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Moyen-âge aujourd’hui une « délicieuse évasion » en accord avec Michel Zink

Sujet : citation, Michel Zink, médiévalisme, moyen-âge, monde médiéval, évasion. moyen-âge imaginaire, divertissement.

michel_zink_litterature_medievale_academicien_philologie_citation_moyen-age_medievalisme“Heroic fantasy, films, séries télévisées, jusqu’à Harry Potter et son monde de magie préscientifique sous les ogives gothiques d’un collège anglais, peuvent nous entraîner dans un univers à coloration médiévale où nous nous évadons délicieusement.”

Michel ZINK – Médiéviste, philologue & académicien

Bonjour à tous,

N_lettrine_moyen_age_passionous n’avons pas grand chose à ajouter à cette citation de Michel Zink sur le moyen-âge et ces univers à « coloration médiévale » qu’il nous dépeint comme des occasions d’évasions délicieuses. Si nous ne le pensions pas nous-même, ce site n’existerait sûrement pas. La passion pour le monde médiéval est née chez nombre d’entre nous comme d’ailleurs, bien souvent, chez nos plus grands médiévistes, d’images reçues à travers la littérature, le cinéma, les séries ou même encore les bandes dessinés de notre monde contemporain. Ce moyen-âge « reconstruit », « évoqué » et qui parle tant à notre imaginaire, nous interpelle quelquefois au point de vouloir en savoir plus et de partir à la rencontre d’un moyen-âge plus historique.

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A_lettrine_moyen_age_passionlors, « Magie », « Merveilles », « évasion délicieuse », peut-être faudrait-il encore ici mettre cette citation de Michel Zink en perspective de deux autres : l’une de Georges Duby et l’autre de Jacques le Goff que nous commentions dans un article précédent : réflexions sur les merveilles et attraits du moyen-âge, à partir d’une citation de Georges Duby.

Mises en miroir et sans pour autant en gommer les nuances, elles nous nous permettent, en effet, de mesurer la passion, l’émerveillement, l’irrésistible pouvoir d’attraction et quelquefois encore l’impérieuse nécessité qui guident nos plus grands médiévistes vers leur vocation.

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georges_duby_historien_medieviste_histoire_medievale_moyen-age“Le moyen âge est un monde merveilleux, c’est notre western, et, en cela, il répond à la demande croissante d’évasion et d’exotisme de nos contemporains.”
Citation de Georges Duby (1919 – 1996), Historien médiéviste. Entretien avec Antoine de Gaudemar – Octobre 1984

histoire_monde_medieval_jacques_le_goff_citations_moyen-âge“Le Moyen-Âge ne m’a retenu que parce qu’il avait le pouvoir quasi magique de me dépayser, de m’arracher aux troubles et aux médiocrités du présent et en même temps de me le rendre plus brûlant et plus clair.”

Citation de Jacques Le Goff, historien médiéviste (1924-2014),  « A la recherche du Moyen Âge »

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En vous souhaitant une belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
« Pardonnez-moi, Prince, si je
s
uis foutrement moyenâgeux. »

Georges Brasssens – Le moyenâgeux –  1966

Kaamelott: Merlin le boulet et Elias le Fourbe, druide et enchanteurs de Bretagne

kaamelott_cinema_trilogie_humour_alexandre_astier_news_infos_serie_culteSujet : humour, détournement, série télévisée, légendes arthuriennes, Kaamelott, Alexandre Astier, comédie, série culte, Merlin, Elias, druides, enchanteurs
Période : moyen-âge central et haut moyen-âge
Auteur original: Alexandre  Astier
Distribution :   CALT production, M6
Média : détournement

Bonjour à tous,

A_lettrine_moyen_age_passion la faveur du week end, voici un nouveau clin d’oeil à la série Kaamelott d’Alexandre Astier avec un petit mélange de reposts détournements, mêlé de nouveautés, mais aussi quelques réflexions sur le Merlin de la célèbre série télévisée et encore un peu d’actualité sur les acteurs qui donnent vie à l’écran au deux « enchanteurs » du royaume.

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Kaamelott, Elias & Merlin, humour, détournement affiche cinématographique

De Excalibur à Kaamelott, Merlin VS Merlin

P_lettrine_moyen_age_passion copiaour comparer deux versions modernes de ce personnage des légendes arthuriennes, il y a entre le Merlin d’Alexandre Astier et celui d’Excalibur de John Boorman, à peu près autant de points communs qu’entre une sole meunière et un scie circulaire. Outre les différences indéniables de ton dans les dialogues, mais aussi dans le jeu d’acteur – on se souvient que le Merlin de Boorman campé par Nicol Williamson partait presque, par instants, dans des envolés théâtrales lyriques et shakespeariennes – le Merlin de Kaamelott, incarné par le très drôle Jacques Chambon est bien plus druide, que magicien ou même enchanteur.

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Est-ce le fait, comme il le dit lui-même, qu’il n’est pas fait pour vivre entre quatre murs dans un château mais bien plutôt au milieu de mère nature, dans la forêt et au grand air qui freine quelque peu son efficacité ? Rien n’est moins sûr. Il reste en tout cas ce personnage en décalage, étourdi, un peu gauche, venu d’un autre monde, souvent incompris et, il faut bien le dire, tordant. Pour notre plus grand plaisir, Alexandre Astier s’amuse, là encore, à prendre le mythe arthurien à contre pied, au point qu’on finirait presque par se demander comment ce même Merlin là a pu prodiguer à Uther Pandragon  le sort lui ayant permis d’abuser de Dame Ygraine en prenant l’apparence de son époux le Duc de Cornouailles, concevant ainsi malgrè elle, l’enfant qu’allait devenir  Arthur.

kaamelott_legendes_arthuriennes_roi_arthur_alexandre_astier_citations« Mais à un moment donné, il est vraiment druide ce mec là ou ça fait 15 ans qui m’prend pour un con ? »
Arthur, au sujet de Merlin, Kaamelott,  Alexandre Astier.

Ne soyons pas trop dur avec ce Merlin, il a tout de même quelques savoir-faire à son actif: il réalise quelques potions utiles (quand il ne se trompe dans  les ingrédients), il dispose également de quelques puissants parchemins de sorts (quand il ne les égare pas sur les sentiers en les abandonnant par mégarde aux pires ennemis de la couronne) et il sait aussi (bien que la chose ne se soit pas révélée d’une utilité extrême jusque là), se transformer en animal, en fonction d’un calendrier druidique dont lui seul connait les arcanes.

Arthur_Alexandre_Astier_kaamelott_serie_tele_culte_legendes_arthuriennesHormis cela, d’une manière générale, un « léger » voile plane sur ses réelles aptitudes en magie et du côté de la divination, n’attendez pas non plus de sa part  qu’il vous livre des prophéties ou vous conseille sur la marche à tenir pour mener le royaume, ses compétences sont largement plus élevées en soins et en langages animaliers (et encore pas toutes les espèces) qu’en cette matière.

Pas toujours de bonne volonté, la plupart du temps sur la défensive, le Merlin  de Kaamelott n’est souvent pas au rendez-vous des attentes de son souverain, et il brille par son inutilité dans la plupart des situations. Il est d’ailleurs  tellement en dessous que le roi Arthur a nommé un autre personnage pour le seconder au château, dans le domaine des sciences magiques, druidiques et mystiques : Elias de Kelliwic’h (le talentueux Bruno Fontaine à l’écran). Ce dernier est résolument magicien et même surpuissant et redouté dans son domaine, mais, hélas, outre sa légendaire fourberie, ses intérêts personnels et pécuniaires passent, la plupart du temps, bien au dessus de ceux du royaume.

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Merlin Le boulet et Elias le Fourbe
1 enchanteur en 2, dédoublement troublant

D_lettrine_moyen_age_passione fait, il est amusant de noter que le personnage d’Elias vient combler le déficit de compétences magique de Merlin tout en ne rétablissant pas totalement l’équilibre, puisqu’il a ses propres travers et, comique oblige, il faut bien qu’il les ait.

En plus de tout cela et c’est sans doute le plus troublant au niveau ressemblance physique (âge, pilosité faciale, etc) mais aussi vêtements et  accessoires (manteau,  couleur, sceptre), Elias est Merlin_jacques_chambon_kaamelott_druide_enchanteur_serie_tele_alexandre_astier_2finalement bien plus proche du Merlin de l’Excalibur de John Boorman que ne l’est le Merlin de Kaamelott. Ce dernier ne porte pas de sceptre, il est vêtu de blanc.

Il se rapproche, en définitive, beaucoup plus de l’image du druide celte, proche de la nature et pourrait évoquer plus favorablement le célèbre Panoramix d’Asterix et Obelix. Il n’en a pas encore le grand âge mais il en a, en tout cas, plus l’apparence générale (pilosité, couleur de vêtements, etc). Par ailleurs, le goût d’Alexandre Astier, pour l’oeuvre d’Uderzo et de Gosciny, autant que son talent de réalisateur la concernant n’est plus à prouver et est même en passe, d’être démontré une seconde fois. 

Redif : une colère gratinée. Episode hommage.

P_lettrine_moyen_age_passion copiaar ses effets et sa longue barbe, on pourrait encore rapprocher ce Merlin de l’image du Merlin sage et ancien que nous livre une certaine littérature anglo-saxonne et, là encore, il est intéressant de remarquer le clin d’oeil visuel fait dans Kaamelott d’un Merlin vêtu de gris du temps de la jeunesse romaine d’Arthur (Livre VI) , à un Merlin drapé  de blanc au moment de la quête du Graal. A-t-il comme le Gandalf de JRR Tolkien passé les épreuves suffisantes et acquis la maîtrise de son art, pour avoir laisser le gris au profit du blanc? Il laissera à nouveau la couleur pure et diaphane de côté, au profit de couleurs plus sombres quand il Merlin_jacques_chambon_kaamelott_druide_enchanteur_humour_serie_tele_alexandre_astierquittera le château et tout au long du livre V,

Ce n’est qu’une hypothèse mais, finalement, au delà de leurs travers comiques, dans cette sorte de dédoublement du personnage de l’enchanteur qu’il nous propose avec Merlin et Elias, peut-être Alexandre Astier nous invite-t-il à considérer deux faces de Merlin, à travers les légendes, en le scindant, d’une certaine manière, en deux personnages différents : d’un côté, le druide breton et celte traditionnel, de l’autre le magicien enchanteur capable de tout et surpuissant. D’un côté encore Merlin l’ancien, un peu fatigué, un peu en dessous, avec la bonhomie d’un Panoramix, de l’autre Merlin, l’enchanteur puissant et terrifiant, redouté de tous et manipulateur, ce qui est finalement le propre d’Elias dans Kaamelott.

kaamelott_legendes_arthuriennes_elias_alexandre_astier_citations« Une pluie de pierres en intérieur, donc ! Je vous prenais pour un pied de chaise, mais vous êtes un précurseur, en fait ! »
Elias (Bruno Fontaine à Merlin. A Astier – Kaamelott

Quoiqu’il en soit, ne cherchez pas entre les deux enchanteurs de Kaamelott la marque d’une fine équipe, pas d’avantage que l’esprit d’entraide ou une belle  de complicité. Elias n’aide Merlin que contraint et forcé par Arthur et, en réalité, s’il le traite volontiers de boulet, il est loin de le porter ses épaules. Au grand dam du roi, cette collaboration ne tient pas.

L’actualité théâtrale
de Bruno Fontaine & Jacques Chambon

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P_lettrine_moyen_age_passion copiaour dire deux mots de l’actualité de ces deux talentueux acteurs, vous pouviez retrouver Bruno Fontaine récemment sur les scènes théâtrales et en région lyonnaise. Il incarnait le célèbre commissaire San Antonio de Frédéric Dard. Retrouvez toute son actualité sur sa page Facebook .

bruno_fontaine_actu_acteur_kaamelott_elias_enchanteur_san_antonio_frederic_dardQuant à Jacques Chambon,, très actif également sur la scène théâtrale, il écrit des pièces humoristiques et joue aussi dans d’autres créations. Là encore l’abonnement à son Facebook semble le moyen le plus simple de suivre son agenda de spectacles.

Avant de nous quitter, il en est encore temps, souhaitons un joyeux anniversaire à Alexandre Astier qui fêtait hier ses 43 ans. Longue vie à lui !

En vous souhaitant une excellente fin de week-end.

Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du moyen-âge sous toutes ses formes.

Le moyen age, état primitif de notre civilisation et notre littérature par Michel Zink

“Le Moyen Age est le moment où nous pouvons saisir notre civilisation et notre littérature dans leur état primitif et pourtant la civilisation médiévale n’est nullement une civilisation primitive, bien que certaines approches anthropologiques permettent parfois de mieux la comprendre.”
Introduction à la littérature française du moyen-age
Michel ZINK – médiéviste, philologue et académicien français

Sujet : citation moyen-âge, histoire, civilisation, littérature médiévale.

Le fabuleux voyage d’Ibn Battûta, grand aventurier du moyen-âge central

ibn_batouta_explorateur_monde_medieval_livre_moyen-age_centralSujet : aventurier, explorateur, musulman, Islam médiéval, voyageur,
Portrait :  Ibn Battûta  (1304-1368 ?77),
Abu Abdullah Muhammad Ibn Battuta (Batutah ou Batouta)
Période : moyen-âge tardif, XIVe siècle
Ouvrage : « les voyages » ou « Un cadeau pour ceux qui contemplent les splendeurs des cités et les merveilles des voyages » (1356)

« Écrivain arabe et l’un des plus grands voyageurs de tous les temps, Ibn Baṭṭūṭa est l’auteur d’un récit de voyage (Riḥla) qui, par l’ampleur du champ parcouru et les qualités du récit, constitue une des œuvres de la littérature universelle » André MIQUEL – Encyclopédie Universalis

Bonjour à tous,

P_lettrine_moyen_age_passion copiaour les besoins de l’indexation, nous reprenons ici, en le complétant largement, le portrait que nous avons dédié au grand voyageur berbère et musulman Ibn Battûta dans  l’article consacré au Festival Musique et Histoire  de Fontfroide à venir.

ibn_battuta_aventurier_pelerin_musulman_medieval__moyen-age_centralIl a fallu attendre le XIXe siècle pour que les européens découvrent ce grand aventurier, chroniqueur et témoin du monde musulman du moyen-âge central que l’on a souvent surnommé « le plus grand voyageur de tous les temps » (en opposition aux voyageurs maritimes et sur le plan de la distance parcourue par les terres, il l’est assurément).

Ayant recouvert bien plus de miles et de distance que Marco Polo, la popularité de ce pèlerin explorateur, hors du monde arabe, est sans doute, aujourd’hui plus grande dans le monde anglophone que francophone, aussi ce portrait rétablira-t-il un peu, à sa manière, l’équilibre. Voilà donc quelques mots de l’histoire de Abu Abdallah Muhammad Ibn Abdallah al-Lawati at-Tanji plus connu sous le nom de Ibn Battûta (Batutah),

ibn_battuta_aventurier_musulman_voyageur_moyen-age_central_XIVe_siecle

« Je sortis de Thandjah, lieu de ma naissance, le jeudi 2 du mois de redjeb, le divin et l’unique, de l’année 725,  dans l’intention de faire le pèlerinage de La Mecque et de visiter le tombeau du Prophète. (Sur lui soient la meilleure prière et le salut !) J’étais seul, sans compagnon avec qui je pusse vivre familièrement, sans caravane dont je pusse faire partie ; mais j’étais poussé par un esprit ferme dans ses résolutions et le désir de visiter ces illustres sanctuaires était caché dans mon sein. Je me déterminai donc à me séparer de mes amis des deux sexes, et j’abandonnai ma demeure comme les oiseaux abandonnent leur nid. Mon père et ma mère étaient encore en vie. Je me résignai douloureusement à me séparer d’eux, et ce fut pour moi comme pour eux, une cause de maladie. J’étais alors âgé de vingt-deux ans. »
Ibn Battûta — Voyages  

Un périple aux confins du monde musulman du XIVe siècle

De 1325 à 1349, cet aventurier berbère musulman, né à l’aube du XIVe siècle, parcourut plus de 120 000 kilomètres à l’occasion de trois grands périples qui le menèrent de son Maroc natal jusqu’aux confins du monde musulman médiéval.

Parti originellement en pèlerinage vers la Mecque, à l’age de 22 ans, il finira par visiter des myriades de destinations dans une longue aventure où il prendra toute la mesure du monde musulman, de sa diversité autant que de ibn_battuta_voyages_moyen-age_central_explorateur_musulman_monde_medievalson étendue : Inde, Asie centrale, Chine, Afrique orientale, Moyen et proche orient, Palestine, Perse, Irak, Syrie, son périple le conduira jusqu’à l’Anatolie, et encore Sumatra ou plus près l’Andalousie et il s’aventura même encore, hors des terres de l’Islam, jusqu’à la ville de Constantinople.

Si ses longs périples pourraient prendre par moments, les contours d’une longue errance, Ibn Battûta  connaîtra aussi des périodes de sédentarisation qui lui permettront de mieux approfondir ses observations. Démontrant d’une solide capacité d’adaptation et bénéficiant aussi de l’aura que son origine arabe lui confère dans les pays musulmans qu’il traverse et qui ne sont pas tous arabes, l’explorateur prodigue est aussi lettré et occupera des fonctions variées, au fil de ses voyages, dont, à de nombreuses reprises, celles de juge.

Quelques années après son retour, en 1354 et à la demande du sultan du Maroc Abu Inan Faris,  il dictera ses aventures à un historien, poète, juge et érudit, ibn_battuta_voyages_moyen-age_central_explorateur_monde_medievaloriginaire de Grenade et de la grande Andalousie d’alors (Al-Andalous), du nom de Ibn Juzayy al-Kalbi al-Gharnati, pour les inscrire dans la postérité.

Par la suite, il finira vraisem-blablement sa vie en occupant la charge de juge mais l’on n’est pas vraiment fixé sur la date de sa mort qui oscille de 1368 à 1377, suivant les historiens. A l’image des aventures de Marco Polo, la véracité de certains récits d’Ibn Battuta a été partiellement mise en doute. Sans entrer dans le détail, ces polémiques ne touchent toutefois que quelques destinations qu’il dit avoir visitées. Et pour être clair, nul ne peut aujourd’hui nier qu’il ait véritablement effectué ces immenses voyages et sillonné le monde qui lui était contemporain. Nombre des observations qu’il fut le tout premier et même le seul à faire, dans certains cas, ont d’ailleurs été corroborés par des voyageurs et observateurs ultérieurs et, pour tout dire, sa sincérité est à ce point reconnu qu’on l’a encore baptisé quelquefois : « l’honnête voyageur ».

Ibn Battûta, conteur, chroniqueur et sa contribution aux sciences humaines

« Voyager vous laisse d’abord sans voix, avant de vous transformer en conteur. »
Ibn Battûta — Voyages

Dien sûr, même si le leg et les écrits d’Ibn Battuta restent d’une valeur inestimable, au regard des sciences humaines modernes et de leurs méthodes, on y rencontrera  des limites communes à tous les chroniqueurs du moyen-âge.

Apports historiques

Du point de vue de l’historien, les repères chronologiques manquent, des imprécisions et incohérences demeurent, certaines destinations décrites, nous l’avons dit plus haut, n’ont sans doute pas été visitées (ce qui, en soit, ne serait pas un obstacle majeur). En réalité, le récit d’Ibn Battuta s’approche plus d’un grand tableau ou d’une fresque, si l’on préfère, du monde musulman médiéval et des pays visités, que de chroniques historiques, à ibn_battuta_batutah_aventurier_moyen-age_monde_musulman_medieval_XIVe_siecleproprement parler. On ne sait s’il tenait un journal de bord systématique, il semble que ce n’était pas le cas, même si l’on sait, par ailleurs, qu’il a perdu des notes en chemin, en se faisant dérober ses effets,

Dictée de mémoire et après coup, sur la base de ses souvenirs, cette compilation comporte forcément certaines limites « scientifiques », même si la quantité de détails et d’anecdotes fournis ne cesse de forcer l’admiration. Pour mieux comprendre cela, il faut se souvenir que durant ses périples, Ibn Battûta  se rapproche souvent des rois, des émirs et des puissants pour bénéficier de leurs dons et de leur largesse. Bien décidé à vivre de ses voyages, il leur conte, à plus d’un tour, ses aventures, sous forme de récits. De fait, c’est une matière qui n’est donc pas restée cloisonnée en lui pour ne sortir,  par magie, que des années après ce qui explique sans doute aussi qu’il ait pu la garder aussi vive.

Alors, pour le reste, peut-il être considéré comme un historien ? Non. et encore moins au sens où nous l’entendons aujourd’hui. Il n’en a ni la rigueur, ni les méthodes, à son époque nul ne les a. Il n’en a pas non plus d’ailleurs la prétention. Quoiqu’il en soit, dans le domaine de l’histoire médiévale du monde musulman, sa grande contribution ne peut être niée, pas d’avantage que l’intérêt et la valeur particulière de ses récits. A cette même époque, les historiens du monde arabe sont un peu à l’image de ceux de l’Europe médiévale, nombre d’entre eux s’occupent bien plus de grandes batailles ou des hauts faits militaires ou religieux (plus ou moins enjolivés) des seigneurs et nobles (qui, la plupart du temps, les financent et les font vivre).

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Dans ce contexte, Ibn Battuta apparaît comme l’un des rares à dépeindre les moeurs, les cultures et les sociétés qu’il observe. Son approche est plus celle d’un chroniqueur ou d’un journaliste; il décrit plus qu’il ne questionne en profondeur ce qu’il voit, mais il a légué un témoignage précieux par la qualité autant que par l’ampleur des destinations parcourues. Il a  encore été un des premiers voyageurs à s’aventurer en profondeur dans le centre Afrique et de même qu’il n’a pas constitué un atlas et une cartographie précise des régions traversées durant tous ses périples, son apport en géographie a longtemps été reconnu.

Apports ethnologiques

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Pour l’ethnologue, comme pour l’anthropologue, au regard des méthodologies actuelles de ces disciplines, là encore, l’ouvrage d’Ibn Battuta ne peut être considéré comme « scientifique », L’auteur médiéval  ne conduit pas une monographie précise et systématique des pays traversés ou des cultures rencontrées pas plus qu’il n’engage une réflexion profonde et conceptuelle à partir de ses observations (qui ne serait, de toute façon et là encore, pas de son temps). En revanche, sa contribution est là aussi de taille, pour ces sciences humaines. Certaines de ses observations sur les cérémonies de mariage, sur le patriarcat mais aussi le matriarcat et les lignées matriarcales de certains pays ou cultures qu’il visite sont d’un haut intérêt ethnologique. (voir à ce sujet l’article de Joseph Chelhod Ibn Battuta, ethnologue, sur persée). Au delà et sur le terrain des observations, la curiosité de l’explorateur médiéval  reste insatiable et s’exerce dans de nombreux domaines; moeurs sexuelles, techniques, musiques, monnaie, économie, bureaucratie, pratiques religieuses qui intéressent l’anthropologie comme l’ethnologie dans un perspective historique.

Se procurer les ouvrages Ibn Battuta.

Du point de vue de l’édition, les  récits de Ibn Battûta sont en général découpés en 3 tomes: de l’Afrique du Nord à la Mecque (tome 1), de La Mecque aux steppes russes (tome 2), et Inde, Extrême-Orient, Espagne & Soudan (tome 3).

ibn_battûta_voyages_portrait_aventurier_monde_medieval_moyen-ageLes versions que l’on retrouve le plus communément ont été traduites depuis l’Arabe en 1858 par Charles Defrémery et Beniamino Raffaelo Sanguinetti, tous deux orientalistes. On peut trouver des versions digitalisées de quelques uns de ces ouvrages d’époque sur le web.

Pour ce qui est de l’édition papier, les versions les plus récentes datent des années 1980-90. Leur traduction provient des auteurs sus-mentionnés et elles sont annotées et préfacées par Stéphane Yerasimos  (Historien, professeur des universités, spécialiste de l’empire ottoman, 1942-2005). On les trouve chez plusieurs maisons d’édition, Les éditions de la découverte sont encore, à ce jour, semble-t-il, celles qui proposent les prix les plus abordables (autour de 15 euros par exemplaire). En voici les liens:

En vous souhaitant une belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes