Sujet : chanson, poésie médiévale, Amour Courtois, musique médiévale, lyrique courtoise, rondeau, chants polyphoniques, moyen-français Auteur-Compositeur : Gilles de Binche, Gilles Binchois (1400-1460) Titre : Se la belle n’a le voloir Période : XVe siècle, Moyen Âge tardif Interprètes : Ensemble Gilles Binchois Album : Mon souverain désir, Virgin Classics 1998
Bonjour à tous,
igne représentant de l’Ecole Bourguignonne de la toute fin du Moyen Âge, Gilles Binchois nous a laissé une musique religieuse et profane, marquée par un goût de la polyphonie, qui allait inspirer, à la même époque l’Ecole Franco-Flamande. Rappelons qu’il est d’ailleurs lui-même originaire de Mons.
Dans ce XVe déjà tourné vers la renaissance, l’art musical n’est plus celui des troubadours et des trouvères mais, du point de vue de leurs vers, les compositions profanes continuent très fréquemment de s’inscrire dans l’héritage de la lyrique courtoise des siècles précédents. C’est encore le cas ici avec cette chanson du jour. Dans ce rondeau, le poète, en parfait fine amant, est suspendu à la décision de la belle qu’il convoite et il se mourrait presque « d’amourette », par anticipation, de crainte qu’elle ne se refuse à lui.
Sources historiques : les Codices de Trente
Le MS 1374, Tr 87, manuscrit de musiques notées du XVe siècle, trentino.cultura.it
Bien que l’œuvre abondante du maître de musique soit assez dispersée en terme de manuscrits, on peut en retrouver une partie importante dans les Codices de Trente. Ces sept volumineux traités de musiques notées datant du XVe siècle sont considérés comme des documents majeurs pour la musique de l’Europe médiévale de ce siècle. La majeure partie de ces précieux ouvrages est encore conservée, à ce jour, au Musée Provincial d’Art de Castello del Buonconsiglio, à Trente, en Italie.
Le Tr87 ou MS 1374 où l’on peut croiser la chanson du jour et sa notation (cf image ci-dessus), aux côtés d’un peu moins d’une vingtaine de compositions de Gilles Binchois, était jusque là consultable en ligne au lien suivant www.cultura.trentino.it, mais nous venons de vérifier (juin 2022) et il semble que le site ne soit plus accessible pour l’instant.
Se la belle n’a le voloir, par l’Ensemble Gilles Binchois
« Le Souverain désir » de Gilles Binchois
Sous la direction de Dominique Vellard
Mené par Dominique Vellard, l’Ensemble du même nom que le compositeur est sans nul doute celui qui a le plus contribué à nous faire redécouvrir les chants et les pièces tout en subtilité de Gilles Binchois. Dans un album datant de 1997-98 , ayant pour titre Mon Souverain Desir, la formation de musiques anciennes proposait ainsi 17 pièces, tirées du répertoire profane du compositeur, sur le thème du sentiment amoureux et de la fine amor.
Ce bel album, qui démontrait une fois de plus les grands talents de son directeur, a été accueilli avec tous les honneurs sur la scène musicale. Extrêmement bien noté par la presse spécialisée, il a également reçu, en son temps, un Diapason d’Or. Il est toujours édité et disponible à la vente dans toute bonne boutique de musique ou même en ligne. Voici un lien utile pour l’acquérir : Mon souverain désir de l’Ensemble Gilles Binchois.
L’Ensemble Gilles Binchois, une longue et belle carrière pour plus de 45 albums
Fondé en 1979, cette grande formation dont nous avons déjà parlé abondamment ici, ne s’est pas cantonnée au répertoire du grand compositeur. Avec plus de 40 années de présence sur la scène des musiques anciennes, l’Ensemble Gilles Binchois a déjà légué à la postérité près de 45 albums et propose encore, de nos jours, les programmes les plus variés des temps médiévaux à l’après-renaissance. Vous pouvez retrouver leur discographie complète ainsi que l’agenda de leurs concerts sur leur site web officiel : gillesbinchois.com
Sujet : poésie médiévale, ballade, auteur médiéval, poète, moyen-français, poésie satirique, vie curiale, humour Auteurs : Philippe de Vitry (1291-1361), François Villon (1431-?1463) Titre : « Le dit de Franc-Gontier » et « les Contredicts de Franc-Gontier » Période : Moyen Âge tardif, XVe siècle. Ouvrages : oeuvres de Villon, PL Jacob (1854) , oeuvres de phillipe de Vitry, Prosper tarbé (1850)
Bonjour à tous,
ans le courant du XIVe siècle, Philippe de Vitry (1291-1361), évêque de Maux, auteur savant, poète et grand musicien champenois célèbre et apprécié de son temps, écrivit une poésie connue sous le nom de « dit de Franc-Gontier » (Gonthier).
Empreinte de lyrisme, faisant l’éloge des plaisirs simples et champêtres, l’auteur y mettait en perspective une vie rupestre, devenue symbole d’une certaine liberté et indépendance, qu’il opposait à une vie curiale aux valeurs dévoyées, emplie de compromis, de trahison, de convoitise, d’ambition, etc.. Dans son élan, Philippe de Vitry n’hésitait pas à désigner les courtisans comme des « serfs », suggérant que le moins libre des hommes, entre celui qui travaillait la terre et celui qui traînait ses chausses à la cour, n’était pas forcément celui que l’on croyait.
Certes, on ne pouvait à la fois vouloir la paix d’une vie retirée au grand air et espérer dans le même temps, richesse, luxe et confort. Le Dit de Franc-Gontierencensait donc aussi une certaine simplicité corollaire de ce choix de vie et on pouvait encore lire, dans ce plaisant récit demeuré une pièce célèbre de poésie et de littérature médiévale, l’éloge d’un travail de la terre faisant sens et étant même en soi une récompense; belle réhabilitation au passage du vilain ou du serf, de leur labeur et de la vie rupestre élevés avec ce poème et dans ce courant de XIVe siècle, au dessus de certaines moqueries communes dont ils avaient été si souvent l’objet au cours des siècles précédents (voir article les vilains des fabliaux).
Le dit de Franc-Gonthier
de Philippe de Vitry
Soubs feuille verd, sur herbe delictable Sur ruy bruyant et sur claire fontaine Trouvay fichee une borde portable, Là sus mangeoient Gontier o dame Heleyne Fromage frais, laict, beurre, fromagée, Cresme, maton, prune, noix, pomme, poire, Cibor, oignon, escaillongne froyee Sur crouste grise (bise) au gros sel pour mieulx boire. Au groumme burent; et oisellons harpoient Pour rebaudir et le dru et la drue, Qui par amours depuis s’entrebaisoient Et bouche et née, et polie, et barbue Quand eurent prins des doux mets de nature, tantot Gonthier hache au col au bois entre Et Dame Héleine si mit toute sa cure A ce buer, qui cueuvre dos et ventre. ‘J’ouïs Gonthier en abattant son arbre Dieu mercier de sa vie très sure: “Ne scai, dit-il, que sont piliers de marbre, Pommeaux luisans, murs vestus de peincture; Je n’ay paour de trahison tissue Soubz beau semblant, ne qu’empoisonné soye En vaisseau d’or. Je n’ay la teste nue Devant tyran, ne genoil qui se ploye. Verge d’huissier jamais ne me desboute, Car jusques la ne me prend convoitise, Ambition, ne lescherie gloute. Labour me paist en joieuse franchise : Moult j’ame Helayne et elle moy sans faille, Et c’est assez. De tombe n’avons cure.” Lors je dy : “Las! serf de court ne vault maille, Mais Franc Gontier vault en or jame pure”.
Version de Prosper Tarbé – les Œuvres de Philippe de Vitry (1850)
Dans le courant du même siècle et même du suivant, les thèmes de ce Franc-Gontier seront repris par d’autres auteurs médiévaux, souvent eux-même lassés de la vie curiale et de ses artifices. On pourra compter parmi eux Eustache Deschamps (voir ballade sur l’estat moyen ou encore ballade je n’ay cure d’être en geôle) ou encore Alain Chartier (1385-1430), pour ne citer que ces deux-là.
Comme référence encore plus directe, il faut encore mentionner Pierre d’Ailly (ou Ailliac) qui, dans le courant de ce même XIVe siècle et dans une petite pièce très réussie, connue d’ailleurs sous le nom de « Contre-dicts de Franc-Gontier » rendra explicitement grâce à la vie du Franc Gontier de Philippe de Vitry et à ses valeurs, contre celles du tyran dont il fera le portrait vitriolé dans sa poésie.
