Sujet : spectacle médiéval, animations historiques, animations médiévales, reconstitution, village médiéval, parc à thème, spectacles historiques, reconstituteurs. confinement, Lieu : Le Puy du Fou, Les Epesses, Vendée, Pays-de-la-Loire Dates : Juin 2020 à Novembre 2020
Bonjour à tous,
lors que le déconfinement continue de se dérouler prudemment sur les terres de France, certains sites culturels autour du patrimoine et notamment du Moyen Âge ont déjà repris leurs activités. Ainsi, de fin mai à courant juin, un certain nombre de musées, châteaux, abbayes et sites médiévaux ont pu rouvrir, sous couvert, bien sûr d’adapter leurs visites aux exigences d’une crise sanitaire qui n’en finit plus de s’éterniser (voir la carte officielle du ministère de la Culture).
La réouverture du Puy du fou
En plus de tous ces lieux d’intérêts, de nouvelles décisions prises par le pouvoir exécutif français, autour de la mi-juin. ont également opté pour la réouverture (toujours sous conditions) de certains parcs à thème en zone verte.
Cette dernière mesure a notamment permis au célèbre parc vendéen du Puy du Fou, de rouvrir ses portes. Les médias s’en sont fait l’écho, courant juin, et l’affaire n’a pas été sans déclencher une forme de grogne, voire quelques polémiques de la part de certains acteurs culturels et politiques qui se sont posés la question d’un possible favoritisme. On sait Philippe de Villiers, fondateur du Puy du Fou, relativement « proche » du chef de l’Etat français ; il ne s’en est même jamais caché, tout en en soulignant, plus d’une fois, les limites idéologiques et factuelles de cette proximité.
Nous n’entrerons pas, de notre côté, dans ces questions, étant plutôt réjoui de voir que les loisirs et les divertissements culturels puissent être, de nouveau, proposés au public. Levier ou non, ajoutons que cette décision semble avoir favorisé, en plus de l’ouverture du parc médiéval de Vendée, celle d’un grand nombre d’autres sites culturels ou de loisirs rangés à la même enseigne et qui de fait, ont aussi pu en bénéficier.
Des mesures draconiennes pour un accueil
dans les meilleures conditions
Pour assurer l’accueil de leurs visiteurs 2020 sous les meilleures auspices, les organisateurs du Puy du Fou ont mis le paquet sur la qualité des animations autant que sur les aménagements et les grandes précautions sanitaires. Ainsi, du côté des réservations et au vu du contexte, une plus grande flexibilité a été ménagée avec même des solutions sur mesure pour répondre au mieux aux contraintes de chacun. Distances obligent : on a aussi revu les plans de circulations, les infrastructures et leurs quotas d’accueil pour réserver bien plus d’espace entre tous : dans les spectacles, les allées, les restaurants du parc … Un effort logistique monumental à mesure de la taille du parc et de ses exigences.
Pour poursuivre sur l’accueil et sur les mesures résolument sanitaires, on ajoutera des distances respectées, des gestes barrières explicités tout du long, ou encore un port du masque fortement recommandé et même rendu obligatoire sur certaines parties du parc. Tout le personnel du parc est aussi équipé de matériel anti-covid et 350 agents sont prévus en renfort pour assurer la meilleure circulation du public. Dans ce même esprit, les restaurants du parc se sont également organisés pour permettre aux gourmands qui le souhaiteraient, d’emporter plus simplement leur nourriture pour la consommer à l’air libre et au confort.
Enfin, pour lister quelques mesures fortes supplémentaires, citons la présence d’un médecin et son équipe médicale sur place, de mesures d’hygiène spéciales pour le nettoyage des installations, ainsi que 250 points de distribution de gel hydroalcoolique. En bref, pour la saison 2020, on devrait pouvoir se divertir et se changer les idées à moindre risque au Puy du Fou et le parc a mis en oeuvre tous les moyens nécessaires pour le rendre possible.
Le Puy du Fou :
Histoire & divertissement en grand
Dans le Top 3 des parcs à thème de France
Du point de vue des chiffres, le parc, aujourd’hui dirigé par Nicolas de Villiers a affiché, en 2019, près de 2,3 millions de visiteurs. Cette fréquentation continue de se placer dans le Top 3 des parcs d’attractions à thème français. Face à ses deux challengers principaux — d’un côté, l’éternel Mickey et son Disneyland Paris qui le devance (empire culturel Disney et proximité de la capitale obligent), de l’autre, les irréductibles gaulois du parc Astérix, qu’il distance — le Puy du Fou continue de se positionner sur des thématiques qui s’attachent à l’Histoire de France de Vendée et à la reconstitution : du divertissement donc, tout en jouant la carte du grand parc de loisirs familial à consonance éducative.
Grand Spectacles et attractions
Les animations du Puy du Fou sont nombreuses et épiques. Certaines se sont installées sur la durée pour devenir des classiques, d’autres sont plus changeantes. En trente ans, le Parc a ainsi pu montrer sa capacité de se renouveler et de fidéliser une partie de son public, un public dont il grand soin. Ainsi, pour la saison 2020, le Puy du Fou aurait investi plus de 60 millions d’euros afin de créer de nouveaux divertissements à l’attention de ses visiteurs. Avec tant de moyens, créativité et énergie investis, on comprend dès lors qu’il ait souhaité déployer les efforts adéquats pour leur faire partager.
Au nombre de ses attractions, le parc brille par ses grands spectacles à thème. On citera notamment Rome et les jeux du cirque, les temps médiévaux et des châteaux-forts, les vikings, l’épopée de Jeanne d’Arc, la guerre de Vendée, les mousquetaires de Richelieu, et dernièrement les Noces de Feu, spectacle spécialement réalisé pour la saison 2020. Le parc manquerait à sa grande vocation familiale, si à tout cela on n’ajoutait de nombreuses animations, attractions et spectacles conçues tout spécialement à destination des enfants.
La Cinéscénie
Côté programmation, on ne manquera pas non plus de mentionner la Cinéscénie, grande fresque de l’Histoire de la Vendée avec son impressionnante tribune, ses milliers de figurants et acteurs, ses centaines de cavaliers et de techniciens, mais aussi tous les effets aquatiques, pyrotechniques et spéciaux qui lui sont associés. Cette Cinéscénie est , d’une certaine façon, la première pierre de l’histoire du Puy du Fou puisqu’elle était déjà là à l’aube des années 80.
Faune, flore : un cadre d’exception
Si, avec tout cela, vous n’étiez pas encore conquis par l’envie de partir ou repartir à la découverte de ce fleuron du divertissement culturel et du loisir français : ajoutez-y encore, pour la flore, une forêt de près de 50 hectares qui est un véritable ode à la bio-diversité, une superbe roseraie, des jardins des simples et des potagers comme au Moyen Âge. Quant à la faune, vous y découvrirez plus d’un millier d’animaux domestiques ou sauvages, locaux ou plus exotiques, dont une fauconnerie qui héberge plusieurs centaines d’oiseaux répartis dans la bagatelle de 70 espèces (et qui s’y reproduisent).
Enfin, pour prendre parfaitement la mesure du succès de Puy du Fou, ce n’est pas par hasard que, bien au delà des frontières, le parc s’est vu décerné, à plusieurs reprises et pour ses qualités, le titre de Meilleur Parc du monde, en plus d’une foule d’autres récompenses. A ce stade, il ne tient donc plus qu’à vous de décider si vous en serez. De notre côté, après une mise en sommeil forcé de l’agenda médiéval depuis plusieurs mois, nous sommes très heureux de pouvoir le ré-ouvrir avec le Puy du Fou.
En vous souhaitant une belle journée.
Fred
Pour moyenagepassion.com A la découverte du Monde Médieval sous toutes ses formes.
Sujet : poésie médiévale, ballade médiévale, moyen-français, poésie réaliste, Honneur français. Auteur : François Villon (1431-?1463) Période : Moyen Âge tardif, XVe siècle. Titre : Ballade contre les Mesdisans de la France Ouvrage : François Villon, nouvelle édition revue corrigée et mise en ordre, avec des notes historiques et littéraires par P.L Jacob (1854)
Bonjour à tous,
ujourd’hui, nous avons le plaisir de revenir à la poésie de François Villon et ce plaisir est d’autant plus grand que nous le faisons à travers une pièce assez particulière de son oeuvre. On lui a donné des titres divers : Ballade contre les Mesdisans de la France, Ballade de l’honneur françois, ou encore Ballade contre les ennemis de France. Dans le refrain de sa ballade, son auteur l’adresse, quant à lui, à ceux ou celui « qui mal vouldroit au royaume de France ». On le voit,quelque soit le titre qu’on lui donne, le thème est assez explicite.
Une Ballade de l’honneur français
Quand nous disons que cette poésie est particulière, il est vrai qu’elle pourrait détoner avec des images plus anti-conformistes qu’on a quelquefois été tenté de former sur Villon et qui sont, finalement, plus proches d’une vision contemporaine que de la réalité historique et médiévale. Nous faisons notamment référence à une sorte d’archétype moderne du « poète maudit » : « Villon l’éternel brigand, le mauvais garçon, amoral à tous points de vue, contre et contre tous, un peu anarchiste, peut-être même nihiliste, et pourquoi pas, non-croyant, apatride, individualiste »… Bref un type qui aurait rejeté un peu tout en bloc. Or, pas tant que ça, on le verra encore ici.
Sources et attributions
La Ballade de l’honneur françois est acceptée assez communément dans le corpus du poète médiéval par ses premiers biographes et même comme étant de sa plume. Elle le demeure encore à ce jour, auprès de la majorité des spécialistes de littérature médiévale et de Villon.
Jason, la toison d’or et les Taureaux de Colchide (voir expo BnF)
Du point de vue des sources, un manuscrit en attribue explicitement la paternité à Villon : le MS Français 12490 de la BnF. D’autres codex d’époque font état de cette poésie sans lui attribuer. Dans un article de la revue Romania, daté de 1892, l’historien archiviste suisse Arthur Piaget, commentant une édition des œuvres de Villon par Auguste Longnon, monta au créneau pour contester la paternité de l’auteur médiéval sur un certain nombre de pièces présentes dans l’ouvrage. La Ballade contre les Mesdisans de la France en faisait partie. Piaget l’écartait sans étayer tellement son propos et finalement plus sur la foi d’un rejet de la légitimité du Manuscrit 12490 que sur des éléments de fond ou de style (rejet du manuscrit mis en avant par ailleurs par W. G. C. Bijvanck, spécimen d’un essai critique sur les oeuvres de François Villon ; 1882) .
« Deux-plumes n’est pas de cet avis », disait Edward Sapir en réfléchissant à la définition de « culture » et de champ culturel. Dans le monde des œuvres et des corpus médiévaux, c’est devenu presque une règle. Les deux-plumes y sont légions. Ce n’est d’ailleurs pas qu’une question « d’avis » mais de construction théorique et une hypothèse chasse l’autre. On ne peut donc qu’acter la présence de contradicteurs. Nous concernant, nous nous rangerons, pour l’instant, du côté de l’attribution possible à Villon. Nous y trouverons d’ailleurs quelques pistes du côté de ceux qui en sont d’accord.
Eléments de Contexte
Villon a-t-il écrit cette ballade, qui met clairement en exergue ses sentiments d’appartenance au royaume de France, après sa grâce royale ? Certains auteurs ont avancé qu’il avait pu le faire après ses tristes mésaventures de Meung sur Loire. Il aurait, ainsi, voulu remercier le roi français à qui il devait sa liberté nouvelle et inespérée. Au fond, pourquoi pas ? Du point de vue de la période, on aurait peu de mal à admettre que cette ballade se situe plus dans la
dernière partie de la vie connue de Villon que dans son jeune âge.
Egalement, on ne peut s’empêcher de penser, en lisant cette ballade « Villonesque », à certains accents poétiques de Charles d’Orléans dont Villon a côtoyé brièvement la cour : les « Combien certes que grand bien me faisoit de voir France que mon cœur aimer doit » du prince ou encoreson « très chrétien franc royaume de France » dont, longtemps prisonnier, il avait appelé la grandeur de ses vœux. Son éloignement du trône et du royaume avait ouvert la voie à une poésie qui chantait de manière inspirée, les honneurs de la France. Au delà de l’influence directe du prince sur sa cour et sur les cercles d’auteurs qui la côtoient, cette idée d’une grandeur française est, du reste, loin d’être incongrue chez les poètes du XVe siècle.
Alors, Villon a-t-il eu besoin, nécessairement, d’exprimer sa gratitude ou de chercher une gratification pour écrire cette ballade ? On ne voit pas très bien pourquoi il aurait eu à se forcer, sauf à projeter sur lui a posteriori une sorte de nature antagoniste de principe et vis à vis de tout, y compris de sa patrie. Outre le fait que cela ne semble pas tellement d’époque (hors de certains pactes avec l’Anglois que la guerre de cent ans avait favorisés) et ce même pour un esprit libre et marginal comme Villon, ce dernier a toujours désigné ses ennemis nominativement et la France n’en a jamais fait partie. D’autres textes montrent également qu’il se reconnait dans ses valeurs de défense du royaume (on pourra citer, en exemple, sa Ballade des Dames du temps jadis et sa « Jehanne, la bonne Lorraine qu’Anglais brûlèrent à Rouen« ).
Villon et sa défense des armes de France
chez François Rabelais
Pour abonder dans le sens d’un Villon, défenseur de l’honneur français, au siècle suivant, Rabelais avancera à son tour et non sans humour, dans cette direction (voir Œuvres de Maître François Rabelais publié sous le titre de Faits et Dits du géant Gargantua et de son fils Pantagruel, T4 , 1711). Il nous contera, en effet, un échange entre Villon et “Edouar le quin”, roi d’Angleterre (au vue des dates, il aurait plutôt dû s’agir Edouard IV). Selon Rabelais, après son bannissement, Villon se serait réfugié en Angleterre. Il aurait alors eu l’occasion d’y faire la rencontre du souverain.
Dans une scène fictionnelle haute en couleurs, Rabelais nous dépeint un Villon prenant vertement la défense des « armes de France » (au sens d’armoiries) devant le roi anglais. Le poète se moque même, largement de ce dernier et de la terreur que pourrait lui inspirer la vue de telles armes au point qu’il pourrait se faire dessus, sans retenue et de multiples fois, à leur seule vue : rabelaisien, humoristique et patriotique. Si la guerre de cent ans est finie sous Rabelais, le roi d’Angleterre peut encore y faire figure d’ennemi historique tout désigné du royaume de France et on ne peut s’empêcher de voir, peut-être là, une allusion à notre Ballade contre les Mesdisans. Rabelais abonde en tout cas dans ce sens : on peut être Villon, être mauvais garçon et pour autant, se reconnaître comme un enfant du royaume, au point d’en prendre la défense.
Des représailles vitriolées à l’encontre
des médisants et des ennemis du royaume
Pour revenir au contenu de notre ballade du jour, entre antiquité grecque, histoire romaine et références bibliques, Villon y adresse une série de bravades à l’attention de ceux qui pourraient être tenté de porter atteinte, en paroles ou en actes, au Royaume de France. Contre l’image du mauvais garçon, du polisson ou même du repenti, très auto-centré sur son expérience personnelle (à laquelle son Testament nous avait habitué), Villon s’abstrait ici du propos pour dresser une liste de représailles vitriolées auxquelles il voue tous ses détracteurs.
S’il ne laisse aucune équivoque sur le côté où il se range, il ne désigne pourtant pas ces ennemis nominativement ; au fond, l’impression générale qui ressort de la lecture est qu’il s’agit même d’ennemis intemporels : adversaires ou médisants de son temps, mais aussi ceux qui viendront, bien après lui, du dehors comme du dedans. Comme son épitaphe ( plus connu encore comme la Ballade des pendus ) c’est encore un texte qui s’inscrit dans une forme d’éternité des valeurs.
Bestiaire médiéval : le butor, échassier ambivalent, qui s’enfouit dans la vase durant l’hiver – Bibliothèque du Pays-bas
Précisons que pour rendre cette poésie,plutôt ardue, accessible à tous, nous avons suivi PL Jacob (op cité) dans son approche très annotée de l’oeuvre de Villon. Ici, les références sont denses et nombreuses et, sans le recours aux notes, leur grand nombre pourrait même rendre difficile la compréhension. En suivant le fil des supplices que le poète destine à tous les détracteurs du royaume, vous croiserez, tour à tour, des traîtres, des orgueilleux, d’autres que la convoitise ou la rapacité avaient aveuglés, d’autres encore pleins d’eux-même et jusqu’à ceux-là capables de vendre la chair de leurs enfants aux dieux pour qu’elle soit dévoré. Mais encore une fois, ne nous y trompons pas, cette ballade s’intéresse plus aux représailles à l’attention des ennemis potentiels de la France qu’à celles subies par les personnages mythiques ou historiques invoqués.
Pour finir, on notera encore que si François Villon leur réserve à tous les pires supplices, le procédé stylistique utilisé ici et sa redondance ne sont pas sans évoquer d’autres de ses poésies. Dans un autre registre, on pense, par exemple, à sa ballade des taverniers « brouilleurs de vin » qu’il vouait aux pires tortures, dans une longue litanie. Ici, l’univers est tout autre et l’humour est absent. Sous la force des références antiques, bibliques, et hautement symboliques, les ennemis du royaume seront tous condamnés par Villon à être punis pour l’éternité et même devant Dieu. Pour peu, cette ballade qu’on dirait, aujourd’hui, patriotique et qui vient d’un côté où on l’attendait moins, reléguerait la future Marseillaise de Rouget de Lisle (1792) au rang d’hymne plutôt gentillet.
La Ballade de l’Honneur François
de Villon commentée et annotée
Rencontré soit de bestes feu gectans , Que Jason vit, quérant la Toison d’or (1); Ou transmué d’homme en beste, sept ans. Ainsi que fut Nabugodonosor (2); Ou bien ait perte aussi griefve et villaine Que les Troyens pour la prinse d’Héleine ; Ou avallé soit avec Penthalus (3) ; Ou, plus que Job, soit en griefve souffrance, Tenant prison avecque Dédalus(4), Qui mal vouldroit au royaume de France !
Quatre mois soit en un vivier chantant, La teste au fons, ainsi que le butor (5); Ou, au Grant-Turc, vendu argent contant, Pour estre mis au harnois com’ bug for (comme un bœuf de trait); Ou trente ans soit, comme la Magdelaine (6), Sans vestir drap de linge, ne de laine ; Ou noyé soit, comme fut Narcisus ; Ou aux cheveux, comme Absalon (7), pendus Ou comme fut Judas, par despérance (se pendit par désespoir); Ou puist mourir, comme Simon Magus(8) : Qui mal vouldroit au royaume de France !
D’Octovien puisse venir le temps : C’est qu’on luy coule au ventre son trésor (9); Ou qu’il soit mis, entre meules flotans , En un moulin, comme fut saint Victor (10); Ou transgloutis en la mer, sans haleine, Pis que Jonas au corps de la baleine; Ou soit banny de la clarté Phoebus (Apollon, le radieux, le dieux Soleil), Des biens Juno, et du soûlas Vénus (11); Et du grant Dieu, soit mauldit à oultrance(sans espoir de pardon), Ainsi que fut roy Sardanapalus(12) Qui mal vouldroit au royaume de France !
Envoi.
Prince, porté soit ès désers Eolus(de Eole, dieu des vents), En la forest où domine Glaucus(Glaucos : dieu marin, fils de Poséidon) Ou privé soit de paix et d’espérance : Car digne n’est de possesser vertus, Qui mal vouldroit au royaume de France.
NOTES
(1) » Bestes feu gectans » : les Taureaux de Colchide sont des automates faits de bronze, crées par Héphaestos (dieu du feu, des volcans et de la forge). De la taille d’un éléphant, ils ont la propriété de cracher du feu tel un dragon. Dans la mythologie, Jason devra les affronter et réussir à les dompter pour pouvoir récupérer la toison d’or.
(2)Nabuchodonosor II roi de Babylone (605-562 av JC) également mentionné dont l’ancien testament dans lequel on nous conte qu’il fut condamné à être changé en bête durant 7 ans : Daniel 4:25 “22. On te chassera du milieu des humains et tu vivras parmi les bêtes des champs. On te nourrira d’herbe comme les bœufs et tu seras trempé de la rosée du ciel. Tu seras dans cet état durant sept temps, jusqu’à ce que tu reconnaisses que le Très-Haut est le maître de toute royauté humaine et qu’il accorde la royauté à qui il lui plaît. «
(3) Penthalus :en accord avec PL Jacob, il faut sans doute lire ici Tentalus ou Tentale, condamné par les dieux à passer l’éternité à souffrir les affres de la faim et la soif pour leur avoir présentés un banquet fait de chair humaine : celle de son propre fils Pélops. Quant à Job, il s’agit du supplicié biblique, mis à l’épreuve par le malin et condamné, en plus de subir la maladie, à perdre richesse, famille et amis.
(4) Dédalus : dans la mythologie grecque, Dédale, architecte et inventeur de génie, fut entre autre, le constructeur du labyrinthe du terrible Minotaure (qu’il a d’une certaine façon contribué à faire naître). Le roi Minos, fils de Zeus et d’Europe, finira par enfermer Dédale dans son propre piège, suite à de multiples trahisons. Ce dernier tentera de s’en échapper avec son fils Icare en fabricant des paires d’ailes. On connait les suites funestes de cette tentative d’évasion.
(5) Au Moyen Âge,le butor, petit oiseau échassier, est perçu comme un animal ambivalent, souvent associé au Malin. PL Jacob nous dit également de lui qu’à cette même époque, on pensait qu’il hibernait en s’enfouissant sous la vase.
(6) La Magdelaine. Il s’agit, bien sûr, de Marie-Madeleine ou Marie la Magdaléenne du nouveau testament (aujourd’hui objet de toutes les spéculations et controverses). Certaines écritures nous conte qu’elle se retira de longues années pour faire pénitence dans le désert, dans la misère et le dénuement le plus total.
(7) Narcisus et Absalom : On connait bien ce Narcisse de la mythologie grecque, fils du fleuve Céphise et d’une nymphe, Liriope. D’une grande beauté, il était aussi orgueilleux et plein de lui-même. Ce fut au point que, tombé amoureux de son propre reflet dans l’eau, il s’abîma dans sa propre contemplation jusqu’à se laisser surprendre par la mort. Absalomest, quant à lui, un personnage biblique de l’Ancien testament. Troisième fils du roi David, il avait vengé sa sœur d’un viol en tuant Amnon, son beau-frère, l’agresseur de cette dernière. Conspué, il s’enfuit du royaume pour fomenter une révolte quelques années plus tard. Ses troupes seront mises en déroute par celle du roi. A l’occasion d’une dernière bataille, dans la forêt d’Éphraïm, au moment de sa fuite, il se prendra la chevelure dans les branches d’un arbre. Incapable de se défendre, il sera alors exécuté par Joab, général du Roi David, contre les instructions de ce dernier qui avait formé le projet de l’épargner.
(8) Simon Magus ou Simon le mage. Ce personnage qu’on trouve aussi dans les écritures (Actes des apôtres) était connu pour ses prodiges dans la région de Samarie (ancienne capitale d’Israël en Cisjordanie). Il fut condamné à l’Hérésie pour avoir tenté de monnayer à Pierre ses pouvoirs miraculeux contre de l’argent. Une autre version explique qu’il avait requis l’aide de démons pour s’élever dans le ciel. Il entendait ainsi prouver aux romains qu’il possédait des pouvoirs divins, mais il finit par tomber et se rompre les jambes.
(9) Octavien Caius Octavius, fils adoptif de Jules Césarqui deviendra Auguste (14-63 av JC). La référence est-elle dans le second triumvirat ou y a-t-il une erreur de chronologie de Villon, comme le pense PL Jacob en suivant son prédécesseur Prompsault ? En tout état de cause, on retrouve à plusieurs reprises dans l’histoire de l’empire romain (et quelquefois contre lui), ce supplice de l’or fondu versé dans la bouche d’un condamné pour sa cupidité. Un peu avant le règne d’Octavien, (autour de 53 av JC) le général Marcus Licinius Crassus en fut victime pour sa cupidité.
(10) Saint-Victor(autour de 200-300 ap JC) : Victor de Marseille, dans les hagiographies et la vie des saints. Ce militaire romain et officier de l’empereur refusa de faire des offrandes aux Dieux Romains et fut condamné à être écrasé sous le meule d’un moulin pour avoir refusé de renier sa foi chrétienne et son dieu unique.
(11) “Des biens Juno et du soûlas Vénus “ : des biens de Junon ou des plaisirs de Venus. Autrement dit, qu’il soit exclus des bienfaits, des richesses et des honneurs de la déesse Junon mais aussi des plaisirs et des joies de l’amour prodigués par Vénus.
(12) Sardanapalus : Selon Prompsault, là encore suivi par PL Jacob, il y aurait une confusion de Villon entre Sardanapale ou Sardanapalos, connu encore sous le nom de Assurbanipal, roi assyrien (669 – 626 av JC) et Antiochus le Furieux, roi de Syrie, qui nous dit-il “périt misérablement sous l’anathème du Dieu d’Israël”. Ce n’est, il est vrai, pas le cas de Sardanapale. Il ne fut pas maudit et la bible, en tout cas, ne le mentionne pas de manière défavorable. Il ne semble pas non plus que les événements autour de la mort aient été particulièrement notables.
On notera, toutefois, que dans d’autres versions de la même ballade de Villon, on trouve en lieu du « grand dieu » le vers suivant : « Et du dieu Mars soit pugny a oultrance Ainsi que fut roy Sardanapalus ». (Voir The Drama of the Text : Proceedings of the Conference Held at St. Hilda’s College Oxford, Michael Freeman, Jane H. M. Taylor, 1996 ). Or, cela change un peu les choses, en ce cas, puisque, d’un point de vue historique, le règne de Sardanapale se fit sous le signe de nombreuses guerres (Dieu Mars) même s’il en sortit plutôt victorieux.
La mort de Sardanapale par Delacroix (1827)
Plus intéressant encore, durant l’antiquité, certains chroniqueurs grecs présentèrent Sardanapale comme un roi oiseux, débauché, plongé constamment dans la luxure et ne quittant jamais son palais. Plus tard, sur cette lancée, d’autres historiens romains, dont Justin (IIIe-IVe s ap JC), avancèrent que ce goût pour la débauche, doublée d’une nature sexuelle assez atypique pour un souverain d’alors, aurait même valu à ce dernier de s’attirer la violence des siens et les foudres du Dieu Mars (symbole de la guerre, mais aussi d’une certaine virilité et fertilité). Dans cette version des faits, le règne de Sardanapale s’acheva même de manière tragique puisque, face à l’adversité, il aurait préféré se soustraire en incendiant ses gens, ses biens et ses richesses ainsi que sa propre personne (voir ci-dessus « la mort de Sardanapale », le chef d’œuvre de Eugène Delacroix ). Une fin qui, dès lors, pourrait peut-être mieux coller à la référence de la ballade de Villon ? Ce n’est, bien sûr, qu’une hypothèse qui demanderait à être creusée. Voici en tout cas un extrait des écrits de l’historien Justin sur cette « punition » de Sardanapale par le Dieu Mars :
« … Il (un de ses préfets) découvrit Sardanapale entouré d’une foule de concubines, et dans l’habillement d’une femme, enroulant de la laine pourpre avec une quenouille, et distribuant des tâches aux filles mais les surpassant toutes en féminité et en dévergondage. Après avoir vu cela, et indigné que tant d’hommes fussent soumis à une telle femme, et que des gens qui avaient des armes de fer obéissent à une fileuse de laine, il partit rejoindre ses compagnons, leur racontant ce qu’il a vu, et leur disant qu’il ne pouvait obéir à un cinède préférant être une femme plutôt qu’un homme. Une conspiration fût formée, et la guerre éclata contre Sardanapale, … Étant défait dans la bataille, il se retira dans son palais et ayant dressé une pile de combustible à laquelle il mit le feu, s’y jeta avec ses richesses, agissant pour la première fois comme un homme.. » Justin, Abrégé des Histoires Philippiques de Trogue Pompée, Paris, Belles Lettres,
En vous souhaitant une belle journée.
Fred
Pour moyenagepassion.com A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes.
Sujet : citations médiévales, sagesse persane, morale miroirs des princes, sagesse politique, bien, mal, Période : Moyen Âge central, XIIIe siècle Auteur : Mocharrafoddin Saadi (1210-1291) Ouvrage : Le Boustan (Bustan) ou Verger, traduction de Charles Barbier de Meynard (1880)
« Deux sortes de gens, les uns bienfaisants, les autres pervers, creusent des puits pour leurs semblables : les premiers afin de désaltérer les lèvres desséchées du voyageur, les seconds pour enfouir leurs victimes. Si tu fais le mal, ne compte pas sur le bien, autant vaudrait demander au tamaris le doux fruit de la vigne. «
Une citation médiévale de Mocharrafoddin Saadi – Le Boustan
Bonjour à tous,
i les contes de MocharrafoddinSaadi nous accompagnent, souvent, dans notre exploration du monde médiéval, c’est qu’ils ont traversé le temps pour continuer de résonner jusqu’à nous, 800 ans après leur auteur. Morale éternelle ou grande modernité ? D’aucuns pourront les trouver quelquefois anecdotiques, légers même peut-être ? On ferait, pourtant, une erreur à confondre simplicité et trivialité.
Un adage vieux comme le monde
Dans les contes moraux ou spirituels, chez Saadi comme chez d’autres, la sagesse la plus profonde se drape souvent de la plus grande simplicité ; de même qu’on doit savoir différencier compréhension et expérience, la difficulté, dans la parole du sage, ne réside jamais dans son intellectualisation mais dans son actualisation et sa mise en pratique.
Quant à la dimension culturelle de l’adage du jour, du biblique« Ils sèment le vent, ils récolteront la tempête » de l’Ancien testament au « On ne récolte que ce qu’on a semé » de Saadi, sa morale causale est vieille comme le monde. Elle est aussi connue de la perse du XIIIe que du Moyen Âge occidental. Durant ces mêmes siècles, en faisant une incursion du côté de l’Asie, un maître Chán chinois comme un maître de zen Rinzaï japonais auraient pu, eux aussi, en faire une énigme profonde ou un grand Koan à l’attention de leurs disciples : comment arrêter la roue du Karma ?
Ajoutons que, comme souvent dans le Verger de Saadi, le conte et l’adage se teintent d’une dimension politique : c’est, en effet, encore un seigneur et un homme de pouvoir tyrannique qui est la cible de son histoire. La fin pourtant s’élargit de manière explicite et le message est clair : nous pouvons tous valablement tendre l’oreille aux leçons du poète médiéval.
L’homme tombé dans le puits
« Un seigneur de village dont la cruauté eût fait trembler le lion le plus féroce vint à tomber dans un puits : digne châtiment de ses méfaits. Il se lamenta comme le plus malheureux des hommes et passa toute la nuit à gémir. Un passant survint et lui jeta une lourde pierre sur la tète en disant: — A toi qui n’as été secourable pour personne, espères-tu qu’on viendra maintenant à ton secours ? Tu as semé partout le crime et l’iniquité, voilà les fruits que tu devais inévitablement recueillir. Qui songerait à guérir tes blessures, lorsque les cœurs souffrent encore de celles que ta lance leur à faites ? Tu creusais des fosses sous nos pas, il est juste que tu y tombes à ton tour.
Deux sortes de gens, les uns bienfaisants, les autres pervers, creusent des puits pour leurs semblables : les premiers afin de désaltérer les lèvres desséchées du voyageur, les seconds pour enfouir leurs victimes. Si tu fais le mal, ne compte pas sur le bien, autant vaudrait demander au tamaris le doux fruit de la vigne. Tu as semé de l’orge en automne, je ne pense pas que tu récoltes du froment pendant la moisson ; tu as cultivé avec sollicitude la plante du Zakoum (1), ne compte pas qu’elle produira des fruits, pas plus qu’une branche de laurier rose ne peut produire des dattes. Je te le dis encore, on ne récolte que ce qu’on a semé. »
Mocharrafoddin Saadi –Le Boustan (Bustan) ou verger,
traduction de Charles Barbier de Meynard (1880)
(1)Zakoum : famille d’arbres ou d’arbustes des régions tropicales auxquels appartient également dont le dattier du désert ; D’après Charles Barbier de Meynard (op cité) : « pour les exégètes du Koran et les poètes, c’est une plante infernale qui sert à la nourriture des damnés. » Voir également Description géographique, historique et archéologique de la Palestine de Victor Guérin
En vous souhaitant une belle journée.
Fred
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Sujet : citation, monde médiéval, croisades, historien, Godefroy de Bouillon, France médiévale, lyrisme, littérature, roman national Période : Moyen Âge central, XIIe siècle, modernité Auteur : Jules Michelet Ouvrage : Histoire de France – 1833
“Il appartient à Dieu de se réjouir sur son œuvre et de dire : Ceci est bon. Il n’en est pas ainsi de l’homme. Quand il a fait la sienne, quand il a bien travaillé, qu’il a bien couru et sué, quand il a vaincu, et qu’il le tient enfin, l’objet adoré, il ne le reconnaît plus, le laisse tomber des mains, le prend en dégoût, et soi-même. Alors ce n’est plus pour lui la peine de vivre ; il n’a réussi, avec tant d’efforts, qu’à s’ôter son Dieu. Ainsi Alexandre mourut de tristesse quand il eut conquis l’Asie, et Alaric, quand il eut pris Rome. Godefroi de Bouillon n’eut pas plutôt la terre sainte qu’il s’assit découragé sur cette terre, et languit de reposer dans son sein. Petits et grands, nous sommes tous en ceci Alexandre et Godefroi. L’historien comme le héros.”
Jules Michelet – Histoire de France T2 – Suite de la croisade (1833)
Bonjour à tous,
il convient de prendre soin, en relisant Jules Michelet (comme d’autres historiens du passé, du reste) de le resituer dans son temps, il demeure difficile de rester insensible à l’érudition et aux qualités de cet historien du XIXe siècle, haut en couleur et au caractère trempé. Encore aujourd’hui, sa monumentale Histoire de France impressionne par son contenu et son ambition. Pourtant, au delà de ce vaste récit national revisité à l’aulne de Michelet, ce qui frappe sans doute le plus, de prime abord, en feuilletant ses volumes, ce sont les talents stylistiques de ce dernier et l’intensité qu’il met à nous transmettre sa passion pour la France comme pour l’histoire.
Nous ne sommes pas les premiers à chanter les louanges littéraires de Jules Michelet. Face à ses parutions et notamment celle-ci, même ses nombreux détracteurs n’ont eu d’autres choix que de s’incliner sur ces aspects. De fait, qui est sensible à la langue française et aux qualités de plume ne pourra que tomber sous le charme. Nous sommes face à un grand auteur. On a même souligné ce talent chez lui au risque d’éclipser, parfois son érudition au sujet de l’Histoire elle-même. « L’auteur de l’Histoire de France écrirait-il trop bien pour être honnête ? » se demandait le journaliste Jérôme Gautheret dans un article du Monde de 2008, en saluant au passage la réédition de cette oeuvre de Michelet (l’Histoire de France de Michelet enfin réédité). La formule est triviale, mais elle résume assez bien l’idée.
Un Roman national :
l’Histoire à l’aulne de Michelet
Sur le fond, c’est un fait, Jules Michelet est un homme de conviction. Il porte des valeurs fortes et entend les transmettre. Certaines demeurent de son temps, d’autres nous semblent, aujourd’hui, venir au secours de notre modernité et vouloir l’éclairer. Par dessus tout, notre homme aime la république, comme il aime la nation et ce qui l’a forgée. Il sait aussi la France cimentée par sa langue sous les apports des peuples multiples qui l’ont formée. Sa continuité est ailleurs.
Plus qu’avoir simplement écrit une histoire de France, Michelet l’a forgé sur son enclume comme un artisan. Avec son cœur, sa fougue et le feu de ses convictions, il y a fait entrer ses vérités, La patine qui en résulte n’a pas été et n’est toujours pas du goût de tous. Elle a toujours fait polémique. Revisitée à la lumière de l’histoire actuelle, elle emporte aussi quelques inexactitudes. Bien sûr, son objectivité et ses prises de positions fortes ont été largement questionnées. On ira même jusqu’à le traiter d’imposteur. Entre toutes les critiques qui suivront, on finira par lui reprocher, de manière presque consensuelle, d’avoir été à l’origine d’une Histoire de la France romancée et même romanesque et idéalisée : un « roman national » que les temps suivants se chargeraient bientôt de mettre copieusement à bas.
« Cette œuvre mémorable, d’environ quarante ans, fut conçue d’un moment, de l’éclair de Juillet. Dans ces jours mémorables, une grande lumière se fit, et j’aperçus la France. »
Jules Michelet – Histoire de France – préface de 1869
Le souffle lyrique de Michelet
Quoiqu’il en soit, si l’idéologie n’est évidemment pas absente des ouvrages de Michelet et si son roman national a essuyé, depuis, de sérieux contre pieds, il demeure évident que personne ne pourra priver l’homme de son talent. A près de 200 ans des premiers tomes de son Histoire de France, un puissant souffle lyrique traverse encore cette oeuvre de part en part. Toute proportion gardée, c’est un peu comme si une certaine culture antique et médiévale de la chronique historique venait prendre le pas, par endroits, sur un style plus neutre et encyclopédique qu’on pourrait attendre, de nos jours, d’un projet de cette ambition. Nous sommes face, ici, à une Histoire qui se raconte avec élan et qui résonne comme autant d’histoires imbriquées. L’historien y assume pleinement la place de véritable auteur et, se faisant, il se double aussi d’un « (hi)story teller », un conteur.
Une tradition lyrique en histoire
Nous ne ferons pas ici l’historiographie d’une certaine tradition lyrique et littéraire en Histoire. Elle ne débute pas avec Michelet. Elle ne s’arrêtera pas avec lui. Une fois les éléments bien posés d’une méthodologie historique, elle se poursuivra même, jusqu’à nous, dans une proportion variable (et un attachement inégal), en fonction de la sensibilité de chaque historien. Sous le poids de l’académie ou d’une certaine épistémologie, s’il fallait poser la question : « l’Histoire devrait-elle ennuyeuse pour être sérieuse ? » La réponse serait, à coup sûr, non. Au risque de quelquefois diluer la vérité dans ses effets (à quoi vigilance commande) la discipline subit aussi les exigences (pédagogiques ou passionnées) de sa propre transmission.
Entre passion et transmission
Qu’on nous passe le jeux de mots, mais si l’histoire est faite de la chair de ses chercheurs et de ses hommes, elle a aussi ses chaires, ses têtes blondes et ses auditoires. Certes, elle est liée inextricablement et historiquement à la littérature, mais elle est aussi entrée dans le monde de l’éducation par la grande porte. Nous l’avons déjà dit, c’est à la fois un science de l’homme et une matière scolaire. A ce titre, elle reste une discipline de la passation et il faut bien qu’elle en assume pleinement les contingences : intelligibilité, nécessité et volonté de partage, mais encore passion de ses hommes et conscience aigüe, pour la plupart d’entre eux, de l’importance de la perpétuation d’une conscience historique pour une juste compréhension du présent et une meilleure préparation de l’avenir. Bien des historiens modernes pourraient tomber d’accord sur cette dernière dimension. Au milieu du XXe, souvenons-nous d’un Lucien Febvre qui s’enflammait tout entier pour un combat pour l’Histoire. Il aurait, lui aussi, de nombreux héritiers.
Pour apporter de l’eau au moulin de cette histoire attachée au style qui entend s’ouvrir à l’autre, en soignant sa plume et ses effets, on pourra encore évoquer, plus proche de nous, certaines pages de Georges Duby ou de manière plus parlante encore, certains extraits de son « Temps des Cathédrales » (papier ou télévisuel). Chez lui comme chez Michelet ou bien d’autres, on retrouvera, dans ce souffle lyrique d’une histoire qui s’enflamme, une volonté d’entraîner dans ses plus belles envolées, l’intérêt pour le passé autant que la passion pour l’histoire. De son côté, le lecteur ou l’auditeur ne pourra que s’en délecter, même s’il ne devra pas, pour autant, désarmer son sens critique. Peut-être même devra-t-il, l’exercer plus encore ; la beauté d’un effet de style ou la plus belle des anecdotes ne devraient jamais faire perdre de vue totalement la complexité des faits et toutes leurs nuances.
En vous souhaitant une belle journée.
Fred
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