Romans récents ou livres anciens, le moyen-âge s’édite et se réédite : fiches de lecture, extraits, impressions, une balade dans l’univers du livre autour du monde médiéval,
Sujet : lectures, livres, contes, romans, auteur. Période : fantaisie, moyen-âge fantastique Auteur : JRR Tolkien (1892 -1973) Titre ; le Hobbit, Le seigneur des anneaux (trilogie)
« Vous ne pensez tout de même pas que toutes vos aventures et vos évasions ont été le résultat d’une pure chance à votre seul bénéfice ? Vous êtes une personne très bien, monsieur Baggins, et je vous aime beaucoup, mais vous n’êtes, après tout, qu’un minuscule individu dans le vaste monde. » Gandalf –JRR Tolkien – Bilbo le Hobbit
« You don’t really suppose, do you, that all your adventures and escapes were managed by mere luck? Just for your sole benefit ? You’re a very fine person, Mr. Baggins, and I’m quite fond of you. But you are really just a little fellow, in a wide world after all »
Bonjour à tous,
l’approche de Noël et de la tradition des veillées que nous avons sacrifiée, depuis longtemps, à la déesse cathodique, j’ai toujours une pensée pour la magie des contes et des belles histoires distillés dans les crépitements d’un bon feu. Et, même s’il n’y est pas question de loups mangeurs d’enfants, de renards rusés, ou récits venus directement du monde médiéval, je ne peux les évoquer sans une pensée pour le bon JRR Tolkien et son oeuvre merveilleuse. Alors aujourd’hui, pour lui faire tribut, voici quelques citations tirées de ses carnets et un petit billet qui lui est dédié.
J’en profite d’ailleurs pour ajouter que, pour très honorable que soit le travail du réalisateur Peter Jackson autour du Seigneur des Anneaux ou du Hobbit, il ne saura jamais se substituer au plaisir immense de se replonger directement dans les pages magnifiques et empreintes de lyrisme du vieux professeur de littérature et de langues anciennes de Oxford. Quand nous parlons des histoires de JRR, nous parlons donc bien ici de nous replonger à leur source : aux livres même et pas à leur adaptation.
Ecologiste avant l’heure, si Tolkien avait semblé, pour certains de ses contemporains, en arrière de son temps, il est apparu, pour d’autres et plus tard dans le temps, comme étrangement en avance : avec sa comté si verte et si peu mécanisée, avec ses belles maisons de Hobbit pour refuge et les joies de leur petite communauté villageoise pour horizon, avec encore son refus de souscrire au dictat aveugle du « progrès pour le progrès »,
Invitation au voyage au cœur d’un moyen-âge rêvé et fantasque ? Aventures empreintes de magie et de légendes celtiques et nordiques, à la poursuite, un peu nostalgique, de paradis déjà perdus ? Certainement, mais pas seulement. Pour être passionné de langues, de mythologie anciennes et de littérature médiévale, JRR Tolkien n’était pas tout entier tourné vers le passé. Son temps le préoccupait aussi. Comme dans toute grande oeuvre, ses pages restent empreintes d’un regard acerbe sur notre modernité et continuent même de l’interroger. Outre les aventures exaltantes que ces histoires nous proposent, voilà encore autant de raisons de nous y replonger.
“Tout ce qui est or ne brille pas, Tout ceux qui errent ne sont pas perdus, Le vieux qui est fort ne dépérit point. Le gel n’atteint pas les racines profondes.
Des cendres, un feu s’éveillera. Des ombres, une lumière jaillira; Renouvelée sera l’épée qui fut brisée, Le sans-couronne sera de nouveau roi. » JRR Tolkien -Le Seigneur des Anneaux
“All that is gold does not glitter, Not all those who wander are lost; The old that is strong does not wither, Deep roots are not reached by the frost.
From the ashes a fire shall be woken, A light from the shadows shall spring; Renewed shall be blade that was broken, The crownless again shall be king.”
Lire, relire ou faire découvrir Tolkien
Il existe de nombreuses publications nouvelles ou « dérivées » de JRR Tolkien depuis que son fils, qui en était très proche, a entrepris l’effort louable de mettre à jour l’ensemble de l’oeuvre. Pour autant, si vous ne les avez pas encore lus, nous vous conseillons les classiques et notamment, la trilogie de l’Anneau. Encore une fois, même en ayant vu les films, l’expérience n’a rien de comparable, ne serait-ce que pour des raisons techniques. Une trilogie cinématographique, aussi longue soit-elle, est bien forcée de faire des coupes franches et des choix drastiques par rapport à une oeuvre écrite ; pour des raisons de taille, c’est encore plus vrai du Seigneur des Anneaux que du Hobbit.
Ces ouvrages sont disponibles dans plusieurs collections, du plus simple livre de poche à l’ouvrage broché le plus collector et le plus illustré. Les liens ci-dessous ont été sélectionnés sur la base du critère économique et pour leur prix abordable.
Le seigneur des Anneaux
La Communauté de l’Anneau
Le seigneur des Anneaux
Les Deux Tours
Le seigneur des Anneaux
Le Retour du Roi
Le seigneur des Anneaux
Le Hobbit
Pour conclure, sur le rapport qu’il pourrait y avoir entre l’oeuvre de JRR Tolkien et le moyen-âge réaliste qui nous occupe ici le plus souvent, traiter le sujet déborderait largement le cadre de cet article. Nous aurons donc l’occasion d’y revenir de manière plus détaillée, dans le futur.
Si tous les moyen-âge(s) nous intéressent, disons déjà qu’on ne devrait jamais sous-estimer le sérieux d’une oeuvre de fiction, fut-elle d’évocation, ni sa capacité à faire naître en nous des trésors infinis de questionnement et même, parfois, des vocations véritables. De grands historiens se sont quelquefois éveillés, enfants, à la vue d’une simple illustration, à la lecture d’une simple bande dessinée, ou encore à la découverte d’un château-fort de carton ou d’un soldat de plomb, déballé au pied d’un sapin de noël. Outre son merveilleux pouvoir de nous faire voyager et d’aiguiser notre imagination, par une magie connue d’elle seule, il arrive que la fiction nous invite, après coup, à passer les frontières du rêve à la réalité. En l’occurrence, pour ce qui est de Tolkien, plus qu’à un simple auteur, nous avons à faire à un érudit, spécialiste de mythologie et de langues anciennes. Ce n’est pas tout JRR était aussi doté d’un immense talent de plume et de conteur et il débordait d’imagination. L’oeuvre totalement originale qu’il nous a léguée, demeure à plus d’un titre, monumentale. Elle tient même largement la distance sur plusieurs relectures, alors encore une fois Merci et joyeux Noël Monsieur Tolkien !
En vous souhaitant une belle journée.
Fred
Pour moyenagepassion.com A la découverte du moyen-âge sous toutes ses formes.
Sujet : beau livre, photographies, livre d’Art, légendes arthuriennes, forêt de Brocéliande, littérature médiévale, roman arthurien, Période : Haut moyen-âge, moyen-âge central. Lieu : Forêt de Brocéliande Ouvrage : « Brocéliande entre rêve et réalité »
Auteurs : Philippe Manguin et Vivian Fedieu Daniel
Bonjour à tous,
‘article d’aujourd’hui nous emmène au coeur des légendes arthuriennes, mais cette fois, du côté de la Bretagne continentale, dans la forêt mythique et profonde de Brocéliande. Nous y suivons les pas de deux amoureux de l’endroit qui n’ont de cesse, depuis des années, d’en traquer la magie et les lumières et viennent tout juste d’éditer un très beau livre d’art et de photographies sur le sujet. Et comme on ne se refait pas, tout en émaillant cet article de quelques belles photos empruntées, avec leur aimable autorisation, à leur ouvrage et pour vous en donner le goût, nous en profitons également, dans un second temps, pour remonter le fil de Brocéliande et de son apparition dans le roman arthurien.
Brocéliande , entre rêve et réalité
Un beau livre d’Art sur la forêt mythique
Installés au coeur de Brocéliande, Philippe Manguin et Viviane FedieuDaniel, tous deux fascinés par la mythique forêt bretonne, ont donc eu l’excellente idée d’éditer un beau livre pour nous en faire partager les beautés et les mystères. Il a pour titre Brocéliande, entre rêve et réalité, les photographies sont réalisées par Philippe Manguin et servies par les textes de Viviane Fedieu Daniel. Le propos n’est pas, ici de retracer l’histoire de Brocéliande mais plutôt d’y suivre le fil d’une balade émerveillée au coeur de ses lieux et à travers ses saisons.
Au delà des amateurs de beaux livres et de photographies, il ne pourra que ravir les férus de légendes arthuriennes et bretonnes, et les amoureux de ce beau lieu magique qu’est la forêt de Brocéliande. Et pour ce qui est de la nature légendaire de cette dernière, sans même parler de son histoire néolithique, de ses impressionnants menhirs, ou de certains autres de ses vestiges celtiques, nous voulons revenir ici, à son entrée et sa présence, devenue presque incontournable, dans les célèbres légendes du cycle arthurien.
Et toi Brocéliande, Sous ton lourd manteau d’hiver, Rêves-tu d’Arthur?
Brocéliande et le roman arthurien :
huit siècles de légende
Le poéte normand Wace et le roman de Rou
C’est au trouvère anglo-normand Wace (1100-1175) que l’on doit d’avoir mentionné pour la première fois la forêt de Brocéliande (Bréchéliant) et même la célèbre fontaine de Barendon, dans son roman de Rou. Contrairement à son roman de Brut, l’ouvrage ne s’intéresse pas tant à la matière de la Bretagne outre-manche qu’à l’histoire du duché de Normandie depuis Rollon (Rou ou Rol), mais Wace nous y apprend tout de même qu’avant même d’être investie par les légendes arthuriennes, la forêt de Brocéliande semblait déjà considérée comme un haut lieu de contes et de mystères, loué par les bretons, autant que ses chevaliers étaient renommés :
« … e cil devers Brecheliant donc Breton vont sovent fablant, une forest mult longue e lee qui en Bretaigne est mult loee.
La fontaine de Berenton sort d’une part lez le perron ; aler i solent veneor a Berenton par grant chalor, e a lor cors l’eve espuiser e le perron desus moillier ; por ço soleient pluie aveir. » Wace – Le roman de Rou
Comme l’indique le même extrait, Wace est donc aussi un des premiers à mentionner les prodiges de la fontaine de Barendon. Plus loin, il nous dit même s’être rendu en personne à Brocéliande, pour y débusquer ses « merveilles », et peut-être aussi pour avérer les croyances qui voulaient qu’en répandant quelques gouttes de la fontaine miraculeuse sur le sol, on pouvait déclencher la pluie et les orages, en période de grande sécheresse. N’était-il pas assez savant, méritant ou versé dans le druidisme pour la trouver ou pour y parvenir, l’histoire ne le dit pas, mais en tout cas et de son propre aveu (joliment tourné), il échoua totalement dans son entreprise :
« La allai je merveilles querre* (chercher) Vis la forêt, et vis la terre, Merveilles quis*, mais ne trovai, (*je cherchai) Fol m’en revins, fol y allai, Foll y allai, fol m’en revins, Folie quis, por fol me tins » Wace – Le roman de Rou
Brocéliande et Chrétien de Troyes :
Yvain et le chevalier au Lion,
près cette première entrée écrite et connue de Brocéliande dans la littérature des contes et légendes de la Bretagne continentale, Chrétien de Troyes mentionnera, à son tour, la forêt (devenue cette fois Brocheliande) dans son roman arthurien Yvain et le chevalier au lion, même s’il ne la situera pas tout à fait au même endroit queWace, mais plutôt outre-manche. C’est donc Yvain le narrateur ici:
Et trouvai un chemin a destre, Parmi une forest espesse. Mout y ot voie felenesse, De ronses et d’espines plaine. A quel ahan et a quel paine Tout* chele voie et chel sentier! A bien pres tout le jour entier M’en alai chevauchant ainsi Tant que de la forest issi, Et che fu en Brocheliande. De la forest en une lande Entrai et vi une breteche A demie lieue galesche; Yvain ou le chevalier au lion, Chrétien de Troyes
Et pour ce qui est de la fontaine de Barendon, Chrétien de Troyes lui fera également une belle place, sans en donner le nom. C’est à l’évidence la même que celle décrite par Wace.Elle en a, en tout cas, les propriétés merveilleuses et légendaires,et sous la plume de son auteur, Yvain aura même largement plus de réussite que Wace a en faire surgir les merveilles :
Puis erra dusque a la fontaine, Si vit quanques il vaut veoir. Sans arrester et sans seoir, Versa seur le perron de plain De l’yaue le bachin tout plain. De maintenant venta et plut Et fist tel temps que faire dut. Et quant Dix redonna le bel, Sor le pin vinrent li oysel Et firent joie merveillouse Seur la fontaine perillouse. Yvain ou le chevalier au lion, Chrétien de Troyes
Dans le courant des XIIe et XIIIe siècles, d’autres auteurs ou trouvères mentionneront encore Brocéliande. Pour n’en citer que deux de plus, Robert de Boron lui attachera le personnage de Merlin et elle gagnera même l’Occitanie dans le roman de Jaufré qui en fera aussi un lieu à part entière des légendes arthuriennes. Elle sera, dès lors et pour longtemps, définitivement entrée dans le roman arthurien.
Au XVe siècle, quelques maisons de seigneurs bretons de son voisinage revendiqueront même leur appartenance directe à la lignée d’Arthur. Le légendaire roi breton sera alors devenu à l’image de Charlemagne, ce héros qui inspire et dont on se réclame du côté de la Bretagne armoricaine et continentale et la forêt de Brocéliance, partie intégrante de cet héritage. Le pouvoir de fascination de cette dernière ne s’arrêtera d’ailleurs pas au moyen-âge, ni aux légendes du roi Arthur, puisqu’elle inspirera de nombreux autres romans contemporains qui la prendront encore pour cadre.
Pour revenir au livre du jour et ses belles photographies dont cet article a pu vous donner une idée – même si l’objet livre est quelque chose que l’on touche, que l’on sent et que l’on manipule, a fortiori quand c’est un livre d’Art – puisque Noel approche et avec lui, le temps des petites attentions et des beaux livres, peut-être céderez-vous à la tentation de suivre les pas inspirés de ses deux auteurs Philippe Manguin et de Viviane Fedieu à la découverte des lumières de cette belle forêt de légendes et de leur bel ouvrage: Brocéliande, entre rêve et réalité.
En vous souhaitant une belle journée.
Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com A la découverte du moyen-âge sous toutes ses formes.
Sujet : histoire, approche, méthodes, méthodologie historique, épistémologie, écoles des annales. citations, sources et articles, historiographie. école des Annales Auteur, Historien : Lucien Febvre (1878-1956)
Ouvrage :Combats pour l’Histoire, Press Pocket (1952)
Bonjour à tous,
n 1952, l’historien Lucien Febvre publiait un recueil d’articles et de compte-rendus regroupés sous le titre très explicite de « Combats pour l’Histoire » et qui pouvait prendre, par endroits, des allures de véritable manifeste.
Il s’agissait là d’Histoire au sens large, mais l’oeuvre de cet homme et celle d’un certain nombre d’autres intellectuels pionniers, entre lesquels on comptera, le médiéviste March Bloch et, plus tard, Fernand Braudel eurent dans le courant du XXe siècle, d’importantes conséquences sur la manière d’approcher la discipline historique et, par extension, le moyen-âge et l’histoire médiévale. Leur place ici est donc rien moins que justifiée.
Une histoire totale et problématique
“Faire de l’histoire, oui. Dans toute la mesure où l’histoire est capable, et seule capable, de nous permettre, dans un monde en état d’instabilité définitive, de vivre avec d’autres réflexes que ceux de la peur, des descentes éperdues dans les caves — et tout l’effort humain réduit à soutenir pour quelques heures, à étayer au-dessus des têtes branlantes, les toits crevés, les plafonds éventrés.” Lucien Febvre (1878-1956) Combats pour l’Histoire
Fondateur en 1929, avec Mac Bloch de la revue des Annales d’histoire économique et sociale qui deviendra par la suite Les Annales, la dynamique intellectuelle, les travaux et les réflexions des deux historiens et de quelques autres avec eux,donneront naissance à de nombreuses vocations, à ce que l’on a même souvent convenu de nommer une « école » et, sans aucun doute, à une nouvelle manière de faire de l’Histoire.
Pour en revenir au contenu de l’ouvrage Combats pour l’Histoire, qui, comme on l’a compris, est le résultat d’un travail engagé plus de vingt ans auparavant,Lucien Febvre effectuait alors une véritable mise à plat de la discipline, y traçait de grandes lignes et tendait aussi des perches interdisciplinaires vers les autres sciences humaines montantes, entre autre la psychologie, la sociologie de Durkheim, l’anthropologie de Frazer ou les écrits de Marcel Mauss. Concernant les bases de sa réflexion épistémologique, il se situait encore dans la remise en question des préceptes d’une réalité mécanique et matérialiste que les sciences de la nature opéraient alors : la physique quantique, mais aussi la microbiologie, ouvraient déjà, devant elles, de nouveaux territoires inconnus et la compréhension de l’univers qui avait semblé si proche pour les jeunes sciences de la nature devenait soudainement glissante. Face à cela et sans attendre, chaque scientifique se devait de remettre cette complexité en perspective et l’historien ne pouvait pas non plus, selon l’auteur, en faire l’économie. Sans d’ailleurs qu’il y soit pour grand chose, ce questionnement épistémologique a également touché, dans le courant du XXe siècle, l’anthropologie et l’ethnologie, en leur posant de la même façon le problème de leur véritable objectivité scientifique et celui de la neutralité réelle de l’observateur face à son objet de recherche.
Quoiqu’il en soit, pour Lucien Febvre, il était alors question de conduire une Histoire « totale » et « problématique » et de promouvoir une discipline qui entendait se détourner d’une discipline résumée à une succession chronologique, jugée par trop simpliste, d’événements politiques « marquants » (grands faits, grands hommes, grandes dates et grandes batailles). Il fallait s’attacher à tous les aspects de l’humain dans le temps et repenser, du même coup, la place de l’individu dans l’Histoire, à la lumière des autres sciences humaines, en étirant aussi le cadre des méthodes pour échapper à la seule « tyrannie » du document. On commença alors à se pencher sur une véritable histoire des mentalités dans une tentative de remise en situation de l’homme dans son milieu historique, politique, économique, social et psychologique. De larges champs s’ouvraient devant les historiens des Annales. Le projet était tracé dans ses grandes lignes, quelques ouvrages et travaux venaient déjà l’illustrer; tout restait à explorer et à construire.
“Quand aucune fin majeure ne sollicite les hommes à la limite de leur horizon, c’est alors que les moyens deviennent des fins pour eux et d’hommes libres, en font des esclaves.” Lucien Febvre – Combats pour l’Histoire
Un nouveau souffle : « faire de l’Histoire dans un monde en ruine »
Plus d’un bon demi-siècle plus tard, on peut bien sûr se demander, avec Nicolas Righi, (2) si les Annales donnèrent véritablement lieu à une « école » (terme pourtant consacré) stricto-sensu. Dans un article de 2003, paru dans la revue le Philosophoire, il fait lui-même le constat d’un certain « éclectisme » (ou d’une élasticité) méthodologique et conceptuel qui impose quelques réserves au moment d’y répondre par l’affirmative. On peut encore vouloir un peu nuancer l’impact de Lucien Febvre sur l’ensemble de la discipline, en faisant le constat (foucaldien?) que des mouvements d’ouverture s’amorçaient déjà, par ailleurs, du côté de l’Histoire économique par exemple, ou ajouter comme constat, que l’histoire politique et événementielle n’est pas morte avec les Annales, loin s’en faut, mais il reste que ces historiens qui s’enflammèrent pour la prise de risque et voulurent embrasser l’inconfort d’une épistémologie vacillante, à la lumière des dernières découvertes scientifiques du XXe siècle, contribuèrent grandement à donner à l’Histoire un nouveau souffle et à la transfigurer pour longtemps.
“Satisfaite de ses progrès, fière de ses conquêtes, vaniteuse de ses succès matériels, l’Histoire s’endormait dans ses certitudes. Elle s’arrêtait dans sa marche. Elle redisait, répétait, reprenait ; elle ne recréait plus. Et chaque année qui passait donnait à sa voix, un peu plus, le son caverneux d’une voix d’outre-tombe. ” Lucien Febvre Combats pour l’Histoire
Plus ouverte, plus vibrante, moins sûre d’elle aussi, sans doute, elle y gagna en flexibilité et en ouverture et il faut relire les pages de ce Combats pour l’Histoirepour sentir l’enthousiasme qui menait alors Lucien Febvre. Dans un monde dévasté par les guerres où tout était à reconstruire, quel courage fallait-il pour continuer d’opter pour l’Histoire et pour la recherche ? Comment lui trouver du sens ? De quelle force fallait-il encore investir ce « combat » pour qu’il fasse le poids et fasse sens quand tout le reste ou presque semblait avoir été perdu ? L’historien nous en parle aussi avec fougue et on s’imagine sans peine, dans ces amphithéâtres où il faisait lecture de certains de ses compte-rendus, être gagné, à notre tour, par sa flamme. Car ne nous y trompons pas, il est bien question ici d’une véritable passion pour l’Histoire, doublée d’une volonté farouche de la faire sortir de ses ornières, pour la faire embrasser le monde dans sa complexité dans un projet qui visait encore à la mettre au service des hommes et de leur propre compréhension d’eux-mêmes. Et, chaque étudiant d’alors pouvait, sans doute, mesurer la justesse de son choix et s’il en doutait encore basculer définitivement, avec Lucien Febvre du côté de l’Histoire, car sous la verve de cet intellectuel à la plume affûtée et cinglante, plus qu’un simple métier ronronnant, être historien devenait une aventure conquérante et épique.
« Pour faire de l’histoire tournez le dos résolument au passé et vivez d’abord. Mêlez-vous à la vie. A la vie intellectuelle, sans doute, dans toute sa variété. Historiens, soyez géographes. Soyez juristes aussi, et sociologues, et psychologues ; ne fermez pas les yeux au grand mouvement qui, devant vous, transforme, à une allure vertigineuse, les sciences de l’univers physique. Mais vivez aussi, d’une vie pratique. Ne vous contentez pas de regarder du rivage, paresseusement, ce qui se passe sur la mer en furie.
(…) Entre l’action et la pensée, il n’est pas de cloison. Il n’est pas de barrière. Il faut que l’histoire cesse de vous apparaître comme une nécropole endormie, où passent seules des ombres dépouillées de substance. Il faut que, dans le vieux palais silencieux où elle sommeille, vous pénétriez, tout animés de la lutte, tout couverts de la poussière du combat, du sang coagulé du monstre vaincu — et qu’ouvrant les fenêtres toutes grandes, ranimant les lumières et rappelant le bruit, vous réveilliez de votre vie à vous, de votre vie chaude et jeune, la vie glacée de la Princesse endormie… « Lucien Febvre. Combats pour l’Histoire
Polémiques et querelles
sur fond d’historiographie
Ah ! Qui n’aurait rêvé d’avoir un tel professeur d’Histoire au lycée ? Combien de nouvelles vocations auraient pu être ainsi suscitées devant tant de passion et une telle qualité d’érudition ? Du reste, la verve de ce combattant implacable et passionné pour une nouvelle histoire le conduisit même quelquefois sur des terrains diplomatiques minés sans pour autant lui faire baisser la garde. Entre autres auteurs d’alors Henri Jassemin (chartiste et conservateur aux Archives nationales)en fit quelque peu les fraiset, à sa suite, quelques autres collègues qu’il avait pris à témoin déprécièrent, à leur tour, le trop de « verdeur » de Lucien Febvre dans ses propos. Dans un critique d’un ouvrage de Jassemin, « La Chambre des comptes de Paris au XVe siècle », l’historien des Annales terminait en effet ainsi, cristallisant et théâtralisant presque même, le conflit entre histoire érudite et histoire problématique (pour reprendre les termes de Étienne Anheim (3)) :
« (…)Je ne dis pas : cela n’est pas de l’histoire. Ou alors, si l’histoire c’est cela, que la collectivité cesse immédiatement d’encourager, et de soutenir, une activité aussi totalement inutile ! » L. Febvre, Comptabilité et chambre des comptes , Annales HES, 26, 1934
Et pour lui faire écho, voici une ligne de la réponse, non moins caustique, publiée par Jassemin :
« (…)Je veux simplement marquer la différence de l’historien dont la vocation essentielle est d’établir des faits et de l’historien dont la vocation essentielle est de vulgariser des idées. » H. Jassemin, Rubrique « Correspondance », Annales HES, 26, 1934
On relira, non sans déplaisir, l’article de Etienne Anheim sur la question de cette polémique article dans lequel, au passage, il nous offre, bien au delà de l’anecdote, une belle analyse d’historiographie, mais si l’on peut, aujourd’hui, sourire du tour et du ton que le conflit avait pris entre les deux auteurs venus d’horizons méthodologiques divers, il demeure bien symptomatique du climat qui pouvait régner alors dans le milieu des historiens et aussi de l’importance que pouvait prendre dans l’esprit de Lucien Febvre ce combat pour une nouvelle histoire.
Pour conclure, et pour rebondir sur la citation d’en-tête de cet article, l’Histoire n’est sans doute pas la seule capable de nous permettre de vivre avec d’autres réflexes que ceux de la descente à la cave et peut-être que les sciences de l’homme au sens large, peuvent également y parvenir, mais on pourra en tout cas lire ou relire valablement ce classique qu’est devenu les combats pour l’Histoirede Lucien Febvre dans l’histoire de la discipline, autant pour son fond, que pour son style.
En vous souhaitant une belle journée.
Fred
Pour moyenagepassion.com A la découverte du moyen-âge sous toutes ses formes.
Sujet : musique médiévale, poésie médiévale, amour courtois, Ars Nova, compositeur médiéval, Roman de Fauvel, Manuscrit français MS 146 Période : Moyen Âge central, XIIIe, XIVe
Auteur : Jehannot (ou Jehan) de Lescurel(ou L’escurel) Ensemble: Syntagma et Alexandre Danilevsky
Album : livre-disque & media book sur Jehan de Lescurel
Bonjour à tous,
ous avons le plaisir de vous présenter aujourd’hui à la fois un compositeur des XIIIe, XIVe siècles, un ensemble musical ayant une prédilection pour les musiques anciennes, mais encore un livre-disque qu’ils ont édité autour de ce compositeur. En route donc pour un voyage au coeur de la musique médiévale actualisée par la vibrante passion d’artistes de notre temps !
Jehannot de Lescurel :
compositeur et poète des XIIIe, XIVe siècles
Compositeur, chansonnier et poète, Jehannot de Lescurel n’a laissé pour trace que son oeuvre : trente-quatre pièces lyriques, annexées au célèbre et très satirique « Roman de Fauvel« , dans le manuscrit ancien, fr 146 de la BnF, daté du XIVe siècle. De la vie de cet artiste, pour l’instant, nous ne savons rien et les quelques hypothèses fantasques qui en avaient fait, au début du XXe siècle, un clerc à demi-criminel, pendu en 1304 à Paris pour « débauches, meurtres et vols » ont depuis été rejetées par les historiens, faute de documents pouvant l’attester; il semblerait en effet, qu’on se soit alors emballé un peu vite sur la foi d’une simple homonymie.
Malgré cette absence de biographie certifiée, du point de vue artistique, les musicologues avertis s’accordent à faire de Jehannot de Lescurel un des maîtres annonciateurs de la transition vers l’Ars Nova. On le décrit aussi comme à la synthèse de la tradition musicale des trouvères et celle des troubadours provençaux, même s’il n’est déjà plus lui-même un trouvère, mais bien un compositeur à part entière, comme le sera Guillaume de Machaut autour de la même période.
Du point de vue de leur notation, ses compositions pourraient être parmi les premières de l’Histoire de la musique occidentale et médiévale à pouvoir être jouées « littéralement ». On se souvient que les systèmes de notation musicales précédents cette période laissaient souvent un large et libre champ aux interprètes sur certains points, notamment la rythmique (voir article troubadours).
Du legs de Jehan de Lescurel, on ne dispose, pour l’instant, que d’une seule composition polyphonique même si les pièces retrouvées laissent supposer qu’il ait pu en produire bien plus. Elles sont donc toutes, à un exception près, monophoniques et se répartissent, dans des formes déjà clairement fixées, en virelais, ballades, rondeaux et Dits entés. Du point de vue des thèmes de prédilection, les chansons et poésies du compositeur gravitent autour de l’amour courtois dans un style très épuré, qui, il faut bien le dire, tranche totalement avec le ton satirique et pamphlétaire du Roman de Fauvel du MS 146 auquel on les a trouvées jointes.
SONGÉ .I. SONGE : un livre-disque original tout entier dédié à l’art de Jehan Lescurel
Faire mieux connaître et surtout donner à entendre la musique et l’art de Jehannot Lescurel, voilà donc le pari relevé par l’Ensemble Syntagma, formation spécialisée dans les musiques anciennes et qui nous en livre, aujourd’hui, une véritable étude. L’oeuvre se présente comme un Livre-Disque et le CD y est donc accompagné d’une véritable présentation sur le compositeur du XIIIe siècle. En tout, ce sont plus de 80 pages de réflexions et d’impressions sur la poésie des XIIIe, XIVe et sur l’auteur du dit « Gracieux Temps », à destination des amateurs éclairés ou simplement curieux de musique et de poésie médiévale.
Pour la partie sonore, musicale et acoustique, treize pièces du compositeur médiéval sont présentées entre versions instrumentales et lectures. En voici d’ailleurs un extrait donné par l’ensemble au Festival International de Wilz, au Luxembourg (2011).
L’ensemble Syntagma à la redécouverte des musiques anciennes ou médiévales oubliées
L’ensemble Syntagma a été fondé en 1996 par le compositeur et instrumentiste Alexandre Danilevsky. Pianiste, luthiste, vielliste, cet artiste aux multiples talents est russe de naissance, mais vit en France depuis de nombreuses années. Après avoir étudié la composition à Saint-Petersbourg, sa passion pour la musique l’a conduit à se pencher sur la « early music » qu’il a étudiée en Suisse, à la Scola Cantorum Basilensis, institut de recherche et d’enseignement spécialisé dans les musiques anciennes. Pour lui, dusse-t-elle avoir été écrite il y a 800 ans, la musique est faite pour être jouée et sa place n’est pas dans les musées. De fait, il s’emploie désormais activement à faire vivre un répertoire qui va du moyen-âge à la renaissance, et c’est à cette fin qu’il a fondé l’ensemble Syntagma.
Curieux de tout, créatif jusqu’au bout de l’âme, et entièrement dévoué à son art, Alexandre Danilevsky semble avoir une prédilection pour aller chercher dans les répertoires passés et, en l’occurrence pour ce qui nous intéresse, le moyen-âge, des oeuvres méconnues ou peu jouées, auxquelles il se plait à redonner vie. C’en est à un point qu’il caresse même l’idée de créer un jour « Un festival des premières » dans lequel on ne jouerait – pour la première fois donc – que des musiques anciennes méconnues. On en rêverait !
Pour comprendre ou réaliser l’importance que peut avoir pour lui son art, nous traduisons pour vous ces quelques lignes tirées d’un interview qu’il donnait, il y a quelque temps, à Tobias Fischer du site Tokafi.com en réponse à la question : « Quel est votre point de vue sur la scène musicale actuelle ? Y a-t-il une crise ? »
« La Crise est un état permanent pour l’artiste en recherche. En triompher suppose un acte volontaire pour donner naissance à un travail artistique. Notre musique est la fondation du monde. Quand nous l’écrivons ou nous la jouons, le monde s’arrête, sinon pourquoi le ferions-nous? Le monde repose sur notre musique, c’est ce en quoi doit croire un compositeur, sans quoi ce qu’il fait n’a aucun sens. Aller contre la marée est notre destinée, notre destin, notre devoir ou appelez cela comme vous voulez ». Alexandre Danilevsky, compositeur, directeur de l’ensemble Syntagma Tokafi.com 15 questions to A Danivelsky
Avant d’en terminer, et pour témoigner de l’excellence du travail de l’Ensemble Syntagma, ajoutons encore que la formation a déjà reçu deux Awards en 2008 et 2011 par la Medieval Music & Arts Foundation pour ses productions et enregistrements.
Pour entrer en contact avec eux, nous vous conseillons leur page facebook : Ensemble Syntagma Vous pouvez également retrouver des extraits de leurs productions sur leur chaîne youtube officielle early mysic ensemble Syntagma.
Amours que vous ai meffait, les paroles
de la chanson de Jehannot de Lescurel
Amours, que vous ai meffait, Qui amie non amée Au dous plaisant m’avez fait ? Lasse ! et point ne li agrée. Et de quelle eure fui née, Quant je n’ai loial ami ? Amours douce et desirrée, Enamourez le de mi.
J’ai grant paour que il n’ait Aillieurs mise sa pensée ; Quar tant est de dous atrait, Sa guise si savouré[e], Qu’aucune autre enamourée L’a at[r]ait, ce croi, a mi. Amours douce et desirrée, Enamourés le de mi.
Ses regars m’a du cors trait Mon cuer ; ainsi m’a navrée Doucement ; très bien me plait. Dex ! s’aussi m’avoit donnée S’amour, plus beneurée Ne seroit pour ce vous pri, Amours douce et desirrée, Enamourez le de mi.
En vous souhaitant une très belle journée.
Frédéric EFFE
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