Sujet : amour courtois, musique, poésie médiévale, chanson médiévale, Cantigas de amigo II, galaïco-portugais, troubadour, lyrique courtoise. Période : XIIIe siècle, moyen-âge central Auteur : Martín (ou Martim) Codax Titre: Mandad’ei comigo Interprètes :Oni Wytars Album : Amar e Trobar, la passion et le mystère au moyen-âge (1992)
Bonjour à tous,
ous partons aujourd’hui, toutes voiles dehors, à la découverte de l’art des troubadours galaïco-portugais de l’Espagne et du Portugal du moyen-âge central. Ce sera l’occasion d’approcher une nouvelle chanson de Martin Codax, prise dans le répertoire des Cantigas de amigo. Comme dans la plupart des poésies du genre, le poète met ici ses rimes dans la bouche d’une damoiselle qui nous conte ses sentiments pour son « ami », autrement dit son bien-aimé, dans l’attente de son retour ou de sa venue.
Bien que le jongleur (juglar ou jograr) galaïco-portugais Martin Codax ne soit qu’un des quatre-vingt huit auteurs des cantigas de amigo, il est demeuré, à ce jour, l’un des représentants les plus célèbres de cette lyrique courtoise médiévale et il reste, en tout cas, l’une des plus chantés. Comme nous lui avons déjà dédié un article, nous vous invitons à vous y reporter, au besoin : Martin Codax troubadour médiéval.
Oni Wytars. Mandad’ei comigo, Cantiga de Amigo 2 de Martin Codax
Amar e Trobar,
par l’ensemble Médiéval oni Wytars
‘est l’excellent ensemble allemand Oni Wytars qui nous propose ici l’interprétation de cette Cantiga de Amigo II de Martin Codax. Elle est tirée de leur album Amar e trobar, sorti en 1992. La formation y présentait seize titres empruntés au répertoire médiéval français, italien et espagnol, avec pour ambition d’approcher le thème de l’amour et de la passion au moyen-âge, au sens large. Les pièces vont en effet de l’amour courtois et profane, à un amour au sens plus spirituel, comme on le trouve dans la passion et les mystères. On trouvera ainsi des compositions issues de l’art des troubadours, des Cantigas de Amigo, mais encore des pièces en provenance du Livre Vermell de Montserrat ou des Cantigas de Santa Maria.
Oni Wytars signait également, dans cet album, une collaboration avec le très reconnu compositeur, chef d’orchestre, musicien et musicologue autrichien. René Clemencicet ce dernier venait prêter, ici, ses talents d’instrumentiste à la flûte à bec, à la flûte en corne (gemshorn) ou encore au chalémie (instrument médiéval de la famille des hautbois).
Du côté du chant, c’est la soprano Ellen Santaniello qui prêtait ici sa belle voix à la pièce de Martin Codax du jour.
Mandad’ei comigo de Martin Codax
et sa traduction/adaptation en français
Mandad’ei comigo, ca ven meu amigo. E irei, madr’ a Vigo
Un message m’est parvenu Que venait mon doux ami Et j’irai, mère, à Vigo
Comigo’ei mandado, ca ven meu amado. E irei, madr’ a Vigo
J’ai avec moi le message Que venait mon bien-aimé Et j’irai, mère, à Vigo
Ca ven meu amigo e ven san’ e vivo. E irei, madr’ a Vigo
Que venait mon doux ami bien portant et vivant Aussi, j’irai, mère, à Vigo
Ca ven meu amado e ven viv’ e sano. E irei, madr’ a Vigo
Que venait mon bien-aimé Bien vivant et bien portant Aussi, j’irai, mère, à Vigo
Ca ven san’ e vivo e d’el rei amigo E irei, madr’ a Vigo
Qu’il venait bien portant et vivant
Et qu’il est du roi l’ami Aussi, j’irai, mère, à Vigo
Ca ven viv’ e sano e d’el rei privado. E irei, madr’ a Vigo
Qu’il venait vivant et bien portant et qu’il est du roi, favori Aussi, j’irai, mère, à Vigo
En vous souhaitant une belle journée.
Fred
Pour moyenagepassion.com A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes.
Sujet : chanson, poésie d’inspiration médiévale, musique, folk, poésie, résonance poétique, médiévalisme. Période : XXe siècle, XXIe siècle Auteur : Sergueï Essénine (1895 – 1925), Etienne Roda-Gil (1941-2004), Angelo Branduardi Titre : Confessions d’un Malandrin, Interprète : Angelo Branduardi Album : Confession d’un malandrin (1981)
Bonjour à tous,
ans les mystérieuses raisons qui peuvent nous pousser, enfants, à nous intéresser à l’Histoire ( un de ses aspects ou une de ses périodes en particulier), il nous a fallu compter avec un artiste italien, qui, dans les années 80, commença à illuminer de son art et de ses textes uniques le paysage musical français. Indifférent aux modes, en plein cœur des années disco, Angelo Branduardi venait proposer ses créations, ses mélodies aux sonorités anciennes et sa grande poésie et le public en redemandait. Et peu importe alors qu’elles fussent ou non empruntées au Moyen Âge historique, elles avaient une saveur toute médiévale et cet auteur-compositeur interprète, qui ne ressemblait à nul autre, semblait être un troubadour égaré dans notre monde. Venu de temps anciens aux commandes d’une mystérieux machine, il était peut-être même le dernier des troubadours italiens.
Angelo Branduardi, le dernier troubadour italien
S’il a émergé au milieu des années 70 et leur goût prononcé pour le néo folk médiéval d’origine celtique ou même le folk « progressif », Angelo Branduardi a toujours fait figure d’être un artiste solitaire et indépendant. Loin des influences d’autres groupes de cette période, son style demeurait déjà unique. Alors, pour tenter de le ranger quelque part, on a pu parler de « folk-rock d’influence médiévale », mais en réalité, ce que fait surtout Angelo Branduardi, c’est surtout du Angelo Branduardi.
Côté cursus, il vient d’un parcours musical classique. Violoniste soliste surdoué, formé au conservatoire Niccolò Paganini de Gènes, il en sortira à l’âge de 16 ans avec un premier prix. Il étudiera aussi un temps la philosophie et se piquera encore de poésie auprès du poète et écrivain italien Franco Fortini qui sera l’un de ses professeurs.
Entré presque par hasard dans le monde de la chanson, le baladin et multi-instrumentiste compose ses propres musiques et chante dans un nombre impressionnant de langues (italien, anglais, français, espagnol, etc…). Du côté des paroles, s’il s’inspire quelquefois de chansons traditionnelles, de textes anciens ou de poésies plus récentes, c’est presque toujours son épouse Luisa Zappa qui sera sa parolière en italien quand ils n’écriront pas les textes à quatre mains. Dans les autres langues, il choisira soigneusement ses paroliers pour proposer de véritables adaptations poétiques.
Du côté des compositions, si elle peut sembler d’origine médiévale à l’oreille profane, la musique d’Angelo Branduardi prend en réalité, le plus souvent sa source dans un répertoire plus classique, celui qu’il a appris au conservatoire de Gènes ; il n’y avait pas alors de formation aux musiques plus anciennes et médiévales. Ses œuvres sont donc plus résolument baroques, quelquefois renaissantes, et il va encore chercher dans le folklore méditerranéen ou même yiddish les sources de son inspiration. Sur scène, l’artiste se laisse emporter par son art et il s’y tient souvent, les yeux fermés, tout entier habité par sa musique et plongé au cœur d’une intériorité dont il demeure le seul à possèder les clés.
Maintes fois primé pour ses albums, plusieurs fois disque d’Or, il se fera un peu plus discret en France à compter du milieu des années 90, mais il restera actif artistiquement en d’autres lieux. Après de longues années de travail en Italie et en Allemagne et pour le plus grand plaisir d’un public français qui lui est resté fidèle, il reviendra avec des concerts mais aussi avec un Best Of de ses chansons françaises en 2015.
Sur la partie les plus médiévales de ses productions, dans les années 2000, il signera « L’infinitamente Piccolo », une œuvre poétique et musicale sous forme de spectacle (suivie en 2007 d’un DVD) dédiée tout entière à Saint-François d’Assise : La Lauda di Francesco (la laude, les louanges de Saint-François).
Pour consulter l’actualité et l’agenda d’Angelo Branduardi, voici le lien vers la version française de son site web officiel.
« Les Confessions d’un Malandrin » une chanson « d’inspiration » médiévale
Bien qu’enregistrée seulement en 1981 en langue française, en plus d’être une pure merveille, la chanson que nous vous proposons aujourd’hui a ceci de particulier qu’elle est la toute première composée par Angelo Branduardi. Ecrite à l’âge de 18 ans, presque par jeu et « dans les tourments de l’adolescence », comme il le confiera lui-même lors d’un interview à la télévision italienne, l’artiste ne se destinait alors pas du tout à être chanteur. Au hasard d’une rencontre c’est pourtant bien cette chanson qui le propulsera dans une carrière qu’il avait été loin d’imaginer et qu’il avait projetée bien plus « classique ».
Du point de vue musical comme textuel, à la première écoute, les confessions de ce malandrin ont déjà l’air de nous transporter dans le Moyen Âge des troubadours avec ce poète qui court de village en village. Fils de modestes paysans, il est devenu célèbre et on parle désormais de lui chez « les rois et les reines ». Pourtant, il reste attaché par l’âme et le cœur à sa terre natale, et il se livre, de manière touchante, dans cette poésie.
Confessioni di un malandrino version italienne
Le souffle d’un grand poète russe pour la musique inspirée d’un troubadour italien
Loin de trouver ses origines dans la période médiévale, les paroles de cette chanson proviennent en réalité d’un poème russe daté de 1920 et signé de la main de Sergueï Aleksandrovitch Essenine (Serge Esenin) (1895 – 1925). Auteur de talent, encore largement reconnu en Russie, poète, « voyou », homme engagé aussi aux côtés de la révolution d’octobre, Essenine chanta l’âme russe et l’attachement à sa terre comme personne.
« Ce n’est pas tout un chacun qui peut chanter. Ce n’est pas à tout homme qu’est donné d’être pomme Tombant aux pieds d’autrui. Ci-après la toute ultime confession, Confession dont un voyou vous fait profession.
C’est exprès que je circule, non peigné, Ma tête comme une lampe à pétrole sur mes épaules. Dans les ténèbres il me plaît d’illuminer L’automne sans feuillage de vos âmes. »
Sergueï Esenin – Extrait de Confession d’un voyou, traduction d’Armand Robin
Cette poésie qui toucha Angelo Branduardi au cœur est inspirée directement de la vie du poète russe ; il était lui-même issu d’une famille de paysan. Consumé peut-être par sa propre sensibilité, Sergueï Essénine mit fin à ses jours à l’âge de trente ans, en laissant pour témoignage une poésie écrite de son propre sang. La version du suicide fut contestée par la famille, mais le jeune poète russe au destin tragique emporta la vérité dans sa tombe (pour quelques extraits de son oeuvre, consultez cet article d’Esprits Nomades ).
Ayant trouvé de grandes résonances avec le poète, le jeune Angelo Branduardi signa donc l’adaptation italienne de ces « confessions d’un voyou » dans les années 70 et c’est son parolier français de prédilection, Etienne Roda-Gil qui en fit, bien plus tard, en 1981, une adaptation française très inspirée. Elle vint rejoindre d’autres chansons du troubadour italien dans un album qui portait d’ailleurs le nom de la chanson.
Ajoutons que la version italienne, elle-même magnifique, est assez fidèle dans sa trame et ses vers au poème d’origine de Sergueï Esénine qui l’avait inspirée. On doit son « tour médiévalisant » à Angelo Branduardi qui l’avait déjà amorcé dans la version italienne par son choix de vocabulaire : le « voyou » entre autre, s’était déjà changé chez lui en « malandrin ». Etienne Roda-Gil le suivit dans la version française et renforça encore les images médiévales avec ces paysans qui craignaient « le seigneur du ciel et les tourbières » chez le poète russe et qui, avec lui, se mirent à craindre « les seigneurs et leur colère », avec encore ce poète dont on parlait chez « les rois et les reines » et qui, dans la version originale, chantait la Russie. Le passage à l’univers du Moyen Âge était fait et l’évocation totalement réussie.
Confessions d’un malandrin, les paroles et l’adaptation française de Roda-Gil
Les Confessions d’un Malandrin en Version Française
Je passe les cheveux fous dans vos villages, la tête comme embrasée d’un phare qu’on allume Aux vents soumis je chante des orages aux champs labourés la nuit des plages. Les arbres voient la lame de mon visage où glisse la souillure des injures Je dis au vent l’histoire de ma chevelure qui m’habille et me rassure.
Je revois l’étang, de mon enfance où les roseaux et toutes les mousses dansent et tous les miens qui n’ont pas eu la chance d’avoir un fils sans espérance. Mais ils m’aiment comme ils aiment la terre ingrate à leurs souffrances à leur misère Si quelqu’un me salissait de reproches ils montreraient la pointe de leur pioche.
Paysans pauvres mes père et mère attachés à la boue de cette terre Craignant les seigneurs et leurs colères pauvres parents qui n’êtes même pas fiers d’avoir un fils poète qui se promène dont on parle chez les rois et chez les reines qui dans des escarpins vernis et sages blesse ses pieds larges et son courage.
Mais survivent en moi comme lumière les ruses d’un voyou de basse terre devant l’enseigne d’une boucherie campagnarde je pense aux chevaux morts mes camarades Et si je vois traîner un fiacre jaillit d’un passé que le temps frappe je me revois aux noces de campagne parmi les chairs brulées des paysannes.
J’aime encore ma terre, bien qu’affligée de troupes avares et sévères c’est le cri sale des porcs que je préfère à tous les discours qui m’indiffèrent. Je suis malade d’enfance et de sourires de frais crépuscules passés sans rien dire Je crois voir les arbres qui s’étirent se réchauffer puis s’endormir.
Au nid qui cache la couve toute neuve j’irai poser ma main devenue blanche mais l’effort sera toujours le même et aussi dure encore, la vieille Écorce. Et toi le grand chien de mes promenades enroué, aveugle et bien malade tu tournes la queue basse dans la ferme sans savoir qui entre ou qui t’enferme.
Il me reste des souvenirs qui saignent de larcins de pain dans la luzerne et toi et moi mangions comme deux frères chien et enfant se partageant la terre Je suis toujours le même, le sang, les désirs, les mêmes haines sur ce tapis de mots qui se déroule je pourrais jeter mon cœur à vos poules.
Bonne nuit faucille de la lune brillante dans les blés qui te font brune de ma fenêtre j’aboie des mots que j’aime quand dans le ciel je te vois pleine La nuit semble si claire qu’on aimerait bien mourir pour se distraire qu’importe si mon esprit bat la campagne et qu’on montre du doigt mon idéal.
Cheval presque mort et débonnaire à ton galop sans hâte et sans mystère j’apprends comme d’un maître solitaire à chanter toutes les joies de la terre De ma tête comme d’une grappe mure coule le vin chaud de ma chevelure.
De mon sang sur une immense voile pure, je veux écrire les rêves des nuits futures…
En vous souhaitant une belle journée et une très belle écoute.
Frédéric EFFE. Pour Moyenagepassion.com A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.
Sujet : musique médiévale, danse médiévale, Ductia, chanson de l’Angleterre Médiévale Période : moyen-âge central, XIIIe siècle, Titre :Ductia Auteur : anonyme Interprète : The Dufay Collective Album :Miri it is. Songs And Instrumental Music From Medieval England(1995) Editeur : Chandos
Bonjour à tous,
ujourd’hui, nous vous proposons un peu de danse médiévale légère avec une Ductia en provenance de l’Angleterre du XIIIe siècle. Nous devons son interprétation à l’ensemble The Dufay Collective et elle est issue de leur troisième album, sorti en 1995, et ayant pour titre « Miri it is.Songs And Instrumental Music From Medieval England« .
Estampie, Ductia et Nota, on se souvient que ces danses du moyen-âge central, nées autour des XIIIe, XIVe siècles, peut-être en France, ont trouvé rapidement un terrain d’élection sur le sol de l’Italie et de l’Angleterre médiévales.
Danse médiévale : un Ductia du XIIIe siècle par le Dufay Collective
Miri it is. Songs And Instrumental Music From Medieval England
omme son titre l’indique, on retrouvait dans cet album du Dufay Collective, la chanson « Miri it is while sumer ilast » (dont nous vous avons déjà parlé ici), mais encore dix-neuf autres titres, entre chansons et danses, pris dans un répertoire à la fois profane et religieux.
A l’occasion de cette production, le jeune et talentueux ensemble anglais invitait le ténor John Potter(portrait ci-contre) à se joindre à lui sur l’ensemble des pièces vocales. En plus d’être une voix célèbre en Angleterre et même au delà pour avoir participé à de nombreux ensembles médiévaux et classiques, ce dernier est également un auteur et un universitaire reconnu pour sa grande expertise en musicologie, sur un répertoire qui va des musiques médiévales et anciennes, au classique et même à des pièces plus modernes. Sur le terrain vocal, cet artiste dont la carrière impressionnante a débuté dans les années 70, a déjà plus de cent albums à son actif. On y trouve même du Led Zeppelin ! La pièce du jour étant instrumentale, nous aurons très certainement l’occasion de revenir sur son travail artistique dans le futur.
Dans l’attente, cet album du Dufay Collective est toujours disponible à la vente en ligne. On le trouve au format CD mais aussi dématérialisé (MP3) ce qui offre l’avantage de pouvoir écouter un échantillon de toutes les pièces et éventuellement de les acquérir séparément. Si vous êtes intéressés ou pour en savoir plus, vous pourrez toutes les trouverer sur ce lien (ou en cliquant sur l’image de l’album): « Songs And Instrumental Music From Medieval England, format CD ou dématérialisé ».
En vous souhaitant une belle journée et une bonne écoute.
Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com A la découverte du moyen-âge sous toutes ses formes.
En réalité, du point de vue de sa datation, cette chanson n’a absolument rien de médiéval puisque son texte remonte aux années 1828. Outre qu’elle demeure fort agréable à écouter – la belle voix de Gabriel Yacoub se coulant toujours parfaitement dans ce style de texte – elle permet aussi de mieux illustrer le procédé littéraire par lequel Victor Hugo crée une facture et une ambiance médiévale sur une toile de fond historique qui pourtant ne l’est pas. Loin des grandes guerres et échauffourées du moyen-âge, cette ballade a, en effet, pour contexte la bataille de Prague de 1757 qui, pendant la guerre de sept ans, opposa violemment les prussiens aux autrichiens. Elle fut d’ailleurs l’une des plus meurtrières du XVIIIe siècle avec plusieurs dizaines des milliers d’hommes tués ou blessés de chaque bord.
Bataille de Prague 1757, mort du Maréchal Von Schwerin sur le champ de bataille, peinture de Johann Christoph Frisch (1738-1815)
Cette ballade dramatique et romantique de Victor Hugo se situe dans le contexte de cette bataille, au retour des troupes et il nous conte les déboires d’une jeune fille attendant son bien-aimé, parti au combat. En s’apercevant qu’il ne reviendra pas, elle mourra sur le coup. Il n’est donc pas question de récit historique et on s’inscrit ici clairement dans l’univers de la fiction et même du conte. Sur sa toile de fond autant que sur le récit, cette poésie a été directement inspirée à Hugo par le poète allemand Gottfried August Bürger (1748-1794), auteur romantique que l’on crédite d’avoir été, dans le courant du XVIIIe siècle, l’un des pionniers de ces nouvelles « ballades » d’inspiration médiévale.
Lénore, une ballade fantastique et gothique du Gottfried August Bürger
En 1774, cet auteur, célèbre par ailleurs pour son adaptation ou même, peut-on dire pour sa réécriture en allemand des Fabuleuses Aventures du Légendaire Baron de Munchhausen (que Terry Gilliam porta à l’écran). publia, dans un magazine allemand, une ballade romantique ayant pour titre Lénore et qui fit date.
Bien plus gothique et fantastique que le traitement qu’a choisi d’en faire Victor Hugo dans son adaptation, il y était aussi question d’une jeune fille attendant le retour de son bien-aimé de la bataille de Prague. Dès le début du texte, ne le voyant pas revenir, elle invoquera la mort et son voeu se verra exaucé d’une étrange manière, tout au long de la ballade. Précisons que le « médiéval fantastique » dont il est question ici n’est pas encore teinté de fortes racines celtiques ou nordiques tel qu’on pourra le retrouver au XXe siècle après JJR Tolkien et la littérature Heroic fantasy. Nous sommes avec Lénore dans un fantastique qui mêle macabre, univers gothique et romantisme, et qui renvoie d’assez près justement à l’imagerie du macabre médiéval tel qu’il se constitue, en occident dans le courant du moyen-âge central (voir le thème de la mort dans la littérature française médiévale, Marie-thèrese Lorcin, À réveiller les morts : La Mort au quotidien dans l’Occident médiéval)
Voici quelques courts extraits de cette ballade de Bürgen, tirés d’une adaptation française versifiée de 1854.; elle ne peut certainement pas rendre totalement justice à l’original, mais elle nous permet au moins de l’approcher :
D’un songe affreux Lénore poursuivie Au point du jour se réveilla soudain. « Mon cher Wilhelm, as-tu perdu la vie ? Es-tu parjure ou te verrai-je enfin ? » Sous Frédéric il partit pour l’armée, Et combattit à Prague en bon hussard : Mais depuis lors sa jeune bien-aimée Ne reçut plus de lettres de sa part.
Les troupes sont de retour, l’amant de la jeune fille n’en fait pas partie et elle s’effondre, comprenant qu’elle l’a perdu.
… La mère accourt et vers elle s’élance : « Que vois-je ? ô Dieu ! Qu’as-tu, ma chère enfant ? Viens dans mes bras, parle avec confiance, Dis-moi ton mal : je t’écoute en tremblant » – Oh ! c’en est fait ; tout est perdu, ma mère ! Tout est perdu ! Hélas ! Wilhem est mort ! Il n’est plus rien qui m’attache à la terre: Dieu, sans pitié, m’abandonne à mon sort !
… Oh ! C’en ait fait! Wilhem est mort, ma mère ! Il est perdu, oui, perdu sans retour : Il n’est pour moi plus de bonheur sur terre ! Pourquoi faut-il qu’on m’est donné le jour ? Mort ! Frappe-moi, brise mon existence, Et qu’à jamais mon nom soit oublié ! Jouis, ô Dieu! Jouis de ma souffrance, Puisque pour moi tu n’as pas de pitié.
Suite à ce « vœu », le fiancé viendra bientôt chercher la jeune fille à la nuit. Toute à sa joie, la belle tardera à comprendre que sous le visage de son amant, c’est en réalité la mort qui est venue la prendre pour la guider jusqu’à sa perte et réaliser son vœu. Sans se révéler, la Camarde fardé et en armure de chevalier l’amènera sur sa monture, à travers la campagne et jusqu’au lit nuptial (le tombeau), dans un voyage gothique et fantastique qu’on imaginerait avoir tout à fait sa place dans l’univers d’un Tim Burton :
Vois-tu vois-tu l’étrange phénomène ? Au clair de lune, on aperçoit là-bas Sous le gibet la gent aérienne* (les noirs corbeaux), Qui danse en rond et qui prend ses ébats. « Ah ! ça, venez et suivez-nous, canailles ! Je vous voir décorer notre bal; Vous ouvrirez la danse à nos fiançailles, Et nous suivrez jusqu’au lit nuptial!
Bürger, Lénore – 1774 – Traduction française de 1854
Thème du blasphème qui prend un tour fantastique avec cette mort invoquée sans y penser vraiment et qui répond à l’invitation de la jeune fille, thème aussi de la mort et de l’érotisme avec ce lit nuptial devenu le tombeau des amants, thème romantique bien sûr des amants unis dans leur fin, le tout dans un univers gothique et une imagerie macabre qui renvoient à des origines clairement médiévales, cette ballade de Bürger fut traduite maintes fois dans d’autres langues et inspira de nombreux auteurs hors de l’Allemagne mais également d’autres artistes comme le peintre Ary Scheffer, considéré comme un des maîtres de la peinture romantique (voir tableau ci-dessus).
Dans son approche du récit, Victor Hugo a, quant à lui, plutôt choisi de se centrer sur le long défilé des troupes, en utilisant un grand renfort d’images et de vocables évocateurs pour nous immerger dans une ambiance médiévale prégnante. En modifiant le déroulement de l’histoire, il privilégie l’attente, l’espoir et met aussi le suspense en exergue. Le thème du blasphème, comme celui du macabre et de l’épopée nocturne et gothique sont, de fait, évacués de sa version (il aura l’occasion d’y revenir dans d’autres textes). L’idée romantique et peut-être aussi, finalement, fantastique, résidera ici dans le trépas soudain de la jeune fille, incapable de survivre à la disparition de son amant.
La chanson de Malicorne inspirée par Hugo
Chanson tirée de l’album Malicorne 4
Daté de 1977, le très réussi et salué album studio Malicorne 4 présentaitdes chansons traditionnelles françaises revisitées à la manière folk, celtique et « rock-progressif » du groupe. Dans ce corpus, la chanson La fiancée du timbalier (joueur de timbales) était d’ailleurs la seule qui soit rattachée à un auteur connu et identifié. On trouve toujours l’album à la vente au format CD : Malicorne 4 format CD.
D’autres versions vinyle devenues collectors et plus onéreuses peuvent également être débusquées (en voici une disponible au moment de cet article: Malicorne Vol.4 format Vynile )
Concernant cette poésie de Victor Hugo, le compositeur et pianiste Camille Saint-Saëns l’avait lui-même mise en musique dans le courant du XIXe siècle, avec une version pour piano et également une version pour piano/chant nettement plus lyrique (voir partition sur archive.org).
La fiancée du timbalier de Victor Hugo
ballade du XIXe aux couleurs médiévales
Monseigneur le duc de Bretagne A, pour les combats meurtriers, Convoqué de Nantes à Mortagne, Dans la plaine et sur la montagne, L’arrière-ban de ses guerriers.
Ce sont des barons dont les armes Ornent des forts ceints d’un fossé ; Des preux vieillis dans les alarmes, Des écuyers, des hommes d’armes ; L’un d’entre eux est mon fiancé.
Il est parti pour l’Aquitaine Comme timbalier, et pourtant On le prend pour un capitaine, Rien qu’à voir sa mine hautaine, Et son pourpoint, d’or éclatant !
Depuis ce jour, l’effroi m’agite. J’ai dit, joignant son sort au mien : – Ma patronne, sainte Brigitte, Pour que jamais il ne le quitte, Surveillez son ange gardien ! –
J’ai dit à notre abbé : – Messire, Priez bien pour tous nos soldats ! – Et, comme on sait qu’il le désire, J’ai brûlé trois cierges de cire Sur la châsse de saint Gildas.
À Notre-Dame de Lorette J’ai promis, dans mon noir chagrin, D’attacher sur ma gorgerette, Fermée à la vue indiscrète, Les coquilles du pèlerin.
Il n’a pu, par d’amoureux gages, Absent, consoler mes foyers ; Pour porter les tendres messages, La vassale n’a point de pages, Le vassal n’a pas d’écuyers.
Il doit aujourd’hui de la guerre Revenir avec monseigneur ; Ce n’est plus un amant vulgaire ; Je lève un front baissé naguère, Et mon orgueil est du bonheur !
Le duc triomphant nous rapporte Son drapeau dans les camps froissé ; Venez tous sous la vieille porte Voir passer la brillante escorte, Et le prince, et mon fiancé !
Venez voir pour ce jour de fête Son cheval caparaçonné, Qui sous son poids hennit, s’arrête, Et marche en secouant la tête, De plumes rouges couronné !
Mes soeurs, à vous parer si lentes, Venez voir près de mon vainqueur Ces timbales étincelantes Qui sous sa main toujours tremblantes, Sonnent, et font bondir le coeur !
Venez surtout le voir lui-même Sous le manteau que j’ai brodé. Qu’il sera beau ! c’est lui que j’aime ! Il porte comme un diadème Son casque, de crins inondé !
L’Égyptienne sacrilège, M’attirant derrière un pilier, M’a dit hier (Dieu nous protège !) Qu’à la fanfare du cortège Il manquerait un timbalier.
Mais j’ai tant prié, que j’espère ! Quoique, me montrant de la main Un sépulcre, son noir repaire, La vieille aux regards de vipère M’ait dit : – Je t’attends là demain !
Volons ! plus de noires pensées ! Ce sont les tambours que j’entends. Voici les dames entassées, Les tentes de pourpre dressées, Les fleurs, et les drapeaux flottants.
Sur deux rangs le cortège ondoie : D’abord, les piquiers aux pas lourds ; Puis, sous l’étendard qu’on déploie, Les barons, en robe de soie, Avec leurs toques de velours.
Voici les chasubles des prêtres ; Les hérauts sur un blanc coursier. Tous, en souvenir des ancêtres, Portent l’écusson de leurs maîtres, Peint sur leur corselet d’acier.
Admirez l’armure persane Des templiers, craints de l’enfer ; Et, sous la longue pertuisane, Les archers venus de Lausanne, Vêtus de buffle, armés de fer.
Le duc n’est pas loin : ses bannières Flottent parmi les chevaliers ; Quelques enseignes prisonnières, Honteuses, passent les dernières… Mes soeurs ! voici les timbaliers !… «
Elle dit, et sa vue errante Plonge, hélas ! dans les rangs pressés ; Puis, dans la foule indifférente, Elle tomba, froide et mourante… Les timbaliers étaient passés.
Une belle journée à tous et une bonne écoute !
Frédéric EFFE
Pour Moyenagepassion.com A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes