Sujet : poésie médiévale, auteur médiéval, poète, amour courtois, loyal amant, français 9223 Période : Moyen Âge tardif, XVe siècle Auteur : Blosseville
Titre : j’en ay le dueil Ouvrage : Rondeaux et autres poésies du XVe siècle de Gaston Raynaud (1889)
Bonjour à tous,
u XVe siècle, la poésie de Blosseville traverse la cour de Charles d’Orléans. Elle n’est pas la seule à le faire ; on se presse alors autour du prince, amateur de lettres et d’art, lui-même grand poète, et, entre concours et jeux poétiques, on vient y exercer sa plume. François Villon, lui-même, fréquentera l’endroit, durant une courte période, et nous en laissera quelques pièces.
A l’image d’autres auteurs et nobles venus s’essayer à la rime auprès de Charles d’Orléans, on retrouve la poésie de Blosseville, notamment dans le MS Français 9223 conservé à la BnF. Daté du XVe siècle, l’ouvrage semble même être copié de la main de notre poète. On y trouve un peu moins de 200 pièces de quarante auteurs différents et c’est, on s’en souvient, un manuscrit dont Gaston Raynaud fit la transcription dans Rondeaux et autres poésies du XVe siècle, en 1889.
Blosseville, entre jeux courtois et poésie distanciée
Inconstance sentimentale, déboires passagers ou simplement jeux littéraires ? Dans ses différentes poésies, notre auteur médiéval se montre tantôt ironique et critique à l’encontre de l’amour courtois, tantôt, on le retrouve s’y prêtant avec talent et même émotion, comme dans ce rondeau du jour. Faut-il alors prendre Blosseville au premier degré ou relativiser son propos, à la lumière des autres pièces ? A juger l’ensemble, le jeu de pendule auquel il se livre, semble plutôt être la marque d’un exercice littéraire ludique et tout en distance. Après tout, on meurt plus d’amour dans les vers des poètes du Moyen Âge qu’on ne le fait dans la réalité et nous sommes de l’avis (qui n’engage que nous), de prendre la poésie de cet auteur du Moyen Âge tardif, plus au sérieux que son contenu.
J’en ay le dueil, Blosseville
J’en ay le dueil, et vous la joye, J’en ay la guerre, et vous la paiz, J’en cours, et vous allez en paiz, J’en ay courroux, qui vous resjoye, Vous en riez, et j’en lermoye, Vous en parlez, et je m’en tais ; J’en ay le dueil, et vous la joye, J’en ay la guerre, et vous la paiz.
Vous vous bangnez, et je me noye, Vous vous faictez, je me deffais, Vous me blasmez, dont ne puis mais, Vous ne voulez, que g’y pourvoye ; J’en ay le dueil, et vous la joye, J’en ay la guerre, et vous la paiz, J’en cours, et vous allez en paiz, J’en ay courroux, qui vous resjoye.
En vous souhaitant une très belle journée.
Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes
Sujet : musique médiévale, galaïco-portugais, lyrisme médiéval, culte marial, miracle, traduction. Période : XIIIe siècle, Moyen Âge central Auteur : Alphonse X de Castille, (1221-1284) Interprète : Edouardo Paniagua Titre : Cantiga Santa Maria 188, « Coraçôn d’hóm’ ou de mollér que a Virgen muit’ amar « Album : Cantigas de Mujeres (2011)
Bonjour à tous,
ujourd’hui, nous vous proposons l’étude et la traduction en français d’une nouvelle Cantiga de Santa Maria. Ces célèbres chansons dédiées à la vierge sont tirées du legs du roi d’Alphonse X de Castille. Au Moyen Âge central, le souverain castillan en a compilées et composées pas moins de 420, dans un corpus qui fait encore la joie des ensembles de la scène musicale médiévale.
Cette fois-ci, la Cantiga nous conte la grande dévotion d’une jeune fille. Comme on le verra, le miracle accompli ne se situera pas forcément là où on l’attendait. D’une certaine façon, cette Cantiga remettra même les pendules à l’heure des mentalités très chrétiennes du Moyen Âge occidental, pour le cas où on les aurait perdu de vue.
Une image de la vierge dans le cœur d’une damoiselle pieuse
Le poète nous conte, en effet, l’histoire d’une demoiselle a l’amour si grand pour la sainte vierge qu’elle n’avait fini par concevoir plus qu’un grand détachement, voire même du mépris, pour ce monde de matière. Emportée par ses jeûnes et sa volonté d’abstinence, la jeune fille finit même par refuser toute nourriture et toute boisson durant un mois entier.
Alitée et affaiblie, quand on prononçait le nom de la Sainte devant elle, elle n’avait pour seul geste que de porter la main à son cœur. Finalement dans sa grande bonté et sans plus attendre, Dieu manda la vierge pour emporter la jeune fille au Paradis.
Le salut comme récompense suprême
Ici, la dévotion se conclut donc par la mort et le miracle ne consistera pas à ramener la pieuse damoiselle à la vie. Nous sommes bien au cœur du Moyen Âge chrétien : la mort n’est pas un drame. Ce n’est qu’un passage et même l’âge n’importe pas. Ce qui compte c’est le Salut.
Dans l’esprit de cette cantiga de Santa Maria, c’est donc une fin heureuse que trouve la jeune fille. D’une certaine façon, elle l’a même appelée de ses vœux. Récompense suprême de sa foi, de son abstinence et de son grand détachement de ce monde, elle accède donc au Paradis et au bonheur éternel.
Le miracle suivra. Face à la mort prématurée de la jeune fille et convaincus qu’elle faisait le geste de montrer son cœur pour designer le siège de son mal, les parents manderont une autopsie. Se pouvait-il qu’on ait empoisonné leur enfant ? Nenni.
Durant l’opération post mortem, ils découvriront, stupéfaits, la présence de l’image de la vierge, à l’intérieur du cœur de la défunte : « même pour ceux, hommes ou femmes, qui veulent taire leur grand foi dans la sainte, cette dernière s’arrange toujours pour que cela soit établi et reconnu« . A la fin du récit et, comme dans chaque miracle, les témoins, en l’occurrence les parents et leur entourage, verront leur foi et leur dévotion renforcées.
La Cantiga de Santa Maria 188 par Eduardo Paniagua
« Cantigas de Mujeres », l’album d’Eduardo Paniagua
Nous vous avons déjà mentionné, à plusieurs reprises, Eduardo Paniagua. Grand musicien espagnol, passionné de musiques médiévales profanes ou sacrées, on lui doit de nombreux albums sur ce thème.
Concernant les Cantigas de Santa Maria en particulier, son legs est immense puisqu’au fil du temps , il a fini par toutes les enregistrer dans de nombreux albums classés par thématique. Dans ce vaste travail, on retrouve même quelquefois plusieurs versions de la même Cantiga. C’est le cas de cette Cantiga 188.
Ainsi, dans un double album daté de 1998, intitulé Cantigas de Sevilla, Eduardo Paniagua avait déjà proposé une version instrumentale de cette Cantiga 188.
En 2011, avec l’album Cantigas de Mujeres, il en proposait, cette fois, un version vocale et instrumentale qui est celle que nous vous proposons aujourd’hui. En plus de cette cantiga, l’album en présente huit autres issues du legs d’Alphonse le savant. Comme son titre l’indique, cette sélection se base sur le thème des femmes dans les Cantigas de Santa Maria, même s’il faut noter que leur corpus complet présentent un nombre de récits bien plus vaste mettant en scène des femmes.
Cet album est toujours disponible. Retrouvez-le chez votre meilleur disquaire et à défaut, vous pourrez en trouver quelques copies à la vente en ligne : Cantigas de Mujeres, Album de Edouardo Paniagua.
La Cantiga de Santa Maria 188 du galaïco-portugais au français moderne
Esta é dũa donzéla que amava a Santa María de todo séu coraçôn; e quando morreu, feze-a séu padre abrir porque põía a mão no coraçôn, e acharon-lle fegurada a omage de Santa María.
Celle-ci (cette cantiga) est à propos d’une jeune fille qui aimait Sainte Marie de tout son cœur ; Et quand elle mourut, ses parents la firent ouvrir parce qu’ils pensaient qu’on l’avait empoisonnée, et ils trouvèrent dans son cœur une image de la vierge.
Coraçôn d’ hóm’ ou de mollér que a Virgen muit’ amar, macá-lo encobrir queiran, ela o faz pois mostrar.
Cœur d’hommes ou de femmes qui aiment beaucoup la Vierge, Même quand ils veulent le cacher (couvrir), cette dernière fait le nécessaire pour que cela soit montré.
Desto ela un miragre mostrou, que vos éu direi, a que fix bon son e cobras, porque me dele paguei; e des que o ben houvérdes oído, de cérto sei que haveredes na Virgen porên mui mais a fïar.
Coraçôn d’ hóm’ ou de mollér que a Virgen muit’ amar…
A propos de cela, elle fit un miracle que je vous conterai Et duquel je fis un bon son et de bonnes strophes, pour que vous puissiez m’en payer (?) Et dès que vous l’aurez entendu, je suis bien certain Que vous aurez encore plus confiance dans le pouvoir de la vierge.
Refrain
Esto por ũa donzéla mostrou a Sennor de prez, que mui de coraçôn sempre a amou des meninnez e servía de bon grado; porên tal amor lle fez, que o ben que lle quería non llo quis per ren negar.
Coraçôn d’ hóm’ ou de mollér que a Virgen muit’ amar…
Le dame de grande valeur montra ceci par une jeune fille (donzelle) Qui de tout son cœur, l’avait aimée depuis toujours et depuis l’enfance Et qui la servait de bonne volonté ; pour cela, elle lui tenait un tel amour Que le bien qu’elle lui voulait, elle n’aurait pu le nier en rien. Refrain
Esta donzéla tan muito Santa María amou, que, macar no mund’ estava, por ela o despreçou tanto, que per astẽença que fazía enfermou, e un mes enteiro jouve que non pode ren gostar
Cette donzelle aimait si fort Sainte Marie Que, bien qu’elle était dans le monde, pour la Sainte elle le méprisait tant, que par les jeûnes (abstinences) qu’elle fit, elle tomba malade Et elle demeura ainsi, durant un mois entier, sans pouvoir rien apprécier
do que a comer lle davan e a bever outrossí. E pero que non falava, segundo com’ aprendí, se lle de Santa María falavan, en com’ oí, ao coraçôn a mão ía tan tóste levar.
Coraçôn d’ hóm’ ou de mollér que a Virgen muit’ amar…
De ce qu’on lui donnait à manger et à boire. Et bien qu’elle ne parlait pas, suivant ce que j’ai appris, Si on lui parlait de Sainte Marie, comme je l’entendis dire, Elle posait aussitôt sa main sur son cœur. Refrain
A madre, que ben cuidava que éra doente mal e que o põer da mão éra ben come sinal que daquel logar morría; e quis Déus, non houv’ i al, que a sa Madre bẽeita a fosse sigo levar.
Coraçôn d’ hóm’ ou de mollér que a Virgen muit’ amar…
La mère, était bien convaincue qu’elle était gravement malade Et qu’elle mettait sa main ainsi pour signaler Un mal à cet endroit dont elle allait mourir ; Et Dieu voulut, sans plus attendre, Que sa mère bénie s’en fut pour emporter la jeune fille. Refrain
O padr’ e a madre dela, quando a viron fĩir, cuidaron que poçôn fora e fezérona abrir; e eno coraçôn dentro ll’ acharon i sen mentir omagen da Grorïosa, qual x’ ela foi fegurar.
Coraçôn d’ hóm’ ou de mollér que a Virgen muit’ amar…
Son père et la mère, quand ils la virent mourir, Crurent qu’elle avait été empoisonnée et la firent ouvrir; Et, sans mentir, ils trouvèrent à l’intérieur de son cœur, L’image de la glorieuse, comme la jeune fille se l’était imaginée (figurée). Refrain
E dest’ a Santa María déron porên gran loor eles e toda-las gentes que éran en derredor, dizendo: “Bẽeita sejas, Madre de Nóstro Sennor, que a ta gran lealdade non há nen haverá par.”
Coraçôn d’ hóm’ ou de mollér que a Virgen muit’ amar…
Et à partir de cet instant, ils firent de grandes louanges à Sainte Marie Eux et tous les gens qui les entouraient En disant : « Bénie sois-tu, Mère de notre Seigneur, Toi dont la grande loyauté n’a et n’aura jamais d’égale. » Refrain.
En vous souhaitant une belle journée.
Fred Pour Moyenagepassion.com A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.
Sujet : citations, Moyen Âge chrétien, diable, Satan, mentalités médiévales, historien, magie noire, magie blanche, occident médiéval. Période : Moyen Âge central, XIe siècle & suivants. Auteur : Jacques le Goff Livre : La civilisation de l’Occident Médiéval (1964)
Bonjour à tous,
ous retrouvons, ici, une nouvelle citation de l’historien Jacques le Goff. Tirée de son ouvrage La civilisation de l’Occident Médiéval , elle aborde le thème omniprésent au Moyen Âge du bien et du mal, personnifié par la lutte entre Dieu et Satan.
L’homme médiéval entre Dieu et Satan
« Les hommes du Moyen Age sont donc constamment partagés entre Dieu et Satan. Celui-ci n’est pas moins réel que celui-là, il est même moins avare d’incarnations et d’apparitions. Certes, l’iconographie peut le figurer sous une forme symbolique : il est le serpent du péché originel, il se montre entre Adam et Ève, il est le Péché, péché de la chair ou de l’esprit séparés ou unis, symbole de l’appétit intellectuel ou de l’appétit sexuel. Mais surtout il apparaît sous divers aspects plus ou moins anthropomorphiques. A chaque instant il risque pour chaque homme du Moyen Age de se manifester. Il est le contenu de cette terrible angoisse qui les étreint presque à chaque instant : le voir apparaître ! Chacun se sait constamment guetté par » l’antique ennemi du genre humain ».
(…) Ce dont ne doutent pas les hommes du Moyen Age, c’est que non seulement le Diable peut, comme Dieu, avec sa permission sans doute, mais cela ne change rien à l’effet produit sur l’homme, accomplir des miracles ; cette faculté est aussi associée à des mortels, en bien ou en mal. C’est toute la dualité équivoque de la magie noire et de la magie blanche dont les produits sont en général indécelables par le vulgaire. C’est le couple antithétique de Simon le Magicien et de Salomon le Sage. D’un côté la gent maléfique des sorciers, de l’autre la troupe bénie des saints. »
Jacques le Goff – La civilisation de l’Occident Médiéval (1964)
Sorcellerie & danse du bien et du mal
sur toile de fond médiévale
Pour ceux que ces thèmes intéressent, vous pourrez les retrouver au cœur de notre roman Frères devant Dieu ou la tentation de l’Alchimiste.
Au Moyen Âge, le chemin des hommes est étroit entre foi et raison, lumière et obscurité, et les frontières y sont ténues entre science et surnaturel. Magie noire, sorcellerie, superstitions ou tours du malin, quand la vanité s’en mêle, la menace de la chute n’est jamais loin. Se pourrait-il que ces questions existentielles résonnent encore jusqu’à nous, en projetant un éclairage nouveau sur nos propres choix ?
Sur fond de Moyen Âge réaliste et historique, Frères devant Dieu ou la tentation de l’alchimiste propose une exploration des mentalités médiévales, au cœur de cette opposition entre Dieu et Satan, Bien et Mal. Son histoire conte les aventures de deux frères, un savant, l’autre troubadour, ayant vécu à la cour d’un seigneur de Provence à la fin du XIIIe siècle.
Disponibilité
Ce roman est disponible au format papier dans toutes les librairies françaises du réseau Hachette-Dilicom mais également, à la commande, sur certains sites. Vous pouvez également le trouver au format ebook dans toutes les grandes e-librairies en ligne.
Sujet : poésie médiévale, ballade médiévale, moyen-français, poésie réaliste, corpus Villon. Auteur : anonyme,attribuée à François Villon (1431-?1463) Période : Moyen Âge tardif, XVe siècle. Titre : « Ballade pour ung prisonnier » Ouvrage : Jardin de plaisance et fleur de rethoricque, A Vérard (1502). François Villon, sa vie et ses oeuvres, Antoine Campaux (1859)
Bonjour à tous
ans le courant du XIXe siècle, avec le développement des humanités et du rationalisme, émergent plus que jamais, la volonté de catégoriser, classer mais aussi de mettre en place une véritable méthodologie dans le domaine de l’Histoire. De fait, de nombreux esprits brillants s’attellent alors aux manuscrits et à la systématisation de leur étude, et ce sera, également, un siècle de grands débats autour des auteurs du Moyen Âge et de la littérature médiévale.
Manuscrits, attributions et zones d’ombre
Corollaire de ces travaux variées, mais aussi de la découverte de nouvelles sources, on se pose alors souvent la question d’élargir, ou même quelquefois de restreindre, le corpus des nombreux auteurs médiévaux auxquels on fait face. D’un expert à l’autre, la taille des œuvres prend ainsi plus ou moins « d’élasticité », suivant qu’on en ajoute ou qu’on en retranche des pièces, en accord avec les manuscrits anciens ou même, parfois, contre eux.
On le sait, dans ces derniers, il subsiste toujours des zones d’ombre. A auteur égal, les noms ou leur orthographe peuvent varier sensiblement. En fonction des manuscrits, des pièces identiques peuvent aussi se retrouver attribuées à des auteurs différents. Enfin, certains codex foisonnent de pièces demeurées anonymes. Dans ce vaste flou, on comprend que les chercheurs soient souvent tentés de forger des hypothèses pour essayer de mettre un peu d’ordre ou de faire des rapprochements.
Ajoutons que cet anonymat des pièces n’est pas que l’apanage des codex du Moyen Âge central et de ses siècles les plus reculés. Entre la fin du XVe siècle et le début du XVIe siècle, on verra, en effet, émerger un certain nombre de recueils, fascicules ou compilations de poésies qui ne mentionneront pas leurs auteurs d’emprunt (La récréation et passe temps des tristes, Fleur de poésie françoyse, etc…). Un peu plus tard, ce phénomène sera même favorisé par l’apparition de l’imprimerie. En recroisant avec d’autres sources historiques, on parviendra alors à réattribuer certaines de ces pièces à leurs auteurs mais d’autres demeureront anonymes et, là encore, on sera tenté, quelquefois, d’y voir l’empreinte d’un poète connu et, à défaut, d’éventuels copieurs ou disciples.
Le corpus de François Villon
Concernant cette « élasticité » des corpus, à l’image d’autres poètes du Moyen Âge, François Villon n’y fera pas exception. La notion d’auteur étant peu fixée durant la période médiévale, et la copie considérée comme un exercice littéraire louable, on peut alors légitimement supposer que le poète a pu faire des émules. Bien sûr, il en va aussi des grands auteurs médiévaux un peu comme les grands peintres : on est toujours, à l’affût et même désireux, de découvrir une pièce nouvelle.
Comme Villon est un auteur du Moyen Âge tardif et donc assez récent, on lui connait, depuis longtemps, une œuvre assez bordée. Dès après sa mort et plus encore après l’invention de l’imprimerie, son legs a aussi fait l’objet de maintes rééditions. Pourtant, depuis le milieu du XVIIIe siècle, un ouvrage est déjà venu semer le doute sur le corpus réel de notre poète médiéval.
Les travaux de Nicolas Lenglet Du fresnoy
Signé de la main de Nicolas Lenglet Du Fresnoy, le MS Paris Arsenal 2948 est un essai inachevé sur l’œuvre de Villon qui élargit, notablement le nombre de pièces pouvant lui être attribuées. Pour étayer ses propos, Lenglet s’appuie sur plusieurs sources, dont une qui nous intéresse particulièrement ici. Il s’agit d’un ouvrage daté du tout début du XVIe siècle et ayant pour titre « Le jardin de plaisance et fleur de rethoricque » (Ms Rothschild 2799).
On trouve, dans ce manuscrit très fourni, certaines pièces que d’autres sources historiques attribuent, par ailleurs, clairement à Villon ; à leur côté, se tiennent d’autres poésies, inédites, demeurées sans auteur, mais qui évoquent suffisamment le style ou la vie de Villon pour que Lenglet Du Fresnoy soit tenté de les rapprocher de ce dernier.
La Ballade pour ung prisonnier dans le jardin de plaisance et la fleur de rethoricque
Un aparté sur l’attribution de l’œuvre : Lenglet Du Fresnoy éclispé par La Monnoye
Pour en dire un mot, sur la question des attributions, l’affaire prend un tour assez cocasse, mais cette fois-ci, du point de vue de l’oeuvre sur l’oeuvre. En effet, une erreur fut faite au XIXe siècle, vraisemblablement par Pierre Jannet : dans ses Œuvres complètes de François Villon (1867), ce dernier attribua les travaux de Lenglet Du Fresnoy à Bernard de la Monnoye et cette erreur a perduré jusqu’à nous. Elle continue même d’être faite régulièrement et on doit à Robert D Peckham de s’être évertué à la déconstruire. Voir Villon Unsung : the Unfinished Edition of Nicolas Lenglet Du Fresnoy, Robert D Peckham, tiré de Breakthrough: Essays and Vignettes in Honor of John A. Rassias, 2007, ed. Melvin B. Yoken. Voir également Le Bulletin de la Société François Villon numéro 31.
Quoiqu’il en soit, pour revenir à nos moutons, autour des années 1742-1744, Nicolas Lenglet Du Fresnoy avait extrait du Jardin de plaisance et fleur de rethoricque de nombreuses pièces, en les attribuant à notre auteur médiéval, au risque même de le faire un peu trop largement. Ce sera, en tout cas, l’avis de certains biographes postérieurs de Villon dont notamment Jean-Henri-Romain Prompsault, au début du XIXe siècle. S’il ne suivra pas son prédécesseur sur toute la ligne, ce dernier conserva, tout de même, une partie des pièces retenues par Lenglet dans ses Œuvres de maistre François Villon, corrigées et augmentées d’après plusieurs manuscrits qui n’étoient pas connues (1835).
Antoine Campaux sur les pas de Lenglet
Vingt-cinq ans après Prompsault, dans son ouvrage François Villon, sa vie et ses œuvres (1859), l’historien et écrivain Antoine Campaux reprendra d’assez près les conclusions de Lenglet sur certaines pièces du Jardin de Plaisance et Fleur de Rhétorique et leur attribution possible à Villon. Voici ce qu’il en dira :
« Plusieurs de ces pièces semblent se rapporter, de la façon la moins équivoque, aux circonstances les plus caractéristiques de la vie du poète, comme à ses amours, à sa prison, à son exil, à sa misère, à son humeur. Quelques-unes présentent, avec certains huitains du Petit et particulièrement du Grand- Testament, des rapports si étroits et parfois même des ressemblances si grandes de fond et de forme ; l’accent enfin de Villon y éclate tellement, que c’est, du moins pour nous, à s’y méprendre. (…) Nous sommes donc persuadés avec Lenglet, qu’un grand nombre de pièces de cette compilation ne peut être que de Villon, ou tout au moins de son école. Elles en ont à nos yeux la marque, et entre autres la franchise du fond et de la forme, assez souvent la richesse de rimes, et parfois ce mélange de tristesse et de gaieté, de comique et de sensibilité qui fait le caractère de l’inspiration de notre poète. » A Campaux – op cité
Pour information, si cet ouvrage vous intéresse, il a été réédité par Hardpress Publishing. Vous pouvez le trouver au lien suivant : François Villon, Sa Vie Et Ses Oeuvres.
L’École de Villon selon Campaux
Bien que largement convaincu de la paternité villonesque d’une majorité des pièces retenues, Campaux prendra la précaution de les rattacher à une « école de Villon », en soumettant la question de leur attribution à la sagacité du lecteur ; à quelques exceptions près, ses commentaires, insérés entre chaque pièce, ne laisseront pourtant guère d’équivoque sur ses propres convictions.
Pour le reste, le médiévisteretiendra dans son Ecole de Villon, autour de 35 rondeaux et ballades, issus du Jardin de Plaisance, qu’il classera en plusieurs catégories : chansons à boire, poésies sur le thème de l’amour, ballades plus directement liées à l’évocation de l’exil, la misère et l’incarcération de Villon. Il dénombrera, enfin, des ballades sur des sujets plus variés et des pièces plus satiriques et politiques. Concernant ces toutes dernières, l’historien tendra, cette fois, à les attribuer plutôt à Henri Baude, qu’il désignera, par ailleurs, comme « un des meilleurs élèves de Villon« .
Aujourd’hui, parmi tous les poésies citées par Campaux, nous avons choisi de vous présenter celle intitulée « Ballade pour ung prisonnier ». Voici ce qu’il nous en disait : « Cette pièce est certainement de Villon, du temps qu’il était dans le cachot de Meung. J’y entends et reconnais les plaintes, les remords, les excuses, les projets de changements de vie, et il faut le dire aussi, les sentiments de vengeance de la première partie du Grand-Testament. »
Nous vous laisserons en juger mais il est vrai qu’à la lecture, on comprend aisément le trouble du médiéviste. Depuis lors, aucun expert n’a pu trancher définitivement sur la question de cette attribution et à date, on n’a trouvé cette pièce dans aucun autre manuscrit d’époque.
Ballade pour ung prisonnier
S’en mes maulx me peusse esjoyr, Tant que tristesse, me fust joye, Par me doulouser et gémir Voulentiers je me complaindroye. Car, s’au plaisir Dieu, hors j’estoye, J’ay espoir qu’au temps advenir A grant honneur venir pourroye, Une fois avant que mourir.
Pourtant s’ay eu moult à souffrir Par fortune, dont je larmoye, Et que n’ay pas pou obtenir, N’avoir ce que je prétendoye, Au temps advenir je vouldroye Voulentiers bon chemin tenir, Pour acquérir honneur et joye, Une fois avant que mourir.
Sans plus loin exemple quérir, Par moy mesme juger pourroye Que meschief nul ne peult fouyr, S’ainsy est qu’advenir luy doye. C’est jeunesse qui tout desvoye, Nul ne s’en doit trop esbahyr. Si juste n’est qui ne fourvoye, Une fois avant que mourir.
ENVOI.
Prince s’aucun povoir avoye Sur ceulx qui me font cy tenir, Voulentiers vengeance en prendroye, Une fois avant que mourir.
Une belle journée à tous.
Fred
Pour moyenagepassion.com A la découverte du Moyen Âge sous toutes ces formes.