D’un lombard cupide et d’un miracle de saint Dominique dans l’exemple XIV du Comte Lucanor

Sujet : auteur médiéval, conte moral, Espagne médiévale, littérature médiévale, Europe médiévale, avidité, cupidité, mentalités médiévales, miracle, saint Dominique.
Période  : Moyen Âge central ( XIVe siècle)
Auteur  :   Don Juan Manuel (1282-1348)
Ouvrage : Le comte Lucanor traduit par  Adolphe-Louis de Puibusque (1854) & versions originales espagnoles de l’ouvrage.

Bonjour à tous,

os pérégrinations du jour nous entraînent du côté de l’Espagne médiévale, pour l’étude d’un nouveau conte moral de Don Juan Manuel. Ecrit autour de 1330-1335 par ce noble de Castille et Leon aux nombreux titres, « le Comte Lucanor » demeure un ouvrage important pour la littérature hispanique du Moyen Âge.

Le Comte Lucanor est-il facile à lire ?

Le Comte Lucanor est un ouvrage agréable à parcourir et à lire. Son principe est simple : un noble seigneur fait face à toutes les difficultés qui touchent un homme de son rang et de sa charge ( tensions avec ses voisins, trahisons qui guettent, stratégies diplomatiques, exercices du pouvoir et gestion de ces domaines ou terres, etc…) mais il se pose aussi des questions qui touchent de plus près la vie, la mort et la morale de tous les jours.

Entouré de relations pas toujours avisées, ni désintéressées, notre personnage principal, le comte Lucanor, n’a pour seul recours que son propre valet, un conseiller du nom de Patronio qui répond à ses interrogations avec sagesse et au moyen d’exemples et d’anecdotes. Il en résulte de petits contes moraux de deux à trois pages chacun et qui peuvent se lire dans n’importe quel ordre et pas nécessairement d’une traite. Le lecteur aura également l’occasion d’y faire quelques rapprochements culturels intéressants sur l’Europe d’alors et ses territoires.

Qui est le Comte Lucanor ?

Le comte Lucanor a été écrit entre 1330 et 1335 par un Don Juan Manuel qui approche la cinquantaine. S’il lui reste encore quelques belles années à vivre, c’est alors un homme expérimenté, avec une carrière bien remplie de combats et d’exercice du pouvoir. Issu de la famille royale d’Espagne, il a côtoyé et servi les plus puissants à la cour. Respecté et craint, il compte, lui même, comme un des plus puissants seigneurs du nord de la péninsule et règne sur de nombreux duchés et seigneuries.

A l’automne de sa vie, il a sans doute voulu mettre cette longue expérience du pouvoir et de la stratégie, au service de ce comte Lucanor. Sur le fond, ce noble de papier est donc un peu son double littéraire. Certains de ces contes évoquent même, assez directement, les propres questionnements de Don Juan Manuel auxquels il répond, en se servant du miroir de Patronio (1).

En dehors des chapitres qui touchent plus particulièrement l’exercice du pouvoir ou du bon gouvernement, les exemples du conte Lucanor sont traversés d’interrogations plus existentielles et philosophiques. Les problématiques soulevées, comme les réponses, illustrent alors assez bien les valeurs qui traversent l’occident médiéval chrétien : relation à la vie, à la mort, au salut, relation à l’argent, au sens moral et aux qualités morales (honneur, renommée, postérité, mansuétude, etc…) , aux bonnes œuvres, etc. L’exemple du jour se range, sans doute plus, dans cette dernière catégorie.

Exemple XIV : le cœur pourri d’un homme avide

L'exemple XIV du comte lucanor dans le  manuscrit ancien Ms 6376 de la Bibliothèque National d'Espagne.

Les histoires de Don Juan Manuel sont assez variées du point de vue des références — il faut se souvenir qu’avant lui, cette branche royale de Castille a donné naissance à des hommes férus de littérature, de la trempe d’Alphonse X le savant — . Il peut arriver à l’auteur d’emprunter ses anecdotes à des faits survenus en Espagne ou à d’autres endroits d’Europe, ou encore à des fables ou à des récits et contes en provenance de terres plus lointaines et de temps plus anciens.

L’exemple du jour est le récit d’un miracle qui fait intervenir une prédiction spectaculaire de saint Dominique, à l’occasion d’un enterrement. Il nous transporte en Italie, aux pays des Lombards, riches marchands, banquiers et usuriers, montrés du doigt et critiqués par de nombreux textes satiriques médiévaux, ainsi que par les sociétés populaires d’alors, pour le commerce qu’ils font de l’argent (voir Histoire et littérature médiévale satirique autours des Lombards ).

Les freins médiévaux à l’usure

Si le monde est, aujourd’hui, ultra financiarisé, au delà même de toute raison, un fait demeure et ceux qui s’aventurent à le nier n’ont, sans doute, jamais mis le nez, sérieusement, dans des textes médiévaux : le Moyen Âge chrétien occidental s’est posé, dans ses valeurs morales et dans sa littérature, comme un frein sérieux à la spéculation, à la course aux trésors et à l’accumulation effrénée de richesses à n’importe quel prix. Cela ne l’a pas empêché de se servir de prêts pour financer sa croissance, ni de connaître des abus et des pillages, mais, sur le fond, ce frein était bien là pour brider certains abus, tant du point de vue des taux d’usure que du point de vue de certaines prédations.

L’Eglise elle-même et le clergé, qui étaient les porteurs officiels de ces valeurs chrétiennes, en ont été victimes quand, la voyant trop s’enrichir au goût de certains moines ou certains hommes, de nouveaux prédicateurs ont voulu s’en extraire pour fonder des choses comme les hérésies vaudoises, cathares, ou les ordres mendiants. Du moine replet et rassasié (ou du riche et productif cistercien), au moine ermite itinérant, dans l’ombre de saint Benoit et de sa règle, il semble qu’un mouvement pendulaire ait fait émerger, à plusieurs reprises, durant ce long Moyen Âge, des envies insatiables de chemins plus dépouillés et plus christiques, des appels à des vocations monacales plus rudimentaires.
D’une certaine façon, la présence de ses mouvements, comme la morale chrétienne qui traversent la littérature semble prouver à quel point le christianisme et ses valeurs débordaient alors de la simple institution qui avait en charge de les représenter, pour se tenir dans tous les cœurs ou, au moins, dans tous les esprits.

Si ce monde médiéval a critiqué les « Lombards » pour leur pratique de l’usure, il a eu, tout autant, en horreur, l’avidité et la cupidité. Sur fond de valeurs chrétiennes, sa littérature, sa poésie satirique et morale et ses poètes n’ont cessé de le crier haut et fort. Pour n’en donner qu’un exemple (même si notre long périple au sein des textes médiévaux nous a amené à en croiser plus d’un), on citera ici, le, Roman de la Rose. Il avait fait, lui aussi, en son temps et de manière édifiante, la verte critique de l’avidité et, partant, l’apologie du contentement ou du dépouillement :

Si ne fait pas richesce riche
Celi qui en trésor la fiche :
Car sofîsance solement
Fait homme vivre richement.

Le Roman de la Rose, Guillaume de Lorris & Jean de Meung.

Encore une fois, nous parlons de représentations et de valeurs partagées. L’objectif n’est pas, non plus, de dépeindre un Moyen Âge idyllique ou idéalisé. Dans la pratique, les entorses existaient. On voit bien, d’ailleurs, dans ce conte que l’accumulation d’avoirs n’est pas tant condamné que son obsession au détriment de tout le reste. Disons, au moins, que le contexte social et les mentalités médiévales ne leur étaient pas favorables.

Le dépouillement comme passeport pour le ciel

Dans l’exemple du Comte Lucanor, du jour, on retrouvera, encore, cet éloge du dépouillement que nous avions abordé avec Jacques le Goff et cette idée de « testament qui devient le passeport pour le ciel. » Le médiéviste nous expliquait alors que l’homme aux portes de la mort, terrorisé de ne pas obtenir le salut, pouvait léguer toutes ses richesses à l’église en dépouillant totalement, au passage, ses héritiers. Il est amusant de retrouver, très concrètement, cette idée dans le conte du jour. On trouvera même bien réel la peur de ces derniers, au point qu’ils vont même empêcher le père de trouver le repos éternel, en congédiant le moine dominicain. Hériteront-ils, ce faisant, de la malédiction du trésor et son obsession tenace ? L’histoire ne le dit pas.

Pour finir, on notera encore une parenté relative entre le conte du jour et l’exemple XXXVIII du Comte Lucanor, que nous avions déjà étudié. Ici, un homme ne voulant se dessaisir d’une seule de ses pièces, pour traverser une rivière, finissait par y périr noyé. Non content de l’avoir rendu stupide, son avidité finissait, donc, par le condamner. Dans l’exemple ci-contre, l’homme avide et, en l’occurrence, de peu de morale et de peu de cœur, sera poursuivi jusque après la mort par ses choix de vie et même le salut de l’âme lui sera refusé, par Dieu, par ses proches et par saint Dominique. Crêpe, jambon fromage, œuf à cheval, la totale.


Exemple XIV, du miracle que fit saint Dominique lors de l’enterrement d’un usurier


NB : pour la traduction, nous nous sommes d’abord appuyés sur celle de  Adolphe-Louis de Puibusque. Puis, finalement, nous sommes remontés aux sources directes du texte pour la reprendre sérieusement quand nous le jugions nécessaire. A cet effet, nous nous sommes servis de la version ancienne du Comte Lucanor, mais aussi de la version en Espagnol moderne actualisée de Juan Vicedo (2004).

Le comte Lucanor s’entretenait un jour avec son conseiller et ce faisant lui disait :

Patronio, quelques personnes me conseillent d’accumuler le plus grand trésor possible, en me disant qu’il faudrait que je m’y consacre plus qu’à toute autre chose ; aussi, je vous prie de me dire ce que vous pensez de cela ?
— Seigneur comte, répondit Patronio, bien qu’il soit certainement utile, aux grands seigneurs de disposer d’un trésor et d’argent en de nombreuses occasions, en particulier, pour avoir les moyens de faire tout ce qui est nécessaire et convenable, ce serait une erreur de croire que vous ne devez amasser ce trésor en ne pensant plus qu’à cela, en cessant de faire votre devoir auprès de vos sujets, et au détriment de votre honneur et de vos intérêts même. Car si vous agissiez de la sorte, vous pourriez connaître le sort d’un certain Lombard qui vivait à Bologne.
Le comte demanda alors ce qu’il était advenu à ce Lombard.

— Seigneur comte, il y avait à Bologne, poursuivit Patronio, un Lombard qui avait accumulé un grand trésor, sans jamais s’inquiéter de savoir s’il était bien ou mal acquis. Son unique pensée était de le grossir de quelque manière que ce fût. Or, il advint que ce Lombard tomba gravement malade ; son état empira rapidement, et un de ses amis, le voyant proche de la mort, lui conseilla alors de se confesser à saint Dominique, qui prêchait alors à Bologne. Le Lombard y consentit et envoya quérir saint Dominique.


Quand on le fit appeler, Saint Dominique comprit tout de suite que ce n’était la volonté de Dieu que ce mauvais homme n’endure aucune peine pour tout le mal qu’il avait causé. Il ne souhaita pas se déplacer, mais envoya un autre moine pour qu’il se rende sur place
(2).
Dans le même temps, comprenant que leur père avait fait quérir saint Dominique, les enfants du lombard s’en inquiétèrent, craignant que le bon saint ne requiert du mourant la donation de tous ses biens en échange du salut de son âme, en les laissant dans la misère. Aussi, lorsque le moine se présenta, ils lui firent savoir que leur père était en pleine crise de fièvre et qu’ils l’avertiraient sitôt que ce dernier irait mieux.

Peu de temps après, le Lombard perdit l’usage de la parole et mourut, de sorte qu’il ne put prendre aucune disposition pour le salut de son âme. Le lendemain, on s’occupa de l’enterrer, et, sur la demande de ses enfants, saint Dominique consentit à venir faire son oraison funèbre. Quand le saint dut parler du défunt, il cita ces paroles de l’Evangile : « Ibi est thesaurus tuus, ibi est cor tuum », c’est-à-dire, « où est ton trésor là est ton cœur ». Puis, il ajouta, en se tournant vers l’assistance :
— Mes amis, pour vous convaincre de la vérité des paroles de l’Evangile, faites rechercher le cœur de cet homme et vous verrez que vous ne le trouverez pas à sa place, mais bien plutôt dans le coffre où il tenait son trésor enfermé. »

En effet, on alla chercher le cœur du mort dans son corps et il ne s’y trouvait plus ; comme saint Dominique l’avait indiqué, on le trouva dans le coffre. Et il était plein de vers et exhalait la pire odeur de putréfaction qu’on n’est jamais pu sentir.

 » Et vous seigneur comte Lucanor, même si, comme je le disais précédemment, posséder de l’argent peut être utile, prenez garde à deux choses si vous désirez former un trésor : d’abord, que ce trésor soit de bonne et honorable provenance ; ensuite, que vous ne mettiez pas autant d’attachement dans ce trésor au point de vous condamner à faire ce que vous ne devriez pas faire, ou à négliger votre honneur et les devoirs que vous devez remplir. Avant toute chose, vous devez tenter de réunir un trésor de bonnes œuvres, pour mériter la grâce de Dieu et l’estime des hommes (une bonne renommée auprès des gens). »

Le comte apprécia beaucoup ce conseil de Patronio ; il le suivit et s’en trouva bien ;

Et Don Juan jugeant aussi que la leçon était utile à retenir, la fit écrire dans ce livre, avec deux vers qui disent ceci :

« Cherche, par-dessus tout, le trésor véritable
Et garde toi toujours de l’avoir périssable.
 » (3)


En vous souhaitant une bonne journée.

Frédéric EFFE
Moyenagepassion.com
A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes


Notes :

(1) L’exemple XV du conte Lucanor : « De ce qui advint à Don Lorenzo Suarez Gallinato à la porte de Séville » semble faire clairement référence aux relations houleuses et dangereuses qui virent, durant de longues décennies, le roi d’Espagne Alphonse XI s’opposer au grand seigneur et prince de Villena : faux promesse de mariage et séquestration durant de longues années de la fille de Don Juan Manuel, que le roi n’épousa jamais, complots et tentative d’assassinat sur la personne de Don Juan Manuel, pour finalement, voir les deux hommes se rabibocher bon gré mal gré. L’introduction de l’exemple XV commence par : « Patronio lui dit-il, j’ai eu le malheur de mettre contre moi un roi très puissant, et comme cette inimitié durait déjà depuis bien des années, nous finîmes de guerre lasse par nous accommoder ensemble (…) Malgré cette réconciliation et les rapports pacifiques qui existent entre nous, il nous est impossible de nous fier l’un à l’autre. »

(2). Ici le traducteur original se contente de : Le Lombard y consentit et envoya chercher saint Dominique qui, ne pouvant venir chargea un moine de le remplacer auprès du malade.

(3) La formule choisie par  Adolphe-Louis de Puibusque est assez heureuse et claire : « Là-haut est le seul bien, le trésor véritable , Tâche de le gagner ; Tout autre est périssable. » , nous ne l’avons remplacé que pour coller un peu plus à la version originale espagnole qui sous-entend ce qu’est le trésor véritable, alors que notre auteur du XIXe siècle a décidé de rendre le tout un peu plus explicite. L’Espagnol ancien original donne : Gana el tesoro verdadero, et guárdate del falleçedero. En Espagnol moderne, Juan Vicedo opte pour :  » Amarás sobre todo el tesoro verdadero,
despreciarás, en fin, el bien perecedero. »
Autrement dit : en aimant par dessus-tout le trésor véritable, tu finira par déprécier les biens périssables.

L’adieu à une « douce dame jolie » du maître de musique Francesco Landini

Sujet : musique médiévale, musiques anciennes, chants polyphoniques, Ars nova, chanson. amour courtois, loyal amant, trecento, compositeur florentin, virelai.
Période : Moyen Âge tardif, XIVe siècle
Auteur : Francesco Landini (1325-1397)
Titre : Adiu, adiu, dous dame jolie
Interprètes : Alla Francesca.
Album : Landini and Italian Ars Nova (1992)

Bonjour à tous,

ujourd’hui, nous vous invitons à bord du vaisseau Moyenagepassion, pour un voyage en direction du trecento italien. Nous sommes, donc au début de la Renaissance italienne, dans un XIVe siècle qui correspond encore au Moyen-Âge tardif français et nous y découvrirons une nouvelle pièce de Francesco Landini.

La douleur du partir de l’amant courtois

La chanson du jour est un virelai. Elle appartient au registre de l’amour courtois, à l’image des autres compositions qui nous sont parvenues du maître de musique florentin. Cette pièce se distingue, toutefois, de celles que nous avons étudiées précédemment par sa langue ; elle est, en effet, en français ancien et non en italien, comme le reste de l’œuvre de Landini.

Sur le fond, le compositeur et poète nous contera la douleur de l’amant courtois, au moment de se séparer d’avec sa dame. Cette dernière est, ici, désignée par l’auteur comme sa « douce dame jolie » et on ne pourra s’empêcher de voir là, une claire évocation à la célèbre chanson de Guillaume de Machaut portant le même titre. Contemporain de Landini, le maitre de l’Ars Nova Français le précède d’une petite vingtaine d’années. On sait aussi que l’Ars nova français a notablement influencé la musique italienne de cette période, même si l’Ars nova qui s’est développé sur la péninsule italienne s’en démarque par son style et ses particularités.

Aux sources anciennes de cette chanson

La chanson "Adieu douce dame jolie" de Landini dans le codex Squarcialupi, de la Bibliothèque Laurentienne de Florence
Une « Douce dame Jolie » » à la façon de Francesco Landini

Du point de vue des sources anciennes, on pourra retrouver cette chanson de Francesco Landini, avec sa partition dans le célèbre codex Squarcialupi (le Med Palat 87). Daté du XV siècle, ce manuscrit richement enluminé est aujourd’hui conservé à la Bibliothèque Laurentienne de Florence. En cherchant un peu, on peut également le trouver en ligne, sous une forme digitalisée.

L’hommage à Landini et à l’Ars Nova,
de l’ensemble ‘Alla Francesca

Pour la version en musique de ce chant polyphonique, nous vous proposons l’interprétation qu’en avait fait la célèbre formation médiévale française Alla Francesca, il y a déjà quelque temps déjà.

En 1991, soit l’année suivant sa création, l’ensemble de musiques anciennes et médiévales Alla Francesca partait, donc, à la découverte de Francesco Landini et de l’Ars Nova italien. Ce thème leur a même fourni l’occasion de leur toute première production. En terme de discographie, Alla Francesca en est, désormais à son vingtième album pour plus de trente ans de carrière. C’est dire le chemin parcouru par cette excellente formation depuis ses premiers pas.

L'album de musiques médiévales et d'Ars Nova de Alla Francesca

Cet album, sorti en 1992 sous le titre « Landini and Italian Ars Nova » propose un total généreux de 17 pièces, pour 55 minutes d’écoute. La formation attachée au Centre de musique médiévale de Paris signait là un vibrant hommage à l’Ars Nova florentin. Et si l’œuvre de Francesco Landini y trouve une place de choix, elle y côtoie aussi des pièces de Jacopo da Bologna, Ghirardello et Lorenzo da Firenze, et encore quelques autres compositeurs italien de cette période, dont des anonymes.

Plus de trois décennies après sa sortie, ce bel album peut encore se trouver à la vente au format CD, chez votre disquaire habituel ou encore en ligne. Voici un lien utile à cet effet : Landini and Italian Ars Nova, Alla Francesca (1992).

Musiciens ayant participé à cet Album

Catherine Joussellin (voix, vièle, percussion), Brigitte Lesne (voix, harpe, percussion), Emmanuel Bonnardot (voix, vièle, rebec), Pierre Hamon (instruments à vents, cornemuses, flûtes, percussion)


Adiu, adiu, dous dame jolie,
dans la langue d’oïl de Landini

Adiu, adiu, douce dame jolie,
kar da vous si depart lo corps plorans
Mes a vous las l’esprit et larme mie.

Lontan da vous, aylas, vivra dolent.
Byen che loyal sera’n tout ma vie.

Poyrtant. ay! clere stelle. vos prie
Com lermes e sospirs tres dous mant
e
Che loyaute haies pour vestre amye.

Les paroles en français actuel

Adieu, adieu, douce dame jolie,
Car de vous je me sépare le corps en pleurs,
Mais je laisse près de vous mon esprit et mon âme.

Loin de vous, hélas, je vivrai dans la peine,
Bien que je vous demeurerai loyal toute ma vie.

Voilà pourquoi, hélas, claire étoile, je vous prie
Avec larmes et très doux soupirs et vous enjoins
De garder votre loyauté pour votre amant.


En vous souhaitant une excellente journée.
Fred
pour moyenagepassion.com
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Le Salon de la Passion Médiévale du Québec, édition 2023

Ecu - Armoirie ville de Montréal - Québec

Sujet : salon médiéval, évocation historique, reconstitution médiévale, Moyen Âge, animations, compagnies médiévales, marché artisanal, médiéval fantastique.
Evénement : Salon de la Passion médiévale 2023
Lieu : Place Bell, 1950 rue Claude-Gagné, Laval, Québec, Canada
Dates :  les 5, 6 et 7 mai 2023

Bonjour à tous,

omme chaque année, au mois de mai, le Salon de la Passion Médiévale montréalais revient, et nous donne l’occasion de faire un nouveau clin d’œil à nos amis québécois et aux férus de Moyen Âge qui se tiennent de ce côté du monde francophone.

Evocation historique & mondes imaginaires

Affiche et programmation du Salon de la Passion médiévale 2023

Fondé il y a près d’une quinzaine d’années, cet événement outre-Atlantique est désormais une institution à Montréal et il est toujours très prisé des amateurs d’évocation historique québécois. Cette année, il se tiendra du 5 au 7 mai 2023 durant 3 jours pleins.

Comme le veut la tradition de ce Salon de la Passion Médiévale, les troupes invités couvriront des périodes historiques plus larges que le Moyen Âge. On pourra donc y croiser, en plus de compagnies et reconstituteurs en armure médiévale, des personnages issus de l’antiquité romaine, des gladiateurs, des pirates ou même des mousquetaires. A l’habitude, il proposera aussi sa touche de fantastique et de fantaisie. Ses organisateurs ne se cachent pas, en effet, d’en être fondus. Au programme, du loisir historique teinté d’imaginaire, donc.

Animations et activités

Animations historiques et médiévales au Salon de la Passion Médiévale de Montréal

Pas de salon médiéval et historique sans animations, comme chaque année l’événement montréalais ne dérogera pas à la règle ; .ses visiteurs pourront profiter de multiples activités entre déambulations, musiques, danses fantastiques, numéros de bateleurs et saltimbanques mais encore fer croisé avec de nombreux combats à l’ancienne et en armure. Camps légendaires et combats d’archerie seront également de la partie et on pourra encore y apercevoir un bon lot de créatures fantastiques.

Pour les visites en famille, les plus petits n’ont pas été oubliés avec un grand nombre d’ateliers et activités conçus tout spécialement pour eux : bataille à l’épée en mousse, jeux gonflables, initiation à la chevalerie, maquillage, spectacles, quête grandeur nature, etc…

Compagnies et troupes invitées (hors artisans)

Trifolys et Kateya – Cie Royal T – Ufhednar – Estreya – Entre 2 Jo – ZenAction – Scrimicie – Ecole du Grand Arc – Cie Déferlante – Cie Ethereal – Symbiosis – Isa et ses chants celtiques – Destreza Nova – Cie Wakinyan – Myriam – …

Jeux, concours et grand marché artisanal

Ce salon québécois se signe aussi par sa dimension ludique, ses jeux et ses concours. Sur le mode du tirage au sort (roue de la fortune, tombola, …), certains vous permettront, cette année, de gagner de jolis lots. D’autres concours, à destination des plus jeunes, demanderont un peu plus d’implication et de jugeotte et il faudra traverser des épreuves chevaleresques pour espérer les gagner.

Marché historique et artisanal au Salon de la Passion Médiévale de Montréal

Pour le plus grand plaisir des rôlistes, le jeu de rôle trouvera aussi sa place sur le salon avec diverses causeries. Comme à chaque édition, on pourra aussi rencontrer sur place de nombreux représentants de Jeux de Rôle Grandeur Nature (GN) pour s’informer sur le sujet ou s’y inscrire.

Pour finir, les visiteurs en quête d’emplettes originales ne seront pas en reste puisque le Salon de la Passion Médiévale de Montréal héberge aussi, traditionnellement, un grand marché artisanal. Pour ce cru 2023, avec 80 exposants et artisans variés, il y aura de quoi faire quelques belles découvertes entre travail du cuir (vêtements, accessoires artisanat divers,…) costumes, bijoux, armurerie et coutellerie, etc…

Pour tous les détails et réservations, nous vous invitons à consulter le site officiel du Salon de la passion médiévale.

Pour consulter des articles sur les éditions précédentes de ce salon, c’est ici : Edition 2023 Edition 2018Edition 2017.

En vous souhaitant un beau salon, si vous vous y rendez, et en saluant une nouvelle fois, chaleureusement, nos amis québécois.

Frédéric EFFE
Pour Moyenagepassion.com
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D’un coq découvrant une gemme, une fable de Marie de France

Enluminure de Marie de France

Sujet  : poésie médiévale, fable médiévale, vieux français, anglo-normand, auteur médiéval, ysopets, poésie morale, oïl.
Période : XIIe siècle, Moyen Âge central.
Titre : D’un coc qui truva une Gemme…
Auteur  : Marie de France (1160-1210)
Ouvrage  :  Poésies de Marie de France, T2, B de Roquefort (1820)

Bonjour à tous,

ujourd’hui, nous irons chercher notre inspiration médiévale du côté de la poésie de Marie de France. Cette première écrivaine en langue vernaculaire française et, plus précisément, en anglo-normand, nous a laissé une œuvre fournie, connue pour ses lais mais aussi ses fables inspirées des auteurs antiques.

De l’indifférence d’un coq face au diamant

Une fois de plus, c’est donc une fable qui nous donnera l’occasion de nous rapprocher de l’auteur(e) médiéval. Il y sera question d’un coq, d’une gemme et, en définitive, pour le dire de manière triviale, d’une morale assez voisine du dicton populaire qui parle de « confiture donnée aux cochons ».

Dans le récit, il ne s’agit pas, toutefois, de complète ignorance de la part du coq. Ayant débusqué une pierre précieuse dans un tas de fumier, il ne s’intéresse simplement pas à la valeur du trésor exhumé. Il sait qu’il s’agit d’une gemme. Il est même conscient qu’entre des mains plus expertes, la pierre précieuse se trouverait sublimée. Sertie d’or, elle brillerait alors de mille feux mais cela ne change rien pour lui. Il ne la trouve absolument d’aucune utilité et lui préférerait largement un peu de pitance.

Peu vif, l’animal passera donc à côté de la valeur réelle de sa trouvaille, ne daignant même pas la remuer, et la poétesse médiévale étendra la morale de sa fable à toute chose de valeur (bien, honneur) que, selon elle, nombre de ses contemporains dédaignent, pour leur préférer des choses plus triviales ou bien pires.

La fable du coq et de la perle de Marie de France, illustrée d'une enluminure.

D’un coc qui truva une Gemme sor un Fomeroi
dans la langue d’oïl de Marie de France

Du coc racunte ki munta
Sour un fémier, è si grata
Selunc nature purchaceit,
Sa viande cum il soleit:
Une chière jame truva,
Clère la vit, si l’esgarda;
Je cuidai, feit-il, purchacier,
Ma viande sor cest fémier,
Or ai ici jame travée,
Par moi ne serez remuée.
S’uns rices hum ci vus travast,
Bien sei ke d’or vus énurast;
Si en creust vustre clartei,
Pur l’or ki a mult grant biautei
Qant ma vulentei n’ai de tei
Jà nul hénor n’auraz par mei.

Autresi est de meinte gent,
Se tut ne vient à lur talent,
Cume dou Coc è de la Jame;
Véu l’avuns d’Ome è de Fame:
Bien, ne hénor, noient ne prisent,
Le pis prendent, le mielx despisent.

Une adaptation en français actuel

NB : cette fois-ci, nous avons choisi d’une adaptation plutôt qu’une traduction mot à mot. C’est un premier jet perfectible mais il a au moins le mérite d’être maison.

Juché sur un tas de fumier
Un coq s’affairait à gratter
Y cherchant, avec insistance,
Suivant son instinct, sa pitance.
Une belle gemme il exhuma,
De grand valeur et l’observa :
« Je pensais, fit-il, débusquer
De quoi manger dans ce fumier,
Et c’est toi, pierre, qui m’est échu,
Pas question que je te remue…
Qu’un riche homme t’ait découvert
Et d’or il t’aurait recouvert.
Ton éclat ressortirait mieux
Mis en valeur par l’or précieux.
Mais je ne veux rien de tout cela

Point d’honneur, tu n’auras de moi. »

Il en va ainsi de beaucoup
Si tout ne tombe à leur goût,
Comme du coq et son diamant,
Hommes et femmes sont ressemblant,
ni bien, ni honneur, ils ne prisent,
Le pire prennent, le meilleur méprisent.

Aux origines de cette fable médiévale


En remontant le fil de cette fable, on la retrouve chez les fabulistes antiques bien avant Marie de France, Esope d’abord puis Phèdre dans son sillage. Dans les deux cas, elle y avait déjà, un sens assez voisin que celui que lui donne Marie de France, même s’il faut reconnaître que le propos originel de cette fable est si général que le symbole de la perle peut recouvrir bien des choses suivant le sens qu’on veut bien lui donner : valeurs morales, science, savoir, éducation, etc…

Le Coq et le diamant d’Esope

Le coq sur un fumier grattoit , lorsqu’à ses yeux parut un diamant : « Hélas, dit-il ! Qu’en faire ? Moi qui ne suis point lapidaire (artisan joaillier) Un grain d’orge me convient mieux. »

Les Fables d’Esope mises en françois avec le sens moral
en quatre vers et des figures à chaque fable (1775).

On peut trouver un commentaire en vers de cette fable dans l’ouvrage en question :

Ce trésor qu’un coq mal habile
Rebute & vois ici d’un œil indifférent
C’est Homère ou Virgile
Entre les mains d’un ignorant.

Le contenu de la fable d’Esope est assez laconique et succinct mais comme on le voit, l’auteur du XVIIIe siècle penchait de son côté pour une valeur culturelle, philosophique et éducative du symbole quand Marie de France l’avait plus résolument tiré du côté des valeurs morales.

Le poulet à la perle de Phèdre

Au premier siècle de notre ère et près de six siècles après Esope, Phèdre a repris cette fable à son compte, en restant dans un esprit sensiblement identique à celui d’Esope.

Pullus ad margaritam : In sterquilino pullus gallinaceus dum quaerit escam, margaritam repperit. “Iaces indigno quanta res”, inquit, “loco! Hoc si quis pretii cupidus vidisset tui, olim redisses ad splendorem pristinum. Ego quod te inveni, potior cui multo est cibus, nec tibi prodesse nec mihi quicquam potest.” Hoc illis narro, qui me non intellegunt.

Un jeune Coq, en cherchant sa nourriture sur un tas de fumier, trouva une Perle.  » Précieux objet, dit-il, tu es là dans un lieu indigne de toi ! Si un avide connaisseur t’apercevait, il t’aurait bientôt rendu ton premier éclat. Pour moi qui t’ai trouvé, le moindre aliment me serait meilleur ; je ne puis t’être utile et tu ne peux rien pour moi. « 
J’adresse cette fable à tous ceux qui ne peuvent me comprendre.

Fables de Phèdre, traduction nouvelle
par Ernest Panckoucke (1839).

Le coq confesse encore ici son incapacité à exploiter le trésor et on y ressent presque une pointe de fatalisme. Pour le gallinacé, la pierre précieuse (devenue au passage une perle) n’est définitivement pas à sa place dans ce tas de fumier. Sa valeur ne sera pas honorée et le volatile restera frustré de ne pas trouver de nourriture. En guise de conclusion, Phèdre adresse plus spécifiquement sa morale à tous ses détracteurs ou ceux qui ne savent apprécier ses écrits. On est donc, une fois encore, dans la valeur littéraire et philosophique ou la connaissance, mais sur une morale un peu plus ciblée.

Le Coq et la perle de Lafontaine

En faisant un bond dans le temps par dessus le Moyen Âge, cinq siècles après Marie de France, on retrouvera encore ce coq et sa perle chez Jean de Lafontaine. Le fabuliste moderne procédera même à une mise en miroir pour être bien certain que ses lecteurs en comprennent le sens qui reste, là encore, littéraire, éducatif et culturel :

Un jour un Coq détourna
Une perle qu’il donna
Au beau premier Lapidaire :
« Je la crois fine, dit-il ;
Mais le moindre grain de mil
Serait bien mieux mon affaire. »


Un ignorant hérita
D’un manuscrit qu’il porta
Chez son voisin le Libraire.
« Je crois, dit-il, qu’il est bon ;
Mais le moindre ducaton
Serait bien mieux mon affaire. »


Pour finir, notons qu’en un temps contemporain de Lafontaine, se trouvait dans les jardins de Versailles, une fontaine du coq et du diamant, en hommage à cette fable antique d’Esope.

Daté de 1673, ce monument arborait un petit bassin au centre duquel figurait un coq tenant une pierre précieuse dans une de ses pattes et recrachant l’eau de la fontaine par son bec tourné vers le ciel. Cette fontaine était l’œuvre de Étienne Le Hongre (1628-1690). A ce jour, il ne nous en reste plus rien qu’une gravure présente dans un ouvrage daté la fin du XVIIe siècle (Labyrinthe de Versailles, Charles Perrault, 1677)


En vous souhaitant une très belle  journée.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.

NB : le coq utilisé en premier plan de nos illustrations provient du manuscrit médiéval côté BM ms 399, actuellement conservé à la Bibliothèque Municipale d’Amiens. Cet ouvrage ancien, daté de la dernière partie du XVe siècle, contient le Livre des propriétés des choses de Barthélémy l’Anglais. Je vous propose de découvrir ce superbe livre ancien sur le catalogue de manuscrits illuminés Initiale. Quant au reste de notre enluminure du coq de Marie de France, il s’agit d’un montage original à partir d’extraits d’autres enluminures et illustrations.

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