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Tué par un éclair et ressuscité par un miracle ! La Cantiga de Santa Maria 311

Sujet :  musique  ancienne, galaïco-portugais, culte marial, miracle, vierge de Montserrat, résurrection, Moyen Âge chrétien, Catalogne.
Période : XIIIe siècle, Moyen Âge central
Titre :  Cantiga  Santa Maria 311,   O que diz que servir hóme aa Virgen…  
 Auteur : Alphonse X de Castille (1221-1284)
Interprète : Música Antigua
Album : Cantigas de Catalunya  (2007)

Bonjour à tous,

u cœur de l’Espagne médiévale et à la cour d’Alphonse X, on réunit les chants, les miracles et les louanges qui circulent alors sur les routes des pèlerinages des lieux dédiés à la vierge.

Demeurée célèbre, la compilation du XIIIe siècle présente des centaines de chants mariaux notés musicalement, qui ont traversé 700 ans d’histoire pour nous parvenir. Sur Moyenagepassion, nous avons entrepris, leur étude, depuis quelques années déjà, en nous efforçant de vous les présenter de manière commentée, avec leurs sources, des versions en musique par les plus grands ensembles du moment, mais aussi leurs traductions en français actuel. Après une petite pause, nous reprenons, aujourd’hui, le flambeau pour partir à la découverte de la Cantiga Santa Maria 311. Mais avant cela disons un mot du culte marial au Moyen-âge.

A propos des Cantigas et du culte marial

Bien au delà des frontières de la péninsule ibérique, les cantigas de Santa Maria d’Alphonse X ont ceci de précieux qu’elles témoignent d’un culte marial qui fut d’une très grande importance pour le monde chrétien occidental, à partir du Moyen Âge central.

Mère du « Dieu mort en croix« , on prête à la vierge le pouvoir d’intercéder auprès de lui pour le compte des hommes. Grande faiseuse de miracles pour qui la loue et la prie, elle a aussi la douceur et la compréhension d’une mère. De fait, parmi tous les auteurs médiévaux que nous avons pu étudier jusque là : De Rutebeuf à François Villon, en passant par différents trouvères et troubadours mais encore des poètes du Moyen Âge plus tardif, peu sont ceux qui n’aient pas écrit leur propre oraison à la vierge ou quelques louanges à son endroit. En littérature médiévale, l’amour qu’on lui voue empruntera même, aux XIIe et XIIIe siècles, chez certains auteurs religieux ou laïques, les voies de la lyrique courtoisie et de la fine Amor, donnant naissance à une poésie, toute en spiritualité et en retenue.

Le miracle de la Cantiga 311 : le pèlerin foudroyé et son ami mécréant

Enluminure de la Cantiga de Santa Maria 311 dans le chansonnier BNCF BR20 de la Bibliothèque de Florence (XIIIe-XIVe siècle).

A l’image de nombreuses Cantigas de Santa Maria, la CSM 311 conte l’histoire d’un miracle. Celui-ci porte plus particulièrement sur la vierge catalane de Montserrat et nous rapporte les infortunes d’un dévot habitué à la visiter, chaque année, en pèlerinage.

Ce corpus médiéval ne cesse de l’affirmer, la foi placée en la Sainte Marie peut tout et de bien des manières ; le miracle de la Cantiga 311 s’efforcera, une fois de plus, de l’établir. Il prendra même la forme du miracle ultime puisqu’il sera question ici de résurrection. Notons que ce n’est pas le seul de ce type dans le corpus des Cantigas d’Alphonse X ; nous avons eu l’occasion d’en étudier plusieurs de ce type (voir notre index de Cantigas de Santa Maria).

Ici, l’exemplarité de la dévotion sera pour les auditeurs, autant pour l’un des témoins directs de toute l’affaire. Bourgeois nanti, de peu de foi, ce dernier recevra, au passage, une double-leçon sur le mal fondé de ses doutes en les pouvoirs de la Sainte, autant que sur son avarice et son manque de largesse envers elle. A l’occasion de ce retour entre les lignes du chameau et du trou de l’aiguille, la boucle biblique sera donc bouclée (1).

Música Antigua et les cantigas d’Alphonse X

Pour nous accompagner en musique dans la découverte de ce chant marial, nous avons choisi de rester sur les routes d’Espagne, pour y profiter du talent et de l’œuvre majeure d’Eduardo Paniagua (voir son portrait détaillé ici). Avec son ensemble Música Antigua fondé en 94, ce musicien espagnol est, en effet, l’un des seuls à avoir couvert l’ensemble du répertoire des Cantigas de Santa Maria d’Alphonse X. Il en a tiré de nombreux albums thématiques.

Loin de toute sophistication vocale, la version qu’il nous propose ici reste plutôt « ancrée ». Pour le dire autrement, on n’est plus proche d’une version à la René Zosso que d’une envolée soprano. Mais, finalement, peut-être reste-t-on, de cette façon, plus proche des origines de ces chants (orchestration mise à part) si on les imagine chantés sur des routes de pèlerinages.

Cantigas de Catatunya, Abadía de Montserrat

Sorti dans le courant de l’année 2007, l’album dont est tiré le chant marial du jour est intitulée : Cantigas De Catalunya, Abadía de Montserrat (Chants de Catalogne, abbaye de Montserrat) Sur 1h15 d’écoute, on colle donc dans la logique thématique chère à Edouardo Paniagua, au moment d’aborder ce vaste corpus de plus de 400 pièces.

Cantigas de Catalunya - Album de l'ensemble Musica Antigua sous la direction de Eduardo Paniagua.

Comme son titre l’indique, cette production vous permettra, à travers huit pièces issues du répertoire d’Alphonse X, de découvrir uniquement des Cantigas qui portent sur le nord de l’Espagne et la Catalogne et dans lesquelles la vierge de Montserrat tient une place de choix. Du reste, pour ceux qui ne les connaissent pas, aujourd’hui encore, entourées d’impressionnantes concrétions rocheuses, à quelques encablures de Barcelone, l’abbaye de Montserrat et sa vierge noire continuent d’attirer de nombreux pèlerins et visiteurs, chaque année.

Membres ayant participé à cet album

César Carazo (chant, alto), Luis Antonio Muñoz (chant, fidule), Felipe Sánchez (luth, citole, vièle), Jaime Muñoz (cornemuse, flaviol, tarota, axabeba, tambour), David Mayoral (darbouka, dumbek, tambourin), Eduardo Paniagua (psaltérion, flûte à bec, cloche, darbouka, gong, rochet, hochets, hochet, goudron) et direction.

En chinant un peu, vous pourrez, sans doute, trouver cet album chez votre disquaire préféré. Sinon, sachez qu’il est toujours disponible à la vente en ligne sous forme dématérialisée. Voici un lien utile pour l’obtenir au format MP3.

La Cantiga de Santa Maria 311 et sa partition, Códice de los Músicos, manuscrit médiéval.
La Cantiga de Santa Maria 311 et sa partition dans le codex des musiciens ( Códice de los Músicos, códice J.b.2) de la Bibliothèque de l’Escorial de Madrid

La cantiga de Santa Maria 311
et sa traduction en français actuel


Como Santa María de Monsarrat resuscitou un hóme que ía alá en romaría e morreu na carreira.

O que diz que servir hóme aa Virgen ren non é,
aquest’ é de mal recado e hóme de maa fé.

Ca se en fazer serviço a un bon hóme pról ten,
quanto mais na Virgen santa ond’ havemos todo ben;
e quen aquesto non cree, sa creença non val ren,
ca descre’ en Déus, séu Fillo, e en ela que Madr’ é.
O que diz que servir hóme aa Virgen ren non é…

Comment Sainte-Marie de Montserrat ressuscita un homme qui se rendait là-bas en pèlerinage et mourut en chemin.

Celui qui dit que servir la vierge ne vaut pas la peine
Celui là est un mauvais messager et un homme de mauvaise foi.

Car si rendre service à un homme bon a de la valeur
Combien plus encore l’est
de servir la vierge sainte dont nous recevons tous les bienfaits.
Et celui qui ne croit pas en cela, sa foi ne vaut rien,
Car il ne croit ni en Dieu, ni en son fils, ni en elle qui est sa mère
Celui qui dit que servir la vierge n’est rien…

E de tal razôn miragre vos quéro óra mostrar,
que d’ entender é mui bõo a quen i mentes parar,
que a Virgen grorïosa de Monssarraz quis mostrar
por un hóme que a sempre servía con mui gran fé.
O que diz que servir hóme aa Virgen ren non é…

Et à ce propos, je veux vous exposer un miracle,
Qui est fort édifiant pour qui y prête attention,
Et que la vierge glorieuse de Montserrat voulut faire
Pour un homme qui la servait toujours avec une grande foi.
Celui qui dit que servir la vierge n’est rien…

El alí en romaría ía dous vezes ou tres
no ano, e amizade havía con un borgês;
e rogou-lli que na fésta qu’ é en meógo do mes
d’ Agosto de sũu fossen, dizendo: “Logar sant’ é.”
O que diz que servir hóme aa Virgen ren non é…

Il allait là-bas (à Montserrat) en pèlerinage deux ou trois fois l’an
Et avait des amitiés avec un bourgeois ;
Et il pria ce dernier de se rendre avec lui à la fête qui s’y donne
En août, en lui disant : « C’est un lieu très saint. »
Celui qui dit que servir la vierge ne vaut pas la peine…

Entôn ambos s’ acordaron por en romaría ir
a Monssarraz. Mas primeiro, per quant’ end’ éu puid’ oír,
passaron per Barçalona; e u quiséron saír
da vila, começou lógo mal tempo, per bõa fé.
O que diz que servir hóme aa Virgen ren non é…

Ainsi, ils s’accordèrent tous deux pour aller en pèlerinage
A Montserrat. Mais avant cela, d’après ce que j’ai pu entendre,
Ils passèrent par Barcelone ; et quand ils voulurent sortir
De la ville, le temps commença à se gâter, de bonne foi
(2)
Celui qui dit que servir la vierge ne vaut pas la peine…

E fezo ventos mui grandes e começou de chover
e alampos con torvões des i coriscos caer,
assí que feriu un deles aquel hóme, que morrer
o fez lógo mantenente; ca do corisc’ assí é

Et il souffla de très grands vents et il commença à pleuvoir
Avec du tonnerre, de grandes turbulences et des éclairs qui tombaient
De sorte qu’un de ses hommes fut blessé et mourut
Peu de temps après, car il en va ainsi avec les éclairs

Que en quen fér lóg’ afoga ou talla ou queimar faz.
Mais aquel hóm’ afogado foi, que pera Monssarraz
ía sempre, com’ oístes; e séu compannôn assaz
chorou por el e ar disse paravlas contra a fé,

Qui à l’un peuvent frapper, ou blesser ou faire se brûler.
Cet homme qui se rendait toujours à Montserrat,
Fut foudroyé, comme vous l’avez entendu ; et son compagnon
Pleura beaucoup pour lui et prononça des paroles contre la foi,

dizendo: “Par Déus, amigo, muito empregásti mal
quanto a Santa María servist’, e pois te non val
nen te guardou desta mórte, per que o dém’ infernal
levou ja de ti a alma; e, mal pecad’, assí é.”
O que diz que servir hóme aa Virgen ren non é…

En disant : « Par Dieu, mon ami, tu t’employas bien mal
En servant Sainte-Marie, et cela ne t’a rien valu,
Ni ne t’a protégé de cette mort, car le démon de l’enfer
a déjà emporté ton âme ; c’est bien triste pour toi, mais il en est ainsi.
Celui qui dit que servir la vierge ne vaut pas la peine…

E outro día por ele ũa missa dizer fez,
des i que o soterrassen, ca tal éra come pez
tornado daquel corisco; e ar disse dessa vez
paravras contra a Virgen onde naceu nóssa fé,

Le jour suivant, il fit dire un messe pour lui
Et pour qu’on l’enterre, car ce dernier était noir
Comme la poix par la faute de cet éclair, et il dit à nouveau
Des mots contre la vierge en laquelle réside notre foi.

indo con el aa cóva chorand’ e dizend’ assí:
“Mal empregásti téu tempo na Virgen, com’ aprendí,
demais perdísti grand’ algo que lle désti; mais a mi
nunca averrá aquesto, ca o méu na arca é.”
O que diz que servir hóme aa Virgen ren non é…

Et se rendant avec le défunt en son caveau, il pleurait et disait :
« Tu as bien mal employé ton temps dans la vierge, comme j’ai pu le voir,
Et, plus encore, tu as perdu tout ce qui tu lui donnas en offrande ;
Mais jamais cela ne m’arrivera, car ce qui est m’appartient reste bien à l’abri. »

Celui qui dit que servir la vierge ne vaut pas la peine…

El aquest’ assí dizendo, resorgiu o mórt’ entôn
e assentou-se no leito e diss’ aquesta razôn:
“Mentes a guisa de mao, ca mia alm’ a perdiçôn
fora, se non foss’ a Virgen, que chav’ é de nóssa fé,

Tandis qu’il parlait ainsi, le défunt ressuscita
Et s’asseyant sur son lit funéraire, il parla de cette manière :
« Tu mens comme un mauvais homme car mon âme aurait
été en perdition, si cela ne fut grâce à la Vierge, qui est la clé de notre foi.

que me livrou de sas mãos u éra en poder séu;
e porend’, enquant’ éu viva, sempre no coraçôn méu
a terrei pera serví-la, e nunca me será gréu
de ren que por ela faça, ca mui ben empregad’ é.”
O que diz que servir hóme aa Virgen ren non é…

C’est elle qui me libéra des mains du démon quand j’étais en son pouvoir ;
Et pour cela, tant quand je vivrai, je mettrai toujours mon cœur
En quatre pour la servir, et jamais cela ne me sera pesant
En rien, car tout ce que je fais pour elle, est fort bien employé. »
Celui qui dit que servir la vierge ne vaut pas la peine…

Quand’ esto viron as gentes, déron todos gran loor
aa Virgen grorïosa, Madre de Nóstro Sennor,
que sempre seja loada enquanto o mundo for,
ca é nóssa avogada, des i padrõa da fé.
O que diz que servir hóme aa Virgen ren non é…

Quand les gens virent cela, ils firent de grandes louanges
A la vierge glorieuse, Mère de notre Seigneur,
Qu’elle soit toujours louée tant que je suis en ce monde
Car elle est notre avocate et la mère patronne de notre foi,
Celui qui dit que servir la vierge ne vaut pas la peine…



En vous souhaitant une belle journée.
Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.


Notes

(1) Matthieu 19.24. « Il est plus facile pour un chameau entre par un trou d’aiguille, que pour un riche d’entrer dans le royaume de Dieu. »
(2)…, per bõa fé : petit doute sur cette formule placée à la fin de cette phrase et dont le sens, dans le contexte, serait à revérifier. Le temps se gâta pour la foi de nos pèlerins ? Le troubadour nous dit cela en toute bonne foi ?

NB : sur l’image d’en-tête, en arrière plan de la vierge noire de Montserrat, vous retrouverez la page du BNCF BR 20 et l’illustration de cette cantiga.

La Cantiga de santa maria 181 : Marie au secours du khalife de Marrakech

Sujet :  musique  médiévale, galaïco-portugais, culte marial, miracle, Cantiga  Santa Maria 181.
Période :  XIIIe siècle, Moyen Âge central
 Auteur :  Alphonse X de Castille, (1221-1284)
Titre : « Pero que seja a gente d’outra lei e descreúda« 
Interprète :  Raul Mallavibarrena, Rocio de Frutos, Musica Ficta et Ensemble Fontegara
Album : Músicas Viajeras, Tres Culturas (2012)

Bonjour à tous,

ujourd’hui, nous nous laissons, de nouveau, entraîner en Espagne médiévale et à la cour d’Alphonse X, pour y découvrir un nouveau miracle du corpus des Cantigas de Santa Maria. Il s’agit, cette fois, de la Cantiga De Santa Maria 181.

Luttes entre dynasties berbères marocaines
et dernier bastion Almohade

Cette fois ci, ce miracle médiéval sort totalement du cadre des pèlerins et dévots chrétiens puisque Marie viendra y intercéder en faveur d’un prince berbère et de ses troupes, contre un autre prince de même origine et de même confession. Dans le cadre du culte marial médiéval, le pouvoir de Marie n’a pas non plus de frontières. Pour preuve, l’histoire se déroule en terre marocaine et à Marrakech. Elle a pour cadre les luttes qui opposèrent, au XIIIe siècle, la dynastie berbère des Mérinides à celle des Almohades. Pour être plus précis, ce chant marial fait même très certainement référence au siège avorté de Marrakech en 1262.

Enluminure des Cantigas de Santa-Maria (Cantiga 181)

Du point de vue des forces en présence, le prince qui tient la cité n’est pas mentionné dans la Cantiga 181 mais il s’agit vraisemblablement de Abû Hafs Umar al-Murtadâ, khalife almohade de Marrakech de 1248 à 1266. Il est illustré dans la miniature ci contre, tirée d’un des manuscrit médiéval des Cantigas de Santa Maria (manuscrit T ou Codex Rico Ms TI1 conservé à la bibliothèque de l’Escurial à Madrid). L’assiégeant, nommé Aboíuçaf dans la cantiga ne peut être que Abu Yusuf (Abû Yûsuf Yaqûb ben `Abd al-Haqq ), souverain et chef militaire de la dynastie mérinide qui convoitait alors la prise de la cité. Il échouera en 1262 même si sa persévérance lui permettra de parvenir à ses fins plus tard.

Ainsi, après l’échec du siège, il offrira son soutien à un chef rebelle almohade, cousin de ce même Khalife de Marrakech, afin qu’il renverse son parent. Y étant parvenu en 1266, le rebelle refusera de céder les clefs de la cité à Abu Yusuf et ce dernier devra attendre 1269 pour que la ville tombe définitivement dans ses mains, mettant fin à la régence marocaine de la dynastie almohade.

Marie du côté de ses amis mécréants

Enluminure Culte marial (Cantiga 181)

Pour revenir au miracle de la Cantiga de Santa Maria 181, il met donc en scène la Sainte en terre berbère et intercédant au cœur du conflit. Qu’il suffise de brandir sa bannière et de demander le soutien des chrétiens et de leur croix pour que, sitôt, Sainte Marie freine les ardeurs des guerriers les plus téméraires. Elle se rangera ici du côté de ceux qui, ayant foi en son pouvoir, invoquent sa protection, et qu’importe s’ils ne sont pas chrétiens et vivent sous une autre loi. Elle mettra en déroute les armées de l’assiégeant en soutenant le Khalife ayant eu la sagesse d’écouter ses conseillers.

On le voit, au Moyen Âge, le pouvoir du culte marial est infini et à chaque nouvelle cantiga, la sainte semble étendre sa capacité d’intercession sur les hommes et le monde toujours plus loin. Comment expliquer le fait que le Khalife berbère et musulman écoute ses conseillers, eux-mêmes réceptifs au pouvoir de la Sainte ? Marie (Maryam) est largement mentionnée dans le Coran (plus de trente fois). Elle est considérée comme une femme de grande vertu et le miracle de la nativité, tout comme la reconnaissance de Jésus (Īsā) y sont également repris. Rapprochement volontaire ou non de la part de Alphonse X, ce détail vient ajouter une certaine touche de crédibilité au miracle.

Aboíuçaf dans les cantigas de Santa Maria

Une autre cantiga de Santa Maria, la 169, mentionne le même Aboíuçaf (Aboyuçaf). Cette fois, le thème de ce miracle marial sera les vaines tentatives pour tenter de détruire une église chrétienne dédiée à la Vierge dans la région de Murcia, district alors aux mains des musulmans. Finalement, l’Eglise ne sera pas détruite malgré un accord de principe concédé du bout des lèvres par Alphonse X. Pressé de mettre à bas le lieu de culte marial par ses sujets, le seigneur musulman de Murcia y renoncera pourtant exhortant les empressés de craindre de s’en prendre à la sainte vierge. Plus tard, une autre tentative pour détruire l’édifice, cette fois conduite par Aboíuçaf, échouera également.

La cantiga de Santa Maria 181 sous la direction de Raul Mallavibarrena

Raúl Mallavibarrena à la découverte
des trois cultures de l’Espagne médiévale

Nous avions déjà eu l’occasion de vous toucher un mot ici des deux formations médiévales Musica Ficta et Ensemble Fontegara, ainsi que de leur fondateur et directeur Raúl Mallavibarrena, également directeur de la maison d’édition musicale Enchiriadis (voir article précédent à leur sujet). 

Album de musique médiévale de l'ensemble Musica Ficta et Fontegara

Au début des années 2010, ce dernier s’adjoignait la collaboration de la chanteuse soprano Rocío de Frutos, mais aussi de la célèbre flutiste Tamar Lalo pour un album intitulé Músicas Viajeras : Tres Culturas. Comme son titre l’indique, il s’agissait là d’un voyage musical autour des fameuses trois cultures de l’Espagne médiévale, souvent mises en exergue par une nombre important d’ensembles médiévaux ibériques modernes.

Avec 15 pièces « itinérantes », ce riche album ne s’arrête pas aux Cantigas de Santa Maria d’Alphonse X. De fait, il n’en présente même que deux ; la cantiga 156 et celle du jour, la 181. Pour le reste, il offre plutôt une sélection qui alterne divers ensembles ou solistes et leur permette de mettre en avant leur Moyen Âge des trois cultures. La version CD est épuisée à date de cet article mais mais vous pouvez trouver la version numérisée de cet album en ligne. Voici un lien utile pour cela : Músicas Viajeras : Tres Culturas

Musiciens ayant participé à cet album

Tamar Lalo (flûtes) Sara Ruiz (viole de gambe) Manuel Vilas (harpe) , Rocío de Frutos (Soprano), Musica Ficta, Ensemble Fontegara, Raúl Mallavibarrena (direction).


La cantigas de Santa Maria 181
En galaïco-portugais et en français actuel

Esta é como Aboíuçaf foi desbaratado en Marrócos pela sina de Santa María.

Pero que seja a gente
d’outra lei e descreuda,
os que a Virgen mais aman,
a esses ela ajuda.

Celle-ci raconte comment Abu Youssouf fut vaincu à Marrakech par la bannière de Sainte Marie.

Pour autant que les gens soient
D’une autre loi et incroyants (mécréants)
À ceux qui aiment le plus à la vierge,
À ceux-là, elle vient en secours.

Fremosa miragre desto
fez a Virgen groriosa
na cidade de Marrocos,
que é mui gran’ e fremosa,
a un rei que era ende
sennor, que perigoosa
guerra con outro avia,
per que gran mester ajuda.

Pero que seja a gente

Un merveilleux miracle à ce sujet,
Fit la vierge glorieuse
En la cité de Marrakech,

Qui est très grande et belle,
Et dans laquelle, il y avait un roi

Qui était son seigneur, mais qui était engagé
Dans une guerre dangereuse

Contre un autre roi.
Ce pourquoi, il avait besoin d’une grande aide.
Refrain

Avia de quen lla désse:
ca assi corn’ el cercado
jazia dentr’ en Marrocos
ca o outro ja passado
era per un grande rio
que Morabe é chamado
con muitos de cavaleiros
e mui gran gente miuda.

Pero que seja a gente

De la part de qui pouvait lui donner ;
Ainsi, alors qu’il était reclus
A l’intérieur de Marrakech,
Son ennemi était déjà passé
Par un grand fleuve,
Qu’on nomme Morabe,
Avec un grand nombre de chevaliers
Et de nombreux gens à pied (fantassins).

Refrain

E corrian pelas portas
da vila, e quant’ achavan
que fosse fora dos muros
todo per força fillavan.
E porend’ os de Marrocos
al Rei tal conssello davan
que saisse da cidade
con bõa gent’ esleuda.

Pero que seja a gente

Et ceux-là couraient en direction des portes
De la ville et tout ce qu’ils trouvaient
qui fut hors des murs,
Ils le dérobaient.
Si bien que ceux de Marrakech,
Donnèrent au roi ce conseil :
Qu’il sorte de la ville,
Avec des personnes de qualité
et bien choisies
Refrain

D’armas e que mantenente
cono outro rei lidasse
e logo fora da vila
a sina sacar mandasse
da Virgen Santa Maria,
e que per ren non dultasse
que os logo non vencesse,
pois la ouvesse tenduda.

Pero que seja a gente

En armes, et qu’instamment
Il se présente face à l’autre roi.
Et qu’une fois sortis de la ville,
Ils brandissent l’étendard
De la vierge Sainte Marie,
Afin qu’en aucune façon, ses ennemis ne doutent
Qu’ils seraient vaincus sur le champ,
Aussitôt que la bannière serait dressée.

Refrain

Demais, que sair fesesse
dos crishõos o concello
conas cruzes da eigreja.
E el creeu seu consello;
e poi-la sina sacaron
daquela que é espello
dos angeos e dos santos,
e dos mouros foi viuda.

Pero que seja a gente

En plus de cela, le roi devrait encore faire sortir
la communauté chrétienne
Portant les croix de l’Eglise.
Ce dernier tint compte du conseil.
Et après qu’ils déployèrent l’étendard de celle qui est le miroir
Des anges et des saints,

Il fut vu par les maures.
Refrain

Que eran da outra parte,
atal espant’ en colleron
que, pero gran poder era,
logo todos se venceron,
e as tendas que trouxeran
e o al todo perderon,
e morreu y muita gente
dessa fea e barvuda.

Pero que seja a gente

Qui se tenaient de l’autre côté,
Et ces derniers furent pris d’une telle terreur
Que, malgré leur grand pouvoir,
Ils se déclarèrent tous vaincus.
Et les tentes qu’ils avaient apportées,
Et tout le reste, ils le perdirent,
Et, là-bas, moururent beaucoup de ses gens
Barbus et disgracieux.

Refrain

E per Morabe passaron
que ante passad’ ouveran,
en sen que perdud’ avian
todo quant’ ali trouxeran,
atan gran medo da sina
e das cruzes y preseran,
que fogindo non avia
niun redea teuda.

Pero que seja a gente

Et ils repassèrent par le Morabe
Qu’ils avaient passé auparavant
Et malgré qu’ils aient perdu
Tout ce qu’ils avaient emmené avec eux
Ils avaient eu si peur de l’étendard
Et des croix
Que, dans leur fuite,
Pas un d’entre eux ne tenait ses rênes en main.

Refrain

E assi Santa Maria
ajudou a seus amigos,
pero que d’outra lei eran,
a britar seus eemigos
que, macar que eran muitos,
nonos preçaron dous figos,
e assi foi ssa mercee
de todos mui connoçuda.

Pero que seja a gente

Et c’est ainsi que sainte Marie
Aida ses amis,
Bien qu’ils fussent d’une autre loi,
À briser leurs ennemis
Qui, bien qu’ils fussent très nombreux,
Ne valurent pas deux figues,
Et ainsi sa grande miséricorde
Fut
bien connue de tous.
Refrain


Découvrez toutes les Cantigas de Santa Maria présentées et traduites en français moderne.

En vous souhaitant une belle journée.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.

NB : la miniature médiévale ayant servi à l’image d’en-tête est également tirée du Codex Rico, Ms TI1. Ce manuscrit médiéval daté du courant du XIIIe siècle est conservé à la bibliothèque de l’Escurial de Madrid. On y voit clairement les forces en présence et la bannière de la Sainte évoquées dans la cantiga.

Le miracle de la Cantiga de Santa Maria 37 : un pied tout neuf pour un déshérité

cantigas_santa_maria_vierge_marie_sainte_culte_mariale_medievale_amour_lyrique_courtoise_moyen-ageSujet :  musique  médiévale, galaïco-portugais, lyrisme médiéval, culte marial, miracle
Période :    XIIIe siècle, Moyen Âge central
 Auteur  :    Alphonse X de Castille (1221-1284)
Interprète :  Jordi Savall · La Capella Reial de Catalunya · Hespèrion XXI
Titre :  Cantiga  Santa Maria 37,      « Miragres fremosos
faz por nós Santa María»
 
Album :    Cantigas de Santa Maria, Strela do dia, 2017

Bonjour à tous,

B_lettrine_moyen_age_passionienvenue à la cour de Castille, au cœur de l’Espagne médiévale du XIIIe siècle. Aujourd’hui, nous poursuivons, en effet,  notre découverte des Cantigas de Santa Maria d’Alphonse X le Sage.

L’importance du culte marial
de l’Europe médiévale aux siècles suivants

cantiga-santa-maria-37-miracle-culte-marial-monde-medieval-moyen-age-001Du Moyen Âge central aux siècles suivants, le culte marial a fait plus que simplement traverser l’occident chrétien médiéval. De l’architecture à l’art, de la peinture à la littérature, il l’a grandement inspiré. Des troubadours aux trouvères, de Rutebeuf à Villon et  d’autres après eux, rares seront les auteurs et poètes qui ne rédigeront leur ode à la Sainte. Certains lui feront de véritables déclarations sur le mode de l’amour courtois et même des religieux s’enflammeront pour elle.

Figure de la mère et de la sainte, proche et sacrée à la fois, mère du Dieu mort en croix, elle est celle que le croyant peut approcher en espérant que par sa douceur, son écoute et sa mansuétude, elle puisse exaucer ses prières ou, peut-être, encore intercéder, en sa faveur, auprès du christ et du ciel. On loue, tout à la fois, ses miracles, sa miséricorde et ses vertus et, sur les longues routes qui mènent  aux églises ou aux chapelles qui lui sont dédiées,  les pèlerins la chantent avec fièvre et foi, en priant pour  la réparation, le pardon ou le salut.

Il reste, de ce culte marial, une quantité de textes, de récits, de poésies, ou encore de témoignages artistiques et patrimoniaux dans de nombreux pays d’Europe. En Espagne, le corpus réuni et mis en musique sous le règne d’Alphonse X demeure l’un des plus célèbres d’entre eux. Ils contient 427 chansons médiévales dédiées au culte de la vierge et nous avons entrepris de nous y  pencher depuis quelque temps déjà : voir les Cantigas de Santa Maria, du Gallaïco-portugais et leur traduction vers le français moderne.

Le récit de Miracle de la Cantiga 37

La Cantiga Santa Maria 37 est un nouveau récit de miracle. Ce dernier  nous entraîne en France, en  la ville ardéchoise de Viviers et dans l’ancienne province du Vivarais. Il a pour cadre l’église locale. Au Moyen Âge, les pouvoirs que l’on reconnait à la Sainte sont incommensurables.   Certains n’ont même rien à envier à ceux qu’on prête au Christ dans les évangiles.  Le refrain de la Cantiga 37 ne cessera d’ailleurs de le scander :  « Miragres fremosos faz por nós Santa María, e maravillosos.  « ,     « Sainte-marie accomplit pour nous de beaux et merveilleux miracles. »

cantiga-santa-maria-37-miracle-culte-marial-monde-medieval-moyen-age-002(ci-contre et ci-dessus miniatures de la Cantiga 37 tirées du Manuscrit T.I.1, Bibliothèque de l’Escurial, Madrid)

Lèpre, mal des ardents, autre maladie, accident ? Ce chant marial  restera vague sur l’origine médical du problème. Toujours est-il qu’un  homme atteint d’un mal   qui lui infligeait des douleurs terribles au pied (ardentes) finira par se le faire trancher sans ménagement. Devenu un des plus « terribles » estropiés d’entre les estropiés, comme nous dira le poète, le malheureux ne cessera pourtant d’implorer de ses vœux un miracle marial qui finira par survenir.

Une nuit, pendant son sommeil, la Sainte viendra, en effet, à son chevet. Et dans une séance décrite, par la Cantiga, comme une véritable opération de « passes » curatives comme en font certains guérisseurs ou leveurs de maux, elle reconstituera l’organe amputé, rendant ainsi  au malheureux son pouvoir de marcher normalement.   A l’écoute du miracle et comme à la fin de nombreuses autres Cantigas de Santa Maria, on vînt, bientôt, de loin pour louer le prodige accompli par la vierge et son immense pouvoir.

La Cantigas 37 par Jordi Saval & la Capella Reial de Catalunya

Jordi Savall et les Cantigas de Santa Maria

cantigas-santa-maria-album-jordi-savall-Hesperion-XXI-capella-reial-catalunya-Alphonse-X-culte-marial-moyen-ageSorti pour la première fois chez Astrée en 1993, le bel album dont est tirée la cantiga du jour fut remastérisé et réédité chez Alia vox en 2017. Entouré de ses deux formations  de prédilection,  la Capella Reial de Catalunya et Hespèrion XXI, le maître de musique catalan Jordi Savall y dirige, en virtuose, 14 pièces issues du répertoire médiéval des cantigas d’Alphonse X de Castille.  On y trouvera des versions vocales et instrumentales des cantigas 100, 400, 209, 18, 163, 37, 126, 181, 383, aux côté d’interprétations uniquement instrumentales des CSM 176, 123, 142, 77 et 119.   On peut  toujours trouver cette album à la vente au format CD ou Mp3. Voici un lien utile pour le pré-écouter ou l’acquérir : Cantigas de Santa Maria, Alfonso X El Sabio.


« Miragres fremosos faz por nós Santa María »
La Cantiga 37 et sa traduction en français

NB : à  d’habitude, pour cette traduction nous ne prétendons pas à la perfection. Elle est le fruit de recherches personnelles et elle pourrait mériter quelques repasses.  Son intérêt n’est que  de fournir les clés de compréhension générale de cette pièce médiévale.

Esta é como Santa María fez cobrar séu pée ao hóme que o tallara con coita de door.

Celle-ci (cette cantiga) conte comment Sainte-Marie fit retrouver son pied à un homme qui se l’était fait trancher à cause de la grande douleur qu’il subissait.

Miragres fremosos
faz por nós Santa María,
e maravillosos.    

Sainte-marie accomplit pour nous
De beaux et merveilleux miracles.

Fremosos miragres faz que en Déus creamos,    
e maravillosos, por que o mais temamos;    
porend’ un daquestes é ben que vos digamos,    
dos mais pïadosos.
Miragres fremosos…

Elle accomplit de beaux miracles pour que nous croyions en Dieu,
Et merveilleux, pour que nous le craignons d’avantage:
A ce propos,  il est bon que nous vous contions,
un de ceux là parmi les plus miséricordieux.
Refrain …
         
Est’ avẽo na térra que chaman Berría,    
dun hóme coitado a que o pé ardía,    
e na sa eigreja ant’ o altar jazía    
ent’ outros coitosos.    
Miragres fremosos…    

Celui-ci survint en une terre qu’on appelait Viviers (Vivarais)
A propos d’un homme affligé dont un pied brûlait (fig : de douleur)
Et qui gisait dans l’église, devant l’autel
Au milieu d’autres malheureux.
Refrain …

    
Aquel mal do fógo atanto o coitava,    
que con coita dele o pé tallar mandava;    
e depois eno conto dos çopos ficava,    
desses mais astrosos,    

Ce feu de la lèpre (de la douleur) le tourmentait tellement
Que dans une grande douleur, il manda qu’on lui coupa le pied,
Et suite à cela, on le compta parmi les estropiés,
et les plus terribles (atroces) d’entre eux.
Refrain …

pero con tod’ esto sempr’ ele confïando    
en Santa María e mercee chamando    
que dos séus miragres en el fosse mostrando    
non dos vagarosos,

Pourtant, malgré tout cela, il était toujours resté confiant
En Sainte Marie et il implorait sa miséricorde
Afin qu’elle exerce sur lui ses miracles
Sans tarder (et pas des plus lents)
Refrain …

e dizendo: “Ai, Virgen, tu que és escudo    
sempre dos coitados, quéras que acorrudo    
seja per ti; se non, serei hoi mais tẽudo    
por dos mais nojosos.”    
Miragres fremosos…    

En disant :  « Oh, Vierge, toi qui es toujours le bouclier
Des miséreux, voudras-tu que je sois secouru
par toi ; sans quoi, je serais, dès à présent, tenu
pour une des plus misérables créatures (une des créatures les plus répugnantes, disgracieuses)
Refrain …

Lógo a Santa Virgen a el en dormindo    
per aquel pé a mão indo e vĩindo    
trouxe muitas vezes, e de carne comprindo    
con dedos nerviosos.
Miragres fremosos…

Suite à cela, la Sainte Vierge vint à lui alors qu’il dormait
Et sur ce pied, elle passa sa main, allant et venant,
De nombreuses fois, en reconstituant sa chair
de ses doigts habiles (en reconstituant la chair et les nerfs  de ses doigts ?)
Refrain …

E quando s’ espertou, sentiu-se mui ben são,    
e catou o pé; e pois foi del ben certão,    
non semellou lóg’, andando per esse chão,    
dos mais preguiçosos.
Miragres fremosos…    

Et quand l’homme s’éveilla, il se sentit totalement guéri
Et il  regarda son pied ; et puis quand il fut bien sûr de lui,
après un court instant, il se mit à marcher sur le sol,
en prenant son temps (avec précaution, en flânant ?)
Refrain …
    
Quantos aquest’ oíron, lóg’ alí vẽéron    
e aa Virgen santa graças ende déron,    
e os séus miragres ontr’ os outros tevéron    
por mais grorïosos.
Miragres fremosos…         
 
Ceux qui entendirent cela, sont alors venus sur place
Et à la Sainte Vierge, ils ont rendu grâce,
Ainsi qu’à ses miracles, entre autres ceux qui étaient
tenus pour les plus glorieux.
Refrain …


Notes de contexte

culte-marial-actualite-destruction-eglise-imagerie-catholique-Faut-il être soi-même chrétien pour apprécier la valeur de ces chants, de ces miracles et tout ce qu’ils nous disent du monde médiéval et de sa culture ? Ce serait se condamner (et l’exercice de l’Histoire) avec, à des vues bien étroites. Ce patrimoine et ces témoignages font partie intégrante de notre Histoire et des centaines d’années les contemplent.

Au vue de l’actualité, il semble même plus à propos que jamais  de rappeler la grande importance revêtue par le culte marial en France, comme dans une partie de l’Europe médiévale, à partir du XIIe  et durant de longs siècles.   Dussions-nous encore abonder dans le sens contraire du vent, nous le ferions même, sans hésiter en affirmant combien il nous est agréable de voir encore les traces  de ce culte marial dans nos villes, nos villages et nos campagnes. Il est même devenu tout particulièrement important et urgent de nous souvenir de sa profondeur historique à l’heure où, sous couvert d’idéologies ou d’impulsions diverses (souvent sans grande relation, semble-t-il, avec les manifestations ayant fait suite, en France, au décès de l’américain Georges Floyd), quelques individus sans grande envergure, culture, ni profondeur s’arrogent fièrement le droit de déboulonner (officiellement) ou même de vandaliser (plus sauvagement), des statues de vierges  installées, ici ou là, depuis des siècles.

C’est encore cette même heure affligeante et irritante à laquelle on incendie régulièrement des églises et des cathédrales, de manière  criminelle et gratuite, et en toute impunité, en donnant même, au passage, à tous ceux pour lesquels l’histoire, le patrimoine et/ou ses symboles ont encore un sens profond, l’impression  que cette fameuse « haine » devenue un instrument de coercition à la mode  et dont on nous rabat les oreilles, est un peu à échelle variable suivant les objets ou les valeurs qu’elle  vise.

En vous souhaitant une belle journée.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes.

La Cantiga de Santa Maria 384 : les clés du paradis pour des louanges en forme d’écriture

cantigas_santa_maria_vierge_marie_sainte_culte_mariale_medievale_amour_lyrique_courtoise_moyen-ageSujet :  musique  médiévale, galaïco-portugais, lyrisme médiéval, culte marial, miracle
Période :    XIIIe siècle, Moyen Âge central
 Auteur  :    Alphonse X de Castille (1221-1284)
Interprète :  Esther Lamandier
Titre :  Cantiga  Santa Maria 384,      « A que por gran fremosura é chamada Fror das frores » 
Album :    Alfonso el Sabio.   Cantigas de Santa Maria    (1981)

Bonjour à tous,

C_lettrine_moyen_age_passione qui nous suivent de près le savent, nous avons entrepris, depuis quelques années déjà, l’étude et la traduction des Cantigas de Santa Maria du roi  Alphonse X de Castille.  Récits de miracles autour de la sainte,  témoignages de pèlerins, ou encore chants de louanges, avant d’être recompilées et retranscrites au XIIIe  siècle et en galaïco-portugais par le souverain de Castille, un grand  nombre de ces histoires circulait déjà sous diverses formes dans l’Europe médiévale.

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On le sait, à partir du XIIe siècle, le Moyen Âge central s’est enflammé pour le culte marial.  Dans la littérature médiévale, on trouvera ainsi de nombreux Ave Maria en hommage à la Sainte, chez quantité de nos auteurs, trouvères, poètes, clercs ou même religieux,   de Rutebeuf à Villon.  La vierge Marie est alors, cette mère pleine de compassion et de piété, qui peut entendre et qui sait écouter. Elle est aussi celle qui, par sa bonté et l’oreille qu’il lui prête, pourra peut-être intercéder en faveur du prieur ou du dévot auprès de son fils   le Christ, la chair de Tout Puissant, Dieu mort en croix.

Le Salut pour un moine   dévot à la  vierge

cantigas-santa-maria-esther-lamandier-musiques-medievales-moyen-ageLa cantiga d’aujourd’hui est un nouveau récit de miracle.   On y apprendra,  ou en tout cas le poète nous contera, que dans les manières de louer la Sainte, entre imagerie, iconographie, prières, et autres, celle qui consiste à louer son nom est une des plus appréciées. Ici c’est un moine qui s’adonnant à la calligraphie, l’écrira même, ce nom, avec de belles couleurs. L’histoire se posera aussi comme une  confirmation déjà acquise dans le culte marial :  la dévotion à la   sainte peut ouvrir, au croyant,   les portes du salut.

Dans la foi chrétienne, la mort n’est rien  si, au bout du chemin de vie et quelque soit sa durée,  se trouve un nouveau commencement pour l’éternité. L’important est dans le salut. Dans cette cantiga de Santa Maria 384, comme nous l’avions vu dans le miracle de la jeune fille malade de la cantiga 188, le corps du  protagoniste périra. Sa vie prendra fin et seule son âme sera sauvée. Pas de « transhumanisme ici, pas plus que de défi lancé à la longévité dans ce monde-ci, au Moyen Âge, les désirs d’éternité ne sont pas, ici-bas, mais dans le monde suivant.

La cantiga  de Santa Maria 384 par Esther  Lamanthier


Esther Lamandier   et Alphonse le Sage

En 1980, la belle et talentueuse chanteuse soprano, harpiste et instrumentiste, Esther Lamandier   décida de faire une incursion du côté de l’Espagne médiévale et du répertoire d’Alfonso el Sabio.

cantigas-santa-maria-384-album-chansone-medieval-culte-marial-alphonse-X-Esther-Lamandier-moyen-ageTout entière dédiée aux Cantigas de Santa Maria, la production fut enregistrée  à l’Abbaye de   l’Épau, dans la Sarthe. A sa sortie, en 1981, l’album  proposait 20 pièces  interprétées par la musicienne  et artiste, accompagnée de son seul
talent vocal et instrumental.  La cantiga 384 que nous vous présentons aujourd’hui ouvre ce très bel album que l’on peut encore trouver à la vente en ligne. notamment au format mp3. Voici un lien utile pour plus d’informations : Les Cantigas de Santa Maria par Esther  Lamandier.


La Cantiga de Santa Maria 384
Du galaïco-portugais au français moderne

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Como Santa Maria levou a alma dun frade
que pintou o seu nome de tres coores.

A que por gran fremosura é chamada Fror das frores,
mui mais lle praz quando loam seu nome que d’outras loores.

Comment Sainte Marie emmena au paradis l’âme d’un frère qui avait peint son nom de trois couleurs.

Celle qui, pour sa beauté, on nomme la Fleur des fleurs,
Plus que tout autre louange, préfère de loin quand on loue son nom.

Desto direi un miragre, segundo me foi contado,
que aveo a un monge bõo e ben ordinado
e que as oras desta Virgen dizia de mui bon grado,
e mayor sabor avia desto que d’outras sabores.

A que por gran fremosura é chamada Fror das frores,
mui mais lle praz quando loam seu nome que d’outras loores.

A ce propos, je vous dirai d’un miracle, selon qu’il me fut conté,
Qui arriva à un bon moine bien ordonné,
Qui disait les heures de la Vierge avec grande joie
Et prenait en cela un plaisir plus grand que tout autre plaisir.

Celle qui, pour sa beauté, on nomme la Fleur des fleurs,
Plus que tout autre louange, préfère de loin quand on loue son nom.

Este mui bon clerigo era e mui de grado liia
nas Vidas dos Santos Padres e ar mui ben escrivia;
may[s] u quer que el achava nome de Santa Maria
fazia-o mui fremoso escrito con tres colores.

A que por gran fremosura é chamada Fror das frores,
mui mais lle praz quando loam seu nome que d’outras loores.

C’était un bon prêtre qui, avec enthousiasme, lisait
Les vies des Saints Pères et qui écrivait aussi très bien ;
Et, à chaque fois, qu’il arrivait au nom de Sainte Marie,
Il l’écrivait de très belle manière et de trois couleurs.

Celle qui, pour sa beauté…

A primeyra era ouro, coor rica e fremosa
a semellante da Virgen nobre e mui preçiosa;
e a outra d’azur era, coor mui maravillosa
que ao çeo semella quand’ é con sas [e]splandores.

A que por gran fremosura é chamada Fror das frores,
mui mais lle praz quando loam seu nome que d’outras loores.

La première était d’or, couleur riche et belle
Semblable à la Vierge noble et très précieuse ;
L’autre était d’azur, couleur très merveilleuse
Qui ressemble au ciel quand il se montre dans toute sa splendeur.

Celle qui, pour sa beauté…

A terçeyra chamam rosa, porque é coor vermella;
onde cada a destas coores mui ben semella
aa Virgen que é rica, mui santa, e que parella
nunca ouv’ en fremosura, ar é mellor das mellores.

A que por gran fremosura é chamada Fror das frores,
mui mais lle praz quando loam seu nome que d’outras loores.

La troisième, est appelée  rose, car c’est une couleur vermeille ;
Et chacune de ces couleurs ressemble donc en tout point
à la Vierge qui est splendide et très sainte, et qui jamais
n’eut d’égale en beauté, et demeure la meilleure entre toutes.

Celle qui, pour sa beauté…

Ond’ aqueste nome santo o monge tragia sigo
da Virgen Santa Maria, de que era muit’ amigo,
beyjando-o ameude por vençer o emigo
diabo que sempre punna de nos meter en errores.

A que por gran fremosura é chamada Fror das frores,
mui mais lle praz quando loam seu nome que d’outras loores.

Ainsi, ce moine portait toujours avec lui ce nom saint
de la vierge Sainte Marie, à laquelle il était fermement dévoué,
L’embrassant souvent pour vaincre le diable ennemi
Qui s’acharne toujours pour nous faire tomber dans l’erreur.

Celle qui, pour sa beauté…

Onde foi a vegada que jazia mui doente
da grand’ enfermidade, de que era en possente;
e pero assi jazia, viinna-lle sempre a mente
de seer da Virgen santa un dos seus mais loadores.

A que por gran fremosura é chamada Fror das frores,
mui mais lle praz quando loam seu nome que d’outras loores.

Mais vint un temps  où  il tomba gravement souffrant
D’une grande maladie, qu’il avait contracté.
Et bien qu’il gisait ainsi, il lui venait toujours à l’esprit
De rester un des plus grands faiseurs de louanges de la vierge Sainte.

Celle qui, pour sa beauté…

O abade e os monges todos veer-o veron,
e poi-lo viron maltreito, un frade con el poseron
que lle tevesse companna; e pois ali esteveron
un pouco, foron-se logo. Mais a Sennor das sennores

A que por gran fremosura é chamada Fror das frores,
mui mais lle praz quando loam seu nome que d’outras loores.

L’abbé et les moines vinrent tous le voir,
Et en le voyant en si piteux état, ils assignèrent un frère
Pour lui tenir compagnie; puis ils restèrent
un moment, avant de s’en aller. Cependant, la reine des reines

Celle qui, pour sa beauté…

Apareçeu ao frade que o guardav’, en dormindo,
e viu que ao leyto se chegava passo yndo,
e dizia-lle: «Non temas, ca te farey ir sobindo
mig’ ora a parayso, u veerás os mayores.

A que por gran fremosura é chamada Fror das frores,
mui mais lle praz quando loam seu nome que d’outras loores.

Apparut en rêve au frère qui gardait le moine,
Et il vit qu’elle s’approchait du lit,
Et disait au moine alité : « n’aies crainte, car je te ferai monter
Avec moi au paradis où tu verras tous ceux qui s’y trouvent déjà (les anciens).

Celle qui, pour sa beauté…

Ca por quanto tu pintavas meu nome de tres pinturas,
levar-t-ey suso ao çéo, u verás as aposturas,
e eno Livro da Vida escrit’ ontr’ as escrituras
serás ontr’ os que non morren, nen an coitas nen doores».

A que por gran fremosura é chamada Fror das frores,
mui mais lle praz quando loam seu nome que d’outras loores.

Puisque, en effet, tu as peint mon nom de trois couleurs,
Je t’emmènerai au ciel et tu verras ce qui est droit et juste
Et dans le livre de la vie, tu seras inscrit entre les écritures
entre ceux qui ne meurent pas, et qui n’ont ni peine ni douleur.

Celle qui, pour sa beauté…

Enton levou del a alma sigo a Santa Reynna.
E o frade espertou logo e foy ao leyt’ agynna;
e pois que o achou morto, fez sõar a campaynna
segund’ estableçud’ era polos seus santos doctores.

A que por gran fremosura é chamada Fror das frores,
mui mais lle praz quando loam seu nome que d’outras loores.

Puis, la sainte reine prit l’âme du moine avec elle,
Et le frère s’éveilla et s’approcha de son chevet,
Et comme il le trouva mort, il fit sonner la cloche
Ainsi qu’il a été établi par les Saints Docteurs de l’Eglise.

Celle qui, pour sa beauté…

Mantenente o abade chegou y cono convento,
que eram y de companna ben oyteenta ou çento;
e aquel monge lles disse: «Sennores, por cousimento
o que vi vos direy todo, se m’ en fordes oydores».

A que por gran fremosura é chamada Fror das frores,
mui mais lle praz quando loam seu nome que d’outras loores.

L’abbé s’en vint rapidement avec ses moines,
Qui était une communauté de près de 80 ou 100
Et le frère  leur dit : « Messieurs, pour en avoir été témoin ( pour  le connaître )
Je vous dirais tout ce que j’ai vu, si vous voulez bien m’entendre ».

Celle qui, pour sa beauté…

Enton contou o que vira, segundo vos ey ja dito;
e o abade tan toste o fez meter en escrito
pera destruyr as obras do emigo maldito,
que nos quer levar a logo u sempr’ ajamos pavores.

A que por gran fremosura é chamada Fror das frores,
mui mais lle praz quando loam seu nome que d’outras loores.

Puis, il leur dit tout ce qu’il avait vu et que je vous ai déjà conté;
Et l’abbé, sans attendre, le fit consigner par écrit
Pour détruire les œuvres de l’ennemi maudit (le diable)
Qui toujours veut nous entraîner en des lieux où nous vivons dans la peur.

Celle qui, pour sa beauté…

E pois souberon o feyto, loaron de voontade
a Virgen Santa Maria, a Sennor de piedade;
e se en alga cousa ll’ erraran per neçidade,
punnaron de se guardaren que non fossen peccadores.

A que por gran fremosura é chamada Fror das frores,
mui mais lle praz quando loam seu nome que d’outras loores.

Et après avoir entendu le miracle, ils louèrent avec joie
La Vierge Saint Marie, dame de Piété ;
Et si, en quelques occasions, ils avaient pu errer par négligence,
Ils s’efforcèrent après cela, de se garder de commettre des pêchés.

Celle qui, pour sa beauté…


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En vous souhaitant une belle journée.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes.