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Mort médiévale, mort moderne : idées reçues, approche comparée et systèmes de représentations

mort_medievale_moyen-age_valeurs_systemes_de_representations_idees_recues_moyen-age_chretienSujet : mort, idées reçues, Moyen Âge chrétien, littérature médiévale, éducation religieuse, histoire médiévale, sociologie, systèmes de représentations.
Période : Moyen Âge central à tardif.
Auteurs  variés, Christine Pizan, Eustache Deschamps, Jean de Meung, Jean Meschinot.
Ouvrage collectif : À réveiller les morts : la mort au quotidien dans l’Occident médiéval. 

Bonjour à tous,

S_lettrine_moyen_age_passionuite à la citation de Christine de Pizan que nous avions publiée, il y a quelques jours, « brut de fonderie », voici quelques réflexions comparées sur les représentations de la mort au Moyen Âge et sur son statut dans nos sociétés modernes. Pour des raisons « digestives », nous scinderons cet article en deux parties. La première que nous publions aujourd’hui se penche sur la période médiévale.

Avant d’aller plus loin, voici un petit rappel de la citation en question ; dans les œuvres poétiques de l’auteur, elle est classée comme un proverbe moral :

“Quoy que la mort nous soit espouventable
A y penser souvent est prouffitable.”
  

Christine de Pizan,  Proverbes moraux. Œuvres poétiques, Tome 3.

I. La mort médiévale, gardienne « épouvantable » des valeurs chrétiennes

A défaut de verser dans la psychologie facile, applicable rétroactivement, en tout lieu et en toutes circonstances, le veuvage précoce de la philosophe, écrivain et poétesse du Moyen Âge tardif  ne semble pas seul suffire à expliquer cette citation. L’image de la mort court, en effet, d’un bout à l’autre de la littérature et la poésie médiévale. Elle y revient comme la marée, apportant dans ses rouleaux d’écume sa moisson de sagesse ou d’enseignements, et avec elles, l’entêtante question de ce qui restera à emporter, le rappel insistant de l’instant ultime dans lequel se noieront toutes les vanités et tous les avoirs. On la côtoie, on la tutoie, on la déplore, autant qu’on la redoute et, dans de nombreuses poésies morales, elle demeure fréquemment celle dont la présence doit éclairer des hommes dans leurs actes, et donner en quelque sorte du sens à leur propre finitude.

« Vous qui vivez a present en ce monde
Et qui vivez souverains en vertu
Vous est il point de la mort souvenu ?

Vos peres sont en la fosse parfonde
Manges de vers, sanz lance et sanz escu,
Vous qui vivez a present en ce monde
Et qui regnez souverains en vertu

Avisez y et menez vie ronde,
Car en vivant serez froit et chanu
Car en la fin mourrez dolent et nu.
Vous qui vivez a present en ce monde
Et qui regnez souverains en vertu
Vous est il point de la mort souvenu ? »

Rondeau d’Eustache Deschamps,
Œuvres complètes, Tome 7, Gaston Raynaud.

Quelques précisions utiles avant d’aller plus loin

Nous ne voulons pas ici entrer dans les détails nuancés des représentations qu’a pu prendre la mort dans les mille ans qui couvre le Moyen Âge (iconographique, personnalisation, danse macabre, etc), il serait aussi vain que présomptueux d’y prétendre, dans le cadre de cet article. Pour guider ces quelques réflexions, nous voulons plutôt nous intéresser à un angle simple,  celui qui nous la présente dans le courant du Moyen Âge central (du XIIe au XVe) comme une « conseillère » ou, si l’on ne veut pas rentrer dans les problématiques de personnalisation de son image, comme « un événement » dont l’évocation peut être considérée comme « utile » et guider l’homme, en quelque sorte, dans une certaine « morale » de l’action.

deco_medievale_mort_moyen-age_enluminuresDe nombreux textes médiévaux  du Moyen Âge central (littéraires, poétiques, laïques ou religieux)  nous renvoient à ce statut que l’on conférait alors à la mort, autant qu’à la forte nécessité qu’on attachait à son évocation. Ces deux paradigmes indissociables de la mort médiévale semblent avoir disparus de nos sociétés modernes occidentales et ce sont donc ces questions que nous voulons approcher, en tentant de déconstruire au passage quelques idées reçues. Ajoutons qu’il n’est pas non plus question ici de « mesurer » si l’on « parlait » plus de la mort au moyen-âge qu’on n’en parle de nos jours ou si elle était plus présente dans le quotidien ou dans la littérature qu’elle ne l’est aujourd’hui. Poser le problème de cette manière serait méthodologiquement hasardeux tout autant qu’ingénu et participerait encore d’un ensemble d’idées reçues dont nous cherchons justement à nous défaire ici.

La mort, « guide morale » de l’action

Cette parenthèse étant fermée, pour revenir à la mort médiévale prise dans le cadre du Moyen Âge occidental chrétien, sous cet angle de « guide morale de l’action » ou de « conseillère », précisons qu’il ne s’agit pas tant alors « d’apprivoiser » la mort ou même la peur qu’elle inspire.  Dans l’enseignement, la tendance est même à cultiver cette dernière et la terreur de l’enfer comme de la camarde restent des outils « didactiques » et méthodologiques prisés. Avec son évocation insistante, impérieuse même, il n’est pas tellement question d’engager un dialogue avec elle, mais bien plutôt de faire souvenir aux hommes que le passage ultime (inéluctable et non négociable) sera (serait) moins « douloureux » si la conscience du (d’un) monde d’après guidait un peu plus leur pas durant le temps qu’ils ont à passer sur cette terre et dans ce corps de chair, et les guidait comment ? Dans la mise en pratique des valeurs chrétiennes bien sûr.

« Et le corps mort ? Ton ame passera
Au jugement rigoureux et terrible…
Que songes-tu, ord (sale) vaisseau, vile cendre,
Farci d’orgueil ? Veux-tu estre damné ?
Tu prends plaisir à ta chair blanche et tendre,
Un corps pourri qui est aux vers donné !
Ton temps est bref : veuille à vertu entendre,
Ou mieux te fût n’avoir onc esté né. »

Jean Meschinot, Les lunettes des princes (1522)

deco_medievale_mort_moyen-age_enluminuresCette « sagesse » qu’il y aurait à évoquer la mort ou à y « réfléchir » dont nous parle les auteurs du Moyen Âge et à travers eux, le monde médiéval la met, en effet, tout entière au service des valeurs chrétiennes et elle se présente, invariablement, comme un rappel de ces dernières dans le cadre d’un monde transitoire : être charitable, ne pas s’accrocher férocement aux choses du monde matériel, ni courir à perdre haleine derrière des choses nécessairement éphémères, vaine gloire, avidité, accumulation de pouvoir, d’avoirs au détriment des autres, etc. On renverra encore ici inévitablement à l’image de « fortune » et sa roue qui vient encore s’articuler sur ces représentations et les renforcer, en insistant sur la vacuité/vanité de vouloir posséder, saisir, se glorifier, etc.  Outil favorisant le détachement, on parle quelquefois de « mépris du monde », c’est en tout cas bien dans ce contexte spirituel qu’évoquer la mort, y réfléchir ou y penser, est considéré comme nécessaire et « salutaire ». Il ne s’agit pas de retarder l’échéance du moment inévitable ou de sa confrontation. Un guide moral de l’action dans le contexte du Moyen Âge occidental chrétien donc ou pour paraphraser la citation d’ouverture de cet article : une gardienne « épouvantable » ou « terrifiante » des valeurs morales et spirituelles chrétiennes.

« Avant, on avait moins peur de la mort » ?

deco_medievale_mort_moyen-age_enluminuresNous insistons volontairement avec Christine de Pizan sur cette idée d’épouvantable pour être bien clair sur le fait que cultiver cette forme de proximité avec la mort ne signifiait en rien qu’elle ne terrifiait pas nos auteurs et, au delà, l’homme médiéval. « Avant on avait moins peur de la mort, avant on savait vivre avec, etc ». Rangeons toutes ces idées reçues un peu faciles et convenues, dans le domaine de l’irrecevable, c’est une évidence mais disons le tout de même, elles sont tout à fait hors de propos. Il était d’abord question d’alléger un fardeau futur et certain et d’atermoyer ou de rendre « plus doux » le « travail de mort » au moment fatidique. La mort terrifie mais la plus grande ‘angoisse reste de sauver son âme.

« Pensons que quant ly homs est au travail de mort,
Ses biens ne ses richesses ne luy valent que mort
Ne luy peuvent oster l’angoisse qui le mort,
De ce dont conscience le reprent et remort »
Jean de Meung – Le Codicille

Nécessité impérieuse, interdépendance des vivants et des morts, et pédagogie appliquée

« Pas d’autres choix que d’y penser » ?

Les visions chrétiennes d’un monde transitoire, les églises longtemps plantées de morts tout autour et à leurs abords, les épidémies à rallonge et leur cohorte de spectres grimaçants, ou encore ces nouveau-nés qui partent en nombre, sont-ce là les seules raisons qui rendent cette mort si familière au Moyen Âge comme on se plait si souvent à le souligner ? Au fond, comme on y était « plus confronté » au quotidien, cette proximité factuelle des cadavres et des morts aurait rendu certainement « inévitable » le fait d’y penser. Il y aurait là comme une évidence, une « absence de choix » en quelque sorte. En plus d’être légère, cette idée est aussi doublement fausse puisque par extension et par jeux de miroir elle sous-entend encore que ce choix nous est, aujourd’hui, totalement laissé (nous y reviendrons).

deco_medievale_mort_moyen-age_enluminuresPour que l’on comprenne bien de quoi nous parlons mais encore à quel point nous sommes, d’un point de vue sociétal, à des lieues de ce monde médiéval en terme de représentations, il faut encore bien différencier le fait de penser à quelque chose parce qu’on s’y trouve confronté du fait de l’évoquer volontairement et avec insistance, en l’absence de confrontation. Quand on parle « d’évoquer » la mort au Moyen Âge, l’affaire va, en effet, bien au delà de  s’inscrire dans la continuité d’une certaine « réalité » (supposée) des faits qui s’imposerait en quelque sorte, d’elle-même.

A partir du XIIe siècle, on va littéralement chercher à travers les enseignements religieux, et même jusque dans l’éducation infantile, le moyen concret d’y confronter les laïques, et on est très très loin d’attendre qu’elle se présente à la porte pour le faire. La « nécessité » de cette évocation, hors de tout contexte, est alors largement prônée, promulguée et enseignée par les clercs et le personnel ecclésiastique. Rien d’étonnant donc à la trouver reprise chez nombre d’auteurs avec les mêmes visées morales. Que l’homme du Moyen Âge la voyait passer ou non chaque jour derrière son huis quand elle n’y frappait pas directement pour lui, pour sa famille ou sa progéniture, n’est ici même pas en question.

Les exemplas et les prêches

Au XIIe et XIIIe siècles, se généralisent les prédications et la prêche des exemplas, ces historiettes, fables ou paraboles religieuses faites d’anecdotes, de miracles rapportés que l’on inclus souvent dans les sermons. Dans ce mouvement, il semble qu’un certain nombre d’enseignements sans doute plus réservé auparavant au monde monastique se soit étendu en direction de la société au sens large. On sait l’influence certaine que les moines exercent alors cette dernière. Elle n’est pas qu’économique ou politique avec les ordres blancs, elle est aussi spirituelle et il n’est pas rare qu’on leur prête une véritable exemplarité. Si l’on excepte les images satiriques qui leur sont attachés, les moines demeurent au fond pour nombre de chrétiens, ceux dont la vie semble la plus proche du celle du Christ des origines. D’ailleurs l’ampleur des donations qu’on leur fait, en lignage et en ressources humaines, comme en terres ou en biens, en sont des signes forts.

deco_medievale_enluminures_moine_moyen-agePour y revenir, destinés à frapper l’imagination et à ancrer les enseignements, ces exemplas  sont prêchés en direction des laïques. et peuvent emprunter à l’Histoire et aux personnages célèbres mais aussi conter des aventures survenues à des gens de toute condition. Certaines sont un peu à l’image des Cantigas Santa Maria que nous avons déjà commencé à traduire ici, d’autres sont plus banales, d’autres encore puisent dans un registre totalement étrange et surnaturel (apparition de fantôme, etc…). Nombre de ces exemplas gravitent autour de la mort. On y développe toutes les bonnes raisons qu’il y a à évoquer cette dernières : humilité, détachement du monde matériel, éloignement des tentations et du désir de chair, amour de Dieu et du prochain, etc.  Au final, cette nécessité impérieuse d’évoquer la camarde et d’y penser autant que de la craindre en ressort clairement.

Au passage, dans toutes les formes que peut prendre la fin ultime, celle que l’on craint par dessus tout, reste la mort subite, celle qui vous fondrait dessus sans vous laisser le temps de vous absoudre, ou qui, pire, vous cueillerait brutalement en plein péché ! Purgatoire, sinon enfer assuré, à moins d’invoquer dans ces cas extrêmes la Sainte-Vierge, spécialiste des sauvetages in extremis car seule capable d’intercéder efficacement auprès de son fils (là encore le culte marial et les Cantigas Santa Maria ne sont jamais très loin). On trouvera de très nombreux exemples ainsi qu’un panorama exhaustif sur ces questions, par les historiens Jacques Berlioz et Colette Ribaucourt dans leur article : Mors est timenda, Mort morts et mourants dans la prédication médiévale : l’exemple de l’alphabet des récits d’Arnold de Liège (début du XIVe), issu de l’ouvrage À réveiller les morts : la mort au quotidien dans l’Occident médiéval 

L’éducation des enfants :
enseignement, jeux et pédagogie autour de la mort

deco_medievale_enluminures_moine_moyen-agePour ce qui est de l’éducation des enfants, là encore, pas question d’attendre qu’ils y soient confrontés pour évoquer la mort. On encourage les jeux qui y ont trait, on retrouve dès les abécédaires des idées visant à les familiariser avec elle et l’éducation religieuse se charge, dès le plus jeune âge, de faire entrer l’idée de la mort et sa réalité, dans l’esprit de tous.

Les premières prières que l’on enseigne sont des prières pour les morts. Les écoliers qui courent par les rues chantent encore souvent des chants autour des morts. Les amateurs de « Métal », les « Bikers », autant que les aficionados des cérémonies et célébrations mexicaines autour de la mort, en seront sûrement ravi, on a même retrouvé  de petits objets à l’effigie de crâne ou de squelettes que l’on conseillait de porter avec soi et d’utiliser pour rester en contact avec l’idée de la mort.

« En matière de pédagogie religieuse, Savoranole préconisait de garder sur soi un squelette miniature ou une petite tête de mort et de la regarder souvent »
Danièle Alexandre Bidon « Apprendre a vivre ; l’enseignement de la mort aux enfants ». À réveiller les morts : la mort au quotidien dans l’Occident médiéval,

Selon l’historienne Danièle Alexandre Bidon qui nous sert de guide sur ces aspects, il n’est pas exclus qu’on en faisait également cadeau aux enfants. On trouvera encore nombre d’exemples à vocation pédagogique pour sensibiliser l’enfant à l’enfer. La crainte de ce dernier est  un pilier de l’enseignement et passe même souvent avant les images plus positives de paradis, de Salut et de rédemption. « J’ai une mauvaise nouvelle et une bonne, je commence par laquelle ? » –  « Allons-y pour la mauvaise ! » L’âtre familial, le feu, la broche, ou même le four à pain sont préconisés comme d’excellents moyens d’expliciter à l’enfant ce qui se trame pour le pécheur dans les profondeurs infernales. Certains auteurs vont même conseiller aux parents, en fonction de leur propre métier, d’adapter les images à utiliser pour faire comprendre à leur progéniture l’immensité de l’enfer et l’infinité de supplices qu’on peut y endurer.

Participation active aux rituels entourant la mort

Dans le concret des rituels entourant la mort, à partir de l’âge de huit ans, les enfants, encore eux, orphelins, déshérités, mais aussi écoliers, sont souvent désignés pour accompagner les morts aux veillées funèbres, et pour prier pour eux. Ils ont encore un rôle actif durant les funérailles puisqu’ils accompagnent les cortèges deco_medievale_mort_moyen-age_enluminuresfunéraires et l’on pense même, dans certains cas, que leur présence peut repousser le diable, s’il venait à s’aventurer trop près.

Mesures préventives dans le cadre d’un monde qui connait une grande mortalité infantile ? Là encore, l’idée serait réductrice et simpliste. Cette insistance à évoquer la mort fait partie intégrante d’une monde profondément christianisé où tous, religieux comme laïques, sont concernés. Et si la mort se trouve étroitement intriquée dans une pédagogie appliquée, au service de l’enseignement des valeurs spirituelles chrétiennes, on ferait une erreur grossière de croire qu’il s’agit là d’une forme d’endoctrinement à sens unique. L’ensemble du mouvement participe, en effet, d’un système de représentations partagées qui emporte l’adhésion de tous et qui touche l’équilibre entier du monde matériel et spirituel : les morts comme les vivants.

Inter-relations des morts et des vivants :
un système de représentations  complexes

On notera encore avec Danièle Alexandre Bidon (opus cité) le rapprochement troublant de ces morts qui partent emmaillotés tel des nourrissons vers leur dernière demeure avec cette omniprésence des enfants dans les rituels entourant la mort. On croit profondément alors en les vertus de la prière pour les morts et l’innocence des enfants, figures angéliques, âmes encore pures, eux-mêmes venus récemment au monde et chargés de si peu de péchés, ne peuvent qu’être les plus indiqués pour assurer le Salut de ceux qui en partent. On retrouve encore dans les Exemplas des histoires où les âmes de certains morts pour être libérée apparaissent au vivants et leur demande des faveurs. Du matériel au spirituel, la ligne de démarcation est claire, la mort se trouve à la porte de sortie, mais les cloisons ne sont pas étanches.

deco_medievale_mort_moyen-age_enluminuresAvec l’émergence du purgatoire dans le courant du XIIe siècle, l’interrelation entre les deux mondes, celui des morts et celui des vivants, devient presque palpable. Même si les frontières dogmatiques entre les quatre mondes (matériel, purgatoire, enfer, paradis) sont bien établies, il y a là peut-être là une forme de « décloisonnement » et on voit bien comment tout cela participe d’un système spirituel complexe de représentations du monde.

Dans ce contexte et encore une fois, il faut sans doute faire le deuil d’une vision simpliste qui ne verrait dans tous ces aspects entourant la mort qu’une instrumentalisation au service d’une pédagogie d’endoctrinement à sens unique. Pour l’ensemble des acteurs médiévaux impliqués, les enjeux sont bien plus complexes. Faire de la mort un enjeu d’éducation, l’évoquer même quand elle ne s’invite pas, faire encore des enfants des acteurs actifs des rituels qui l’entourent et de l’accompagnement des morts ?  C’est en réalité le salut des vivants, comme celui des morts, qui se trouve en question, autant que l’équilibre du monde chrétien et de ses valeurs.

Notre cadre de réflexion sur la mort au Moyen Âge étant un peu mieux posé et avec lui quelques idées reçues déconstruites, nous aborderons, dans un deuxième article à paraître, le statut de la mort moderne. Dans l’attente, nous comprenons déjà un peu mieux comment la citation de Christine de Pizan autant que les vers mort_histoire_litterature_medievale_mort_quotidien_occident_livre_moyen-age_central_tardifd’autres auteurs médiévaux viennent s’inscrire dans un contexte social et spirituel global.

Encore une fois, nous ne pouvons que vous recommander,  pour creuser ces aspects, de consulter le très accessible ouvrage collectif paru en 1993 et disponible sous ce lien :  À réveiller les morts : La Mort au quotidien dans l’Occident médiéval. 

En vous souhaitant une belle journée.

Frédéric F
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes

NB : l’enluminure de la mort sur l’image en-tête d’article est tirée du manuscrit médiéval Harley MS 2936. Daté de 1500-1510, ce superbe livre d’heures est conservé, aujourd’hui, à la British Library. Vous pouvez le consulter en ligne au lien suivant.

Miracle médiéval : traduction de la Cantiga Santa Maria 166 et une version en musique

musique_medievale_cantigas_santa_maria_166_enluminures_moyen-ageSujet : musique médiévale, galaïco-portugais, lyrisme médiéval, Espagne médiévale, miracle, culte marial.
Période : XIIIe siècle, Moyen Âge central
« Auteur » : Alphonse X de Castille, Alphonse le Sage (1221-1284)
Titre : Cantiga  Santa Maria 166 
Interprète : Oni Wytars,
concert de musique médiévale, Ravenne  (2010)

Bonjour à tous,

N_lettrine_moyen_age_passionous revenons  aujourd’hui à l’Espagne médiévale  du XIIIe siècle et avec elle, aux célèbres Cantigas Santa Maria, chansons monophoniques attribuées, pour le parrainage sinon pour l’écriture, à Alphonse X de Castille, connu encore sous le nom d’Alphonse le Sage, roi, érudit et poète, curieux de toutes les cultures et qui marqua également de son empreinte la langue espagnole (voir portrait).

Guérison miracle d’un paralytique,
pèlerinage et grâce rendue à la vierge

La Cantiga 166 est un chant ayant pour titre « Como poden per sas culpas os omes seer contreitos ». Elle conte l’histoire d’une guérison miracle, celle d’un homme estropié qui, pour ses pêchers et ses fautes, s’était retrouvé, durant de longues années, paralysé des membres et perclus de douleurs. Ayant fait la promesse de se rendre musique_medievale_cantigas_santa_maria_166_oni_wytars_moyen-age_centralen Pèlerinage à Salas, ville asturienne sur la route de Saint-Jacques de Compostelle, et d’y faire don d’une livre entière de cire si sa maladie disparaissait, il vit son voeu exaucé. Il s’en fut donc, sans plus attendre à Salas, comme nous l’explique la chanson qui rend encore grâce à la vierge pour le miracle accompli.

Nous avions déjà présenté, il y a quelque temps, une version instrumentale très « Free Jazz » de cette Cantiga par le groupe suédois Vox Vulgaris et c’est maintenant la version vocale (sans doute plus conventionnelle) de la formation italo-allemande Oni Wytars que nous partageons ici.  L’extrait provient d’un concert que l’ensemble médiéval donna au Théâtre Rasi de la ville italienne de Ravenne en 2010.

Como poden per sas culpas os omes seer contreitos
la Cantiga de Santa Maria 166 & sa traduction

Comme pour les autres chants des Cantigas Santa Maria, les paroles de la cantiga 166 sont en galaïco-portugais, langue de prédilection du genre littéraire des Cantigas, affectionnée à la cour d’Alphonse de Castille et, bien au delà, sur la péninsule ibérique et portugaise du moyen-âge central .

C’est au XIIIe et XIVe siècle que le galaïco-portugais connut ses plus belles heures. Ecrite, chantée et prisée par les troubadours et poètes de l’Espagne chrétienne d’alors, elle fut la langue par excellence du lyrisme poétique et rayonna hors de la péninsule jusqu’en Provence et au nord de l’Italie. Elle donnera plus tard naissance au Galicien et au Portugais moderne.

Como poden per sas culpas os omes seer contreitos,
assi poden pela Virgen depois seer sãos feitos.

De même que les hommes peuvent être estropiés par leurs propres fautes,
De même par la vierge il peuvent retrouver la santé.

Ond’ avo a un ome, por pecados que fezera,
que foi tolleito dos nenbros da door que ouvera,
e durou assi cinc’ anos que mover-se non podera,
assi avia os nenbros todos do corpo maltreitos.
Como poden per sas culpas os omes seer contreitos…

Cela survint à un homme, à cause des péchés qu’il commettait,
Et dont les membres furent paralysés par une douleur qu’il avait.
Et ainsi durant cinq ans, il ne pouvait se mouvoir
Tellement il avait tous les membres de son corps paralysé.
De même que les hommes peuvent être estropiés par leurs propres fautes …


Con esta enfermidade atan grande que avia
prometeu que, se guarisse, a Salas logo irya
e ha livra de cera cad’ ano ll’ ofereria;
e atan toste foi são, que non ouv’ y outros preitos.
Como poden per sas culpas os omes seer contreitos…

Avec cette infirmité si grande qu’il avait,
Il promit qu’il se se guérissait, il irait ensuite à Salas
Et que chaque année, il y déposerait en offrande une livre de cire ;
Et ainsi, il fut vite guéri et ne connut plus d’autres soucis.
De même que les hommes peuvent être estropiés par leurs propres fautes …

E foi-sse logo a Salas, que sol non tardou niente,
e levou sigo a livra da cera de bõa mente;
e ya muy ledo, como quen sse sen niun mal sente,
pero tan gran tenp’ ouvera os pes d’ andar desafeitos.
Como poden per sas culpas os omes seer contreitos…

Et après cela il s’en fut,  sans tarder, à Salas en pèlerinage,
Et y emporta, bonne grâce, la livre de cire.
Et il allait plein de joie, comme celui qui ne ressent plus aucune douleur;
Bien que ses pieds n’avaient plus marché depuis si longtemps.
De même que les hommes peuvent être estropiés par leurs propres fautes …

Daquest’ a Santa Maria deron graças e loores,
porque livra os doentes de maes e de doores
e demais está rogando senpre por nos pecadores;
e poren devemos todos sempre seer seus sogeitos.
Como poden per sas culpas os omes seer contreitos…

Pour cela, ils rendirent grâce à Sainte Marie et lui firent louanges
Pour qu’elle délivrent ceux qui souffrent de leurs maux et leurs douleurs,
Et parce qu’elle prie toujours pour nous, (pauvres) pécheurs,
Nous devons toujours être ses bons sujets (serviteurs).
De même que les hommes peuvent être estropiés par leurs propres fautes …

En vous souhaitant une belle écoute et une excellente journée!

Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du moyen-âge sous toutes ses formes.

Fabliau médiéval : lecture audio du Brunain, la vache au prêtre de Jean Bodel

trouveres_jean_bodel_fabliau_poesie_jongleur_medieval_moyen-age_central_lecture_audioSujet : fabliau, poésie médiévale, conte populaire satirique, trouvère d’Arras
Période : Moyen Âge central, XIIe siècle
Auteur : Jean (ou Jehan) Bodel (1167-1210)
Titre : de Brunain, la vache du prêtre
Média : lecture audio en vieux français

Bonjour à tous,

D_lettrine_moyen_age_passionans la foulée de l’article précédent sur Jean Bodel, sa vie, son œuvre et le fabliau « De Brunain, la vache au prestre » nous vous proposons aujourd’hui et pour exactement le même prix, sa lecture audio. Elle est pas belle la vie?

Lecture audio : Brunain la vache au prestre,
dans la langue de Jean Bodel

Aparté prononciation, le [oi] en [wé]

C’est moé le roé! Il est généralement entendu que la diphtongue [oi] se prononçait  « oué » ou [wé] pour le dire en phonétique correct, en français ancien.

Seulement voilà, il se trouve que nos dernières lectures sur le vieux français et sa prononciation, semble confirmer que le passage du {oi] au [wé] serait postérieur au XIIIe siècle. Avant cela, il est possible, même, si cela reste difficile, à affirmer que [oi] se prononçait de manière diphtongué comme dans « oyez, oyez bonne gens« , ce qui pourrait s’écrit  « oye » ou « olle » (en liant les deux l en ye comme en espagnol). Ex : S’averoie dans la phrase « S’averoie planté de bêtes » pourrait alors se voir prononcer, quelque que chose comme: « S’averouaille » Comme il est difficile d’en avoér la certitude absolue et pour que le texte reste plus compréhensible je n’ajoute pas cette difficulté et me contente fabliau_medieval_jean_bodel_poesie_humour_moyen-age_centralde de prononcer [oi] comme il s’écrit. A quelques reprises pour le respect de la rime, je le diphtongue toutefois légèrement en [owa]. comme justement dans ce même exemple de « S’averoie planté des bêtes », mais je ne vais pas jusqu’au « Aye » et je le coupe avant.

Notons tout de même que la difficulté de restitution de la prononciation du vieux français médiéval est immense parce que nous n’en avons que quelques traces et les témoignages d’auteurs souvent, eux-mêmes, de la renaissance. Les premiers enregistrements sonores ne datant que de la toute fin du XIXe, se situent déjà à plus de six siècles de notre sujet d’étude. Le reste fait appel à l’évolution de l’écrit et des diphtongues bien souvent en extrapolant des glissements progressifs du latin vers le vieux français, entérinés, par la suite, par des changement dans l’orthographe écrite. Dans d’autres cas, des graphies différentes pour un même vocable à époques identiques peuvent encore nous renseigner sur des prononciations plausibles. Si l’on ajoute à cela le fait qu’il y avait en plus d’un certain standard, sans doutes des myriades d’accents en fonction des régions, la difficulté se corse encore. Il faut donc faire des choix dans le champ des hypothèses.

Une belle journée à tous!
Fred
Pour moyenagepassion.com
« L’ardente passion que nul frein ne retient poursuit ce qu’elle veut et non ce qui convient » Publiliue Syrus  Ier s. av. J.-C.