Sujet : poésie, littérature médiévale, réaliste, satirique, épitaphe, auteur médiéval, testament, rondeau. Période : moyen-âge tardif Titre : « épitaphe et rondeau » Oeuvre : le grand testament Auteur : François Villon (1431- ?1463)
Bonjour à tous,
oilà un peu de la poésie médiévale de Maître François Villon en forme d’épitaphe, avec un extrait de cet entêtant testament qui résonne encore jusqu’à nous. C’est la poésie de celui qui attend dans sa geôle une mort et une pendaison qu’il pense déjà certaines. Cette Camarde, il l’a tellement apprivoisée dans la solitude désespérée de sa prison qu’il s’est projeté dans son au-delà. Et ce testament, presque déjà post-mortem et qui semble quelquefois être celui d’un revenant, c’est encore un chant de détresse et de rédemption : Villon déjà mort, déjà pendu, déjà oublié, sacrifié sur l’autel de ses misères et de ses erreurs, priant pour que son âme soit sauvée et avec la sienne, les nôtres aussi un peu. Il sera relâché pourtant, pour disparaître peu après avec ses mystères sans que l’on ait jamais su ce qu’il était advenu de lui, en nous laissant, avant de partir comme un grand cri, ce testament, qui a marqué depuis la poésie au fer rouge.
Épitaphe et rondeau
Ci gît et dort en ce solier, Qu’amour occit de son raillon, Un pauvre petit écolier Qui fut nommé François Villon. Oncques de terre n’eut sillon. Il donna tout, chacun le sait : Table, tréteaux, pain, corbillon. Pour Dieu, dites-en ce verset :
Repos éternel donne à cil, Sire, et clarté perpétuelle, Qui vaillant plat ni écuelle N’eut oncques, n’un brin de persil.
Il fut rés, chef, barbe et sourcils, Comme un navet qu’on ret ou pèle. Repos éternel donne à cil.
Rigueur le transmit en exil Et lui frappa au cul la pelle, Nonobstant qu’il dît : » J’en appelle ! « Qui n’est pas terme trop subtil. Repos éternel donne à cil. François Villon – Epitaphe et rondeau
Improvisation a Cappella de G. Brassens
sur l’épitaphe de Villon.
‘est un document rare que nous partageons ici, une petite improvisation de Georges Brassens, à la faveur d’un interview, sur cet épitaphe de Villon. C’est encore une référence et un tribut de plus à ajouter au compte du grand chanteur anarchiste et non conformiste sétois du XXe, envers celui dont on fit son maître et qu’il finit par adopter. Tous les articles sur la poésie de Villon chez Brassens sont ici.
En vous souhaitant une belle journée!
Fred
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Sujet : troubadours, poésie satirique, poésie morale, chanson, musique médiévale, pastourelle. occitan. Période : moyen-âge central, XIIe siècle Auteur : Marcabru (1110-1150) Titre : « L’autrier jost’ una sebissa » Album : Bestiarium (1997) Interprète : La Reverdie
Bonjour à tous,
Nous partons aujourd’hui à la découverte des origines de l’art des troubadours occitans et provençaux avec l’un des premiers d’entre eux, à tout le moins un parmi les plus anciens connus à ce jour, pour nous avoir légué une oeuvre écrite, soit Marcabru ou Marcabrun quand on francise son nom.
Marcabru: éléments de biographie
‘histoire et la biographie de Marcabrusont à mettre au conditionnel car on n’en sait peu de lui. Enfant illégitime, « jeté à la porte d’un homme puissant »* élevé sans doute par le noble Audric del Vilar, seigneur d’Auvillar dans l’Occitanie du XIIe siècle, celui qui se fait aussi surnommer Pain Perdu est d’origine apparemment Gasconne. Son nom est-il un pseudonyme, fils de dame brune nous dit-il ou faut-il plutôt y voir un clin d’oeil occitan à un bouc, un mâle caprin ? Difficile de l’affirmer. On sait encore de lui qu’il côtoya un troubadour du nom de Cercamon(cherche-monde) dont il fut vraisemblablement l’ami et, peut-être même l’élève, quand on n’en fait pas plutôt, à l’inverse, le maître.
Il y a, concernant Marcabru,tant de zones d’ombre que certains spécialistes de littérature médiévale et, notamment, la professeur Laura Kendrick ont même formé l’hypothèse que les quelques quarante trois ou quarante quatre poésies qu’on lui attribue pourraient être, en réalité, un corpus plus qu’un auteur. Ajoutons que cette hypothèse semble, à ce jour, peu suivie et qu’on s’accorde encore tout de même bien plus souvent sur l’idée que Marcabru fut une personne réelle, même si l’absence de données fiables ou d’archives le concernant pourrait, il est vrai, donner quelques vertiges.
Une pastourelle de Marcabru par le groupe italien La Reverdie
Une poésie lyrique, satirique et morale
« Marcabru, fils de dame Brune, fut engendré sous une étoile telle qu’il sait comme Amour se déroule, écoutez car jamais il n’aima nulle femme, et d’aucune ne fut aimé. » Le chant de Marcabru.
Avec sa poésie satirique et morale, son langage quelquefois « vert », avec encore ses critiques du « fin ‘amor », cet amour courtois qu’affectionneront tant d’autres poètes et chanteurs occitans après lui, Marcabru n’apparaît pas comme l’archétype du troubadour, mais plutôt comme un être en marge. Poète de cour, chassé lit-on, par endroits, pour avoir convoité la dame d’un seigneur, il serait passé de la cour du Duc d’Aquitaine à celle de Castille et aurait vécu nombre d’années en Espagne. Au vue de la morale qu’il défend et de sa misanthropie qu’on a quelquefois pris pour de la misogynie tant il s’en prend aux femmes légères et volages, cela paraît un peu étonnant. Luxure, prostitution, infidélités, adultères multiples, entre les lignes de sa satire qui ne s’en tient pas qu’aux moeurs de son temps qu’il juge dépravés, mais s’aventure aussi sur des terrains plus politiques, sa poésie prendra souvent un tour moral, mais on y retrouvera également de belles envolées lyriques et bucoliques avec de nombreux vers chantant la nature, ses animaux et ses saisons.
(Ci-contre La bergère William Bouguereau, XIXe siècle.)
Pour le reste, ce troubadour occitan des débuts du XIIe siècle demeure l’auteur de la plus ancienne pastourelle connue, ce genre dont nous avons déjà parlé ici et qui met en scène une bergère mignonnette qu’un noble seigneur ou chevalier tente en vain de séduire ou même pire force dans certains cas, quand cette dernière ne se laisse pas tourner la tête par la condition sociale, ni les richesses de ce passant aux mauvaises manières quand elles ne sont pas détestables ou exécrables.
Ajoutons enfin qu’on trouve aussi dans la poésie de Marcabru des mentions faites du Roi Arthur de Bretagne et de ses chevaliers ce qui en fait encore l’un des premiers troubadours à avoir abordé le sujet des légendes arthuriennes dans ses chansons.
Les interprètes du jour : « La reverdie »
Aujourd’hui, nous vous proposons la version de cette pastourelle par l’ensemble italien La Reverdie dans l’album Bestarium qu’il dédiait en 1997 aux animaux et à la présence de la nature dans la musique du moyen-âge.
Formé originellement en 1986 par quatre chanteuses, musiciennes et instrumentistes, qui se trouvent être aussi deux couples de soeur, l’ensemble La Reverdie s’est bientôt entouré de nouveaux collaborateurs dont le chanteur et instrumentiste Doron David Sherwin qui accompagne la formation dans ses aventures artistiques et musicales depuis le début de années quatre-vingt dix. A titre anecdotique, on retrouvera même une collaboration avec Gérard Depardieu à l’occasion d’un festival à la Basilique de Saint Vital, à Ravenne, autour de lectures de Saint Augustin.
En vingt ans de production artistique, on doit au très actif ensemble italien, près de vingt-cinq albums, dans un répertoire purement médiéval qui couvre les XIIIe et XIVe siècles. Leur champ d’investigation va de la musique sacrée à la musique profane et inclut encore des prestations autour de chants de noël. Le registre est souvent composé de chants polyphoniques ou monophoniques à capela mais les instruments viennent aussi soutenir les voix des artistes sur certaines pièces, quand le besoin s’en fait sentir.
Leur site web est en italien mais tout y est et il n’y manque rien des concerts aux festivals et actualités de la formation. Le groupe dispose également de sa propre chaîne youtube sur laquelle vous pourrez encore trouver quelques vidéos supplémentaires de leurs prestations.
La très belle version de cette pastourelle du troubadour occitan interprétée ici par cette formation est sans doute un peu éloignée de sa version originale, en terme de tessiture de voix, puisqu’on apprend dans une autre des poésies de Marcabru que ce dernier qu’il avait la voix plutôt « rude » et « rauque », mais la virtuosité et la pureté dans l’exécution nous le font bien vite oublier. Il en existe d’autres versions à la ronde que le futur nous donnera assurément l’occasion de vous faire partager, mais nous ne résistions pas au plaisir de vous parler, aujourd’hui, de cet excellent ensemble médiéval italien.
Les paroles de la chanson et pastourelle
de Marcabru en occitan avec adaptation
On notera qu’il s’agit ici d’une version raccourcie de la pastourelle originale de Marcabru qui contient en réalité treize strophes. L’adaptation en français moderne est tirée des Poésies Complètes du Troubadour Marcabrupar J M Dejeanne (1909).
Ajoutons que la dernière strophe est traduite très « début de XXe siècle » tout de même et avec un rien de pudibonderie. La version originale est nettement plus rude, mais en puisant dans les racines latines communes de l’occitan et du français, je suis certain que vous trouverez vous-même une traduction plus conforme.
L’autrier jost’ una sebissa de Marcabru
L’autrier jost’ una sebissa trobei pastora mestissa, de joi e de sen massissa. Si cum filla de vilana, cap’ e gonel’ e pelissa vest e camiza treslissa, sotlars e caussas de lana.
L’autre jour, près d’une haie,
je trouvai une pastoure métisse (de moyenne condition),
pleine de gaieté et de sens;
elle était fille de vilaine;
vêtue d’une cape, d’une gonelle
et d’une pelisse, avec une chemise maillée,
des souliers et des chausses de laine. »
Ves lieis vinc per la planissa: — »Toza », fi·m ieu, « res faitissa, dol ai car lo freitz vos fissa ». — »Merce Dieu e ma noirissa, pauc m’o pretz si·l vens m’erissa, pauc m’o pretz si·l vens m’erissa, qu’alegreta sui e sana ».
Vers elle je vins par la plaine
« Jouvencelle, lui dis-je, être enchanteur,
j’ai grand deuil que le froid vous pique. »
« Sire, dit la vilaine, grâce à Dieu et ma nourrice,
peu me chaut que le vent m’échevèle,
car je suis joyeuse et saine. »
— »Bela », fi·m ieu, « cauza pia, destors me sui de la via per far a vos compaignia; quar aitals toza vilana no deu ses pareill paria pastorgar tanta bestia en aital terra, soldana ».
« Jouvencelle, lui dis-je, objet charmant,
je me suis détourné du chemin
pour vous tenir compagnie
car une jeune vilaine telle que vous
ne doit pas, sans un compagnon assorti,
paître tant de bétail
dans un tel lieu, seulette. »
— »Don, tot mon ling e mon aire vei revertir e retraire al vezoig et a l’araire, Seigner », so·m dis la vilana; « Mas tals se fai cavalgaire c’atrestal deuria faire los seis jorns de la setmana ». « Sire, tout mon lignage et toute ma famille,
je les vois retourner et revenir
à la bêche et à la charrue,
Seigneur, dit la vilaine;
mais tel se dit chevalier
qui devrait faire le même métier
durant six jours de la semaine. »
— »Bela », fi·m ieu, « gentils fada, Vos adastret, quam fos nada, d’una beutat esmerada sobre tot’ autra vilana; e seria·us ben doblada si·m vezi’ una vegada, sobeira e vos sotrana ».
«Jouvencelle, dis-je, gentille fée vous dota, quand vous naquîtes, d’une beauté suprême sur toute autre vilaine et vous seriez doublement belle si je vous voyais une fois Moi dessus et vous sous moi.
— »Don, hom coitatz de follatge jur’ e plieu e promet gatge: Si·m fariatz homenatge, Seigner », so·m dis la vilana; « non vuoil ges mon piucellatge, non vuoil ges mon piucellatge camjar per nom de putana ».
« Sire, homme pressé de folie jure, garantit et promet gage; ainsi vous me feriez hommage, Seigneur, dit la vilaine; mais, en échange d’une légère récompense, je ne veux pas laisser mon bien le plus cher pour être perdue de réputation. »
En vous souhaitant une très belle journée.
Fred
Pour moyenagepassion.com A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes.
* Les biographies des troubadours en langue Provençale, Camille Chabaneau, 1885.
Sujet : poésie médiévale, poésie réaliste, satirique, trouvère, vieux français, langue d’oil, adaptation, traduction Période : Moyen Âge central, XIIIe siècle Auteur ; Rutebeuf (1230-1285?) Titre : La paix de Rutebeuf
Bonjour à tous,
‘il n’a pas inventé l’usage du « Je » dans la poésie médiévale, Rutebeuf s’est mis en scène de telle manière dans son oeuvre qu’il semble bien avoir avoir ouvert les portes d’un genre à part entière dans cet exercice.
Bien sûr, il ne s’agit pas avec lui du « Je » de l’amant transis de l’amour courtois, condamné à convoiter un impossible objet de désir et prisonnier de sa « noble » passion. Non. Le « Je » de Rutebeuf, est bien plus proche de celui de la poésie des Goliards. et c’est aussi celui de l’homme en prise avec son temps, son quotidien, ses travers et ses misères. Il évolue dans un espace tout à la fois, psychologique, ontologique, social et politique. Il ouvre sur la complainte, la moquerie, la satire sociale et l’auto-dérision, et comme toute satire, il contient encore, dans le creux de ses lignes, une forme de poésie morale. Dans cet espace où il se tient à découvert, Rutebeuf fait de lui-même, tout à la fois son perpétuel sujet et objet, geignant autant qu’il se rit de ses propres déboires et de ses infortunes, dans une logorrhée qui pourrait, par instants, par ses redondances, donner le vertige.
De l’auteur à la scène et du je au jeu
De fait, sans parler de ses jeux de langage et de mots qu’il nous coûte parfois de comprendre avec le recul du temps, la limite est si ténue chez lui du drame au rire qu’on a encore du mal, quelquefois, à remettre en perspective son humour. Il est jongleur et trouvère. Ces textes sont donc souvent, on le suppose, joués devant un public de nobles et de gens de cour mais pas uniquement (voir article sur la place de Grève).
Dans ce passage de l’écrit à l’oral, ou dit autrement des textes qui nous sont parvenus de Rutebeuf au personnage scénique qu’il s’était composé, on peut se demander jusqu’à quel point il forçait le trait dans ses lectures publiques. Allait-il jusqu’à la caricature? Pardon d’avance pour cet anachronisme, mais par instants, il est plaisant d’imaginer que, peut-être, il mettait dans son jeu une touche de Comedia dell’arte, ou disons, pour être plus conforme à son époque, de « farce », que la lecture de ses textes ne peut seule refléter: des rires ajoutés, des regards silencieux et des sous-entendus, le jeu peut-être de ses mains, le mouvement de ses yeux qui roulent de manière comique, etc… Tout s’éclairerait alors différemment et c’est un autre Rutebeuf qui prendrait vie sous nos yeux. Dans sa dimension scénique et la distance de la personne au personnage, dans celle encore du texte littéral à sa représentation, le poète et ses mots prendraient, tout à coup, une autre épaisseur faisant naître une infinité de nuances et de degrés que nous avons peut-être perdu en cours de route.
Bien sûr, dans cette vision théâtralisée et hypothétique qui n’engage que notre imagination et, à travers la « farce » que deviendrait alors sa prestation, les lignes du drame demeureraient sous le vernis des facéties de l’acteur. Mais pour faire rire en public, avec certains de ses textes, ne fallait-il pas que son jeu rééquilibre ce « Je » en déséquilibre permanent et en perpétuel disgrâce ? Ou n’est-ce qu’un effet du temps que de penser qu’il fallait nécessairement que Rutebeuf en rajoute pour couvrir d’un voile de pudeur et d’humour cette inflation de « Je » qui sombre, si souvent, dans l’auto-apitoiement ? Alors, un brin de caricature scénique pour ne pas que le tout demeure trop indigeste est-il plausible ? L’hypothèse reste séduisante, mais hélas invérifiable.
Bien sûr, peut-être encore que certains de ses textes, en forme de règlement de compte « moral », laissent si peu de place à l’humour qu’ils n’étaient pas destinés à être lus publiquement ou peut-être seulement devant une audience choisie? Comment faire le tri? Nous en savons, au fond, si peu sur lui. C’est un peu le cas de cette poésie du jour aux traits satiriques, amers et acides dans laquelle on n’a tout de même du mal à entrevoir l’humour, même en le cherchant bien. De la même façon, si nous ne savons plus avec certitude à qui Rutebeuf destinait les vers de cette « paix », on s’imagine bien que certains de ses contemporains ne pouvaient l’ignorer. Le texte en question pourrait prendre alors les contours d’un véritable affront pour celui auquel il se destinait et on a du mal à l’imaginer jouer devant un parterre de nobles visés directement ou indirectement par ses lignes. Et s’il l’a fait, on a du mal croire que la barrière du pseudonyme dont il s’est affublé comme une excuse préalable de sa rudesse ait pu suffire, seule, à lui servir de rempart.
La « Paix » de Rutebeuf
Aujourd’hui, l’auteur médiévalnous parle encore de ses déboires en amitié comme il le faisait dans son « dit de l’Œil ». Il en profite pour dresser le portrait acide d’un « ascenseur social » qui élevant vers les sommets « l’homme de condition moyenne » (en réalité un noble de petite condition) au rang de seigneur lui fait laisser derrière lui ses amis, et notamment l’auteur lui-même. En un mot Rutebeuf règle ici ses comptes. Jeux de cour, flatterie, voilà l’ami transfiguré, manipulé et entouré de parasites. Et lui encore, pauvre Rutebeuf, victime laissée à la porte d’une réussite et d’une amitié qui se sont refermées devant lui, trace de sa plume vitriolée l’ingratitude de l’ami, tout en nommant sa poésie d’un titre qui vient, tout entier, en contredire le propos. Il est en paix, dit-il et pourtant, il tire à boulets rouges tout du long, sur celui qui, à la merci de ses flatteurs et plein de son nouveau statut, l’a trahi.
Pour le reste, « Benoit est qui tient le moyen » dira quelques deux siècles plus tard Eustache DESCHAMPS paraphrasant Horace et Rutebeuf encense ici, d’une certaine façon, cette même médiocrité dorée ou la « voie moyenne » qui préfère la fraicheur de l’ombre aux lumières du pouvoir et de la trop grande richesse affichée. Assiste-t’on ici à la naissance d’une poésie « bourgeoise »? Plus que de bourgeoisie, en terme de classe, nous sommes bien plutôt face à la petite noblesse et à la poésie de clercs qui en sont issus. La référence à cet « homme de condition moyenne » ou ce « moyen » là se situe déjà au dessus des classes populaires ou bourgeoises d’alors.
Les paroles en vieux français
& leur adaptation en français moderne.
C’est la paiz de Rutebués
Mon boen ami, Dieus le mainteingne! Mais raisons me montre et enseingne Qu’a Dieu fasse une teil priere: C’il est moiens, que Dieus l’i tiengne! Que, puis qu’en seignorie veingne, G’i per honeur et biele chiere. Moiens est de bele meniere Et s’amors est ferme et entiere, Et ceit bon grei qui le compeingne; Car com plus basse est la lumiere, Mieus voit hon avant et arriere, Et com plus hauce, plus esloigne.
Mon bon ami, Dieu le protège! Mais la raison m’invite et m’enseigne A faire à Dieu une prière: S’il est de condition moyenne, Dieu l’y maintienne! Car quand il s’élève en seigneur. J’y perds bon accueil et honneurs, L’homme moyen a de belles manières Son amitié est droit et sincère. Et traite bien ses compagnons (sait gré à qui le fréquente) Car plus basse est la lumière, Plus elle éclaire de tous côtés, Et plus elle s’élève, plus elle s’éloigne.
Quant li moiens devient granz sires, Lors vient flaters et nait mesdires: Qui plus en seit, plus a sa grace. Lors est perduz joers et rires, Ces roiaumes devient empires Et tuient ensuient une trace. Li povre ami est en espace; C’il vient a cort, chacuns l’en chace Par groz moz ou par vitupires. Li flateres de pute estrace Fait cui il vuet vuidier la place: C’il vuet, li mieudres est li pires.
Quand le moyen devient grand Sire, Lors vient flatterie et médisance: Qui mieux les pratique, plus reçoit ses grâces. Lors sont perdus les jeux, les rires, Son royaume devient empire Et tous prennent ce même chemin. L’ami pauvre en est écarté; S’il vient à la cour, on l’en chasse Par l’injure ou les grossièretés. Le flatteur de vil extraction Vide l’endroit de qui il veut: Et s’il veut, fait passer le meilleur pour le pire.
Riches hom qui flateour croit Fait de legier plus tort que droit, Et de legier faut a droiture Quant de legier croit et mescroit: Fos est qui sor s’amour acroit, Et sages qui entour li dure. Jamais jor ne metrai ma cure En faire raison ne mesure, Ce n’est por Celui qui tot voit, Car s’amours est ferme et seüre; Sages est qu’en li s’aseüre: Tui li autre sunt d’un endroit.
L’homme puissant qui croit le flatteur Fait souvent plus de tord que de bien, Et facilement manque de droiture Puisque aisément il donne ou reprend sa confiance: Fou est celui qui se fie à son amitié* (*bons sentiments) et sage, qui reste auprès de lui sans cesse. Jamais plus je ne mettrai mes attentions sans compter et sans mesurer, Si ce n’est pour celui qui voit tout, Car son amitié est ferme et solide; Sage est qui se fie à lui: Les autres sont tous les mêmes.
J’avoie un boen ami en France, Or l’ai perdu par mescheance. De totes pars Dieus me guerroie, De totes pars pers je chevance: Dieus le m’atort a penitance Que par tanz cuit que pou i voie! De sa veüe rait il joie Ausi grant com je de la moie Qui m’a meü teil mesestance! Mais bien le sache et si le croie: J’avrai asseiz ou que je soie, Qui qu’en ait anui et pezance.
J’avais un bon ami en France, La malchance* me l’a fait perdre. (malheur) De toute part Dieu me guerroie, De toute part, je perds mes moyens de subsister: Dieu me compte pour pénitence Que d’ici peu, je ne verrais plus! Qu’avec sa vue, il ait tant de joie Qu’il m’en reste avec la mienne Celui qui m’a mis dans un tel pas! Mais qu’il sache bien et qu’il le croit: J’aurais assez ou que je sois, Qui que cela gène ou ennuie.
Explicit.
En vous souhaitant une belle journée.
Fred
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Sujet : poésie médiévale, satire, mots d’esprit auteur, poète, humour, querelle, épigramme. Période : fin du moyen-âge, début renaissance Auteur : Clément Marot (1496-1544) Titre : « A maistre Grenouille, poëte Ignorant »
Bonjour à tous,
‘il était encore besoin de démontrer l’esprit et l’humour caustique de Clément MAROT quand il s’y adonne, autant que sa maîtrise du verbe et de la rime jusque dans les formes courtes, nous vous proposons aujourd’hui un de ses savoureuses épigrammes. Celui-ci prend la forme d’une flèche assassine en direction d’un poète concurrent. Nous avions déjà abordé le thème des querelles par poésies et plumes interposées en abordant la biographie de cet auteur du début de la renaissance et vous pouvez valablement consulter l’article en question pour plus de détails : Clément Marot, portrait d’un esprit libre
« Bien ressembles à la grenouille : Non pas que tu sois aquatique; Mais comme en l’eau elle barbouille, Si fais tu en l’art poétique. » Clément Marot- Epigramme – A Maistre Grenouille, poète ignorant.
En vous souhaitant un excellent lundi sous les meilleurs auspices.
Fred
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