« Las ! Trop mieulx vaut de Franc-Gontier la vie, Sobre liesse, et nette povreté, Que poursuivir, par orde gloutonnie, Cour de tyran, riche malheureté. »
« Les contredits de Franc-Gontier » ou « Combien est misérable la vie du tyran », par Pierre d’Ailly (1351-1411), Notice historique et littéraire sur le Cardinal Pierre d’Ailly, Eveque de Cambray au XVe siècle, par M Arthur Dinaux (1824)
Satire et contre satire,
Le franc-Gontier de François Villon
Contrairement à la pièce citée de Pierre d’Ailly qui avait reconnu volontiers une certaine exemplarité dans le choix de vie du Franc-Gontier de Philippe de Vitry, les contredits de François Villon, écrits dans le courant du siècle suivant, se situeront dans un contre-pied distancié et moqueur. Grandi au milieu de l’agitation et du bruit des rues de Paris, Villon reste sans doute plus que tout un urbain, et la vie rustre, sans grand faste, sans confort et pire que tout, à l’eau et sans vin, n’ont rien pour le séduire.
« Il n’est trésor que de vivre à son aise. », il se gaussera donc « gentiment » des vers de Philippe de Vitry en invoquant l’image satirique d’un gros chanoine jouisseur et bon vivant, se tenant avec sa maîtresse dans une chambrée confortable et s’adonnant à tous les plaisirs, aidés de torrents d’Hypocras. Plus loin, poursuivant sa raillerie, il mettra encore en opposition le confort d’une bonne couche contre le lit d’herbe sous le rosier et se moquera encore de la nourriture campagnarde qui avait l’objet de tous les éloges de l’évêque de Maux, fustigeant, au passage, l’haleine chargée d’ail des deux tourtereaux, Bref, Villon tournera en dérision le Franc Gontier de Philippe de Vitry, en affirmant tout de même qu’il ne veut les juger et que chacun est libre, mais que cette vie n’est surtout pas pour lui.
Opposition entre confort et rusticité, et peut-être même au fond entre l’urbain, l’homme de la ville et l’homme de la ruralité, on ne peut s’empêcher de voir encore à travers cette ballade, le Villon gouailleur qui se fait, par jeu et par farce et avec un plaisir jamais dissimulé, le porte-parole des bons vivants, des « francs jouisseurs » et des fêtards. Pour peu, on l’imagine même bien lire cette ballade à voix haute dans quelque taverne parisienne, en faisant rire, à gorge déployée, ses compagnons de beuverie.
Pourtant et c’est finalement assez cocasse, à la relative profondeur de la satire que Philippe de Vitry avait opposé à son siècle et à la vie curiale et ses excès (convoitise, pouvoir, ambition, etc…) en prônant le retour à une certaine « vérité » des valeurs, Villon vient opposer à son tour, une contre satire qui, pour être provocatrice dans son humour et les images (anticléricales) qu’elle soulève n’est pas dénuée d’un certain conformisme sur le fond.
Contre ce monde médiéval chrétien qui tente pourtant si fort d’en freiner les ardeurs, le désir de richesse, de confort, et même plus loin de débauche et de luxure, les hommes et les satires n’en sont-ils pas déjà pleins ? Qu’ils suffisent de lire les fabliaux ou les diatribes de tous bords, adressées aux puissants, aux princes ou même au personnel de l’église et du clergé par la plupart des auteurs satiriques pour s’en convaincre. Dans ce contexte, qu’est-ce que le véritable anti-conformisme ? On en jugera mais finalement, peut-être que, depuis l’aube des temps, l’image du marginal ou du « voyou », polisson, jouisseur, dispendieux, etc, ne va-t’elle jamais tout à fait contre certaines voies tracées par les tenants du pouvoir et n’en est qu’une caricature ou une débauche exacerbée. De ce point de vue, en forme de clin d’oeil et de question ouverte, de Vitry à Villon et même si leurs manières diffèrent, on pourra se poser la question de savoir quel est le plus satirique des deux ?
Les Contredicts de Franc-Gontier
Ballade médiévale de François Villon
Sur mol duvet assis, ung gras chanoine, Lez ung brasier, en chambre bien nattée*, A son costé gisant dame Sydoine, Blanche, tendre, pollie et attaintée : Boire ypocras, à jour et à nuyetée, Rire, jouer, mignonner et baiser, Et nud à nud, pour mieulx des corps s’ayser, Les vy tous deux, par un trou de mortaise : Lors je congneuz que, pour dueil appaiser, Il n’est trésor que de vivre à son aise.
