest, quant je m’en mui. Lors fu menez sans raençon En la douce chartre en prison Dont li piler sont de talent Et li huis sont de biau veior Et li anel de bon espoir.
De la chartre a la clef Amors Et si i a mis trois portiers : Biau Senblant a non li premiers, Et Biautez cele en fet seignors; Dangier a mis en l’uis devant, Un ort, felon, vilain, puant, Qui mult est maus et pautoniers. Ciol troi sont et viste et hardi: Mult ont tost un honme saisi.
Qui porroit sousfrir les tristors Et les assauz de ces huissiers? Onques Rollanz ne Oliviers Ne vainquirent si granz estors; Il vainquirent en combatant, Més ceus vaint on humiliant. Sousfrirs en est gonfanoniers; En cest estor dont je vous di N’a nul secors fors de merci.
Dame, je ne dout més rien plus Que tant que faille a vous amer. Tant ai apris a endurer Que je suis vostres tout par us; Et se il vous en pesoit bien, Ne m’en puis je partir pour rien Que je n’aie le remenbrer Et que mes cuers ne soit adés En la prison et de moi prés.
Dame, quant je ne sai guiler, Merciz seroit de seson més De soustenir si greveus fés.
En vous souhaitant une belle journée!
Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes
* J’en profite pour faire ici une petite parenthèse sur l’orthographe du prénom Thibaud, ou Thibault ou Thibaut qui n’a décidément jamais l’air de savoir comment il veut s’écrire. Nous avons donc décidé ici, une bonne fois pour toutes, de l’écrire avec un T mais vous trouverez le roi de Navarre sous toutes les formes possibles de l’orthographe de son prénom.
Sujet : poésie, musique médiévale,langue d’oc, occitan, provençal, langues des troubadours Période : du moyen-âge à nos jours Média : vidéo documentaire
Bonjour à tous,
t si on parlait un peu d’histoire des langues sur notre belle terre de France aujourd’hui et notamment du parlé et du chanté des mythiques troubadours provençaux du moyen-âge? Voici donc quelques réflexions et informations sur le sujet, accompagnées d’un documentaire court mais très informatif aux couleurs du Languedoc d’aujourd’hui et de la belle langue provençale d’oc, de ses racines passées à ses plus belles feuilles contemporaines. Nous parlerons ensuite de manière un peu plus précise des troubadours.
Vidéo-documentaire sur la langue occitane
On sourira peut-être à la pensée que c’est à un poète-écrivain Italien du moyen-âge, le grand Dante Alighieri (portrait ci-dessous par Sandro Botticelli, 1495) que l’on doit une des premières mentions de la langue d’oc. Il avait en effet dans son ouvrage « De vulgari eloquentia » (le parler commun ou le parler « vulgaire » au sens commun) classifié les langues romanes suivant la façon de dire « Oui ».: « Oil » au nord, « Oc » au Sud, « Si » en Italie.
Langue millénaire parlée par une bonne moitié sud de la France pendant de nombreux siècles et jusqu’à aujourd’hui dans une moindre mesure, on fait remonter la naissance de l’occitan autour du VIIIe siècle. C’est donc une langue romane qui a aussi des formes dialectales et dont l’espace allait alors de l’Atlantique à la plaine du Pô en Italie, jusqu’au nord du Massif Central et des Pyrénées.
Pour la période médiévale qui nous concerne, on doit, entre autres choses, à la langue d’oc et à ses troubadours la création d’une forme poétique chantée unique en son genre qui comprend, notamment, les grands chants courtois et qui rayonna au delà des frontières occitanes dans le bassin méditerranéen et bien sûr jusqu’au nord de la France où les trouvères qui, eux, s’exprimaient en vieux français et ou plutôt même en langue d’oil, s’en inspirèrent largement.
L’Art des troubadours et la langue d’Oc
au coeur du moyen-âge central
Dans un article sur la question des troubadours (universalis en ligne), Paul Zumthor, romancier et poète suisse, spécialiste de poésie médiévale, nous apprend que l’on dénombrait entre les années 1100 et 1350 et dans la France médiévale, plus de 450 troubadours et plus de 2500 chansons. Ces chiffres donnent la mesure de l’ampleur du phénomène et du berceau de créativité incroyable qu’a été le pays d’oc durant ces périodes. Des artistes, hommes et femmes (les « trobairitz »photo ci-dessous) s’adonnent à cet Art musical et poétique et la « canso » occitane (chanson, vers chantés) connaît son apogée.
Il n’y a pas, alors, dans les chansons des troubadours que les chants d’amour courtois que l’on a souvent retenu. Ces poètes de monde médiéval déclinent, en effet, leur Art sous d’autres formes: polémiques ou satiriques (le Sirventès), ou en forme d’homélie ou de lamentations sur la mort d’un être aimé (le Planh). Fait qui nous en dit encore beaucoup sur les troubadours et l’exercice de leur art, l’absence de notation dans les compositions laisse alors libre champ à l’interprétation de l’artiste sur la rythmique: « le compositeur abandonnait à son interprète le soin de quantifier les temps »(Paul Zumthor. op cité). Au fond, le troubadour et son Art n’existent que face à un public et pour ce public. Dans le même esprit, il y aura aussi les chants improvisés, mais encore les défis poétiques que se lancent entre eux les troubadours pour donner le spectacle. Même si cet leur Art obéit dans l’écriture à des codes, cela reste donc bien une école de la créativité et du jeu.
Les racines et les influences des troubadours et de leurs « cansos » (chansons)
Le plus étonnant de ce phénomène artistique et de ces troubadours qui enflammèrent littéralement le moyen-âge demeure que l’on n’a toujours pas trouvé les traces d’une inspiration claire des formes artistiques uniques qu’ils ont crée; entendez par là qu’historiquement, les formes musicales et versifiées de leur poésie leur sont propres et sont originales, Elles ne semblent pas émerger clairement de quelques copies ou influences « historiques » directes leur ayant pré-existé. On a émis quelquefois l’hypothèse que l’ouverture à l’Espagne musulmane d’alors et certaines formes de poésies soufies aient pu les inspirer mais rien ne permet de l’établir de manière certaine. Il est possible encore que certaines formes musicales sémitiques aient également influencé certains d’entre eux; les communautés juives étant alors nombreuses en France méridionale et médiévale. Quoiqu’il en soit, on reste, face à tout cela, dans le champ des hypothèses et si ce petit monde des troubadours semble bien s’entendre sur des formes artistiques « communes », il demeure relativement hétérogène.
Les amours impossibles et contrariées de Tristan et Yseult par Rogelio de Egusquiza y Barrena (XIXe siècle)
Pour avoir une vision un peu plus complète du tableau, il faut ajouter que ces artistes, qu’ils soient rois, chevaliers, clercs ou même anonymes, avaient souvent, à leur actif, une bonne culture latine. Concernant enfin les formes de l’amour courtois dont ils feront une promotion active, marquant ainsi à jamais notre littérature comme notre culture, l’influence des légendes celtiques de Tristan et Yseult a aussi indéniablement compté au nombre de leurs sources d’inspiration. Cette légende et de nombreux récits autour d’elle seront, en effet, publiés sous plusieurs formes en Europe dans le courant même du XIIe siècle (Angleterre, France, Allemagne) et des troubadours tels que Bernard de Ventadorn (portrait ci-contre, enluminure du XIIIe siècle) ou Raimbaut d’Orange auront tôt fait, dès ce même siècle, de les chanter, en comparant leurs propres amours à celles contrariées des deux amants bretons qui, ne pouvant le faire de leur vivant, choisirent pour s’aimer de se rejoindre dans la mort.
Bernard de Ventadour (Ventadorn), « Tant ai mo cor ple de joya »
Extrait en version originale occitane
« Eu n’ai la bon’ esperansa. Mas petit m’aonda, C’atressi.m ten en balansa Com la naus en l’onda. Del mal pes que.m desenansa, No sai on m’esconda. Tota noih me vir’ e.m lansa Desobre l’esponda. Plus trac pena d’amor De Tristan l’amador, Que.n sofri manhta dolor Per Izeut la blonda. »
Traduction français moderne
« j’ai le coeur si plein de joie »
« Je garde bonne espérance, – Qui m’aide bien peu – Car mon âme est balancée Comme nef sur l’onde. Du souci qui me déprime Où m’abriterai-je? La nuit il m’agite et jette Sur le bord du lit : Je souffre plus d’amour Que l’amoureux Tristan Qui endura maints tourments Pour Iseult la blonde. «
Bernard de Ventadour ou Bernard de Ventadorn (1145-1195)
Quelques réflexions hors champ
pour élargir un peu sur le mythe de Babel
« Une langue différente est une autre vision de la vie »
Federico Fellini
Theodor Rombouts -le joueur de Luth, (The Lute Player), XVIIe siècle
Pardonnez-nous la digression qui va suivre mais tout cela nous donne l’occasion de parler un peu de l’apprentissage des langues en général parce qu’au delà de l’appellation « langue régionale » qui semble quelquefois reléguer le débat à quelques documentaires aux heures de peu d’écoute de France 3, il faut se souvenir que plus qu’un assemblage de mots, chaque langue cache d’infinies richesses, un monde de représentations, une façon d’être au monde et de le percevoir. Un mot, un vocable, ne désigne pas seulement la chose mais il l’a crée aussi ou lui donne corps. Chez les touaregs et l’exemple est connu, il existe de nombreux mots pour désigner le sable parce que l’observation et la connaissance de leur milieu de vie les ont conduits à percevoir des nuances là où l’étranger n’y voit goutte (vous me direz dans un désert, cela peut se comprendre). Quoiqu’il en soit, il en est de même pour les choses comme pour les sentiments ou les représentations du monde. Contre toutes idées reçues, apprendre une langue, quelle qu’elle soit, ne sert jamais à rien.
On peut, quelquefois, avoir la tentation de souhaiter une certaine fin de Babel, en rêvant d’un monde où nous pourrions tous « enfin » nous comprendre: une langue unique, un esperanto, mais il suffit, en général, d’imaginer que nous perdions notre propre langue maternelle au détriment d’une autre (l’anglais par exemple) pour comprendre combien se diluerait avec cette perte toute une vision des choses, des sentiments, du monde. Fort heureusement, l’homme est un animal linguistique et il n’y a jamais rien eu d’incompatible à apprendre un idiome commun tout en gardant le sien. Louons donc le bilinguisme, le trilinguisme, le quadrilinguisme et plus pourquoi pas, puisque nous en sommes tout à fait capables pour peu qu’on nous en laisse la possibilité.
La tour de Babel de Pieter Brueghel l’Ancien, 1563
De tout temps, la lutte des sociétés aux pouvoirs centralisées (et elles le sont désormais toutes), contre leurs langues intra-muros, a toujours été bien plus politique que fondée sur la capacité des hommes à apprendre et manier plusieurs langages. Le dire ne casse pas trois pattes à un canard, ni ne révolutionne l’usage du fil à couper le beurre, mais ce n’est jamais tant la facilité des échanges que l’on cherche que l’uniformisation des consciences: la langue unique, le citoyen unique et finalement, allons-y, à l’heure de la mondialisation, le marché unique. Une seule étiquette pour tout le monde sur les pots de Yaourt, le bonheur enfin! J’ironise à peine mais, encore une fois, tout cela n’est pas vraiment un projet culturel pour l’homme et n’en prend, en tout cas, jamais la forme (ci-dessus illustration tirée du célèbre film The Wall des Pink Floyd). D’ailleurs, dans les régions où les identités culturelles se défendent encore pour ne pas s’éteindre, les détracteurs l’ont bien compris puisqu’ils en prennent le contre-pied en défendant leur langue d’une manière qui pourrait même, parfois, dérouter le visiteur, quand ce n’est pas le compatriote. Imaginez que je parle français mais que quand vous m’adressiez la parole je vous réponde en Limousin, vous percevrez un peu mieux mon exemple. Il faut vivre quelque temps à Barcelone et en Catalogne pour comprendre tout cela mais du même coup, comprendre un peu mieux aussi le Quebec. Il faut encore rencontrer les indiens Bribri du Costa Rica ou d’autres endroits pour comprendre que les priver de leur langue revient à les priver de leurs racines, de leur histoire et de leur identité profonde. Ils l’ont compris d’ailleurs et se remettent à l’apprendre et à l’enseigner à leurs enfants, en plus de l’Espagnol, comme quoi encore une fois, cela n’est pas incompatible.
Comment défendre son identité culturelle sans défendre sa langue dans un contexte qui l’oppresse? C’est une question très difficile même si contre le repli, il faut sans doute mieux plaider pour l’ouverture. Apprendre les langues du monde et conserver la sienne?Inviter l’autre à découvrir sa propre langue et, avec elle, s’ouvrir à un monde insoupçonné? Encore une fois, rien d’impossible!
Pour revenir au monde médiéval, Roger Bacon, le célèbre savant et érudit du XIIIe siècle nous disait déjà que «la connaissance des langues est la porte de la sagesse». Avoir la chance ou le privilège d’apprendre une langue étrangère à la sienne est une richesse que l’on mesure souvent, une fois l’étape franchie mais à n’en pas douter, les vraies richesses des hommes sont nichées dans leurs cultures et de leurs différences, et qu’on le veuille ou non, tout cela passe par leur langage. C’est aussi cela qui a fait, depuis des millénaires, marcher le monde et avancer l’humanité. Au fond, Babel est peut-être aussi un défi merveilleux qui recèle d’infinis trésors. Il faut aimer les langues et les cultures si l’on aime les hommes et il faut les aimer, même si c’est difficile quelquefois, car ils en ont besoin et n’ont peut-être, au fond même, que ce seul vrai besoin là.
Une belle journée à tous!
Frédéric EFFE
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