Se Franc-Gontier et sa compaigne Heleine Eussent ceste doulce vie hantée, D’aulx et civotz, qui causent forte alaine, N’en mengeassent bise crouste frottée . Tout leur mathon, ne toute leur potée. Ne prise ung ail, je le dy sans noysier. S’ils se vantent coucher soubz le rosier, Ne vault pas mieulx lict costoyé de chaise ? Qu’en dictes-vous? Faut-il à ce muser ? Il n’est trésor que de vivre à son aise.
De gros pain bis vivent, d’orge, d’avoine, El boivent eau, tout au long de l’année. Tous les oyseaulx, d’îcy en Babyloine, A tel escot, une seule jouinée Ne me tiendroient, non une matinée.. Or s’esbate, de par Dieu, Franc-Gontier, Hélène o luy, soubz le bel esglantier; Si bien leur est, n’ay cause qu’il me poise ; Mais , quoy qu’il soit du laboureux mestier, Il n’est trésor que de vivre à son aise.
Envoi.
Prince, jugez, pour tous nous accorder. Quant est à moy (mais qu’à nul n’en desplaise), Petit enfant, j’ay ouy recorder Qu’il n’est trésor que de vivre à son aise.
En vous souhaitant une excellente journée!
Fred
Pour moyenagepassion.com A la découverte du moyen-âge sous toutes ses formes
Sujet : poésie, littérature médiévale, poète médiéval, Bourgogne, poète bourguignon, Bourgogne médiévale, poésie réaliste, temps, Période : Moyen Âge tardif, XVe siècle Auteur : Michault (ou Michaut) Le Caron, dit Taillevent ( 1390/1395 – 1448/1458) Titre : Le passe-temps
Bonjour à tous,
ous parlons aujourd’hui du Passe-temps de Michault le Caron dit Taillevent. C’est un poème assez long, six-cent cinquante et un vers et quatre vingt treize strophes pour être très précis et comme c’est aussi une véritable perle de poésie du XVe siècle, plutôt que d’en livrer quelques extraits épars, ou même de le publier en un seul bloc sans aucune explication, nous avons préféré le prendre dans l’ordre et publier ici les onze premières strophes, en vous fournissant quelques clés de vocabulaire et de lecture.
Œuvre d’anthologie ?
S’il est toujours délicat de souligner une partie d’une œuvre d’un auteur comme la plus importante sans prendre le risque de déprécier tout le reste, on peut à tout le moins constater que le passe-temps est une des poésies de Michault Taillevent qui aura le plus survécu au temps. Disons cela toute proportion gardée car la postérité n’a pas réservé à ce poète médiéval la réputation qu’elle a pu concéder à d’autres et ce poète médiéval est encore aujourd’hui étudié dans un cercle qui concerne tout de même plus des spécialistes de littérature du moyen-âge tardif ou renaissant que le grand public. Il en fut semble-t-il autrement de son temps, d’ailleurs la présence de ce passe temps dans un nombre assez important de manuscrits l’atteste.
Pour mesurer encore le succès de cette poésie auprès de ses contemporains, on apprendra avec Pierre Champion (Histoire poétique du XVe siècle Tome 1, ed 1966) que l’expression « Contempler le passe-temps de Michault » a même été utilisée à l’occasion par certains auteurs, comme une locution proverbiale :
« … Faulte d’argent a tous propos lui fault D’en brief ravoir a tousjours esperance En contemplant le Passe Temps Michault…
Henri Baude . Ballade du gorrier bragard.Pierre Champion(opus cité)
Pierre Chastellain, autre poète du XVe siècle, (proche de Michault et peut-être même disciple de ce dernier?) publiera d’ailleurs entre le passe-temps et avant le testament de Villon, un contre passe-temps en réponse à notre auteur. Cette poésie de Chastellain qui ouvre sur un hommage à Michault et que l’on sait écrite après 1440 et peut-être même autour de 1448, permet d’ailleurs de déduire que le passe-temps dont on ne connait pas la date de publication précise, lui est forcément antérieur, même si c’est sans doute de peu. Sachant que Michault ne semblait plus en fonction à la cour de Bourgogne autour de 1448, on peut supposer qu’il rédigea le passe-temps autour de sa cessation d’activité, après ou même alors qu’il pensait bientôt ne plus l’être.
« En contemplant mon temps passé Et le passe temps de Michaut, J’ay mon temps perdu compassé Duquel a present bien m’y chault. Mais apres, souvent me souppe Ire De temps perdu, dont fort me deulx »
Pierre Chastellain – Le temps perdu.
On dit du passe-temps, et au moins de certaines de ses strophes qu’elles inspirèrent peut-être directement à Villon quelques vers de son testament. Il est vrai que certaines ressemblances sont assez troublantes. Ce sont en tout cas deux oeuvres contemporaines à quelques années près qui approchent magistralement la question du temps mais qui se signent aussi par l’usage du « je » ou d’un « moi » poétique qui soliloque et livre ses douleurs et ses drames tout au long de leur vers. Pierre champion (opus cité) dira même que le passe-temps de Michault est en terme de facture, pratiquement la seule oeuvre que l’on puisse rapprocher de celle de Villon, dans le courant du XVe siècle.
Sur ces similitudes (et leurs limites) entre le temps dans les deux oeuvres, et leur usage du « Je » poétique, quelques experts de littérature médiévale se sont penchés dans le détail sur le sujet et l’on pourra utilement s’y référer : Poétiques du quinzième siècle – Situation de François Villon et Michault Taillevent, Jean-Claude Mühlethaler (1983) ou encore Villon at Oxford: The Drama of the Text. Proceedings of the Conference Held at St Hilda’s College,Michael Freeman & Jane H. M. Taylor (1996) .
Emergence d’un « je » poétique au XVe siècle
Simple passe-temps comme on pouvait considérer alors la poésie (tout en la prenant très au sérieux), ces vers de Michault autour du temps qui passe et « jamais ne retourne » et qui mettent au coeur de leur poésie ce « Je », sont, selon certains auteurs, dont Robert Deschaux, ( Un poète bourguignon du XVe siècle, Michault Taillevent, 1975),annonciateurs de nouvelles formes poétiques du XVe plus subjectives et plus expressives dont Villon se fera l’un des représentants les plus éclatants.
Ayant dit cela, on se souviendra tout de même, avec Michel Zink que le « Je » n’est pas une invention propre de la poésie du XVe siècle, même s’il fait un peu l’effet d’une exception hors des thèmes amoureux dans les siècles précédents. On n’a pu, en effet, en trouver les traces dans la poésie des goliards, mais aussi chez un Rutebeuf au XIIIe siècle (qu’on a d’ailleurs parfois décrit lui-même comme un, sinon « Le », précurseur dans ce domaine), ou encore, contemporain de ce dernier chez un Colin Muset et, plus tard dans le temps, dans certaines ballades du XIVe siècle signées d’Eustache Deschamps .
Le passe-temps de Michault Taillevent,
oeuvre de maturité
Le temps a passé sur le jeune joueur de farces de la cour de Bourgogne et cette poésie est clairement une oeuvre de la maturité. A l’insouciance de la jeunesse et de ses jeux, vient succéder la peur de la vieillesse, autant que celle, plus angoissante encore de la pauvreté. Sans rente et redoutant les affres de la misère, Michault opposera dans des vers poignants le vieillard pauvre et misérable à celui qui a su prévoir. A qui la faute s’il risque de se retrouver bientôt sans rien ? Il s’en prendra à lui-même et à ce temps qu’il n’a pas su dompter. Dans les strophes que nous publions aujourd’hui, il n’entre pas encore aussi loin dans ses développements et pose le cadre.
Comme la déroute, cette poésie n’est, à l’évidence, pas le résultat d’une commande. Sans dénigrer les autres poésies de Michault, on se prend quelquefois à regretter que ses fonctions et son long office au service de Philippe le Bon, à la cour de Bourgogne ne lui aient donné plus de temps pour laisser voguer sa plume sur des oeuvres plus personnelles du type de celle-ci. Bien sûr, ayant dit cela, il faut encore être juste et souligner la valeur de témoignage historique qu’il nous a laissé à travers ses autres poésies plus proches du pouvoir, de ses fastes et de ses enjeux.
Au niveau compréhension, ce texte en moyen français présente peu de difficultés. On notera que chaque strophe finit par un locution en forme de proverbe.
Je pensoie, n’a pas sept ans, Ainsy qu’on pensse a son affaire Par maniere d’un passe-temps, Ou si come en lieu de riens faire. Mais a renouer & reffaire Trouvay trop en mes pesans fais: A longue voye* (chemin, trajet) pesans fais.
Et quant j’euz bien partout visé, Il m’ala aprez souvenir De la joye du temp(s) passé Et de la douleur advenir, Ou il me convendra venir, Car ainsi va qu’ainsi s’atourne: Temps passé jamais ne retourne.
Com(m)e j’euz maule & empraint (1) Mes faiz & en mon cuer escript, Pensay ainsy que cilz* (comme celui) qui craint Que j’avoye mon preterit*, (passé) jeune de co[u]rps & d’esperit, Gaste*(perdu, gâché), dont fuz tout esperdu: Ou conseil n’a tout est perdu.
Ou futur gisoit l’aventure De ma douleur ou de ma joye. Autre espoir, n’autre couverture, N’autre remede n’y songoye, Fors qu’en penssant mon frain rongoye En la face de mes ans cours: A mal prochain hastif secours. (2)
De ma jeunesse ou meilleur point, Ainsi que ses ans on compasse, Encores ne pensoye point Comment temps s’en va & se passe En peu d’eure & en peu d’espasse, Et la nuit vient aprez le jour: Contre joye a plaisant sejour.
A celle heure que je vous compte Le temps joieusement passoye. Je ne tenoye de riens compte, A nulle chose ne pensoye, Ou pend file & ou pend soye Qu’on fait aux champs, qu’on fait aux bours: Cuer lyet* (joyeux) ne songe que tambours.
Je n’estoye mort ne målades, Ne fortune ne me troubloit. Je faisoye ditz & ballades, Et le temps mes doulz ans m’embloit*, (me déroba) Et a celle heure me sembloit Qu’il ne me fauldroit jamais rien: De maison neufve viel merrien*. (vieilles planches, vieux bois)
Comme cil quy jeunesse mayne, Pour le temps qui si me plaisoit, Ung moys ne m’estoit pas sepmaine, Ung an qu’un mois ne me faisoit. Mon cuer en riens ne meffaisoit Qu’a maintenir joyeusete: Tousdiz* (toujours) n’est pas joieux este.
Ainsy jeunesse me maintint, Et quant j’euz beaucoup sejourne, Dedens la sienne ma main tint Et dit qu’estoit a ce jour ne Le bien ou j’estoye adjourne.(dans lequel je me tenais) Elle me bailla ce lardon* (raillerie, moquerie): Jeune poucins de peu lardon. (3)
Neantmoins tousjours com(m)e dessus Mon fait en jeu s’entretenoit. Point ne cuidoie estre decus, D’enviellir ne me souvenoit; Et jour aloit, et jour venoit, Et le jour se passoit tousdiz: Quant bergier dort, loup vient tousdiz.
Ainsi dont en jeunesse estoye, Sans tenir rigle ne compas, Et le temps par mes ans hastoye* (de hâter), Que je ne m’en guettoye pas. (guetter. sans que j’y prête attention) Viellesse m’attendoit au pas Ou elle avoit mis son embusche: Qui de joye ist* (de eissir, issir : sortir) en dueil trebusche.
(1) Mouillé et imprégner : remis en mémoire, repasser en revue (2) Quand le mal/la maladie est proche, il faut se hâter d’agir (3) La jeunesse manque d’expérience ou est insouciante,
Sujet : danse, musique médiévale, estampie, Italie, Ghaetta. Période : Moyen Âge tardif, XIVe siècle. Auteur : anonyme Source :Manuscrit Add 29987, Manuscrit de Londres, British Museum Titre : Ghaetta Interprètes : Arte Factum Album: « Saltos brincos y reverencias »
Bonjour à tous,
n espérant que ce billet vous trouve en joie, nous vous proposons une danse médiévale pour égayer votre journée. Tirée du Manuscrit de Londres, cette pièce nommée Ghaetta est une estampie de l’Italie du XIVe siècle, dont l’auteur est demeuré anonyme.
On trouve de nombreuses versions de cette pièce mais, aujourd’hui, nous vous proposons l’interprétation de l’excellente formation espagnole Artefactum dont nous avons déjà parlé, ici, à quelques reprises.
Tout entier dédié au répertoire de la musique médiévale, ce quatuor d’artistes andalous revisite avec bonheur les « classiques » du moyen-âge, en puisant à la source des manuscrits et des codex anciens. On leur doit, à ce jour, des albums qui passent pas les chansons de troubadours des XII, XIIe siècle, et vont jusqu’à Carmina Burana ou aux chants de pèlerins du moyen-âge central, en passant par les très célèbres Cantigas Santa Maria, et les danses médiévales et autres estampies qu’ils ont mis à l’honneur dans leur album « Saltos, brincos y reverencias » sorti en 2007 et réédité dans le courant de l’année 2016.
En vous souhaitant une merveilleuse journée et une belle écoute.
Fred
Pour moyenagepassion.com A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes.